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Bienvenue dans le monde selon Trump
Bienvenue dans un nouveau monde. Un monde dont le nouveau chef a conquis le leadership en violentant les principes élémentaires de la décence, de même que les idéaux et les valeurs de base de la démocratie. Donald Trump a été élu mardi à l’issue d’une journée – la nuit en Europe – qui avait commencé par donner Hillary Clinton gagnante à 82 %, pour finir par accorder au Newyorkais son bail de quatre ans à la Maison blanche. Et cela, en dépit d’une différence minime en termes de nombre de voix… en faveur de la candidate démocrate.
Les fifrelins de voix qui, dans quelques États clés comme la Floride ou l’Ohio, ont donné la victoire à Trump peuvent produire de véritables raz-de-marée. Et celui qui vient de se produire outre Atlantique résulte d’un séisme sans précédent. Pourquoi ? Parce que comme dans le référendum britannique qui a décidé du Brexit, comme dans d’autres victoires électorales qu’il est convenu de qualifier de « populistes » la victoire des uns est perçue par les perdants comme un danger existentiel. C’est-à-dire comme la négation des valeurs qui jusque-là semblaient partagées et permettaient à tous, gagnants et perdants, d’envisager la poursuite d’un destin commun sur une embarcation commune. Paul Krugman, prix Nobel d’économie et grande voix de la gauche américaine, avouait son angoisse mardi soir dans un premier billet pour le New York Times, et sa « peur pour mon pays et son unité ». Quelques heures plus tard, dans son texte suivant, Krugman se demandait déjà si « l’Amérique est un état et une société faillis ». Rien de moins.
On peut aborder par tous les bouts possibles l’élection à la présidence américaine de cette star de la téléréalité qu’est Trump. Par la colère des oubliés, par la revanche des blancs, l’une et l’autre supposément activées par les effets de la mondialisation et la peur de l’immigration. Ou encore par la faiblesse de la candidature de Hillary Clinton. L’ex-première dame, sénatrice et secrétaire d’État a finalement perdu en finale en 2016 comme elle avait perdu face à Obama dans les primaires en 2008 : contre des adversaires qui ont su encapsuler en de formules porteuses les raisons d’être de leurs candidatures, tandis qu’elle n’a jamais été capable de motiver de façon convaincante la sienne, qui avait besoin d’un programme de l’épaisseur d’une thèse universitaire.
La démocratie libérale ébranlée
Une chose est sûre : la victoire de Trump est un Brexit à la puissance mille, qui fait trembler sur ses bases la démocratie libérale à l’occidentale, et la pratique politique qui en organisait la dynamique. Bienvenue donc dans ce monde nouveau où sont considérés comme des faiblesses le respect de l’adversaire, la recherche du compromis, la séparation et l’équilibre des pouvoirs, et enfin le droit des minorités, qu’elles soient politiques, ethniques, religieuses ou sexuelles. (On espère bien sûr voir Donald Trump démentir par sa pratique de président ce qu’il a donné à voir de lui comme candidat, et oublier toutes ses promesses farfelues ou inquiétantes. Mais l’espoir est ténu.)
Les libertés qu’a prises le candidat Trump avec tous les principes évoqués plus haut – on n’en rappellera pas les occurrences, sinon qu’il n’avait accepté de reconnaître le résultat de l’élection que s’il la remportait – n’étaient-elles que postures de campagne et moulinets de bagarreur de préau ? On est bien obligés de craindre le contraire.
D’abord parce que cet homme inculte, fantasque et infantile aura son doigt sur le bouton du plus important arsenal nucléaire au monde. C’est proprement terrifiant. Il est désormais le dirigeant du pays – on aime ou on n’aime pas – qui se considère et est considéré par beaucoup comme le point focal du monde démocratique. Mais de quoi les États-Unis de Trump seront-ils le modèle ? D’un coup, d’un seul, la défaite de Clinton a propulsé la démocratie trumpienne en partenaire, parrain ou caution morale de régimes qui sont des mutants de la démocratie. Soit qu’ils aient dévié – déraillé ? – d’une route qui devait les y mener à partir de régimes dictatoriaux, comme la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan. Soit qu’ils aient tout simplement entamé une marche arrière une fois arrivés à destination démocratique, au sein même de l’Union européenne, comme la Hongrie d’Orban et la Pologne de Kaczynski. (Nombre d’entre eux, auxquels on peut aussi ajouter l’Israélien Benyamin Netanyahou, se voient déjà comme de futurs grands amis du président Trump. Cela en dit aussi long sur eux que sur lui.
Enfin, sans verser ce pays dans les catégories précédentes, comment ne pas questionner les étranges phénomènes à l’œuvre au Royaume-Uni ? Ses nouveaux dirigeants obsédés comme leurs électeurs par l’immigration ont brièvement envisagé, il y a quelques semaines, de forcer les entreprises à publier leurs nombres de travailleurs étrangers. Et la semaine passée, la décision de trois juges de rappeler aux politiques que les lois qu’ils ont eux-mêmes votées doivent s’appliquer – en l’occurrence, l’obligation pour le gouvernement de consulter le parlement au sujet du Brexit – a été saluée par leur désignation à la vindicte populaire comme « ennemis du peuple » (sic).
Un modèle mutant de démocratie
Et ce n’est peut-être pas fini en Europe. En mars, les Néerlandais pourraient porter au pouvoir l’extrême droite de Geert Wilders, tandis que nombre d’observateurs européens, stupéfiés par l’élection de Trump, envisagent maintenant sérieusement que Marine Le Pen en France pourrait constituer la prochaine grande surprise… Le constat est terrible : celui d’un modèle mutant de démocratie qui s’installe et progresse au cœur même de l’UE.
À quoi cette tentation de « démocratie illibérale » – monstrueuse appellation popularisée par Viktor Orban – apporte-t-elle une réponse ? Par-delà les différences transatlantiques, le choc de l’élection de Trump fait la démonstration ultime des béances qui ont sapé le contrat social de nos démocraties : l’accroissement des inégalités et les effets pervers d’une mondialisation érigée en religion. Ces facteurs sont pour beaucoup dans le fait que nombre de citoyens de nos démocraties n’aiment plus le monde dans lequel ils vivent. C’est, pour reprendre une description chère à Herman Van Rompuy, notre ex-Premier ministre et ex-président du Conseil européen, l’écartèlement et la perte de repères entre le besoin d’une « place » (le chez soi), et « l’espace », vertigineux mais insécurisant, de la globalisation.
Aux angoisses de larges pans insécurisés de nos sociétés, voire d’autres catégories qui l’étaient moins mais sont de plus en plus insatisfaites à leur tour, quelle réponse a-t-on apporté ces deux dernières décennies ? Celle, invariable, du « Tina » : « There is no alternative » (il n’y a pas d’alternative). Une réponse correspondant à des politiques pratiquées invariablement par les gouvernements européens de gauche (ou démocrates aux États-Unis) et de droite (ou républicains), par des personnels politiques perçus comme de plus en plus interchangeables et uniformisés, et de plus en plus discrédités. Surtout lorsqu’ils vont richement discourir (Hillary Clinton) ou s’embaucher (Barroso) chez Goldman Sachs, après avoir prétendu sauver le monde ou ses plus faibles, et sans que le reste des classes politiques ne s’en émeuve.
