Avec Wissam, réfugié syrien, sur la route de Hama à Oslo


Il lui aura fallu un mois et trois jours pour rejoindre la Norvège depuis la Syrie. Wissam, un enseignant qui a fui la guerre, a raconté son périple à Mediapart. Aujourd’hui en sécurité, sa priorité est de retrouver sa femme et ses enfants restés derrière lui à Hama.

Wissam a été convaincu qu’il n’avait plus d’avenir en Syrie et qu’il ne lui restait plus qu’à partir. En quatre ans, depuis le début de la guerre, il s’était retrouvé plusieurs fois en danger de mort. Sa maison avait été détruite, il avait perdu son emploi.

Seul ou en famille, il n’a pas hésité : sa femme, enceinte d’un quatrième enfant, ne supporterait pas le voyage, pas plus que sa fille de six ans, née avec une malformation au cœur. Pour ne pas inquiéter ses proches, il a tardé à évoquer ses projets d’Europe. Quelques heures à peine après la naissance du bébé, ce père de 37 ans a quitté le foyer. C’était le 13 août. Il est sorti de chez lui avec pour tout bagage un sac à dos rempli de quelques affaires de rechange. Dans ses poches, son passeport et son argent. Cap à l’ouest, il vise l’Allemagne, la Suède ou la Norvège, il ne sait pas encore précisément. Il n’a qu’une idée en tête : rester en vie.

Cet homme en quête de protection a documenté son périple et accepté que Mediapart le raconte en publiant ses photos et vidéos. Le contact a été établi grâce à l’association Nazra, fondée en janvier 2013 et animée par un réseau d’amis européens, qui se sont donné pour mission de venir en aide à des familles syriennes restées en Syrie.

Wissam n’est pas son nom. Il préfère, comme beaucoup de réfugiés syriens terrorisés pour leur famille restée au pays, ne pas le donner, de peur des mesures de rétorsion. Il quitte sa ville, Hama (530 000 habitants avant le conflit), située à l’est de la Syrie, alors que Daech s’installe à ses portes et que les bombardements s’intensifient. Ce professeur d’anglais n’aurait jamais pensé voyager clandestinement s’il n’y avait pas été forcé par la guerre. Impossible de faire autrement : les ambassades occidentales sont fermées ; dans les pays limitrophes, elles limitent drastiquement la délivrance de visas humanitaires. Comme tous ses compatriotes, en l’absence de solutions alternatives, il est contraint de s’en aller par ses propres moyens et de s’en remettre à des trafiquants au péril de sa vie.

Wissam à son arrivée à Kos en Grèce le 1er septembre 2015.Wissam à son arrivée à Kos en Grèce le 1er septembre 2015.

La discussion s’engage sur WhatsApp, la messagerie gratuite qu’utilisent les migrants pour leurs communications longue distance, puis sur Viber, pour échanger de vive voix.

Après avoir traversé la Grèce, pays par lequel il est entré dans l’Union européenne (avant d’en ressortir puis d’y rentrer en Hongrie), la Macédoine et la Serbie, il se trouve en transit à Budapest, la capitale hongroise, le 12 septembre, lors de notre premier entretien. Ces frontières qui se sont toutes ou presque fermées les unes après les autres à partir de la mi-septembre étaient encore franchissables. Non sans mal. Le passage de la Serbie à la Hongrie est son pire souvenir. « Je vais bien », répète-t-il avec pudeur, avant d’avouer qu’il est « épuisé, complètement épuisé ».

Pour fuir sa terre natale, qui fut l’un des centres des manifestations contre le régime de Bachar al-Assad en 2011, il se dirige vers le port de Tripoli au Liban, à 140 kilomètres de chez lui. Muni d’un billet de transport, il monte dans l’un des ferrys reliant Mersin au sud-est de la Turquie, là même d’où sont partis l’hiver dernier plusieurs cargos-épaves abandonnés par leur équipage à proximité des côtes italiennes. Dans leurs cales, des centaines de familles syriennes venaient de vivre l’horreur, assoiffées, affamées et entassées dans des conditions inhumaines.

