Jérusalem: Trump décide d’œuvrer contre la paix


Editorial – Baudouin Loos, Le Soir du 7 décembre 2017

On chercherait vainement un État dans le monde, à l’exception d’Israël, qui se félicite de la décision de Donald Trump de rompre avec la ligne politique observée par les États-Unis depuis un demi-siècle à propos du sort de Jérusalem. En l’occurrence, le pensionnaire de la Maison-Blanche a annoncé ce 6 décembre que son pays reconnaissait désormais Jérusalem comme la capitale d’Israël. L’Américain a pris cette décision malgré les nombreux appels en sens contraire entendus un peu partout, au Proche-Orient, en Europe, aux… États-Unis ou ailleurs. Pour rappel, dans toutes les configurations sérieuses de plan de paix, la ville de Jérusalem se voit divisée en deux, la partie juive devenant la capitale d’Israël et la partie arabe la capitale de la Palestine.

Donald Trump a très sérieusement expliqué que son geste audacieux, pour dire le moins, faisait partie de ses efforts en vue de conclure «the ultimate deal», l’accord ultime, entre Israéliens et Palestiniens.
En ce sens, il a aussi annoncé qu’il appuierait la solution des deux États (Israël et Palestine côte à côte) si les deux camps en approuvaient la perspective. Et c’est en effet nouveau : si Bush Jr et Obama avaient avalisé la «two-state solution», Trump s’en était bien gardé jusqu’ici. Mais comment arriver à ces deux États en privant les Palestiniens de «leur» capitale?

L’intervention au Proche-Orient du milliardaire qui règne à Washington ressemble à l’irruption d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Pas vraiment une surprise quand on observe l’énergumène en action, fût-ce à travers ses célèbres tweets/jugements sommaires.
L’homme paraît incapable d’écouter les voix qui s’écartent de ses choix. Or, ici, elles n’ont pas manqué de se faire entendre.

Il n’est pas jusqu’à la sénatrice vétéran Dianne Feinstein, d’ascendance juive, qui n’ait exprimé ses inquiétudes dès le 1er décembre, soulignant que «la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et la relocalisation de l’ambassade américaine dans la ville sainte mettraient le feu aux poudres et renforceraient les extrémistes dans les deux camps». L’élue californienne insistait aussi sur le fait que cette décision sur Jérusalem «éroderait la crédibilité américaine en tant que médiateur non biaisé, aliénerait nos alliés et minerait les derniers espoirs d’aboutir à la solution des deux États».

La question est en effet pertinente : pourquoi Trump a-t-il rompu avec la politique traditionnelle de son pays sur Jérusalem? Et pourquoi maintenant, alors que ses conseillers étaient en train de finaliser un plan de paix, dès lors mort-né? Qui connaît la réponse? En attendant, la nouvelle donne fait le jeu de la coalition au pouvoir en Israël, celle de la droite nationaliste et de l’extrême droite, dont la politique de faits accomplis qui bafouent le droit international se trouve plus que jamais confortée par la première puissance mondiale.

Du nouveau, enfin, pour Ali Aarrass ?


La Cour de cassation marocaine examinera le dossier Ali Aarrass le 29 mars (« Le Soir » du 23 mars 2017)

Du nouveau, enfin, pour Ali Aarrass ? Le cas de ce Belgo-Marocain condamné à 12 ans de prison en appel au Maroc en 2012 pour terrorisme après des aveux extorqués sous la torture (dénoncée par des experts de l’ONU) sera examiné ce 29 mars par la Cour de cassation du royaume du Maroc. Une échéance longtemps espérée par le détenu et ses proches qui se matérialise enfin.

Comme dans nombre d’Etat européens, la Cour de cassation ne jugera pas les faits mais contrôlera la légalité de la décision de la Cour d’appel. « Nous avons déposé de longues conclusions, nous explique Me Nicolas Cohen, qui fait partie des avocats qui défendent Ali Aarrass et qui se rendra au Maroc pour assister aux débats. Parmi nos arguments, il y a la violation de la Convention contre la torture. Il faut savoir que les aveux arrachés sous la torture constituent la seule preuve de l’accusation contre Ali. »

Des éléments de procédure seront également plaidés. « Initialement le Maroc a dénoncé Ali Aarrass à l’Espagne comme l’auteur d’un trafic d’armes. Il a été laissé libre et fait l’objet d’une enquête de deux ans par le célèbre juge Garzon. Le juge espagnol avait conclu sur un non-lieu, n’ayant rien trouvé qui corroborerait l’accusation. C’est alors que le Maroc a demandé l’extradition d’Ali sur la base d’un autre chef d’accusation, celui d’avoir voulu organiser des camps d’entraînement en Algérie destinés à préparer des attentats au Maroc. Mais, dans ce pays, il a été condamné pour le trafic d’armes initialement invoqué. Le Maroc a donc violé une règle de base de droit international en le jugeant à propos d’une autre accusation que celle fondant son extradition.»

Il est évidemment impossible de prévoir comment réagira la Cour de cassation d’un pays, le Maroc, où les juges d’instance ont ostensiblement ignoré les faits de torture subis par Ali Aarrass qui l’ont amené à signer des aveux dans une langue arabe qu’il ne maîtrise pas.

Neuf ans de prison, en Espagne puis au Maroc

Le cas d’Ali Aarrass défraie la chronique depuis près d’une décennie. C’est le 1er avril 2008 que l’Espagne arrête ce Belgo-Marocain né à Melilla en 1961. Après un an d’enquête, il est blanchi par le juge Baltazar Garzon mais extradé au Maroc le 14 décembre 2010. Torturé pendant douze jours, il finit par signer les aveux qu’on lui présente. Condamné en première instance (16 ans) puis en appel (12 ans) en 2011 puis 2012, il n’a cessé de récuser ces aveux obtenus sous la torture, celle-ci ayant d’ailleurs été constatée par un rapporteur du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme en 2012.

Longtemps emprisonné à Salé, Ali Aarrass a fait plusieurs grèves de la faim, notamment pour que cessent des traitements dégradants. Il a été transféré en octobre 2016 dans la prison de Tiflet, sise au milieu de nulle part à 45 km de Salé. Il y reçoit un traitement extrêmement dur. A l’isolement total avec une heure de promenade (seul aussi), il dort sur un bloc de béton, sans matelas ; il a droit à une douche par semaine et à un coup de téléphone de 5 minutes par semaine. Il a perdu 18 kg depuis qu’il se trouve incarcéré à Tiflet.

Sa sœur Farida, bruxelloise, le soutient avec ténacité depuis le début de ses tourments. Elle est à la base de la création d’un comité de soutien (1). Elle est allée autant que possible lui rendre visite en prison. Sa dernière visite date du 26 février. Plus que jamais, la courte entrevue de 25 minutes fut très émouvante, selon son récit. Parmi les mots de son frère que Farida a rapportés, il y avait ceux-ci : « Il n’y a rien de pire que d’être privé de tout contact humain. Farida, je ne sais combien de temps je vais pouvoir tenir ainsi… ».

BAUDOUIN LOOS

(1) De nombreux éléments d’informations se trouvent sur le site http://freeali.eu

La colonisation, cancer mortel pour la paix


Baudouin Loos bl

Palestine et colonisation: à propos du projet de loi concocté en Israël pour légaliser même les colonies juives illégales aux yeux de la loi israélienne, j’ai commis ce commentaire ce 15 novembre dans Le Soir.