Après s’être fait servir la « pensée unique » sous ses différentes variantes, une partie des citoyens a donc finalement décidé de tester l’autre offre politique, développée à mesure que la première décevait. Celle des nationaux-populistes. On peut aujourd’hui sans hésiter y assimiler Donald Trump. Ils arrivent avec des solutions qui bien sûr n’en sont pas. Cela s’explique d’abord par l’absurdité que souvent ils incarnent. Comment peut-on croire la promesse d’un milliardaire comme Trump, ou d’un rejeton de la haute société britannique comme Boris Johnson, d’être « la voix des oubliés », comme Trump l’a encore dit mardi soir lors de son premier discours de président élu ? Trump arrive avec les idées de sa classe (réductions d’impôts, donc des dépenses publiques, abaissement des contraintes pour les entreprises, marche arrière sur l’Obamacare…), tout en promettant déjà d’investir lourdement dans les infrastructures : en augmentant le déficit et la dette ? Ça promet chez les républicains…
Par ailleurs, le recentrage sur les « solutions nationales », il faudrait dire solutions chauvines (notre intérêt d’abord, celui de nos éventuels alliés après), couplées à la désignation d’ennemis extérieurs, ne peut que déboucher in fine sur la collision avec d’autres « intérêts nationaux ». L’histoire du 20ème siècle en a fourni les exemples tragiques que l’on sait. Et tout récemment, les accès russe et turc de prurits nationalistes, que ce soit entre eux ou avec des pays tiers, nous ont rafraîchi la mémoire en la matière.
Réinventer le pacte social
L’élection de Donald Trump est une ultime alerte. Le « business as usual » n’est plus acceptable, pas plus dans le chef des élites politiques, intellectuelles que médiatiques. (Oui bien sûr, nous nous incluons là-dedans.) Face aux effets pervers d’une mondialisation débridée, à l’approfondissement des inégalités, face au chômage de masse, au vieillissement, aux angoisses des oubliés ou d’autres qui le sont moins, les réponses politiques apportées à ce jour, que ce soient les technocratiques ou les populistes, sont les réponses d’un système qui s’est épuisé, et qui s’écroule sous nos yeux. Ce serait une erreur tragique en Europe que de penser que le coup porté par Donald Trump ne l’est qu’à l’édifice américain.
Le système économique et social – l’État providence – mis en place en Europe au lendemain de la Seconde Guerre l’a été sur la base d’un contrat social fondamental entre l’État, les entrepreneurs et les travailleurs. C’est aussi sur ce pacte social qu’ont pu être jetées les fondations d’un autre pacte, celui de la construction européenne. Ce fut un pacte moral et historique, à défaut d’un pacte social, qui a fondé la grande adhésion à l’UE des pays de l’ancien bloc soviétique. Ces pactes ont volé en éclat. Il faut les réinventer, et reconstruire avec eux une nouvelle promesse à des sociétés partiellement ou totalement déboussolées.
Il faut aussi réactualiser la pratique politique. La politique de papa, déconsidérée aux yeux des citoyens, n’est plus acceptable. Mais celle proposée désormais par Trump et ses semblables européens ne l’est évidemment pas plus. Eux retournent successivement la table dans chacun des pays où ils arrivent au pouvoir. Mais ce ne sont pas eux qui doivent retourner la table : ce sont les politiques et les citoyens conscients de l’urgence absolue de sauver nos systèmes et nos démocraties, en les remettant au service d’une prospérité partagée à retrouver. Il faut sauver, et relégitimer nos démocraties, avant qu’elles ne finissent pas s’autodétruire définitivement, en se vengeant d’elles-mêmes. Voilà la leçon historique à tirer du séisme que représente l’élection de Donald Trump.


LANCEURS D’ALERTE : COUPABLES OU HÉROS ? ARTE
La police de Dallas a utilisé un robot pour tuer un homme
Norédine Benazdia – Übergizmo – dimanche 10 juillet 2016
L’utilisation d’un robot pour tuer un homme qui aurait mortellement tiré sur 5 policiers de Dallas soulève de nombreuses interrogations. Il est vrai que c’est la première fois que la police américaine utilise des robots de cette manière.
Vendredi matin, à l’aube, le tireur présumé, Micah Xavier Johnson, était retranché dans un parking. Après une heure d’échange de coups de feu, la police a décidé d’utiliser un robot pour déposer une bombe qui a tué le forcené.
Pour le chef de la police de Dallas, il n’y avait pas d’autres choix : »Toutes les autres options auraient exposé les policiers à un grand danger.«
Le robot utilisé était un Northrop Grumman Remotec Andros. C’est un robot utilisé pour le déminage de bombes par la police et l’armée un peu partout dans le monde. Il roule et pèse et 220kg. Il intègre de nombreux capteurs et dispose d’un bras robotique avec une pince.
Ce robot est aussi fréquemment utilisé lorsque des personnes armées retiennent des otages. En général, ils s’en servent pour repérer où se trouve la personne hostile , ou pour apporter des pizzas bourrées de somnifère à la personne armée. Il n’avait jamais été utilisé pour tuer.
Le plus étonnant serait alors l’histoire de la « bombe » utilisée par la police. Que fait donc la police avec une bombe ? Ce n’est pas une bombe comme on pourrait l’imaginer. Il s’agit plutôt d’un assemblage de petites charges explosives utilisées par les équipes d’interventions américaines (SWAT) pour ouvrir les portes ou faire un trou dans un mur. Parfois, les équipes de déminage ont aussi de petites charges explosives pour faire exploser un sac suspect.
Forcément, cette première utilisation d’un robot tueur soulève quelques questions éthiques. Mais il faut avant tout retenir 3 choses :
1/ Tout d’abord, il ne s’agissait pas d’un robot autonome. Le robot était télécommandé et l’explosif déclenché à distance.
2/ Ce robot n’a jamais été conçu pour être armé. Il existe en revanche des robots qui sont en cours de développement. Ceux-ci seront armés de joyeusetés comme des mitraillettes ou des lance-missiles. (Si ça vous intéresse allez-voir les prototypes US MAARS et Chinese Sharp Claw).
3/ En réalité, le débat aujourd’hui est de savoir s’il est possible d’empêcher les robots autonomes d’entrer sur les champs de bataille dans un futur proche. Surtout à une époque où les militaires du monde entier commencent déjà à établir des plans et des méthodes. Dans ce débat, on se demande si ces robots ne pourraient pas s’en prendre aux civils et ne pourraient pas non plus être les auteurs d’une boucherie sans précédent.
Il est certain que l’utilisation de la robotique par les militaires, la police ou les civils va se développer dans le futur. Plus de 80 pays ont des robots dans leur armée, et des sociétés comme Google, Tesla, Uber ou Ford rêvent d’un futur avec des voitures sans chauffeur. Dans certains pays, la police utilise déjà des drones de surveillance, qu’ils soient petits pour suivre des individus ou plus grands pour surveiller des quartiers entiers.
Il faut donc distinguer les systèmes autonomes des systèmes armés. Les hélicoptères de la police ne sont pas armés par exemple, il y a donc peu de chance qu’il y ait des drones avec des armes au-dessus de nos têtes. Et la tendance aux outils autonomes ne signifie pas forcément que ces outils devront être armés.
Avant Dallas, la discussion concernant l’utilisation de robots par la police tournait autour des armes « non létales ». Dans les congrès et salons sont présentés des robots équipés de tasers ou de gaz lacrymogène. En Chine, le robot Anbot est un robot conçu pour être autonome et il est pourtant équipé d’un électrochoc similaire à un aiguillon à bétail. Ce robot fait beaucoup parler de lui pour des raisons évidentes.
Le débat est toujours de savoir si les armes non létales sont utilisées plus abusivement. Il suffit de penser au débat quand le taser est arrivé : les taser sauvent (prétendument) des vies, cependant ils peuvent être utilisés plus souvent et pas toujours à bon escient.
L’Europe entre partenariat atlantique et allégeance : le véritable enjeu du TTIP
Madariaga Newsletter: May
Jeudi 12/05/2015
Par Pierre Defraigne Directeur exécutif du Centre Madariaga – Collège d’Europe
Directeur Général honoraire à la Commission Européenne
Monsieur le Ministre d’État, Cher Professeur Wathelet,
Mes premiers mots à cette tribune seront pour vous exprimer ma gratitude de me donner ce soir l’occasion de parler aux étudiants de cette chère et vieille Alma mater liégeoise, où j’ai subi le baptême du feu universitaire, voici un demi-siècle. Qui plus est, je parle d’Europe sous l’égide de notre illustre ainé, Jean Rey, grand Liégeois et grand Européen au destin prestigieux et tellement singulier puisqu’il est passé des camps nazis, de 1940 à 1945, à la Présidence de la Commission européenne vingt ans plus tard. Et quel grand Président de la Commission il fût ! Les jeunes Liégeois au moins doivent le savoir et Liège gagnerait sûrement à tirer une plus grande fierté d’avoir donné un Jean Rey à l’Europe.