Les douaniers turcs ayant été rappelés à l’ordre par les autorités européennes, les trafiquants ont cessé d’utiliser ces bétaillères en fin de vie et repris une route rodée de longue date, sur des canots pneumatiques de type Zodiac plus difficiles à détecter, partant des plages de l’ouest de la Turquie pour rejoindre les îles grecques de la mer Égée. Sous la pression des contrôles policiers, les passeurs tergiversent. Wissam est conduit de Marmaris à Izmir puis Bodrum, ces villes balnéaires devenues des plaques tournantes migratoires. Ses économies fondent. Pour financer les 1 400 euros que lui coûte la traversée, il décide de dormir dehors et ne mange plus qu’une fois par jour. Après trois semaines d’attente éprouvantes, son tour arrive. Direction Kos. Des dizaines de bateaux de ligne effectuent cette liaison tous les jours, pour 15 euros l’aller-simple. Mais les réfugiés n’y ont pas accès : ils n’ont pas les papiers les autorisant à entrer dans l’espace Schengen de l’Union européenne.

Le départ de Turquie est fixé au 31 août à 20 heures. Dans l’embarcation de fortune, la nuit est cauchemardesque. Une quarantaine de personnes – des hommes, des femmes, des enfants, Syriens, Irakiens, Afghans, Pakistanais, Ghanéens – se serrent les unes contre les autres. Un réfugié sans expérience particulière de navigation est désigné pour tenir la barre. Il s’oriente à l’aide du GPS d’un téléphone portable en prenant comme repère les lumières des côtes turques et grecques. Celles-ci sont peu éloignées (une vingtaine de kilomètres), mais la mer est connue pour être périlleuse. Tous les passagers le savent : des centaines de personnes ont péri dans ces eaux ces dernières semaines.

Sur l'île grecque de Kos, Wissam s'est acheté une tente pour dormir sur la plage en attendant d'obtenir son laissez-passer.
Sur l’île grecque de Kos, Wissam s’est acheté une tente pour dormir sur la plage en attendant d’obtenir son laissez-passer.

À bord, personne ne bouge, personne ne parle. Wissam aimerait prendre des photos, pour documenter ce moment, mais il renonce à le faire car le flash risquerait d’attirer l’attention. « Nous avons tous eu très peur. Ça a duré douze heures. » Wissam en tremble encore lorsque le bateau touche terre. Pas le temps de reprendre ses esprits : à peine débarrassé de son gilet de sauvetage, il se retrouve avec un couteau dans la main à détruire l’embarcation pour éviter que les gardes-côtes grecs ne renvoient les passagers en Turquie.

À Kos, Wissam s’offre une nuit d’hôtel pour essayer de se reposer. Le lendemain, il apprend qu’un naufrage a eu lieu sur la route qu’il vient d’emprunter. Une douzaine de personnes ont perdu la vie. Parmi eux, Aylan et Galip Kurdi, deux enfants syriens de trois et cinq ans, et leur mère Rehan. « À un jour près, nous aurions pu nous retrouver dans le même bateau. Ils n’ont pas eu notre chance. J’ai tant de peine pour eux. »Comme tout le monde, il voit la photo du plus petit des deux frères s’afficher en une des journaux.