La colonisation, cancer mortel pour la paix

Une loi qui légaliserait des milliers d’unités de logement situées dans des colonies juives qui sont illégales même aux yeux de la loi israélienne ne constituerait pas seulement une énormité en terme juridique – aucune instance judiciaire suprême, israélienne ou internationale, ne pourrait la cautionner: elle confirmerait, si besoin était, que la majorité des partis politiques israéliens entendent bien fouler au pied les droits nationaux palestiniens.

La fiction qui consiste donc à proclamer depuis des décennies qu’on promeut la paix avec le voisin palestinien occupé vole ainsi en éclats devant les yeux distraits et fatigués de la communauté internationale. La majorité parlementaire de droite et d’extrême droite chère à Binyamin Netanyahou cherche, contrairement à ce que prétend mollement son chef, à annihiler tout espoir d’avènement d’un Etat palestinien digne de ce nom, qui est pourtant une exigence partagée par le monde entier.

La bande de Gaza reste complètement encerclée et assiégée (par Israël mais aussi l’Egypte) malgré les appels réitérés de la communauté internationale, Jérusalem-Est est grignotée jour après jour par une colonisation de plus en plus agressive, alors que la Cisjordanie ressemble à une peau de léopard, avec quelques îlots peuplés de Palestiniens qui ont reçu, en legs misérable du «processus de paix», une autonomie très restrictive.

Autrement dit, la vision d’une paix fondée sur la coexistence de deux Etats, Israël et Palestine, vivant pacifiquement côte à côte, s’effiloche sans grand bruit, à mesure que progresse la colonisation comme un cancer produit des métastases létales. De plus en plus rares se font d’ailleurs les observateurs encore assez naïfs pour assurer que la paix reste possible, que le partage de cette terre trop sainte demeure une option réaliste.

Tous les gouvernements israéliens depuis la conquête des territoires de 1967 ont participé à l’entreprise de la colonisation. De gauche comme de droite. Peres ou Barak comme Begin, Shamir, Sharon ou Netanyahou. Seul Rabin, entre 1994 et 1995, pendant les mois qui précédèrent son assassinat par un extrémiste israélien, avait osé ordonner l’arrêt des constructions pour colons. On connaît la suite.

La communauté internationale sait tout cela. Condamne cela. Et reste les bras ballants.

Ces experts qui exaspèrent


Baudouin Loos

bl

Ils sont sur tous les plateaux télé en temps de crise. Sur toutes les radios et toutes les chaînes (françaises) d’information en continu, mais pas seulement. Les Claude Moniquet, Mohamed Sifaoui, Roland Jacquard, Jean-Charles Brisard et compagnie cumulent: ils sont à la fois incontournables et… horripilants.

Le phénomène n’est pas neuf, mais il a pris une résonance toute particulière ces derniers mois lors des attentats de Charlie-Hebdo, de Paris et de Bruxelles: tout se passe en effet comme si les télévisions se mettaient en devoir, en ces cas d’urgence médiatique, d’inviter au pied levé une série d’«experts» choisis sur une liste plutôt courte, des hommes (l’apparition de femmes dans ces cénacles relève du miracle) censés apporter au grand public leur décodage du haut de leur éminent savoir qu’ils consentent à partager. Mais des problèmes se posent, le moindre n’étant pas que leur expertise, souvent autoproclamée, ne coule pas de source…

Le site français Acrimed.org, observatoire acéré des médias, a répertorié une série d’assertions proférées par ces experts sur les plateaux de radio ou de télévision à la suite des attentats de Paris puis de Bruxelles. Citons quelques perles. Comme Roland Jacquard, «président de l’Observatoire international du terrorisme», qui disait sur RTL que «c’était préparé à l’avance». Ou l’ex-colonel Pierre Servent qui, sur Europe1, affirmait que «Daesh, comme Al-Qaïda, auparavant, sait très bien jouer des opportunités».«8.500 autoradicalisés»…

Sur le site de Télérama, le blogueur maison Samuel Gontier s’en donnait à cœur joie au lendemain du funeste 22 mars bruxellois. Citant Roland Jacquard sur France 5, qui lâche que «les chiffres de la montée du radicalisme sont impressionnants: 8.500 personnes autoradicalisées», le chroniqueur commente, ironique: «Rien que le mot autoradicalisés est impressionnant». On se demande d’ailleurs d’où il sort cette donnée. Car, le propre d’un bon «expert», c’est d’asséner des affirmations avec un tel aplomb que nul n’oserait demander ses sources.

Entre autres incongruités, Gontier n’a pas non plus raté un certain Guillaume Bigot, auteur de l’immortel essai intitulé Les Sept Scénarios de l’apocalypse, invité sur I-Télé, pour exposer ses vastes connaissances sur la Belgique: «Dans ce pays, il y a deux ethnies, qui se regardent en chiens de faïence, les Français et les Flamands. Et les migrants musulmans sont regroupés complètement en eux-mêmes»…

«Le premier qui décroche a gagné»

Mais, au fond, comment les médias audiovisuels sélectionnent-ils leurs experts? Le magazine Télérama a consacré un gros dossier à la problématique. Un confrère de RTL y fait un aveu: «Dans l’urgence, la capacité des intervenants à meubler importe plus que leur expertise. Quand il se passe quelque chose, on appelle, on appelle, on appelle. Et c’est le premier qui décroche qui a gagné». Avec ce détail que tout le monde se dispute les mêmes experts, donc c’est souvent le dernier de la liste qui décroche.

La qualité de l’expertise se retrouve donc clairement mise en cause. Sur le sujet – très pointu – du terrorisme, le constat se révèle donc le plus souvent accablant. Le 25 mars, notre confrère David Thomson, de Radio France International, considéré comme l’un des rares vrais spécialistes francophones du djihad, expliquait sur le site desInrockuptibles pourquoi ces vrais faux experts pullulent sur les plateaux. «Quand une arrestation ou un attentat se produit, le passage en mode breaking news et live nécessite par définition des intervenants qui sont invités pour analyser, apporter des éléments de contexte et de compréhension mais qui, la plupart du temps, meublent en réalité le vide avec du vide. Les rédactions généralistes n’ont pas toujours les armes pour déceler le mouton noir, parfois elles savent qu’elles ouvrent leurs micros à des personnalités douteuses mais elles estiment ne pas avoir d’alternative. L’offre de spécialistes est limitée parce qu’il existe peu de personnes qui travaillent sérieusement, sur le long terme, de façon empirique, sur ce sujet très particulier.»

Les vrais experts existent donc, mais ils se comptent sur les doigts de la main. Citons avec Thomson, Jacques Raillane, Wassim Nasr ou Romain Caillet. Ce dernier, qui s’est converti à la religion musulmane, est décrié par certains qui le disent proche des djihadistes. Personne, en tout cas, ne conteste sa compétence s’agissant du sujet. Ces rares experts n’ont pas le don d’ubiquité et, du reste, refusent souvent de s’exprimer à chaud, quand, en l’absence d’infos, il s’agit surtout de meubler les interminables sessions télévisuelles en direct.

Comment reconnaître un vrai expert?