C’est le mérite des Conférences Jean Rey de l’ULg de cultiver la mémoire de ce grand Européen. Merci de m’avoir fait cet honneur.
Mesdames, Messieurs, Chères étudiantes, Chers étudiants,
Je ne suis pas venu ce soir pour vous divertir, quoique vous en ayez sans doute bien besoin après une longue journée de cours et d’exercices pratiques. Je ne suis pas non plus venu pour vous dire ce que vous avez à penser, mais simplement pour passer une consigne d’une génération à l’autre. Elle est celle-ci : ne vous laissez pas intimider, ne vous laissez pas endoctriner, ne cédez pas à la doxa commune, osez penser l’Europe par vous-même. Mon rôle ce soir sera d’éclairer la route, à ma manière. Je ne détiens pas la vérité. Je vous propose un point de vue réfléchi et informé. À vous d’en faire l’usage qu’il vous plaira. Mais de grâce, ne restez pas dans votre coin. Pensez, débattez, agissez ensemble, à la fois individualités singulières et membres d’une communauté, et en tous les cas acteurs d’un projet collectif !
- LA GRANDE PEUR DE L’EUROPE
Notre vieille et chère Europe est en route vers son unité depuis la fin de l’Empire romain. L’Europe est née dans la matrice de la Chrétienté au haut Moyen-âge ; elle a été éveillée à la modernité par la Renaissance et s’en est faite la championne dans le monde avec la Révolution industrielle, le capitalisme et l’État de droit à l’époque des Lumières et des Encyclopédistes. Elle a été contrainte à la justice sociale par les luttes ouvrières au XIXème siècle qui ont pavé le chemin vers la démocratie. Elle a subi au XXème siècle le fer et le feu dans le choc apocalyptique de deux utopies totalitaires – nazisme et stalinisme – avant d’advenir au terme de la seconde guerre mondiale comme projet politique organisé, comme utopie nouvelle pour notre temps. Aujourd’hui pourtant, l’UE vacille au moment même où s’ébranlent et s’entrechoquent les plaques tectoniques de la géopolitique du monde. Mais au fait, de quelles plaques tectoniques s’agit-il ?
D’abord, le capitalisme démocratique occidental est en crise systémique – croissance bloquée – et désormais exposé au schisme du capitalisme autoritaire en émergence en Asie, lui-même fragilisé par le ralentissement de l’économie mondiale.
Ensuite, la géopolitique du monde a été bouleversée par l’effondrement de l’URSS et par la Renaissance massive et fulgurante de la Chine tandis qu’aujourd’hui la rébellion islamiste radicale contre l’ordre occidental crée l’insécurité au cœur de notre continent. Enfin, le climat et l’environnement sont sévèrement affectés par la croissance démographique et surtout par la convergence économique qui se fait jour enfin entre Est et Ouest et entre Nord et Sud par l’effet de la globalisation. La planète est en danger.
L’Europe, en crise existentielle
Un vide stratégique s’ouvre donc devant l’Europe et face à ces bouleversements, face à des choix stratégiques fondateurs, on veut nous faire peur, on veut nous faire croire que l’Europe ne peut pas s’en sortir seule et qu’elle n’a d’autre alternative que de pousser plus loin son partenariat stratégique exclusif avec les États-Unis en construisant avec eux un marché intérieur transatlantique qui viendra compléter l’alliance militaire de l’OTAN. Nous voulons construire une Europe politique singulière et autonome et on nous embarque dans un condominium transatlantique censé organiser un ordre mondial nouveau. C’est en effet ce projet d’inféodation de l’Europe, au moment même où elle s’approche de son unité politique, qui se profile derrière l’acronyme TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership)
Ceux qui nous engagent dans cette voie ramènent en fait l’Europe à un marché. Ils ne ressentent pas le besoin pour l’Europe de s’accomplir comme une civilisation en marche, comme ensemble politique continental avec pour ambition, pour rêve collectif, de pousser plus avant les valeurs qui sont les nôtres : la dignité irréductible de l’être humain, la liberté et sa sœur jumelle la justice, la solidarité, et aujourd’hui bien sûr, la responsabilité environnementale. Ceux-là ne voient pas non plus le formidable potentiel économique, politique et stratégique d’une Europe politique unie. Ceux-là, je le crains, en réalité ne font pas confiance à l’Europe. Ils ne font pas confiance à votre génération, à laquelle il revient pourtant de prendre le relais pour transformer l’essai européen. Le défi est énorme, car l’Europe traverse aujourd’hui une crise existentielle et la tentation est forte de renoncer et de transformer subrepticement l’Alliance atlantique en allégeance stratégique et politique vis-à-vis de Washington pour finalement livrer le marché européen aux grands oligopoles américains et aux lobbys qui, hélas, dominent aujourd’hui Washington.
L’édito du Monde de vendredi dernier évoquait la désintégration de l’Europe. Aujourd’hui, Sylvie Kauffmann écrit dans le même journal sous le titre Les Somnambules :
« L’historien Christopher Clarke a brillamment décrit, dans son livre Les Somnambules (Flammarion, 2013), la marche des puissances européennes vers la guerre, les yeux fermés, au cours de l’été 1914. Un siècle plus tard, le même aveuglement semble frapper les Etats membres de l’Union européenne face à la crise migratoire. Somnambules du XXIe siècle, ils se transforment en fossoyeurs inconscients de leur propre Union, cette organisation -unique au monde, bâtie pour conjurer les fantômes de la seconde guerre mondiale.
Au Forum économique de Davos, en janvier, des dirigeants européens ont tiré le signal d’alarme et répété en chœur que cette crise-là ne pouvait se régler qu’avec » plus d’Europe « . Puis ils sont repartis chez eux et se sont attelés à faire » moins d’Europe « . Chacun voit midi à sa porte ; l’indispensable sursaut collectif qui prendrait la mesure d’un phénomène migratoire massif et durable paraît impossible. Pris de panique, tétanisés par la montée des mouvements populistes et les échéances électorales, de plus en plus d’Européens, qui ont eux-mêmes autrefois émigré par vagues immenses, dressent de nouvelles frontières entre eux, redessinant une Europe d’antan, au lieu d’organiser ensemble une frontière commune extérieure. »
Wolfgang Münchau, quant à lui, dans le Financial Times de ce matin écrit « Europe enters the age of desintegration ».
Dès lors que se fait jour ce pessimisme nouveau dans ces journaux de référence sous des plumes qui font autorité, je vous pose d’emblée une question simple : cette Europe-là, divisée sur les réfugiés, sur l’austérité, sur le Brexit, sur les frontières, sur le modèle social, sur la forme institutionnelle finale et sur l’autonomie stratégique, cette Europe-là est-elle en état de négocier le TTIP ? Doit-elle mener aujourd’hui jusqu’à son terme une négociation engagée avec les États-Unis pour créer un grand « marché intérieur transatlantique », selon le mot du Commissaire au Commerce Karel De Gucht, un TTIP qui serait en même temps un « OTAN économique » pour Hillary Clinton, dirigé contre la Chine selon Barak Obama ? En outre, et surtout, le TTIP est-il un bon deal pour l’Europe ? C’est la question dont nous allons débattre ce soir.
- JAMAIS PLUS NÉCESSAIRE, JAMAIS PLUS FRAGILE : LA TENTATION ATLANTISTE.
Jamais l’Europe n’a été plus nécessaire, jamais elle n’a été aussi fragile. Du coup, le traité commercial transatlantique en négociation suffirait à décrocher l’Europe de sa trajectoire vers l’unité politique pour la placer sur une orbite de dépendance excessive vis-à-vis de Washington. En d’autres mots, le remède proposé par le Conseil européen du 13 juin 2013 en lançant la négociation du TTIP serait pire que le mal. Loin de le guérir, il handicaperait le patient à vie. L’Europe renoncerait à l’espoir d’un partenariat d’égal à égal avec l’Amérique pour se diluer dans un espace atlantique dominé par Washington.