« À Hambourg et à Malmö, on m’a recommandé d’aller plus loin »

« Je suis à la frontière hongroise. Non entre la Grèce et la Macédoine. Jeudi 10 septembre. »

Il passe neuf jours sur l’île à « attendre le papier », c’est-à-dire l’autorisation de présence sur le territoire, valable six mois pour les Syriens, 30 jours pour les autres, censée donner le temps à chacun de demander l’asile, et sans laquelle il n’est pas autorisé à se déplacer sur le continent. En l’absence de perspectives économiques, rares sont les réfugiés à envisager de rester en Grèce. Ses premiers pas dans l’Union européenne se passent mal. Il s’achète une tente pour dormir sur la plage. « Nous étions très nombreux, les conditions étaient mauvaises, les gens ont commencé à protester, à manifester leur colère. Les policiers leur ont tapé dessus. Les habitants, eux, étaient accueillants, les touristes aussi. Ils apportaient des bouteilles d’eau, de la nourriture, des habits, des jouets pour les enfants. Il y avait beaucoup de journalistes. » Le 9 septembre, muni de son laissez-passer, il monte dans un ferry qui l’emmène à Athènes. Aussitôt, il prend un bus pour la frontière gréco-macédonienne. Il longe à pied une voie ferrée sous la pluie battante pendant dix kilomètres. La traversée des Balkans commence. « Jusqu’à la Hongrie, tout est allé vite et s’est relativement bien passé. »

« Un train passe. Nous sommes à la frontière entre la Macédoine et la Serbie. Il est minuit. »

La frontière serbo-hongroise s’avère particulièrement coriace. « Il faisait nuit, nous étions dans la forêt, on ne voyait rien, on ne savait pas où on posait les pieds, c’était effrayant. En plus, les policiers nous pourchassaient, on avait peur d’être perdus. Il n’arrêtait pas de pleuvoir, nous étions complètement trempés. » Il finit par sortir de cette « jungle » dont il garde un « souvenir horrible ». Pour 150 euros, un taxi le conduit à Budapest. « La traversée de la Hongrie a été pénible. Il y avait des policiers partout. »

« Je traverse la frontière entre la Serbie et la Hongrie sur la voie ferrée. Nous sommes vendredi soir. »

Dans la capitale hongroise, il prend un train pour Vienne en Autriche, où il change pour Munich puis Stuttgart. L’Allemagne, enfin. « Je me sens soulagé, mais je suis vraiment épuisé, je ne sais pas exactement où je vais aller, dit-il le 13 septembre. Mes amis me conseillent de continuer au nord. Il y a trop de réfugiés ici. Peut-être Hambourg. Je vais juste me reposer une journée ou deux, je ne l’ai pas encore fait depuis mon départ de Syrie. »

Wissam est passé de justesse. Le lendemain de son arrivée, Berlin annonce que les contrôles aux frontières sont rétablis. Les liaisons ferroviaires sont interrompues quelques heures. Lors des semaines précédentes, les réfugiés ont été accueillis à bras ouverts, les bénévoles allemands les applaudissant à leur arrivée sur les quais des gares. En quinze jours, 63 000 personnes ont franchi la frontière, débordant les capacités des structures d’accueil.

Dans son élan, Wissam poursuit sa route. Le 14 septembre, il laisse Hambourg derrière lui pour se rendre à Malmö en Suède. Le 16, il part pour Oslo en Norvège. « À Hambourg et à Malmö, on m’a recommandé d’aller plus loin, de trouver un endroit où il y ait moins de réfugiés. À cause des demandes, les délais des procédures d’asile ont augmenté en Allemagne et en Suède. » Quelques jours plus tard, il se retrouve logé au milieu des forêts de sapins, dans un village montagneux du nom de Hemsedal, connu selon les sites touristiques pour ses « bonnes conditions de ski » et les « possibilités de pêche à la mouche ». Sa photo d’avatar sur WhatsApp le présente debout à côté d’une rivière tourbillonnante, emmitouflé dans un anorak et un pantalon de pluie. Il a l’air reposé, mais soucieux. Au total, il a dépensé environ 3 000 euros pour arriver là.