Mais qui sont donc ceux qui en revanche acceptent de participer aux plateaux TV à titre d’«experts»? Entre les «ex» de tel ou tel service secret, les «consultants en sécurité», les «directeurs» d’instituts inconnus mais à l’intitulé ronflant et les journalistes baroudeurs qui ont tout vécu et vont tout dire, comment séparer le bon grain de l’ivraie? David Perrotin, du site Buzzfeed, s’est amusé à décrire les qualités requises pour reconnaître un «vrai» expert antiterroriste. A partir des tweets envoyés par une série de «spécialistes», il énumère celui «qui veut que vous ne ratiez aucune de ses apparitions télé», celui «qui a des informations exclusives… qui sont parfois des intox», celui «qui l’avait bien dit avant les autres», celui «qui se félicite d’avoir été le premier à le dire», celui «qui balance des chiffres dont lui seul connaît les sources», etc.
Parmi les «usual guests» des télés françaises, il arrive qu’un cri de vérité retentisse. C’est ainsi qu’Acrimed relève dans le papier susmentionné la sortie étonnante de Mathieu Guidère (d’ailleurs pas le plus incompétent du lot). Sur Arte, il avait commencé son intervention le 22 mars par ces mots: «J’aimerais vraiment dire qu’il faut arrêter la médiatisation. D’ailleurs vous ne devriez pas nous inviter, moi je vous le dis sincèrement parce que c’est la logique, le terrorisme est médiatique, il n’existe que par cela. Or on est vraiment en train de le servir».

Dépasser son niveau de compétence…

Guidère est un cas: ce professeur de l’Université de Toulouse, islamologue compétent -il vient de sortir chez Gallimard le Retour du califat- se laisse pourtant présenter sur les plateaux télé comme spécialiste du terrorisme, ou de l’islam radical, ou encore spécialiste des mouvements radicaux… Parce qu’il faut bien relier ses titres à l’actualité qui justifie sa présence en direct. Car les radios et télévisions, dans l’urgence, ne se soucient guère du principe évident que chacun possède un niveau de compétence et que le dépasser nuit à la qualité des commentaires.

Le criminologue belge Dan Kaminski (de l’UCL) en atteste après un direct par téléphone sur France Info, le 22 mars, dans une lettre adressée au responsable de l’émission et postée sur son compte Facebook: «Votre collègue m’a posé la question à laquelle je vous avais pourtant précisé de pas vouloir répondre (les faits et leur explication). Tentant ensuite d’exprimer ce que je considérais comme relevant de mon expertise, j’ai été coupé sous prétexte que je choquais vos auditeurs». Edifiant.

Le constat est saumâtre. De vrais faux experts qui enfoncent des portes ouvertes mais recourent aussi au discours anxiogène tout en se montrant volontiers va-t-en-guerre… Mais que fait la police?

 

Portrait express 1 : Moniquet, premier de cordée

Les chiffres ne concernent que le baromètre thématique des JT entre 20 et 21 heures pour 2015 en France: avec le politologue Frédéric Encel, c’est Claude Moniquet qui occupe la tête du classement au nombre de passages sur antenne. En Belgique, c’est surtout la chaîne privée RTL qui recourt à ses services comme consultant sur les affaires de terrorisme. Selon Télérama, il a été sous contrat avec iTélé lors des attentats de Paris en novembre dernier.

L’homme, né en Belgique, cultive son look original: silhouette d’armoire à glace, crâne luisant, bouc poivre et sel affirmé. Presque une barbouze. Après avoir longtemps nié la chose, il admet – s’en vante même – depuis cinq ans avoir bossé pendant deux décennies, en même temps qu’il était journaliste, pour les services français de renseignement. Avant cela, on le prenait de toute façon déjà pour un espion. Pro-israélien aussi, comme il le disait au Soir en 2006, ajoutant que ses écrits le prouvaient.

Il dirige aussi un «institut», l’Isisc, qui fait de l’analyse, de la consultance et du lobbying. A ce titre, il a naguère participé au torpillage du seul organe de presse marocain libre de l’époque, Le Journal hebdomadaire, en gagnant un procès en diffamation à Casablanca devant une justice marocaine dont on connaît l’indépendance. L’hebdo avait imprudemment laissé entendre qu’un rapport de l’Esisc qui éreintait le mouvement sahraoui indépendantiste Polisario avait été commandité par l’Etat marocain…

Comme consultant, il sévit surtout à Bruxelles sur RTL-TVi en temps de crise, même si certaines télés françaises le trouvent aussi télégénique. A RTL, tout le monde n’est pas dupe, à commencer par les humoristes maison Leborgne et Lamy, qui voient en lui«l’expert en contre-terrorisme et fournisseur officiel de contre-avis sur tout et son contraire». Une petite pique méritée comme en atteste le petit montage cruel réalisé par la concurrence rtbfienne dans lequel on le voit se contredire sur Salah Abdessalam.

Portait express 2 : Sifaoui, chasseur d’islamistes

Parmi les «experts» appelés à la rescousse sur les plateaux de télévision français, Mohamed Sifaoui occupe une place à part. Car lui est d’origine arabe et musulmane.
Sifaoui squatte depuis des années certains studios de télé français, comme celui de l’émission «C dans l’air» chère à Yves Calvi, sur France 5, où on ne compte plus ses prestations. Dans son livre assassin Les Intellectuels faussaires, Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques, l’avait qualifié en 2011 de «pourfendeur utile de l’islamisme». L’intéressé met en tout cas un zèle exceptionnel à dénoncer les dérives de l’islam vers l’extrémisme.

Au lendemain des attentats de Bruxelles, Samuel Gontier, le blogueur de Télérama, avait ramassé quelques-unes de ses interventions pas piquées des vers. Qui montrent un «expert» au sang-froid très relatif: «Les islamistes sont des salopards qu’il faut annihiler, il faut l’assumer et ne pas laisser ce discours à l’extrême droite. Ça fait des années que je les dénonce, je ne pense pas que j’ai eu un jour un dérapage, contrôlé ou pas, ou une condamnation devant un tribunal pour un quelconque propos».

Peut-être. Mais Boniface démonte dans son livre le très douteux reportage qu’il avait signé et qui avait été diffusé par France 2 dans lequel il affirmait avoir infiltré une cellule d’Al-Qaïda. Et d’autres, comme David Perrotin, sur Buzzfeed, de noter une déclaration récente, toujours sur la même chaîne publique française, dans laquelle il s’en était pris à Latifa Ibn Ziaten, mère d’une victime du djihadiste Mohamed Merah, qui se consacre à la déradicalisation (elle a reçu la légion d’honneur et a été reçue en mars par le secrétaire d’Etat américain John Kerry): «Je suis assez étonné, avait dit Sifaoui, qu’on honore une femme qui a perdu son fils mais qui porte le voile (…). Ce n’est pas parce qu’une personne perd son fils qu’on va la sortir de ses fourneaux pour en faire une égérie de la laïcité». Même les amis de Sifaoui doivent avoir du mal à le défendre sur ce coup-là…

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Filiu: «On aurait préféré que les Syriens se laissent massacrer en silence»


 

Avec Les Arabes, leur destin et le nôtre, paru en 2015, le Français Jean-Pierre Filiu parcourt plus de deux siècles de destinée commune entre le monde arabe et l’Europe. Une histoire contée par un chercheur qui n’a jamais hésité à prendre position. Surtout depuis que le conflit en Syrie s’est développé. Nous l’avons rencontré à Bruxelles, après sa conférence donnée à l’UPJB.

