BAUDOUIN LOOS


loos

Terriblement prémonitoire… Interview publiée dans Le Soir le 9 janvier dernier, après les attentats de Charlie-Hebdo et du supermarché cacher:

«Ce qui s’est passé à Paris n’est rien à côté de ce qui nous attend»

«Le pire est devant nous!» Celui qui nous parle des jeunes Bruxellois attirés par les sirènes djihadistes sait de quoi il parle. Depuis plus de quinze ans, il arpente les trottoirs des communes de la capitale, comme travailleur social. Les quartiers dits «difficiles», il connaît. Pour préserver ce travail, il nous demande de conserver l’anonymat. On l’appellera donc par exemple «Samir».

Pour cet homme de terrain, «beaucoup de responsables politiques ne sont pas en phase avec la réalité». Une réalité qu’il décrit d’une manière crue. «Je ne parle pas de la première ou de la seconde génération d’immigrés. Mais de ceux qui sont jeunes maintenant. Beaucoup dans les quartiers portent les cicatrices de l’échec scolaire et des discriminations. Ils ont une double fragilité, la première nourrissant la seconde: une fragilité socio-économique et une fragilité identitaire. Ce qui les laisse démunis face à certaines dynamiques comme celles qu’ils voient sur internet à propos du Proche et Moyen-Orient. En outre, sur Facebook, ce que racontent et montrent leurs amis partis faire le djihad est parfois loin des images horribles qu’on imagine, mais ce sont des villas, des voitures, des femmes.»

Le cri d’alarme de Samir se veut strident. «Tant qu’on ne fixera pas rapidement des objectifs de lutte efficace contre l’échec scolaire, la pauvreté, pour l’égalité des chances, le respect des différences et la formation, on fera face à des conséquences toujours plus effrayantes. Certains n’ont pas subi d’échecs scolaires, disposent de diplômes en bonne et due forme, mais ils ne trouvent pas d’emploi parce qu’ils s’appellent Mohamed ou Abdallah.»

Mais les frustrations prennent aussi racines ailleurs que dans leur pays natal. «Ils ne sont pas fous, comme on le dit ici ou là. Ils sont dans une logique de guerre, et ils ne répondent pas au cliché de ces jeunes qui mélangeraient tout: ils connaissent très bien les enjeux en Europe comme au Proche-Orient. Ils vous parlent des injustices faites aux Palestiniens, de l’invasion de l’Irak, des morts en Syrie, mais aussi de l’islamophobie qui règne en Europe, deux poids deux mesures selon que vous vous appeliez Dieudonné, interdit de spectacle, ou Zemmour, héros des plateaux télévisés.»

Samir est intarissable. Il veut encore nous citer un exemple: «Je discutais hier avec des jeunes, l’un d’entre eux, avec un diplôme de comptable, doit faire la plonge dans un restaurant de Jette pour se nourrir, il dit y être traité comme un animal. On parlait de Charlie-Hebdo et un autre m’a dit: « Ouais, tout le monde est indigné ici et quand des centaines d’enfants meurent à Gaza sous les bombes israéliennes, on n’entend pas de réactions ». Ces gars, avec un flingue, pourraient un jour péter les plombs!».

Pour autant, ils ne sont pas tous prêts à se saisir d’une Kalachnikov. «Non, bien sûr. Mais il faut agir. On dit que le gouvernement s’apprête à durcir la répression contre les djihadistes belges qui reviennent au pays: se concentrer sur la répression, c’est ignorer que le travail doit commencer en amont sur le terrain social, alors qu’il y a si peu de structures et de moyens humains disponibles pour résoudre ces problèmes dans nos communes. Il y a un manque d’intérêt des autorités envers cette jeunesse qui décroche, désœuvrée, qui vit dans sa chair les injustices locales et celles du Proche-Orient. Je vous le dis, bien que je sois pourtant d’un naturel optimiste: ce qui s’est passé hier à Paris n’est rien à côté de ce qui nous attend!»

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BAUDOUIN LOOS

Interview supprimée de François Burgat sur RFI.


François Burgat sur facebook

« Ca donnait quelque chose comme ça puisque l’interview suivante m’a été commandé par quelqu’un à qui l’intervention de RFI avait beaucoup plu émoticône smile :Comment analysez-vous les réactions des autorités et des responsables politiques à ces attaques, notamment les intonations très martiales du Président Hollande?
J’ai entendu au lendemain des attaques beaucoup de compassion émotionnelle, à laquelle on ne peut bien évidemment que s’associer. Elle précédait, en provenance de tous les camps, d’indécentes tentatives, plus ou moins explicites, de récupération politicienne.

S’agissant en revanche de la réflexion, essentielle, sur les causes, la classe politique toute entière est demeurée sur un parfait registre de déni ! On a entendu beaucoup de clichés sur la barbarie, indéniable, des bombes de l’Autre, mais très peu d’allusions aux performances ou même seulement à l’existence de celles que nous lançons par centaines en Irak ou en Syrie ou, par aillés interposés, ailleurs dans la région. En guise d’agenda, au terme de 14 années de “guerre contre le terrorisme” nous avons beaucoup pratiqué enfin la méthode Couet. Car “la fermeté inébranlable”, le “renforcement de tous les dispositifs” et “la mobilisation au plus haut niveau des possibilités “ que nous promet pour la nième fois le chef de l’Etat risquent bien évidemment de ne pas suffir.

La crise qui a fabriqué les extrémistes de Daech est complexe mais elle est avant tout politique. Et nous y avons une part évidente de responsabilité. Nous avons prononcé beaucoup de belles paroles au bénéfice de l’opposition syrienne mais nous ne nous sommes jamais décidés à lui apporter le soutien effectif dont elle avait cruellement besoin pour compenser l’ampleur de l’ingérence russe et iranienne. Lorsque enfin, en aout 2014, nous nous sommes brutalement décidés à agir, nous avons pris le parti de ne frapper…que Daech. Et de laisser ainsi Bachar Al-Assad poursuivre, à une toute autre échelle, son œuvre de mort. Paris a explicité de ce fait un véritable changement de camp. Entre les deux principaux acteurs militaires du drame, nous avons établi une hiérarchie de la dangerosité bien plus idéologique que réaliste. Sur toile de fond électoraliste, ce n’est pas la capacité de nuisance respective de chacun des protagonistes que nous avons prise en compte mais seulement le vocabulaire « islamique » de l’un des deux, qui a manifestement déterminé un choix, crucial, qui s’avère aujourd’hui, pour une écrasante majorité des Syriens, comme pour nous mêmes, si parfaitement contre productif.