L’Europe n’a jamais été plus nécessaire parce qu’avec la globalisation, le monde a changé d’échelle. D’abord les firmes globales prennent rang parmi les États et arbitrent, par leurs investissements entre leurs régimes fiscaux et environnementaux. Viennent aussi et surtout s’ajouter aux deux superpuissances d’hier, l’Amérique et la Russie, de vastes États continentaux comme le Brésil, l’Inde, le Nigéria, l’Indonésie et la Chine. La montée de la Chine en particulier a fait basculer le centre de gravité du monde vers l’Asie et, par sa masse et la vitesse de sa croissance, a ressuscité le vieux dilemme malthusien, c’est-à-dire le conflit entre rareté des ressources – climat, océans, biodiversité – et convergence économique entre les pays émergents d’Asie et les pays avancés occidentaux. Nos trois plus grands États-membres de l’Union européenne – le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France – sont plus petits que les plus grandes provinces chinoises. Très vite, les Européens ne compteront plus dans le monde s’ils ne réalisent pas l’unité de leur continent. Les États-membres sont au mieux des puissances moyennes. La mondialisation appelle donc une Europe unie, non plus seulement sur un marché qui, en temps de crise, s’avère facteur de divergences internes, mais sur un projet politique qui vise à traverser la crise ensemble et à en sortir par le haut.
L’Europe n’a jamais été plus fragile. D’où lui vient donc cette fragilité ? D’abord de sa schizophrénie originelle par laquelle elle a abandonné sa sécurité à l’OTAN et a confié son intégration économique à la CEE. Or, sans défense commune, il n’est pas de politique étrangère possible, seulement une coordination diplomatique. Ensuite, l’Europe économique souffre de plusieurs défauts structurels de construction : ainsi du marché unique encore inachevé : sans politique industrielle commune, il n’y a toujours pas de champions industriels européens à l’exception d’Airbus. Il en va de même pour la monnaie : l’euro restera une « orphan currency » aussi longtemps que l’Allemagne n’aura pas cédé sur la tranfer union, c’est-à-dire sur la création d’un budget fédéral. Enfin, l’élargissement a renforcé l’Europe, certes, mais au prix d’une hétérogénéité ingérable. Ce fut d’emblée vrai de la Grande-Bretagne, entrée à contrecœur en 1973. Mais c’est vrai aussi, pour d’autres raisons, des dix nouveaux États-membres du Centre et de l’Est de l’Europe. Aujourd’hui, il y a bien un désaccord au sein de l’UE-28 sur ses frontières définitives, son modèle social, ses institutions à finaliser et son degré d’autonomie stratégique par rapport à Washington.
En réalité, nous vivons l’échec de ce qui a trop longtemps été une Europe-marché. Confinée à l’économie, elle est portée par des forces centripètes lors des phases de croissance économique, mais minée par des forces centrifuge lorsque survient la crise. L’Europe-marché en crise se condamne en effet à la rivalité des États
Face à ce questionnement existentiel, le TTIP apparait aujourd’hui comme une fuite en avant, signe du désarroi profond des élites européennes. Deux enjeux sont au cœur du TTIP : d’une part le modèle européen menacé par l’hégémonie des oligopoles américains sur un marché intérieur transatlantique et, d’autre part, la paix du monde, menacée par une rebipolarisation du monde entre Chine et États-Unis dont le TTIP constitue un prolégomènes.
S’en remettre à l’Amérique devant les défis de la crise et de la géopolitique est pour nombre de dirigeants européens une tentation permanente, quasiment de l’ordre du réflexe pour certains. Certes, ils devraient être les premiers à savoir que les Européens ont tout pour se sortir d’affaire d’abord par eux-mêmes, pourvu qu’ils se rassemblent sur un projet. Mais en même temps ils doutent justement de la capacité des Européens à se rassembler. Alors pourquoi ne pas s’en remettre simplement à l’Amérique ? Je récuse pour ma part cette tentation atlantique parce que ce choix n’en est pas un : l’Amérique ne sera une alliée véritable pour l’Europe si et seulement si l’Europe a la capacité de se rassembler et lui dire « non » et ainsi de l’influencer autant que l’Amérique l’influence.
L’Europe sera d’ailleurs plus utile à l’Amérique si elle est forte et si elle lui dit non que si elle devient la comparse des errements de l’Amérique, comme elle l’a été, par défaut et du fait de la défection de Tony Blair, dans la guerre d’Irak dont nous ne finissons pas de payer les conséquences avec l’afflux des réfugiés et la menace djihadiste, dont les États-Unis sont préservés.
III. LE FAUX DÉBAT DU LIBRE-ÉCHANGE ET DE L’ANTIAMÉRICANISME
Le libre-échange doit être accompagné
Le libre-échange va de soi pour l’Europe. Il n’est pas d’autre choix pour une économie de transformation sans guère de ressources. Le libre-échange assure en effet l’approvisionnement de l’Europe en ressources naturelles et en technologies ; il est source de diversité pour le consommateur. Mais l’efficacité du libre-échange n’est maximale que si le contexte économique est celui du plein emploi et que si les secteurs libéralisés sont soumis à la concurrence. Relaxez ces conditions et les conséquences de la libéralisation deviennent plus incertaines. Or l’eurozone se trouve en situation de chômage structurel à deux chiffres tandis que les firmes oligopolistiques américaines dominent dans les secteurs clés soumis à l’ouverture.
En réalité, le libre-échange est pareil à de la dynamite. Il peut ouvrir des routes ou provoquer des effondrements ; il peut d’une part augmenter le bien-être moyen et d’autre part détruire le tissu industriel au point de déchirer la trame sociale. Car il y a toujours des gagnants et des perdants au libre-échange : tantôt des États, tantôt des groupes sociaux. D’où l’importance qu’il y a à mettre en place des politiques d’accompagnement de la libéralisation commerciale : politiques industrielles d’une part pour soutenir l’innovation ; politiques sociales d’autre part allant de la sécurité sociale à l’éducation et à la formation en vue de faciliter en permanence les ajustements nécessaires. La subsidiarité se révèle ici un piège pour l’Europe, car la division du travail entre l’Union européenne et ses États-membres rend jusqu’ici impossible une action d’accompagnement du libre-échange au niveau européen. L’Europe fait en effet du libre-échange tandis que ce sont les États-membres qui prennent le social en charge. Mais, plus grave encore, personne ne s’occupe de politique industrielle, interdite aux États et refusée par l’UE tandis qu’il n’y a par ailleurs ni harmonisation fiscale, ni harmonisation sociale entre États-membres. Du coup, face au libre-échange, il n’y a pas de solidarité en Europe. Au contraire, il y a rivalité industrielle entre États et course au moins-disant social et fiscal.
L’Amérique cette inconnue
L’Amérique est à la fois la fille ainée et la mère de l’Europe. En effet, d’un côté l’alliance entre nos deux continents remonte à l’indépendance américaine obtenue avec le concours de La Fayette. De l’autre, les États-Unis ont été, à travers le Plan Marshall, l’acteur le plus décisif dans la construction européenne en l’aidant à la reconstruire, à l’unifier et à la protéger. L’histoire de la relation entre l’Europe et les États-Unis est ponctuée de moments forts, tantôt stratégiques, tantôt économiques. L’Amérique est venue à notre rescousse en 1917 et en 1944 ; elle nous a protégé de l’URSS hier et nous protège en Ukraine et face à Daesh aujourd’hui. Les multinationales américaines ont joué un rôle clé dans la reconstruction et la modernisation de l’Europe à travers leurs investissements directs et les transferts de technologies dans l’après-guerre. L’Amérique, destinée à rester longtemps encore la première puissance technologique du monde, est aujourd’hui source d’innovations, d’idées et de modes pour le monde, aussi pour l’Europe.