Que pensez-vous de clichés en Occident affirmant que «l’islam n’est pas compatible avec la démocratie » et que « ces gens-là ont besoin d’un pouvoir fort sinon le chaos l’emporte»?
Dans mon dernier livre, en autres, je rappelle que la Tunisie a aboli l’esclavage deux ans avant la France, et en 1861 a élaboré la première constitution du monde musulman qui comportait la séparation du politique et du religieux. Les Lumières arabes, qu’on désigne sous le nom de «Nahda» (renaissance), se sont largement inspirées des Lumières européennes mais sur certains points elles étaient très en avance. Pendant deux siècles rarement des peuples comme les peuples arabes n’auront lutté avec constance et opiniâtreté pour leurs libertés individuelles et collectives. Et ce combat a été systématiquement contrarié, frustré, du fait d’interventions étrangères et/ou de régressions autoritaires, celles-ci étant souvent liées à celles-là.

 

On a totalement effacé l’héritage parlementaire et pluraliste du monde arabe, qui était très vivace dans l’entre-deux-guerres, avec ses imperfections comme dans tout système démocratique. Des partis libéraux, une presse pluraliste, des débats d’idées, tout cela a été englouti dans ce que j’appelle «le grand détournement» de 1949 et 1969, entre le premier coup d’Etat en Syrie et celui de Kadhafi en Libye. Ce grand détournement par des pouvoirs militaires et liberticides a tué cet héritage et fondé ce mythe du despote utile dont les Arabes auraient soi-disant besoin. Un mythe réactivé après le 11-Septembre, quand tous ces régimes se sont posés en partenaires de la «guerre contre la terreur» de l’administration Bush et ont assimilé toute forme d’opposition à Al-Qaïda. La réalité aujourd’hui, tragique, c’est que la dictature égyptienne actuelle a ramené le pays à un niveau de violence inconnu depuis… Bonaparte en 1798; quant à la dictature syrienne, elle a fait régresser le pays au niveau d’horreur de Tamerlan en 1400. Donc, on n’est pas dans une «restauration» autoritaire, on n’est même pas dans une stabilité en trompe-l’œil, on est dans une régression épouvantable qui fait que plus les dictatures sont fortes plus les djihadistes sont puissants.

Y a-t-il eu un tournant en Syrie?
Pour Daesh, c’est août 2013. Avec la reculade occidentale, notre inaction, après le carnage chimique orchestré par le régime près de Damas. C’est là que Daesh a pris son envol. Avec cette justification mensongère, comme tous les éléments de la propagande djihadiste, qui est que ce serait un «djihad humanitaire», de solidarité avec le peuple syrien.

Il semble que depuis les attentats du 13 novembre à Paris l’idée s’impose que Daesh est l’unique ennemi…
La France continue à défendre une ligne «ni-Bachar ni Daesh» dans une solitude occidentale préoccupante. Car Bachar est aujourd’hui la principale machine à produire des réfugiés. Il a expulsé la moitié de la population syrienne hors de ses foyers. Et, aujourd’hui, les réfugiés qui avaient relativement les moyens de quitter le pays, de payer leur voyage, risquent d’être remplacés par des paysans expulsés par la politique de la terre brûlée menée désormais par la Russie, dont les bombardements sont encore plus dévastateurs que ceux du régime Assad.

C’est un aveuglement, en Occident?
Il y a eu deux tournants révolutionnaires affectant la sécurité de l’Europe: la chute du Mur de Berlin en 1989 puis la chute du Mur de la peur chez les Arabes en 2011. Ce deuxième tournant n’a absolument pas été pris en compte pour ce qu’il était par les Européens qui, au contraire, l’ont regardé avec perplexité sinon hostilité. On est encore dans un monde où le seul impérialisme serait américain. Comme si l’impérialisme russe n’existait pas! La guerre totale contre la terreur version Poutine risque d’être aussi dévastatrice pour la sécurité du continent européen que ne le fut la version George W. Bush, avec notamment l’invasion de l’Irak qui est à la source de la naissance de Daesh. On peut ainsi multiplier les incapacités à voir la nouveauté, et cela se traduit par des réflexes conservateurs du type «revenons au statu quo ante». Sauf qu’il est impossible d’y revenir, c’est fini.

D’où viennent les erreurs d’analyse occidentales?
Très souvent, les politiques ne veulent pas entendre ce que les diplomates leur disent. Il est ainsi clair qu’aujourd’hui le président Obama est dans le déni. Il a décidé que rien ne se passerait au Moyen-Orient jusqu’à son départ de la Maison-Blanche, donc il impose des mensonges d’Etat qui me paraissent aussi graves que ceux de l’administration Bush. Par exemple, le nombre de djihadistes prétendument tués. Aucune personne sérieuse ne peut admettre le chiffre donné de 20.000. On est peut-être dans l’ordre de grandeur entre 2 et 3.000. Et d’ailleurs cela ne veut rien dire si, dans l’intervalle, ils en ont recruté 50.000. Donc, on se ment. Avant le Bataclan, il a eu les attentats dans le Sinaï (l’avion de ligne russe piégé, NDLR), à Ankara, à Beyrouth. Après, il y a eu Tunis, Istanbul, Jalalabad, Djakarta et San Bernardino. Et on veut nous expliquer que Daesh est affaibli ! Quand on entend les Américains dire «Daesh aura été significativement affaibli», je cite, «d’ici à la fin de 2016», ils éludent que d’ici à la fin de l’année l’équivalent du Bataclan peut se produire à plusieurs reprises dans le monde entier.

Que faire, alors?
La seule façon de reprendre l’initiative contre Daesh c’est de s’emparer de Raqqa (son QG dans le nord-est syrien, NDLR). Ce qui impose d’agir avec les forces révolutionnaires syriennes, arabes sunnites, qui sont précisément celles que Poutine bombarde. Chaque jour qui passe rend la menace encore plus sérieuse, il ne faut pas se mentir. On entend des responsables dire à Bruxelles que la question n’est pas de savoirsi un nouvel attentat aura lieu mais quand il aura lieu. C’est terrible. On est dans une forme de défaitisme. Il faut préparer l’opinion, mais en même il faut désigner correctement, en dehors de toute envolée démagogique, la voie que l’on pourrait suivre pour sortir de cette impasse. Si on ne frappe pas Daesh comme il le faut – c’est-à-dire à la tête et chez lui – c’est parce qu’on s’interdit de le faire, comme les Américains.

Que pensez-vous de l’idée que, malgré que ce soit un salaud, Assad serait «un moindre mal» à côté de Daesh?
J’ai connu Assad père et je connais Assad fils. Je les ai pratiqués depuis plus de trente ans. Ils ne sont pas le moindre mal, mais la source de ce mal! L’idée qu’on pourrait endiguer ce mal en les ménageant est faire preuve au mieux d’aveuglement, au pire du cynisme. Cette abdication morale ne peut qu’alimenter les deux monstres, Assad et Daesh. Et puis, soyons justement réalistes: que peut rapporter Assad dans la lutte contre Daesh? Des soldats? Non, il n’en a pas. Des informations? Il n’en a pas. Une légitimité politique? Il n’en a pas. Il n’y a plus d’Etat en Syrie. On est face à une bande mafieuse soutenue à bout de bras par la Russie et par l’Iran. Au-delà même de la Syrie, il faut identifier les forces vives qui sont nos alliés naturels dans ce combat pour nos libertés au nord et au sud de la Méditerranée. Ce n’est pas facile! Ça implique d’aller au-delà justement de tous les clichés. Car la limite de l’audace pour certains décideurs européens c’était de savoir si on est prêt à travailler avec les islamistes! Si on avait développé une coopération digne de ce nom avec toutes les structures d’administration locale dans la Syrie rebelle, on aurait maintenant partout des partenaires sur le terrain, qui seraient aussi des vecteurs d’information et de mobilisation contre Daesh. On ne l’a pas fait.