La prise en charge est « parfaite », dit-il à propos de l’« hôtel » dans lequel il réside avec 220 autres réfugiés. Repas, vêtements, soins, aide juridique : rien ne manque. « Je n’ai pas attendu pour avoir un logement. La ville est fantastique et les gens ici sont très amicaux », affirme-t-il. Une excursion pour découvrir la nature environnante a été organisée. « On est allés respirer l’air frais », s’amuse-t-il. Les cours de norvégien sont sur le point de débuter. Des conseils sur les coutumes du pays sont prodigués. Par chance, il se retrouve seul dans une chambre. Sa connaissance de l’anglais est mise à contribution par l’équipe gérant le centre d’hébergement. « Je donne un coup de main à la réception [où les demandes sont centralisées] pour faire le traducteur. »

Wissam a trouvé refuge à Hemsedal en Norvège.Wissam a trouvé refuge à Hemsedal en Norvège.

Entre réfugiés, les discussions tournent autour du périple. « Chacun raconte les péripéties auxquelles il a été confronté : comment il a traversé la mer, comment il a échappé aux policiers. »Tout le monde se pose des questions sur l’avenir : quand seront-ils fixés sur leur sort, quand pourront-ils faire venir leur famille, que se passera-t-il si leur demande est rejetée, quand pourront-ils travailler ? Mais leur préoccupation principale reste la situation de leurs proches en Syrie.« Nous nous inquiétons pour eux, nous échangeons les nouvelles dont nous disposons. Chacun appelle sa famille, cherche des informations sur Internet. Nous nous faisons du souci. »

Ses empreintes digitales ont été enregistrées dès son arrivée : Wissam ne peut pas aller plus loin, c’est ici que sa demande d’asile va être examinée. La procédure a commencé, mais il s’inquiète des temps d’attente : jusqu’à cinq mois avant d’avoir la réponse, puis six à neuf mois supplémentaires pour obtenir la réunification de sa famille. Or retrouver sa femme et ses enfants est sa priorité. « Ils me manquent. J’ai à peine vu mon bébé. » Les journées paraissent interminables. « On a tendance à s’ennuyer », admet-il. Les effets de l’exil se font sentir. Il commence à douter : « Ma demande sera-t-elle acceptée ? Ça me fait peur d’imaginer un refus. » « Je me sens désormais en sécurité, dit-il. Mais tant que ma famille ne sera pas avec moi, je ne me sentirai pas totalement en paix. »

source

10 PRÉJUGÉS SUR LES MIGRANTS ET COMMENT Y RÉPONDRE


PETIT LEXIQUE

UN MIGRANT est une personne qui quitte son pays pour aller vivre sur un autre territoire pour de multiples raisons, et ce de façon temporaire ou permanente. Certains migrants se déplacent de leur propre gré, d’autres y sont forcés notamment en raison d’une guerre ou de persécutions.

UN DEMANDEUR D’ASILE est une personne qui a quitté son pays en quête d’une protection internationale, mais qui n’a pas encore obtenu le statut de réfugié. Il ne peut pas être renvoyé de force dans son pays pendant la procédure d’examen de sa demande d’asile. De plus, une personne ne peut être renvoyée de force dans son pays si sa vie ou sa liberté y est menacée
(principe de non-refoulement).

UN RÉFUGIÉ est une personne qui a fui son pays parce qu’elle craint avec raison d’y être persécutée en cas de retour, du fait de son identité (son origine ethnique, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social), de ses convictions religieuses ou de ses opinions politiques et dont le
gouvernement ne peut ou ne veut assurer la protection. À la différence d’un demandeur d’asile, le statut de réfugié lui a été reconnu.(HCR)

[2]

 1.«  Il y a une explosion des arrivées de migrants en Europe ! »