Mais trois différences majeures séparent l’Amérique de l’Europe. D’abord l’équilibre entre capitalisme et démocratie y est différent avec deux conséquences : d’un côté l’emprise du capital sur le politique a toujours été, effective à travers le financement des campagnes électorales et la tradition du spoiled system et des revolving doors, entre Wall Street et Washington. De l’autre, la vision néolibérale, c’est-à-dire la préséance donnée au marché sur le politique et à celle de la finance sur l’économie réelle, a profondément imprégné l’Amérique des trois dernières décennies à partir de Reagan. C’est ainsi qu’un Président démocrate, Bill Clinton, a aboli en 1999 le Glass-Steagall de 1933, et mis fin à la séparation entre les banques de dépôts et des banques d’investissement. Cette séparation a nourri la spéculation, l’un des facteurs-clé de la crise. Ce sont Bill Clinton, et Georges W. Bush après lui, qui ouvrent les premières vannes du crédit immobilier aux emprunteurs pauvres pour compenser la stagnation des salaires réels, sans considération de patrimoine, d’emploi ou de revenus (les prêts NINJA). C’est un Président de la FED, Alan Greenspan, républicain et libertaire convaincu, qui accompagne, par une politique monétaire laxiste, les bulles immobilières et boursières – ce qui lui vaut d’abord le surnom de magician – avant leur éclatement en 2008, déstabilisant l’économie mondiale avec des coûts énormes pour l’Europe, l’Amérique latine et même pour la Chine. L’eurozone quant à elle ne s’est pas encore remise de la crise du 15 septembre 2008 de Wall Street.
Ensuite, la société américaine est plus inégalitaire et plus raciste, et donc moins solidaire et plus violente. La division de la société américaine se reflète dans le clivage partisan. Ainsi, nous avons vécu en direct dans les médias le blocage du budget fédéral par les Républicains, la fermeture des administrations publiques (le shutdown) pendant plusieurs jours, faute de pouvoir payer les salaires des fonctionnaires ; nous avons également vu les Républicains laminer l’Obamacare avec pour résultat aujourd’hui une Amérique bloquée par le clivage partisan entre néoconservateurs et démocrates, et par le clivage entre Présidence et Congrès. Un duel Trump-Clinton serait à cet égard emblématique.
Enfin s’ajoute l’obsession hégémonique américaine devant l’émergence de la Chine, bientôt première économie – en taille – du monde, et bientôt dotée, elle aussi, d’une Blue Navy qui transformera une puissance jusqu’ici continentale en puissance globale capable de rivaliser avec les États-Unis. Les néoconservateurs américains voudront alors sauvegarder à tout prix leur supériorité stratégique. Ces Américains-là n’acceptent pas de pairs, ils ne veulent que des alliés dociles : des « coalitions of the willing ». L’Amérique cherche donc, sous l’impulsion de ses faucons, à construire des alliances garantissant la pérennité de son hégémonie stratégique et économique dont une articulation entre l’OTAN et le TTIP formerait le socle.
- TTIP, UN PIÈGE POUR L’EUROPE
Qu’est-ce que le TTIP ?
Il n’est pas évident d’apercevoir le véritable piège que constitue le TTIP pour l’Europe. Les 28 Chefs d’État et de Gouvernement de l’UE ont en effet endossé à l’unanimité le 14 juin 2013 la proposition de la Commission d’ouvrir des négociations sur le TTIP. Comment se seraient-ils fourvoyés à ce point ! On n’échappe pas à une évaluation rigoureuse en profondeur, car la question du TTIP est à la fois très complexe et très fondamentale. Je procéderai en trois temps: l’analyse, la critique, la proposition
Aux dires des négociateurs, le TTIP formerait une zone de libre-échange de 820 millions de consommateurs, avec près de la moitié du PIB mondial – aujourd’hui en recul relatif – et un tiers du commerce mondial. Ils y voient un facteur de croissance interne et de puissance – conjointe – dans le monde. Qu’en est-il ?
Une zone de libre-échange standard vise d’abord à la réduction, voire à l’élimination des tarifs et des contingents ou quotas entre partenaires. Ceux-ci s’accordent ainsi une préférence mutuelle aux dépens des pays tiers. Mais le TTIP va bien plus loin que l’élimination des obstacles à la frontière, c’est-à-dire la baisse des tarifs, l’accès réciproque aux marchés publics et la libéralisation des services.
Le TTIP est différent parce qu’il va bien au-delà. Il franchit la frontière entre une zone de libre-échange et un marché intérieur, en introduisant une convergence des normes réglementaires et des standards techniques et à travers soit une harmonisation, soit une reconnaissance mutuelle. Ces normes visent en principe à la précaution au bénéfice du consommateur, de l’environnement ou du travailleur mais elles servent parfois aussi à la protection du producteur. Elles couvrent tous le champ des préférences collectives : la santé, l’environnement, les droits des travailleurs, la culture, la santé, l’éducation les services publics. Leur convergence est censée faire baisser les coûts fixes et les formalités liées aux différences de législation entre les États-Unis et l’Europe. Il s’agit d’abord de faire converger les normes entre Amérique et Europe. Mais il s’agit aussi pour la coalition atlantique de produire des normes globales pour les imposer au reste du monde, à commencer par la Chine.
Le TTIP va encore plus loin. Il définit des règles pour des politiques connexes décisives pour le fonctionnement du marché : la protection de la propriété intellectuelle, la concurrence, l’investissement, les droits des travailleurs et l’environnement.
Enfin, le TTIP introduit deux instances institutionnelles de première importance : l’ISDS (Investor-State Dispute Settlement) et le Conseil de coopération réglementaire. Le premier est un tribunal – au départ privé et en passe de devenir public du moins si les États-Unis acceptent la nouvelle formulation de la Commission – qui ouvre aux multinationales américaines le droit de contester le pouvoir législatif des États et de l’UE, droits qui ne seront pas ouverts aux firmes locales, et d’obtenir des dommages et intérêts considérables lorsqu’une législation affecte leur rentabilité ; le second doit garantir la permanence de la convergence, par un effet de cliquet : on ne revient pas en arrière sur les législations harmonisées et on se concerte pour de nouvelles harmonisations.
Cette brève description vous a déjà mis la puce à l’oreille. Vous avez déjà compris que le TTIP n’est pas un simple accord commercial.
La nasse dans laquelle le projet européen viendrait s’engouffrer est, au départ, très large et a priori sans danger. Il s’agit en effet de libre-échange, en soi une bonne chose pour la majorité d’entre nous, et qui plus est avec l’Amérique, notre libératrice en 1944-45, notre alliée dans la guerre froide et à nouveau aujourd’hui face à Poutine et Daesh. Arrimer davantage nos économies, pourquoi pas? On fait d’une pierre deux coups, non? On consolide l’Alliance atlantique et on donne un coup de fouet à nos exportations et à l’emploi. Tel est le réflexe dominant qui a prévalu dans le milieu politique jusqu’ici. Certes des ONG renâclent contre les OGM, le bœuf aux hormones, le poulet chloré, les arbitrages privés des multinationales contre les Etats. Tout cela heurte et inquiète une partie – croissante – de l’opinion. Mais des assurances sont données par la Commissaire Malmström : on ne retiendra que les normes les plus élevées ; on remplacera les arbitres privés par des juges publics ; les services publics seront préservés ; il y aura une exception culturelle ; les PME seront particulièrement avantagées par la simplification des procédures bureaucratiques. Que croire?