Les cassandres disent que si on avait aidé les rebelles en 2011-12, qui présentaient déjà un front fragmenté, on aurait favorisé le développement d’une situation anarchique à la libyenne…
Les personnes qui pontifient ainsi n’ont pas la moindre idée de ce qui se passe concrètement sur le terrain. Ils ont surtout perdu l’empathie. Ils regardent ces Arabes comme des créatures exotiques et non pas comme des gens qui ont fondamentalement les mêmes aspirations que nous. Les mêmes aspirations que les Européens de l’Est en 1989. Concrètement, nous ne pouvons pas faire comme si notre responsabilité n’était pas totalement engagée. Or qu’avons-nous fait? Moins que rien! Non seulement nous n’avons pas suivi nos déclarations de principe – je parle des attaques chimiques mais on pourrait citer toutes les dispositions du droit de la guerre qui ont toutes été violées de manière systématique par le régime Assad et la Russie – mais nous négligeons aussi que de la réussite du combat de l’opposition dépend notre sécurité. Le problème est que plus on attend plus l’investissement sera lourd et dur pour un résultat aléatoire et réversible. Parce qu’on a trop attendu. Et on continue d’attendre malgré le Bataclan. Alors que de toute façon nous serons obligés d’intervenir à un moment ou à un autre. Car il deviendra intolérable pour nos opinions publiques de rester indéfiniment sous cette menace. Le symbole de Bruxelles paralysée pendant plusieurs jours pourrait être l’annonce de ce qui sera demain le devenir de nos sociétés. C’est intenable! Il y aura un moment où l’on demandera aux dirigeants de faire quelque chose. Enfin. Et là-bas. Tout ce qu’on peut faire ici ne sera jamais que la gestion des retombées. On peut tuer Daesh effectivement, mais il faut nouer une coopération durable et solide avec des forces sur le terrain qui peuvent mener l’offensive sur Raqqa. On en revient à la même chose : il faut travailler avec ces révolutionnaires qu’on a enterrés deux cents fois – et étrangement ils sont toujours là, ils ont une direction politique, des délégations, des porte-parole et ils sont capables de s’organiser, de mettre en avant leurs revendications. Au fond, le non-dit c’est que la révolution syrienne embête tout le monde! On aurait préféré que ces Syriens se laissent massacrer en silence. Pourtant non, ils ne reviendront plus jamais en arrière, le mur de la peur est tombé. Mais ils savent que si jamais Assad, par exemple, revenait à Alep, ce serait un bain de sang comme sans doute on n’en a encore jamais vu au Moyen-Orient. Que sortirait-il de cela? Encore plus de djihadistes et de réfugiés. On voit bien qu’on est dans une spirale infernale mais comme on recule le moment de vérité, on aggrave les termes d’une équation connue qui demande à tous, politiques, intellectuels, journalistes et militants, de se prononcer.

Propos recueillis le 3 février 2016 par BAUDOUIN LOOS

Biographie Express
A 55 ans, Jean-Pierre Filiu a une carrière déjà bien remplie, qui a vu cet arabisant tâter de la diplomatie dans le monde arabe et à Washington. Désormais chercheur au Ceri et professeur à sciences po, il a écrit une quinzaine d’essais dont une Histoire de Gaza, en 2012, Je vous écris d’Alep, en 2013, et Les Arabes, leur destin et le nôtre, en 2015.

 Source : ce permalien.

Lettre de Madaya


Voici le témoignage d’Amer, un résident de Madaya, une ville de 40.000 habitants à la frontière syro-libanaise, où les gens meurent de faim. Des propos durs, amers, recueillis par Al-Jazeera.

L’agglomération est assiégée et affamée par le régime syrien depuis quinze mois. Selon l’organisation Médecins sans frontières (MSF), 46 personnes sont mortes d’inanition à Madaya depuis le 1er décembre. Le 11 janvier, un convoi de l’ONU a pu y acheminer de l’aide, mais la faim a déjà repris sur place, et 16 personnes en sont encore mortes, selon MSF, qui s’exprimait à Beyrouth le 30 janvier. Une journaliste d’Al Jazeera, Samya Kullab, a recueilli le récit du témoin. Le site http://www.aljazeera.com a traduit son témoignage en anglais, texte que nous avons à notre tour traduit en français.

« Pourquoi personne ne se soucie de nous ? »