FAUX

Malgré ce que peuvent laisser croire les images montrant des arrivées massives de migrants, la réalité est tout autre et les chiffres parlent d’eux-mêmes.
La majorité des migrants se trouvent dans les pays du Sud. Ceux qui fuient des conflits se trouvent en grande partie dans les pays limitrophes, lesquels ont des ressources souvent très limitées. Pour ne citer qu’un exemple, 4 millions de réfugiés syriens se trouvent dans des pays voisins (et 7,6 sont des déplacés internes). Le Liban accueille près de 1,2 million de réfugiés venant de Syrie, ce qui représente environ une personne sur cinq dans le pays.
L’Union européenne (UE) propose quant à elle de réinstaller à peine 22.504 réfugiés en deux ans. C’est une goutte d’eau dans la mer ! Les Nations unies ont estimé que 1,2 million de réfugiés (à travers le monde) devaient être réinstallés de toute urgence, soit 300.000 personnes chaque année durant les cinq prochaines années.
Par ailleurs, le nombre de demandes d’asile de personnes déjà arrivées en Italie, en Grèce et en Hongrie à examiner est maintenant de 160.000 (septembre 2015). La Belgique devra, elle, en accueillir un peu moins de 6.000, soit à peine un peu plus du dixième du Stade Roi Baudouin. [3]

Témoignage
Majid Hussein, Nigérian, 22 ans
« Les Européens pensent que nous sommes ici pour leur prendre quelque chose, mais ce n’est pas vrai. Beaucoup d’entre nous sont des étudiants, des médecins ; nous avons tout perdu et jamais nous ne retrouverons ce que nous avions. Les migrants en Italie sont livrés à eux-mêmes, sans pouvoir se laver, sans manger sauf s’ils parviennent à entrer en contact avec des associations. Si vraiment l’Europe prône les valeurs inscrites dans la Déclaration des droits de l’homme, alors cela devrait concerner tout le monde de façon équitable. Moi, j’ai eu de la chance, j’ai obtenu des papiers, je travaille, je parle italien ; je m’intègre au fur et à mesure et je mélange finalement les cultures. C’est ce que nous devons partager, nos cultures. »

 2.« Ils viennent pour toucher nos allocations et pour prendre notre travail !  »

FAUX

Aucune aide n’est accordée du simple fait d’être un étranger. Les personnes en séjour irrégulier (donc sans papiers) n’ont droit qu’à l’aide médicale urgente à l’exception du cas d’un mineur en état de besoin. Seul le statut de réfugié (ou autre protection) donne droit au revenu d’intégration sociale. Pendant la période d’analyse de la demande d’asile, le demandeur d’asile n’a droit qu’à une aide matérielle, à savoir l’hébergement, la nourriture et l’accompagnement. Et à moins que cette période n’excède les six mois, il n’a pas d’accès légal au marché du travail.
Notons par ailleurs que les migrants occupent très souvent des emplois peu qualifiés et pénibles laissés vacants par les Belges. Même avec un diplôme, il leur est difficile d’accéder à un métier qui correspond à leurs spécialités et ils sont encore trop souvent victimes de discrimination ou d’exploitation.
Lorsqu’ils sont au travail, ils représentent une réelle plus-value pour notre économie. Non seulement ils injectent de l’argent dans notre économie en payant des impôts, mais ils pallient aussi au vieillissement de notre population. [4]

 3.« L’immigration ruine les finances publiques ! »

FAUX

Au contraire, d’après un rapport de l’OCDE, l’immigration « rapporterait » en moyenne près de 3.500 euros de rentrées fiscales par individu par an. En cotisant, en consommant et en payant des impôts, les migrants contribuent donc à l’activité économique et aux finances publiques qui, à défaut, subiraient des pertes [5].
Par ailleurs, en 2014, la part du budget réservé à l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil) s’élevait seulement à 0,15 % des dépenses totales de l’administration belge. L’accueil d’un demandeur d’asile coûte entre 37,7 et 40 euros [6] . Une grande partie de ces frais est réinvestie dans notre économie grâce à la création de plusieurs centaines d’emplois créés pour assurer l’accueil de ces personnes.
N’oublions pas que les tentatives de bloquer nos frontières coûtent cher à nos pays, notamment l’édification des murs avec du matériel de surveillance de pointe. Entre 2007 et 2013, l’UE a alloué près de 4 milliards d’euros aux politiques migratoires (y compris le renvoi de ressortissants de pays tiers et le contrôle des frontières). À peine 17 % (soit 700 millions d’€) ont été consacrés aux procédures d’asile. [7]

