Les décapitations, le piège sournois des djihadistes


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Baudouin Loos

Irak

La troisième scène de décapitation d’otages occidentaux, celle du Britannique David Haines, inspire les mêmes sentiments de dégoût, d’indignation, de colère et de frustration envers les bourreaux du soi-disant « Etat islamique ».

Il convient pourtant de tenter de mesurer les motivations de ces derniers. D’évidence, leur « stratégie », puisqu’ils n’agissent pas ainsi sans raisons, ne peut être que d’attirer les Occidentaux dans un piège qui se refermerait ensuite sur eux : provoquer une intervention occidentale la plus massive possible, à l’aune de notre désir de vengeance spontanément induit par les ignobles assassinats filmés puis envoyés sur les réseaux sociaux.

Plus les réactions occidentales seront massives et brutales, plus ces djihadistes de l’Enfer pensent alimenter à travers le monde musulman sunnite un puissant sentiment de « deux poids deux mesures » puisque, il est vrai, la communauté internationale assiste en même temps depuis trois ans avec passivité au martyre de tout un peuple  : la majorité sunnite syrienne. Et ils comptent bien exploiter – pour recruter et convaincre – un tel sentiment d’injustice.

Il existe depuis près de deux ans quatre camps qui se déchirent les lambeaux de Syrie : le régime, les rebelles, les Kurdes et les djihadistes. L’alliance objective qui prévalait entre le premier et les derniers a volé en éclats quand les djihadistes, se sentant en position de force, ont commencé en juin leurs conquêtes en Irak (dont beaucoup provenaient), où le gouvernement central, pro-chiite de manière caricaturale, avait créé les conditions de leur succès en terres sunnites.

Dans le champ de bataille syrien, les rebelles sont le seul camp en danger de disparition rapide. Leur cruelle désunion et l’absence de soutien extérieur suffisant vont bientôt les exposer à un terrible choix entre la reddition, la mort ou l’exil. Sauf si, enfin, ils reçoivent une aide militaire concrète et importante.

L’erreur à ne pas commettre en Occident serait de considérer que Bachar el-Assad, à Damas, constitue en fin de compte un « moindre mal ». La majorité sunnite de Syrie accueillerait cette volte-face avec consternation, elle qui subit ce régime basé sur la torture depuis quarante ans. Et, comme l’écrit sur politico.com l’expert belge Thomas Pierret, ces sunnites se demanderaient pourquoi des décapitations précipitent une intervention contrairement aux atrocités bien plus nombreuses d’el-Assad.

Les exactions infâmes de « l’Etat islamique » ne peuvent rester sans réponse, et celle-ci n’a sûrement pas lieu d’être inspirée par la moindre faiblesse envers ces bourreaux sans scrupules. Mais, sauf à tomber dans leur piège, il faut que les cibles soient attentivement choisies, sans oublier qu’à Damas le régime impitoyable des el-Assad ricane d’une donne qui joue en sa faveur.

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« Ils ont été kidnappés pour être exécutés » : questions à l’historien Jean-Pierre Filiu


INTERVIEW par Jules Lavie dimanche 14 septembre 2014 09:52

Un drapeau de l'Etat islamique près de Kirkouk, fin août, lors de combats avec les Kurdes © REUTERS/Ako Rasheed
Un drapeau de l’Etat islamique près de Kirkouk, fin août, lors de combats avec les Kurdes © REUTERS/Ako Rasheed

Pour l’historien arabisant Jean-Pierre Filiu, ces exécutions d’otages, trois en un mois, sont programmées par les terroristes pour choquer et sidérer leurs ennemis. Il appelle à une coalition internationale qui ne mettrait pas en oeuvre qu’une riposte militaire et fait part de sa conviction que l’Etat islamique a déjà planifié des attentats en Occident.

– Qu’espère l’Etat islamique à travers ces exécutions diffusées ?

« C’était tout à fait prévisible. Ces malheureux otages anglo-saxons, Américains ou Britanniques, ont été kidnappés pour être exécutés. Et c’est en attendant le moment opportun du point de vue de l’organisation terroriste qu’ils étaient conservés en vie, souvent d’ailleurs très maltraités« , analyse l’historien arabisant Jean-Pierre Filiu ce dimanche sur l’antenne de France Info. Passant au crible la stratégie de la terreur mise en place par l’Etat islamique, il estime que l’organisation tente de « sidérer » l’Occident, « c’est à dire à suspendre notre pensée, que nous ne raisonnions plus, que nous soyons prisonniers d’émotions  légitimes et que du coup ils nous amènent là où ils veulent. Et jusqu’à présent, ils ont toujours eu deux ou trois coups d’avance« .

– Quelle réponse doivent apporter l’Occident et les pays mobilisés contre le terrorisme ?

« Il serait temps qu’une coalition se constitue, qu’au cours de la journée de lundi à Paris se dégage une véritable stratégie à long terme qui implique certes le militaire mais aussi l’humanitaire, le culturel, le diplomatique pour une réponse globale à une menace globale« , appelle Jean-Pierre Filiu. Le chef de l’Etat islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, « vise une stratégie complexe et c’est pourquoi, il faudrait que face à lui, les Etats aient une stratégie complexe, qui ne soit pas que militaire« , ajoute-t-il.

Pour cela, insiste l’historien, il est capital que des pays arabes, et tout particulièrement l’Arabie Saoudite, prennent part à la coalition : « trop longtemps on a voulu faire de la lutte contre le terrorisme moyen-oriental une affaire d’Occidentaux. Cette organisation, qui porte improprement le nom d’Etat islamique, tue surtout des musulmans dans des pays musulmans. Donc il est essentiel que ce qui est une menace pour l’ensemble de la communauté internationale ne soit pas l’apanage des seuls Occidentaux et je regrette très vivement que les Russes n’aient pas encore compris qu’il était de leur intérêt immédiat de se joindre à cette coalition car le djihadisme peut les frapper, comme il peut frapper l’Europe« .

– Que risque-t-on ?

« Je suis désolé de jouer les prophètes de malheur« , prévient Jean-Pierre Filiu, mais « il faut savoir que si l’organisation terroriste en question n’est pas neutralisée dans les meilleurs délais avec force et détermination, elle fera des attentats en Europe, qu’elle présentera comme des représailles aux bombardements en Irak et éventuellement en Syrie. Il ne faut pas renverser la charge de la preuve entre les terroristes et nous« . Et pour lui, l’intervention est nécessaire : « l’organisation a déjà programmé des attentats en Europe et c’est pour éviter que ces attentats ne soient pas trop sanglants et trop importants qu’il faut intervenir. Et ne pas intervenir ne nous protégerait d’aucun attentat en Europe« .

A ECOUTER :

Retrouvez l’interview complète de l’historien Jean-Pierre Filiu, au micro de Jules Lavie sur le site de l’article