Je suis né à Madaya. J’ai vécu dans un quartier simple où tout le monde se connaissait et s’appréciait. Notre quartier est le premier qu’on trouve quand on veut se rendre au centre-ville.
Durant le siège, ce qu’on a connu est semblable à ce que les autres familles de Madaya ont vécu. Nous nous battons à chaque instant pour survivre. La plupart d’entre nous passe deux ou trois jours sans nourriture. Je suis un adulte mais je pèse moins de 50 kg. Parfois j’ai l’impression de vivre dans un rêve.
J’ai vu des enfants mourir de faim et je me suis senti impuissant. J’ai regardé tout mon monde s’écrouler autour de moi. Les gens de Madaya n’ont ni lait ni pain ni argent.
Avant que les Nations unies n’entrent à Madaya il y a quelques jours, un kilo de sucre coûtait l’équivalent de 300 dollars. Je crains que l’aide ne sera pas suffisante pour tenir ne serait-ce que vingt jours. Et après?
Mais laissez-moi commencer par 2011, au début de la révolution syrienne. A cette époque, j’étais étudiant à la faculté de droit à Damas. J’avais le grand rêve de faire une carrière qui rendrait ma famille fière de moi.
La révolution a d’abord commencé par une série de manifestations. Les gens réclamaient la liberté. Quelques amis proches, étudiants et collègues, y participaient. Puis le régime s’en est pris à la révolution, et les manifestations pacifiques ont tourné aux accrochages armés en raison des coups de feu et de l’assassinat de gens innocents.
Quelques personnes, à Madaya, se sont senties forcées de prendre les armes pour se défendre. Elles pensaient qu’elles protégeaient leur honneur. Mais, aux environs de novembre 2014, le régime a changé sa tactique et a imposé la famine en assiégeant la ville, tout en menant des raids aériens accompagnés de bombardements de barils mortels. J’ai vu des familles entières périr dans ces raids.
A cette époque, le prix de la nourriture a commencé à augmenter. Comme nous sommes situés près de la frontière libanaise, le Hezbollah coopérait avec le régime pour nous assiéger de tous côtés, avec un plan pour entrer dans la ville. La bataille a commencé en juin 2015 à Zabadini, la ville voisine.
A cette époque, des résidents de Zabadini commencèrent à affluer vers Madaya pour échapper aux bombardements et aux combats. Madaya souffrait déjà d’un manque de nourriture mais, avec l’afflux de gens de Zabadini, notre population a augmenté de manière importante, et nos ressources continuaient à diminuer.
Quelques mois plus tard, l’Armée syrienne libre de Zabadini a conclu un cessez-le-feu avec le régime et le Hezbollah. Les civils ont payé de lourdes sommes d’argent pour pouvoir quitter la ville.
Mon voisin, un homme âgé, a payé environ 3.000 dollars pour un sauf-conduit. Mais la plupart d’entre nous ne disposaient pas de ce genre de somme. Dans les mois qui suivirent, le régime a renforcé le siège. Semaine après semaine, nous avons vu notre approvisionnement se tarir.
Jusqu’au moment où les vraies souffrances ont commencé. Chaque jour se transformait en un combat pour trouver de quoi se sustenter et de quoi se chauffer quand le froid s’installa. Impossible de quitter la ville: le régime avait miné les zones aux alentours. Des dizaines d’hommes sont tombés dans ces pièges après avoir décidé de tenter de s’échapper pour trouver de la nourriture ou du bois de chauffage. Récupérer quelques grammes de nourriture pour les enfants devint l’objet des plus grosses préoccupations.
Je ne pouvais que regarder ma famille mourir de faim – ma mère, mon mère, mes sœurs, mes cousins, mes oncles, mes tantes – sachant que les plus audacieux qui s’aventuraient en dehors de la ville étaient soit faits prisonniers soit étaient tués ou blessés par les mines. Beaucoup ont été abattus par des tireurs d’élite. (…)
On a commencé à arracher l’herbe et à la cuisiner, en espérant que cela atténuerait la faim qui nous tenaillait. On a arraché les feuilles des arbres – les beaux arbres de notre quartier – jusqu’à la dernière. Après un certain temps, on n’a plus pu trouver d’herbe. Avec l’arrivée de l’hiver, une tempête de neige a touché la région et la situation a empiré.
Certains se sont résolus à manger les animaux domestiques, les chats, les chiens et n’importe quoi d’autre. L’herbe a cessé de croître en raison de la neige. Et au premier mois de l’hiver, les gens ont commencé à mourir. Il y en a eu trois ou quatre, je m’en souviens.
Je marchais dans la rue quand je vis un homme défaillir et le corps d’une femme décédée devant moi. Je ne pouvais plus penser à autre chose. J’ai vu un homme fouiller dans les poubelles. Je me suis approché de lui et j’ai vu que c’était Toufik, mon voisin, le pharmacien. Je pouvais à peine le reconnaître. Les gens devenaient désespérés et se battaient pour des brins d’herbe ou s’accusaient d’amasser de la nourriture alors que d’autres mouraient.
J’ai vu des nouveau-nés mourir parce que leurs mères ne produisaient plus de lait maternel.
Je ne puis décrire mes sentiments avec des mots. Peu importe ce que j’écris, je ne puis décrire ce que nous avons subi.
Plus tôt durant le siège, les gens ont commencé à vendre meubles et objets. Machines à laver, télévisions, frigos, tout ce qui pouvait procurer de la nourriture. Mais même ce qu’ils vendaient n’apportait qu’entre 100 à 150 grammes de nourriture. Je connais quelqu’un qui a vendu toute sa maison juste pour cinq kilos de nourriture. Vous pouvez trouver cela inimaginable, c’est pourtant la vérité.
Comment en est-on arrivé là? Pourquoi personne ne nous aide? On se pose tout le temps la question. Je ne pense plus au futur. A quel futur penserais-je? Je me souviens du jeune étudiant universitaire que j’étais et je ne me reconnais plus.
Je suis fatigué. Nous luttons pour survivre mais il semble que personne ne s’en soucie.

© aljazeera.com – le 31 janvier 2016.

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Cinq ans de «printemps» entre perplexité et amertume


Baudouin Loos
Mis en ligne il y a 4 heures

Mais où en sont ces pays des « printemps arabes », cinq ans plus tard ? En enfer, pour la plupart. L’éditorial de Baudouin Loos.

  •  © Reuters
    © Reuters

Voilà un anniversaire qui laisse perplexe. Cinq ans. Cinq ans déjà que le geste fatal d’un jeune vendeur à la sauvette dans une grosse bourgade perdue de la Tunisie profonde allait, contre toute attente, marquer le lancement de ce qu’on a appelé « les printemps arabes ».

L’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid, motivée par un cumul de misère, d’humiliation et de désespoir, allait voir la Tunisie se soulever, jusqu’au départ sans gloire de son dictateur, Ben Ali, le 14 janvier 2011. Cet événement allait créer une stimulante émulation à travers le monde arabe, où la contestation gagna dès février-mars de la même année l’Egypte, le Yémen, le Bahreïn, le Maroc, la Libye, la Syrie. Une spirale d’événements inattendus, incroyables même à l’aune des dictatures arabes, qui laisse pourtant donc perplexe car, à l’heure du bilan, l’amertume l’emporte.

A qui la faute ? Les torts sont nombreux et partagés. Les pouvoirs en place, tous, ont tenté de survivre en faisant couler le sang. Quatre potentats ont néanmoins perdu leur poste. Le Tunisien Ben Ali, l’Egyptien Hosni Moubarak, le Yéménite Abdallah Saleh et le Libyen Mouammar Kadhafi.

Mais où en sont ces pays ? En enfer, pour la plupart. Seule la petite Tunisie sauve la mise. Elle s’est démocratisée grâce à l’énergie de sa société civile. Des progrès hélas fragiles, menacés par les inégalités sociales et un djihadisme hideux plus vivace que jamais.

Pour les autres, le pire est advenu. L’Egypte, après un règne islamiste résultat d’élections démocratiques, se retrouve sous le joug d’une dictature militaire pire que la précédente. Le Yémen et la Libye sont entrés dans une déliquescence nourrie de tribalisme et de régionalisme. Là aussi, le djihadisme y fait son lit.

Et la Syrie ! Elle se retrouve en lambeaux. Victime d’un tyran qui tuerait tous les Syriens au besoin. Victime d’une dérive des rébellions, parfois bien intentionnées, souvent radicalisées, quand elles ne sont pas tombées dans les chimères d’un djihadisme des plus cruels. Victime, aussi, des enjeux régionaux et des appétits rivaux de voisins sans scrupules.

Impossible d’ignorer les responsabilités de la communauté internationale. Et d’abord de cet Occident qui aide les rebelles à se débarrasser d’un monstre en Libye puis s’en va, laissant les protagonistes dans leurs insolubles querelles. Qui se tâte en Syrie, de manière veule, craignant le pire, jusqu’à ce que le pire écrase ses scrupules et efface tout espoir sous les centaines de milliers de morts, les villes détruites et l’exil de millions d’hommes et de femmes étreints par une indicible amertume.

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«Le régime profite des atrocités de Daesh»


Il vient de Raqqa, le quartier général de l’Etat islamique, dans l’est syrien. Il gère avec quelques amis un réseau d’information sur sa ville. Rencontre avec un rebelle dont l’arme est la plume. 

Abdalaziz Alhamza a 24 ans, mais un passé déjà chargé. Il est originaire de Raqqa, le chef-lieu de la province syrienne la plus orientale, devenu célèbre depuis que l’Etat islamique (ou Daesh) en a fait sa capitale de facto. Le jeune homme a dû fuir la ville en 2014. De Turquie, il a créé avec quelques amis exilés un réseau, « Raqqa is being slaughtered silentely » (Raqqa est massacrée en silence), qui donne des nouvelles fraîches de la ville grâce à un réseau d’informateurs sur place. Désormais en Allemagne, nous l’avons rencontré lors de son passage à Bruxelles à l’occasion de la sortie d’un livre (1).

En 2011, Raqqa fut parmi les premières villes à lancer la contestation.