 4. « On va être envahi par des criminels et des terroristes ! »

FAUX

La mise en place d’une opération de recherche et de sauvetage permettra d’enregistrer les arrivées et de procéder à une identification des personnes au moment opportun. Cependant, les personnes qui montent à bord de ces embarcations de fortune sont des hommes, des femmes et des enfants qui fuient pour sauver leur vie ou trouver une vie meilleure pour eux et leurs familles. Ce ne sont pas des terroristes. Ces derniers voyagent comme tout le monde, notamment par avion, si nécessaire avec de faux papiers. Mais ils sont aussi recrutés sur le territoire européen.
Trop souvent un amalgame est fait entre musulmans et intégristes, généralisant ainsi une peur du musulman. Or les intégristes ne représentant qu’une infime minorité des musulmans.

 5.«  L’Europe est une passoire ! »

FAUX

Bien au contraire, l’Europe est une véritable forteresse. Aux frontières de l’Europe, des murs s’érigent un peu partout, notamment entre la Turquie et la Grèce, ou encore autour des enclaves espagnoles au Maroc, et plus récemment entre la Serbie et la Hongrie. Barbelés, barrières de dissuasion, radars, diffuseurs de gaz lacrymogènes, détecteurs de mouvements : des systèmes de surveillance sophistiqués et des dispositifs militaires sont mis au service de la protection des frontières. Paradoxalement, ce sont ces moyens de surveillance qui entraînent les migrants à entrer clandestinement, mais on ne peut pas dire que l’Europe soit une passoire.
Par ailleurs, entrer et s’établir en Europe est un véritable parcours du combattant. Tout migrant doit en effet obtenir un visa ; or l’attente est souvent très longue et les conditions d’obtention des papiers ont été durcies aussi bien pour les migrants que pour les réfugiés. Les procédures de demande d’asile sont devenues tellement restrictives qu’elles ne permettent pas toujours aux individus exposés aux conflits d’obtenir le statut de réfugié.

 6. « L’Europe doit renforcer ses frontières pour éviter l’immigration et les morts ! »

FAUX

L’édification de murs et de clôtures ne diminuera pas les arrivées de migrants, mais causera davantage de morts en mer. Les personnes qui fuient des conflits ou des guerres tenteront toujours de sauver leur vie, s’il le faut en empruntant des voies périlleuses. Même lorsqu’un terme a été mis à l’opération italienne de recherche et de sauvetage Mare Nostrum, les migrants et réfugiés ont continué d’arriver en plus grand nombre.
Le renforcement de ces mesures est à l’origine de nombreuses souffrances et de pertes humaines. Compte tenu des clôtures qui ferment les routes les plus sûres, du durcissement de la surveillance et du déploiement des forces de sécurité, les migrants sont contraints de suivre des voies encore plus dangereuses, parfois avec des conséquences tragiques. Des femmes, des hommes et des enfants se noient en mer ou étouffent dans des camions. C’est donc justement la politique de l’UE qui est à l’origine des morts en mer. Bien que l’UE ait renforcé son opération de sauvetage, le manque de voies sûres et légales continuera de forcer les migrants et les réfugiés à emprunter des chemins dangereux pour sauver leur vie…

 7. « Les migrants et réfugiés entreprennent des voyages dangereux par choix et ou par inconscience ! »

FAUX

Les migrants et les réfugiés sont contraints de fuir leur pays d’origine pour sauver leur vie. Par manque de voies sûres et légales pour rejoindre l’Europe, ils sont contraints d’emprunter des chemins dangereux pour assurer leur survie et celle de leur famille.
Selon les statistiques, une majorité de ceux qui arrivent par la mer fuit la guerre, un conflit, des persécutions, la torture ou des menaces de mort. En 2013, 63 % de personnes arrivées de manière irrégulière par voie maritime en Europe venaient de Syrie, d’Érythrée, d’Afghanistan et de Somalie, des pays ravagés par des conflits et des violations massives des droits humains. En 2014, les Syriens et Érythréens représentaient plus de la moitié des quelque 170.000 personnes qui sont arrivées en
Italie par la mer. Le même constat a été dressé pour les premiers mois de 2015.