- LA CRITIQUE DU TTIP
Ma critique du TTIP est radicale, elle est à charge. Non que je ne reconnaisse aucun mérite au TTIP : il y aura des gains pour l’Europe et il y aura des gagnants en Europe. Mais la propagande menée de concert – mano a mano – par la Commission et par les lobbys américains qui mobilisent depuis trois ans médias, think tanks et même milieux académiques en quête de financements, pour asséner tous azimuts, 24h sur 24, un point de vue pro-TTIP, m’a amené quant à moi, qui ai peut-être un esprit critique plus aigu que les Chefs d’État et de Gouvernement, à me porter à la contre-gîte. Car je ne vois pas le TTIP comme un sujet de discussion pour le dimanche après-midi, ou pour le café du commerce ; je l’analyse comme une offensive frontale contre le modèle européen et contre l’autonomie stratégique de l’Europe. J’y vois la transformation d’une alliance stratégique, nécessaire et utile, entre USA et Europe, à travers l’OTAN, en une allégeance plus large et plus profonde, qui conduit à l’assujettissement de l’Europe. Je n’hésite pas pour ma part à voir le TTIP comme un renoncement à l’espoir de construire l’unité politique de l’Europe. Elle deviendra impossible. Elle ne sera même plus nécessaire. Le projet atlantique se sera substitué au rêve européen. Pourquoi ? Parce-que selon ses promoteurs mêmes, le TTIP est un « accord vivant ». C’est la justification qu’ils avancent pour excuser la modestie des résultats à attendre dans un premier temps. Car le plus gros reste à venir plus tard, dans la durée, par le jeu des mécanismes de coopération et de consultation mise en place. Le TTIP qui se profile aujourd’hui n’est, pardonnez-moi le jeu de mots que le « tip of the iceberg », c’est la tactique du pied dans l’ouverture de la porte que pratiquent les démarcheurs à domicile. Ma radicalité n’est donc pas subjectivité ou fermeture d’esprit, elle répond au poids des enjeux ; elle vise à secouer la nonchalance, l’irréflexion, l’aquoibonisme qui sévissent trop souvent dans notre société européenne inquiète et désabusée. C’est maintenant qu’il faut s’arracher de l’ornière où le TTIP est en train d’entrainer l’Europe. C’est maintenant qu’il faut comprendre
Cette semaine commence la douzième session de négociation du TTIP[1]. Les partenaires mettent les bouchées doubles. Il s’agit de conclure avant le départ d’Obama en décembre prochain. C’est une course contre la montre qui est engagée. C’est maintenant, si vous en êtes convaincus, qu’il faut dire non au TTIP. Il faut peser sur Strasbourg et forcer le Parlement européen à prendre une position claire sur le TTIP – oui ou non – et d’en finir avec les jeux trop subtils des lignes rouges et des conditions à la ratification. Une fois les signatures apposées par les 28 Chefs d’État et de gouvernement, la ratification par les Parlements se fera. Les pressions des capitales sur les parlementaires européens se feront trop fortes – c’est aujourd’hui qu’il faut forcer les pro-TTIP à reculer !
Le TTIP, je l’ai dit, n’est pas un accord commercial et ne devrait donc logiquement pas être négocié selon les procédures de la politique commerciale laquelle appelle avec raison le secret sur les lignes rouges des partenaires jusqu’à la dernière heure du dernier jour. Mais le TTIP n’est pas un accord commercial. Il est, je le répète, « un marché intérieur transatlantique » et « un OTAN économique ». Trois objections doivent être opposées au TTIP.
- L’asymétrie une négociation du faible, l’UE-28, au fort, les USA
D’abord saute à l’évidence l’asymétrie de la négociation entre la première puissance du monde et une coalition lâche à géométrie variable entre 28 États souverains rassemblés par le lien juridique solide mais ténu de la politique commerciale commune. Cette asymétrie est déjà perceptible dans la précipitation mise par les Chefs d’État et de Gouvernement d’engager la négociation en juin 2013 suite au choix stratégique de Barack Obama d’aller vers un « pivot asiatique ». L’Europe se précipite aux basques du Président américain, qui ne cache pas un fort tropisme pacifique et se détourne d’elle en s’engageant dans la négociation d’un partenariat avec onze pays de la région, Chine exceptée[2]. L’Europe redoute soudain d’être laissée face à face avec la Russie dans la crise ukrainienne. Le TTIP est donc une façon de retenir l’attention de Washington. Mais le TTIP convient surtout à une certaine Allemagne, toujours obsédée par sa politique mercantiliste d’accumulation de surplus extérieurs démesurés : comme la demande pour les produits allemands faiblit dans le Sud de l’Europe en raison des politiques d’austérité salariale et budgétaire, imposée par Bruxelles à l’instigation de Berlin, la Chancelière Merkel pousse à un deal atlantique avantageux pour ouvrir d’autres marchés à l’automobile et à la chimie allemandes. La Grande-Bretagne et les pays baltes et ceux de Višegrad embraient le mouvement d’autant plus facilement qu’ils sont acquis à la cause atlantique, parfois davantage qu’au projet européen.
Mais l’asymétrie de la négociation tient surtout à des facteurs structurels et institutionnels qui assurent la maitrise américaine, sinon de la négociation elle-même – les négociateurs européens sont franchement les meilleurs – en tous les cas du rapport économique entre USA et UE. Malgré que celle-ci ait un poids démographique supérieur et un poids économique équivalent, elle est fortement handicapée par plusieurs facteurs : c’est d’abord un marché américain unifié alors qu’il reste inachevé en Europe dans des secteurs stratégiques comme les télécommunications, le numérique, l’énergie, les services financiers, les industries de défense ; c’est une monnaie unique, le dollar, monnaie du monde, contre dix monnaies pour l’UE-28 ; c’est une avance technologique américaine dans les secteurs de pointe où le marché commun reste justement inachevé ; c’est une dépendance stratégique de l’Europe vis-à-vis de Washington à travers l’OTAN ; c’est une capacité américaine unique d’extraterritorialité en matière de taxation, de lutte contre la corruption, de sanctions économiques, d’écoutes de la NSA et de décisions de l’autorité de concurrence. Mais surtout, l’Amérique joue sur deux tableaux avec le TPP d’un côté et le TTIP de l’autre. L’UE-28 va donc négocier de facto avec une coalition de 1+11. Ajoutons encore, pour faire bonne mesure, que l’Europe, à la différence des USA, ne dispose pas d’un budget de péréquation entre États gagnants et perdants à la libéralisation. Autrement dit, le libre-échange bilatéral peut diviser l’UE-28
Enfin, comment ne pas revenir et insister sur l’emprise des multinationales et des lobbies sur la Présidence et le Congrès des États-Unis via le financement des campagnes électorales et le tourniquet, qui pèse tellement sur la négociation du TTIP. Jamais la pression américaine à Bruxelles n’a été plus forte ! Cette asymétrie s’exprime dans deux dispositifs fondamentaux du TTIP : d’un côté l’arbitrage privé par lequel la Justice en Europe est abaissée et court-circuitée comme dans une république bananière ; de l’autre, le Conseil de coopération réglementaire qui signe la mise sous tutelle du marché intérieur européen pour l’avenir puisque toute tentative de législation européenne touchant le marché intérieur lui sera désormais soumise pour feu vert.
- La croissance faible, divergente et inégalitaire
Les modèles économétriques, de l’avis unanime des chercheurs, ne sont pas capables de mesurer l’impact de la convergence des normes et des législations a fortiori dans des contextes de concurrence oligopolistique. Néanmoins, acceptons pour base de la performance de croissance attribuée au TTIP, le chiffre retenu par la Commission : 0,5% de croissance annuelle du PIB dans 10 ans en cas de succès intégral de la négociation. Cette croissance attendue du TTIP ne comporte aucun chiffrage de sa traduction en emplois qui pourrait donc s’avérer négative en net. Retenons surtout que cette croissance est faible, divergente et inégalitaire.
D’abord, elle est faible parce que les gains de l’intégration sont déjà assurés par les investissements croisés et le niveau actuel élevé des échanges entre USA et UE ; parce que le TTIP ne générera pas de nouvelles économies d’échelles ; parce que le sous-emploi structurel est trop élevé en Europe. Ensuite, la croissance sera génératrice de divergence accrue dans l’eurozone entre le noyau du Nord et la périphérie du Sud, alors qu’elle y est déjà problématique. Elle sera enfin inégalitaire parce que les secteurs libéralisés sont largement non-concurrentiels : le deal, dès lors, avantagera les actionnaires des grandes firmes oligopolistiques aux dépens des PME et des salariés. Assez curieusement, les dirigeants et les négociateurs européens qui se font si volontiers les chantres du libre-échange dans l’abstrait ne réalisent toujours pas le caractère foncièrement oligopolistique de l’industrie et des services américains, notamment dans les secteurs à haute technologie. Dans ces secteurs, libre-échange ne veut dès lors plus dire concurrence, mais pouvoir de marché accru pour les firmes dominantes et pour les leaders technologiques ou les prime movers. C’est ici une bizarrerie de la doxa néolibérale qu’ignorer le baba des règles de concurrence à appliquer aux marchés imparfaits. Cette problématique des oligopoles américains devrait pourtant être au cœur du débat entre économistes libéraux – et à cet égard j’en suis un – sur le TTIP.