Oui, à l’époque, il n’existait aucune liberté de parole, la moindre parole déplacée pouvait mener en prison. Et les murs avaient des oreilles ! Le gouvernement contrôlait tout et tout le monde. Le mouvement est parti d’une ville du Sud, Deraa, où ils ont torturé des enfants qui avaient écrit des slogans sur des murs. Les manifestations ont fait boule de neige. On réclamait juste un peu de liberté. Je fus arrêté en mars pendant 40 jours et torturé. A la fin je leur aurais avoué n’importe quoi, c’est ce qui est arrivé à un ami qui a même confessé avoir tué Ben Laden pour arrêter la torture!

Il y a eu une amnistie qui a aussi bénéficié aux djihadistes que le régime détenait…

Ceux-là étaient dans des prisons spéciales ; ils ont été libérés dans le but évident de participer à la radicalisation de la contestation qui devenait une révolution. Des centaines, peut-être plus, d’extrémistes ont été remis en liberté : il fallait que le régime montre qu’il combattait des « terroristes ».

Mais Raqqa s’est d’abord libérée seule…

En mars 2013, des forces proches de l’Armée syrienne libre (ASL) ont réussi à chasser les forces du régime. Moi je n’ai pas voulu porter les armes, je suis devenu un «media activist», je filmais les combats. Ce fut une belle époque. Puis les djihadistes de Daesh ont commencé à arriver, pas nombreux d’abord, puis de plus en plus et les clashes ont débuté entre eux et nous. En janvier 2014, ils ont pris le dessus. Ils ont perquisitionné chez mes parents, à ma recherche. J’ai alors pris la décision de fuir en Turquie. Comme, avec quatre amis, nous continuions à prendre par internet des nouvelles quotidiennes de nos proches à Raqqa, nous avons décidé de fonder notre réseau, pour témoigner. Ainsi, nous avons documenté le « règne » de l’Etat islamique : les arrestations, les exécutions, l’interdiction du tabac et de l’alcool, l’obligation des prières quotidiennes et fermeture des commerces pendant celles-ci, l’obligation faite aux femmes de se couvrir le corps intégralement, l’imposition d’un système d’éducation qui lave le cerveau des enfants, etc.

Comment Daesh a-t-il réagi à votre campagne sur facebook, twitter et bientôt votre site web?

On a commencé en avril 2014. Deux ou trois semaines plus tard, un de leurs imams importants a expliqué un vendredi lors d’un prêche dans la plus grande mosquée que ceux qui collaboreraient avec nous seraient exécutés. En mai, un de nos amis, Ibrahim, s’est fait arrêter alors qu’il tentait de quitter la ville. Le contenu de son ordinateur et de son smartphone l’a trahi. Il avait 21 ans. Ils l’ont exécuté en place publique. Ils ont aussi assassiné le père d’un autre activiste. Mais, après nous être posé la question, nous avons continué. Nous avons réussi des « coups ». Nous avons révélé en septembre 2014 l’échec d’une opération américaine pour libérer un otage près de Raqqa. Nous avons donné les premiers la nouvelle de l’assassinat par le feu du pilote militaire jordanien en janvier dernier.

Avez-vous des nouvelles du père Paolo, ce jésuite devenu plus syrien qu’italien, qui a disparu en juillet 2013 alors qu’il était allé au QG de Daesh à Raqqa pour faire libérer des otages?

Oui. Je le connais, je suis d’ailleurs le dernier à l’avoir interviewé avant sa disparition. Une personnalité remarquable! Il s’était rendu deux fois au QG de Daesh, il voulait rencontrer Abou Baqr Al-Baghdadi, leur chef. La troisième fois, ils ne l’ont plus laissé partir. Nous savons qu’il est vivant, et qu’il n’a pas été torturé. Il est détenu quelque part dans la campagne près d’Alep. Je tiens ces informations d’un combattant de l’Etat islamique. J’ignore cependant ce qu’ils entendent faire de lui.

Le régime et ses alliés, comme la Russie, aiment présenter le conflit de manière binaire, il y a eux et les terroristes, cela vous fait quoi?

Je veux dire quelque chose d’important : si l’Etat islamique a pu s’installer en Syrie c’est parce que la communauté internationale s’est contentée de promesses envers la rébellion. Que le régime n’affronte que des djihadistes – ou des « terroristes » – n’est pas une vérité, c’est juste de la propagande, je passe mon temps à devoir expliquer cela. Mais les rebelles, l’ASL et autres, doivent se battre sur de multiples fronts, contre le régime, contre Daesh, contre Nosra (Al-Qaïda), et cela avec des moyens très faibles. La propagande du régime tire un parti énorme des images de massacres, de décapitations, envoyées par Daesh sur les réseaux sociaux. En outre, il est très significatif que le régime n’a jamais bombardé les centres de direction de Daesh, pourtant faciles à identifier à Raqqa, il se contente de bombarder de temps à autre la population et de faire des centaines de morts.

Et les Russes, qui s’y mettent aussi…

Les Russes, visiblement, se sont donné pour mission de détruire la rébellion (non djihadiste) puisqu’ils ne s’en prennent pas aux terroristes, nous le savons grâce à nos contacts sur place. Mais, en revanche, l’implication russe, qui ne leur fera pas gagner cette guerre, va galvaniser les djihadistes, et surtout leur composante tchétchène et caucasienne.

Vous comprenez l’exil des réfugiés?

Vous savez, ils croyaient que quelques mois plus tard, ils pourraient réintégrer leurs foyers. Ils ne pensaient qu’à cela. Puis, peu à peu, tout le monde a dû intégrer le fait que cela prenait du temps, que le combat serait long et incertain, que les conditions de vie dans les camps étaient précaires, que l’argent se faisait rare, que l’avenir des enfants devenait noir. L’obsession devenait la survie : avoir de quoi se nourrir, s’abriter, se chauffer en hiver, au jour le jour. Voilà pourquoi ils partent.

Vous gardez espoir?

Oui, mais nous avons besoin d’aide. Pas des camps d’entraînement comme les Américains s’échinent en vain à faire, non : de bonnes armes efficaces, des médicaments, de l’argent et une couverture aérienne sous la forme d’une zone d’interdiction aérienne. Malgré quoi, il faudrait encore plusieurs années pour arriver à vaincre le régime et Daesh.

Propos recueillis par Baudouin Loos

(1) Abdalaziz Elhamza fait partie des 14 écrivains réunis dans un livre publié par les éditions Ker, Le Peuple des lumières. Son témoignage est factuel, alors que les autres auteurs, belge, français, algérien, tunisien, marocain, iranien, ont produit des textes de fiction. Un outil de réflexion dont l’idée a germé dans l’esprit de l’éditeur après le drame de Charlie-Hebdo en janvier dernier.

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Syrie: l’habileté de Poutine ne doit pas nous leurrer


Mis en ligne mardi 29 septembre 2015, 15h33

La grande ambition du président russe passe en Syrie par le maintien et même le renforcement d’un dictateur, Bachar el-Assad.

L’édito de Baudouin Loos.

  • Vladimir Poutine © Reporters / Abaca

Il n’y a plus de bonne solution pour la Syrie. Les « grands » de ce monde le savent, qui se contentent d’y protéger vaille que vaille leurs intérêts. La Russie a lancé les initiatives les plus spectaculaires. Envoi de troupes et de matériel militaire dans l’ouest syrien, appel à une vaste coalition internationale contre l’Etat islamique (EI ou Daesh).