 8. « Le renforcement des opérations de secours et de sauvetage va inciter d’avantage de personnes à entreprendre la traversée et créer un appel d’air »

FAUX

Rien ne permet d’étayer cette hypothèse. En fait, le nombre de réfugiés et de migrants prenant la
route de la mer s’est accru depuis que l’Italie a mis fin à l’opération de sauvetage Mare Nostrum, en
octobre 2014, et donc lorsque les risques étaient plus élevés. Plus de 41 470 personnes étaient déjà arrivées en Italie par la mer entre janvier et mai 2015. La plupart des personnes cherchent tout simplement à fuir à tout prix une situation extrêmement difficile, même au péril de leur vie. Beaucoup n’ont pas d’autre choix que de prendre la mer pour essayer de trouver la sécurité.

 9. « La destruction des navires est une bonne chose ! »

FAUX

On ne voit pas très bien comment les gouvernements pourront détruire les navires avant qu’ils ne soient utilisés par les passeurs sans mettre en danger les réfugiés et les migrants. Des dizaines de milliers de migrants et de réfugiés pourraient ainsi se retrouver pris au piège dans une zone de conflit violent. Ces actions risquent aussi de mobiliser des navires et des avions de l’UE qui seraient autrement utilisés pour sauver des personnes en mer. Et tout cela pourrait pousser les populations
migrantes à utiliser des moyens plus dangereux encore pour tenter de pénétrer dans la forteresse Europe.
Des situations similaires (boat-people en Asie à la fin de la guerre du Viêt Nam) ont montré que les passeurs répondaient à la destruction de bateaux par la construction d’esquifs encore plus dangereux…

 10. « De toute façon, je ne peux rien faire ! »

FAUX

Vous pouvez signer nos pétitions sur notre site www.amnesty.be et les relayer largement via
vos réseaux sociaux. Ensemble, nous pouvons prouver que les Européens ne sauraient en aucun cas tolérer que la Méditerranée devienne un cimetière. Nous avons déjà obtenu le renforcement du budget et des dispositifs d’intervention de Frontex ainsi que l’extension de sa zone d’intervention, ce sont des mesures encourageantes, mais ce n’est pas suffisant.
Nous continuerons à faire pression sur les dirigeants européens pour qu’ils mettent un terme à cette
situation dans laquelle des gens souffrent et meurent devant leur porte – en mer ou sur la terre ferme.

 Commandez-le !

Attention, les envois ne se font que vers la Belgique. Mais vous pouvez toujours le télécharger.

 

Documents joints

 

Notes

[1] Les chiffres cités dans cet argumentaire sont tirés de nos différents rapports publiés depuis 20102 ici : SOS europe – nos rapports

[2] Sources : http://www.unhcr.fr/55e45d87c.html

[3] Sources : Nos rapports sur SOS Europe : www.amnesty.be/soseurope et le HCR : http://www.unhcr.org/pages/4aae621d3b0.html(« Personnes déplacées internes »), http://www.unhcr.fr/55e0a7afc.html (« Plus de 300 000 traversées clandestines en Méditerranée pour 2015, dont 200 000 arrivants en Grèce »), http://www.unhcr.org/55f2dafc6.html (« UNHCR urges full and swift implementation of European Commission proposals on refugee crisis »), http://unhcr.org/556725e69.html (« Rapport Le monde en guerre »)