Le clash des modèles
Mais au-delà de la question controversée de la croissance, c’est le clash des modèles de société en matière sociale, environnementale, culturelle, qui retient l’attention de l’opinion et provoque l’activisme de la société civile à laquelle il faut être reconnaissant car elle pallie la démission des élites sur cet enjeu. D’abord, il faut souligner que la mise en concurrence des régions pauvres de chaque côté de l’Atlantique se traduira en une précarisation des emplois et en pressions sur les salaires, car les rapports de force se feront à l’avantage du capital désormais plus mobile puisque libre de choisir son implantation et, le cas échéant, sa délocalisation d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique. Ensuite, sur des enjeux ponctuels comme le bœuf aux hormones, les OGM, le poulet chloré, l’audiovisuel, l’agriculture, les services financiers, les services publics, les préférences collectives divergent et amènent à des normes souvent incompatibles. Les rapprocher en vue de les harmoniser ou d’autoriser leur reconnaissance mutuelle, va s’avérer une tâche impossible, surtout si l’option retenue par la Commission d’une convergence vers le haut, est partagée par le partenaire américain. En fait, le TTIP se révélera être un lit pour deux rêves et le modèle plus compétitif, plus inégalitaire et plus violent repoussera le modèle européen, plus solidaire et plus juste, sur la carpette. Au total, TTIP revient à échanger un droit d’ainesse – la singularité du modèle européen – contre un plat de lentilles – une croissance dérisoire et une détérioration du modèle européen.
- Coalition technologique contre les émergents
Le TTIP se veut aussi l’affirmation d’un leadership transatlantique face au reste du monde. De la sorte, une coalition d’hégémons déclinants prétend fixer les règles du nouvel ordre économique international aux pays émergeants. C’est la critique la plus fondamentale qu’on puisse adresser au TTIP. Elle porte sur son impact systémique et géopolitique. Le dessein stratégique du TTIP est clairement affirmé et réaffirmé par les deux partenaires qui en font un argument central de la promotion du TTIP, avec une forte connotation populiste. Il s’agit de rien moins que de fixer les normes, les standards et les règles du jeu pour construire le nouveau régime du commerce mondial post-mondialisation, en amenant le reste du monde, à commencer par la Chine, à plier et à se rallier au nouveau consensus transatlantique. L’idée est de préserver le leadership occidental dans la construction du nouvel ordre économique mondial en contrant les effets du basculement vers l’Asie émergente. Nul doute que cette perspective « va-t’en guerre » rassurera les nostalgiques de l’univers postcolonial.
Mais cette posture stratégique qui n’est pas sans arrogance est porteuse de deux risques sérieux. C’est d’abord la remise en cause de l’OMC, pourtant fondée par l’Amérique et par l’Europe et qui est la pierre d’angle du système commercial multilatéral. Elle sera dorénavant divisée par le clivage imposé par ces mêmes partenaires atlantiques entre eux et le reste du membership. C’est ensuite une stratégie d’endiguement de la Chine. Il existe aux USA un courant de pensée qui entend préserver à tout prix l’hégémonie américaine et qui pousse à cette « stratégie en pince » constituée par deux ensembles commerciaux et technologiques – le TPP et le TTIP – dont l’Amérique est la charnière unique et la Chine la cible. Il s’agit de prévenir la montée en puissance militaire de la Chine en pesant sur sa croissance, en compliquant son accès aux technologies avancées qui doivent rester l’apanage de l’Ouest parce qu’elles sont la clé de sa supériorité. Incidemment, ces normes technologiques, si elles sont poussées trop loin, visent aussi la reconstitution d’une rente sur le reste du monde.
Cela étant, la stratégie d’endiguement qui a réussi avec l’URSS, échouera avec la Chine parce que la Chine n’est pas l’URSS. Elle dispose d’abord du plus grand marché intérieur du monde, de surplus, en croissance soutenue. Ensuite, elle est en train de se constituer une capacité technologique propre. Enfin, la croissance de la Chine repose sur une intégration régionale intra-industrielle très élevée avec son voisinage. Cette Chine est vulnérable en raison des tensions stratégiques qu’elle contribue à créer autour de la construction de la Grande Muraille de Sable dans la Mer de Chine du Sud, mais elle a la capacité de constituer un bloc asiatique en réponse au bloc atlantique.
Ce à quoi l’Europe doit travailler, c’est au contraire à prévenir un face-à-face US-Chine, c’est-à-dire une rebipolarisation du monde qui engendrerait du côté américain une spirale sécuritaire et hégémonique dans laquelle l’Europe serait happée. C’est pourquoi, au lieu de se laisser vassaliser par Washington à travers le TTIP, l’Europe doit rétablir un équilibre avec les États-Unis dans un partenariat stratégique d’égal à égal au sein de l’Alliance atlantique.
- CONCLUSIONS
Le lancement de TTIP n’a été possible qu’en raison du tour strictement mercantiliste pris par la politique commerciale européenne qui ignore deux dimensions fondamentales du projet politique européen : la construction d’un modèle de développement propre et celle de la puissance qui est le garant de la pérennité du modèle.
Le modèle
L’UE offre la singularité d’avoir finalement réussi, au prix de conflits internes et de deux guerres mondiales, à atteindre un certain équilibre de tension entre capitalisme et démocratie, entre marché et politique et d’avoir conclu, au lendemain de la guerre 1940-1945, un contrat social dynamique entre toutes les parties prenantes à la société. L’Amérique, sauf la période du New Deal à laquelle Reagan a mis un terme, voici une génération, ne parvient plus à sauvegarder le rêve américain ; la société américaine est divisée entre gagnants et perdants de la globalisation et du progrès technique tandis que les lobbies règnent à Washington. Or le TTIP, en ouvrant la voie vers un marché intérieur transatlantique, va aspirer l’Europe dans le modèle inégalitaire américain qui conduit à la violence au-dedans – voir les armes et le racisme – et à l’affirmation hégémonique au-dehors.
L’Europe doit garder la possibilité de moderniser son modèle social, à sa manière, en faisant la part juste de la liberté et de la justice, en s’ouvrant aux idées, aux personnes, aux marchandises parce que le monde est interdépendant, mais en conservant la maitrise des règles du vivre-ensemble en créant les conditions de la solidarité, du respect et de la tolérance. L’Europe doit aussi tracer la route de la soutenabilité : préserver la croissance en réduisant l’impact sur la nature, sur le climat, sur la biodiversité. La vocation universelle de l’Europe est de montrer au monde comment réconcilier croissance économique, progrès social et soutenabilité environnementale. C’est un défi. Il est à notre portée. Le problème n’est ni économique, ni technologique. Il est politique. Avec le TTIP comme entrave, nous n’y arriverons pas. Une entreprise de civilisation comme celle-là exige une cohérence, une unité entre marché, redistribution de la richesse et sécurité stratégique que seule une Europe politique forte peut réaliser.
La puissance
L’autre dimension de l’Europe est sa mission internationale. Avec 500 millions d’habitants et un PIB qui fait plus de 20% du PIB mondial, l’Europe a la capacité de peser dans le monde. Parce qu’elle en a la capacité, elle a aussi la responsabilité non seulement de se protéger elle-même, mais de contribuer, à partir de son expérience propre à construire un ordre international juste, condition de la paix et de la prospérité mondiales. L’Europe doit pour cela accéder à la maturité stratégique. Lui manquent d’abord une weltanschauung, c’est-à-dire une vision stratégique du monde, mais aussi et surtout une défense commune, pour être reconnue comme une puissance globale, partenaire à parité politique avec les USA au sein de l’OTAN et du coup puissance crédible aux yeux des autres puissances globales (Russie, Chine, Inde, Brésil). Alliée de l’Amérique, oui, mais autonome et donc politiquement égale, avec la même capacité de nous faire entendre de Washington que celle de l’Amérique d’influencer l’Europe !