Il n’y a aucun doute que ces djihadistes doivent être neutralisés. Et que cela se passera par le recours aux armes, qui a déjà commencé. Les bombardements n’y suffiront pas. On cherche des candidats pour envoyer des troupes au sol. On ne trouvera pas. L’Afghanistan et l’Irak ont les vertus de repoussoirs.

L’habileté de Vladimir Poutine qui consiste à réclamer une coalition antiterroriste ne doit cependant pas nous leurrer. La grande ambition du président russe, celle de restaurer la puissance russe à hauteur de celle de l’Union soviétique, passe en Syrie par le maintien et même le renforcement d’un dictateur, Bachar el-Assad, grand criminel de guerre.

L’intellectuel palestinien Marwan Bishara l’écrivait récemment sur le site d’Al Jazeera : « Le choix a été clair dès le début : sacrifier Assad pour sauver la Syrie ou sacrifier la Syrie pour sauver Assad. »L’Iran, le Hezbollah libanais et la Russie ont fait leur choix. Les intérêts, toujours.

Pourtant, tétanisés par Daesh, les Occidentaux se tâtent à propos d’Assad. Et s’il fallait composer avec lui, finalement et malgré tout ? L’idée fait son chemin. Parce que, va l’argument, un sanglant chaos bien pire encore s’imposerait dans tout le pays s’il disparaissait du paysage.

Le « hic », c’est qu’Assad fait bien plus partie du problème que de la solution, comme l’a dit hier François Hollande à l’ONU. Le ministre britannique des Affaires étrangères, Philip Hammond, l’expliquait dans les colonnes du Monde, le 25 septembre :« Collaborer avec Assad ne fera que pousser l’opposition dans les bras de l’EI (…). Le comportement d’Assad envers sa population est le meilleur recruteur de l’extrémisme »…

En somme, comme le dit le politologue français François Burgat, à l’AFP, « Daesh n’est point la cause mais la conséquence du verrouillage répressif et manipulateur du régime ». Cause et conséquence doivent être traitées, ce qui est plus facile à dire qu’à faire, certes.

Mais l’afflux incessant des réfugiés, qui préoccupe logiquement nos dirigeants, ne tarira de toute façon pas avec l’élimination éventuelle de l’Etat islamique. Ils ne rentreront pas dans une Syrie dont le président prend les civils des zones récalcitrantes pour cibles de bombardements au moyen de barils de TNT largués par hélicoptères.

► Lire notre article: Vladimir Poutine va-t-il relancer Bachar al-Assad?

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Une mort banale en territoires occupés


Qui dit vrai dans la mort de Fala Abou Maria? L’armée israélienne dit avoir été attaquée à coups de pierres par une foule depuis un toit à 3h30 du matin. La famille palestinienne en cause dit que la victime avait lancé un petit pot-de-fleur en plastique vers les soldats.

Pourquoi parler de la mort de Fala Abou Maria? A savoir un Palestinien mort sous les balles de l’occupant israélien. Un cas parmi tant d’autres. Un non-événement, une ligne dans les journaux, dans quelques rares journaux. Parlons-en pourtant.

Cela se passe à Beit Ummar. Un gros bourg de 17.000 habitants situé entre Bethléem et Hébron, en Cisjordanie occupée. En «Judée», disent les Israéliens, qui ont d’ailleurs cerné l’agglomération de plusieurs colonies.
Il est 3h30 durant la nuit du 22 au 23 juillet quand une unité de l’armée israélienne d’occupation se présente pour perquisitionner le domicile des Abou Maria, en vue d’arrêter quelqu’un qu’elle recherche.
L’affaire tourne mal, comme souvent. Selon l’armée israélienne, «une foule violente» s’est attaquée aux soldats «depuis le toit de la maison en lançant des pierres, blessant un soldat». L’unité a répondu en tirant et a blessé une personne; «lorsqu’elle a voulu se retirer, elle a été à nouveau attaquée et a répliqué en visant l’instigateur principal». Un homme en est mort. Il s’agit de Fala Abou Maria, 52 ans, menuisier, le chef de la famille.
Le quotidien britannique The Telegraph a envoyé son correspondant à Jérusalem sur place. Robert Tait a interrogé les témoins de la scène. Leur version est bien différente. Selon les membres de la famille, il n’y a eu ni foule ni jets de pierre. La version israélienne  «est fausse, dit Sara, 25 ans, belle-fille de la victime, qui se trouvait à côté d’elle lorsqu’elle fut tuée. Il n’y avait personne sauf moi, ma belle-mère, mon mari et nos enfants. Pas une pierre n’a été lancée. [Mon beau-père] a lancé un pot-de-fleur et ils l’ont abattu immédiatement».
D’après les explications fournies au journaliste britannique, l’altercation a commencé quand l’unité israélienne a voulu forcer l’entrée de la maison. Fala Abou Maria et deux de ses fils – il a onze enfants – ont tenté de retarder l’entrée des soldats pour que les femmes puissent se lever et s’habiller. L’armée a tiré sur son fils Mohamed, 24 ans, qui a été atteint aux deux jambes et aux testicules, selon le docteur Izzedin Ashlamoun, de l’hôpital Al-Ahli à Hébron.
«Mon beau-père était en colère, raconte une autre belle-fille, Sara. Il ne pouvait plus se contrôler, il croyait que son fils avait été tué, il y avait plein de sang. Il est monté au balcon, s’est emparé d’un petit pot-de-fleur en plastique et l’a lancé en bas vers les soldats, ratant sa cible. Ils lui ont tiré trois balles. Il est mort juste après avoir eu le temps de dire ”Il n’y a qu’un Dieu et Mahomet est son prophète, je meurs en martyr”.»
Une histoire banale en Palestine occupée. Et plus encore à Beit Ummar – située sur une route fréquentée entourée de colonies – où les clashes sont fréquents. Cinq des six fils de la victime ont déjà connu les geôles israéliennes, notamment pour jets de pierres. Pour Mohamed, interrogé à l’hôpital, l’armée d’occupation a perquisitionné la maison familiale une centaine de fois depuis 1989.
L’envoyé du Telegraph a donné la parole à l’armée israélienne. Dont une porte-parole a donné les explications suivantes, sans toutefois dire pourquoi aucune arrestation n’avait été effectuée cette nuit-là: «Je n’ai pas entendu parler d’un pot-de-fleur mais je sais qu’il y a eu des jets de pierres et de briques depuis le toit. Il ne s’agissait pas seulement des résidents de la maison, il y a avait une foule. Je dirais que les jets de pierres ont duré entre dix et vingt minutes». Elle a promis qu’une enquête serait ouverte par l’armée.
Les funérailles de Fala Abou Maria ont donné lieu à de nouveaux incidents. Des centaines de personnes y assistaient, bien que l’armée israélienne eût bouclé les issues de la petite ville. La foule criait vengeance. L’armée israélienne a tiré des balles en plastique et des gaz lacrymogènes. Huit personnes ont été blessées, dont trois ont été hospitalisées.
Selon l’agence palestinienne Maan, Abou Maria est le dix-septième Palestinien tué cette année par les forces israéliennes. L’avant-dernière victime s’appelle Mohamed Alawna, 21 ans, il a été abattu durant une opération de nuit le 22 juillet dans le village de Burqin, près de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie occupée.

BAUDOUIN LOOS

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