[4] Sources : CIRE et Fédasil

[5] Voir aussi l’étude de Xavier Chojnicki

[6] CIRE

[7] Voir nos rapports sur www.amnesty.be/soseurope

TUNISIE – Pour votre sécurité…


TUNISIE – Loi antiterroriste | The Maghreb and Orient Courier

By on September, 2015 Tunisia

« Pour votre sécurité, vous n’aurez plus de liberté ! » C’est le slogan qui s’affiche ici et là, à Tunis et dans les grandes villes du pays, depuis que la loi « antiterroriste », la loi n°26 votée par le parlement tunisien ce 7 août 2015, relative à la lutte contre les infractions terroristes et la répression du blanchiment d’argent, est venue résumer à elle seule les contradictions qui écartèlent désormais la Tunisie. Si la nouvelle loi génère le débat, c’est du fait de la légitime peur qu’elle suscite, la peur que le gouvernement puisse à travers son application porter atteinte aux acquis de la révolution de 2011, en termes de droits et de libertés encore très fragiles, qui n’ont même pas encore été concrétisés dans des lois d’application abolissant les textes liberticides de la législation de la dictature, dont l’essentiel reste en vigueur.

 

Supposée assurer son salut, la protégeant du péril terroriste tout en promouvant la culture du respect des Droits de l’Homme, acquis majeur de sa révolution, la « loi antiterroriste » traduit l échec de la société tunisienne à relever le défi de la liberté et de la démocratie.

Un texte politiquement contesté

Produit en parallèle à la législation de droit commun et y dérogeant, la loi traduit de toute évidence les velléités répressives des autorités.

Elle a été adoptée selon une procédure d’urgence, se passant de la nécessaire consultation des diverses parties concernées, comme les juges, les avocats, les associations des Droits de l’Homme… bref de la société civile tunisienne, pourtant très active en ce domaine.

Le texte du projet de loi n’a même pas été publié sur le site de l’Assemblée des Représentants du Peuple (l’ARP, le parlement tunisien), contrairement à la norme en matière de projets en discussion. De plus, les autorités ont fait le choix délibéré de ne pas soumettre la loi à l’examen de sa conformité à la Constitution par la commission provisoire habilitée.

D’où un texte imparfait juridiquement sur nombre de points, faisant d’ores et déjà l’objet de contestations pour de flagrantes lacunes et aberrations, laissant supposer d’inévitables difficultés d’application, voire, surtout… des dérives liberticides.

Au reste, ce sera lors de la mise en œuvre de la loi que se vérifiera le degré de solidité des fondamentaux de la nouvelle république tunisienne, quant au respect des valeurs humanistes et des principes des Droits de l’Homme.

Dans un communiqué officiel publié à la suite d’un colloque consacré à la loi et organisé à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire, la très active Association des magistrats Tunisiens (AMT) a déjà fait état de la détermination des juges de se conformer, dans son application, moins aux dispositions de la nouvelle loi « antiterroriste » qu’à celles de la Constitution et des droits et libertés nouveaux que la loi violerait délibérément. Émettant un certain nombre de réserves, l’AMT propose ainsi quelques mesures de corrections estimées indispensables (cfr. Addenda ci-dessous).

Les assises d’un État qui se veut « de droit » ne peuvent être bancales ; or, cette importante loi ne satisfait pas à une telle évidence, ayant dès le départ choisi de violer, au nom de l’urgence, le critère premier de l’État de droit, à savoir la soumission du travail législatif au contrôle juridictionnel de sa constitutionnalité.

Il reste à relever que la loi n’est pas encore entrée en vigueur, puisqu’elle n’a pas été publiée à ce jour au Journal officiel de la République tunisienne. Aussi n’est-il pas exclu qu’il y ait encore des rebondissements, eu égard à l’opposition qu’elle suscite qui, si elle est fondée d’un point de vue de pur droit sur nombre de dispositions de la loi, n’est pas moins à forte teneur politique.

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