À cette condition, l’Europe pourra empêcher le scénario le plus dangereux pour le monde, celui d’une rebipolarisation, d’un face-à-face Chine-Amérique qui conduirait peut-être à l’affrontement planétaire, que nous devons envisager comme un risque possible et donc redouter, de « l’Ouest contre le reste ». L’Europe doit œuvrer à donner à un monde désormais multipolaire et donc instable, une assise multilatérale robuste, fondée sur la négociation et sur le droit, et pas sur le chantage économique ou la dissuasion stratégique. Certes, tout est dans tout et l’idéalisme est une posture dangereuse dans les affaires internationales s’il ne s’appuie pas sur le poids économique et sur une capacité militaire propre. L’Europe doit être assez forte pour avoir le choix des moyens pour atteindre ses objectifs. Mais l’Europe aujourd’hui est un bien sans maître ; elle ressemble à une copropriété sans véritable syndic. Les élites étant défaillantes, il faut la rendre aux citoyens qui doivent être capables de dire non et de savoir pourquoi. Bloquer TTIP au nom d’une Europe plus ambitieuse, plus démocratique et plus efficace, est un premier pas vers un démos du projet européen, une première expression de la conscience européenne qui doit rassembler ceux qui découvrent la perception d’une communauté de destin.
[1] du 22 au 26 février 2016
[2] TTP : Traité Trans Pacifique
USA : 29 ans d’isolement carcéral, finalement innocent
ABONNÉS Publié le mercredi 25 juin 2014 à 12h23 – Mis à jour le mercredi 25 juin 2014 à 12h23

Robert H. King embrasse la pièce mansardée du regard. Il affiche un air las, soupire. On ne sait trop s’il est juste fatigué d’avoir enfilé septante marches d’escalier, pour arriver sous le toit de la maison bruxelloise d’Amnesty International, ou s’il est usé d’être sans cesse renvoyé dans la petite cellule où il a passé vingt-neuf ans en confinement solitaire pour un crime qu’il n’avait pas commis. Sa vie d’homme libre, à Austin (Texas), avec son chien Kenya, le jeune septuagénaire ne la consacre pas qu’à la confection de bonbons. Il se force à retourner mentalement au pénitencier d’Angola, en Louisiane, pour témoigner de son expérience, sensibiliser le public et les autorités aux effets destructeurs et déshumanisants de l’isolement carcéral de longue durée. « Si ce n’est pas de la torture, qu’est-ce que c’est ? »
« Je suis né aux Etats-Unis, né noir, né pauvre. Est-il étonnant que j’aie passé la majorité de ma vie en prison ? » La perspective de revenir aux sources, celles de son enfance, ne l’enchante guère. « Oh God… J’ai tout dit dans mon autobiographie. Vous ne l’avez pas lue ? » (*) Mais plus que parcourir des mots qu’il a commencé à coucher sur papier en prison pour rétablir sa vérité – « on m’a fait passer pour quelqu’un d’incorrigible, mais c’est le système qui est incorrigible ! » -, on aimerait entendre sa voix, le voir s’animer, soutenir un regard qui n’a pu s’évader à plus de trois mètres durant si longtemps.
Un témoin de la ségrégation
« Je suis un enfant d’après-guerre. » La vie de Robert King est imprégnée d’une époque, celle de la ségrégation qui sévissait encore à sa naissance, à Gonzales, le 30 mai 1942. Le gamin ne se sent « pas bien » dans ce monde-là, mais ne se pose pas vraiment de questions. « C’était comme cela. Vous vous acclimatez à votre environnement. Ce n’est que vers sept ou huit ans que j’ai compris qu’il y avait un problème, mais j’étais incapable de l’exprimer clairement. »
Ses premières années, il les passe sous l’aile de sa grand-mère maternelle, Alice, à La Nouvelle-Orléans. « Elle m’a adopté en quelque sorte. J’avais six ans quand j’ai réalisé qu’elle n’était pas ma mère biologique. » Un beau jour, Robert se met en tête de retrouver son père. « Je voulais partager ma vie avec lui. » Alice ne voit pas d’inconvénient à ce que son petit-fils, de treize ans maintenant, soit mieux encadré, mais les deux années qu’il passe à Donaldsonville sont en fin de compte pénibles – papa se révèle violent – et l’adolescent retourne chez sa chère « maman ».
La maison de correction le fiche à vie
À cet âge-là, des rêves, Robert en avait. « Je voulais terminer mes études et devenir professeur », raconte-t-il doucement. « Je pense que j’étais excellent à l’école.Mais je m’y ennuyais. » Il a quinze ans, prend la tangente, lâche les amarres. Avec le recul d’une vie tragique, plus d’un demi-siècle plus tard, il ne regrette aucunement ce choix de teenager, au contraire; qu’on puisse le remettre en cause l’agace. « D’ailleurs, ce que je sais, je l’ai appris hors de l’école. Je pense avoir pris le seul chemin possible dans le contexte dans lequel je vivais. Je n’avais pas le choix. Je devais survivre. »
Alice n’aura pas eu le temps de le voir dériver, son cœur s’arrêtera avant. L’adolescent effectue des petits jobs à gauche à droite, mais commet aussi des larcins. Et vole en maison de correction pour jeunes de couleur à Scotlandville. C’est entre ces murs qu’il se tatoue la main gauche. Les lettres L-O-V-E sur les phalanges et H-A-T-E sur les phalangettes : « l’amour au-dessus, la haine en-dessous ». Une sorte d’insecte sur le dos de la main : « je ne sais pas ce que c’est, cela ne ressemble à rien qui existe ! Certains y ont vu un signe d’appartenance à un gang », s’esclaffe-t-il, alors que « c’était juste pour moi une façon d’être à la mode« . « Ma mère, enfin ma grand-mère, était très croyante, j’ai aussi une croix sur mon bras. »
La prison d’Angola, une « zone de guerre »
Le nom de Robert King gonfle la liste des petits délinquants noirs, fichés par « un système raciste qui a défini ma vie ». Le début de la fin en quelque sorte. Il ne bénéficiera plus jamais, désormais, de la présomption d’innocence : il sera d’office présumé coupable. « Si j’avais eu un rêve, il avait disparu. »
Il a 18 ans à peine lorsqu’il est une première fois envoyé à la prison d’Angola pour une attaque à main armée qu’il assure ne pas avoir commise. « Elle avait été perpétrée par deux personnes, mais nous sommes quatre à avoir été condamnés. Je faisais partie des jeunes Noirs qu’on voulait éloigner des rues. Je n’étais pas une exception dans ma génération, vous savez. » Il est condamné à dix ans de travaux forcés.
Pour les Afro-Américains du sud des Etats-Unis, la prison a remplacé l’esclavage. À Angola, les détenus sont contraints de travailler dans les champs pour 2,5 cents de l’heure. Robert, lui, est affecté en cuisine – c’est là qu’il apprendra à faire des bonbons – et se tourne vers la religion pour survivre dans ce pénitencier réputé pour sa violence extrême. « C’est une zone de guerre », où l’on bat, on viole « le poisson frais », on tue. En sortir sans trop de dommages est « une réalisation en soi ».
Le jeune homme est libéré sur parole en 1965. Il a la vingtaine, la vie devant lui. Il s’installe à La Nouvelle-Orléans, se marie avec Clara – « c’est comme si l’on s’était toujours connu » -, se lance dans la boxe, en semi-pro, sous le nom de « Speedy King ». « Les gens disaient que j’étais bon », dit-il, l’œil fier. Mais l’aventure ne dure pas. Il se fait à nouveau arrêter, alors que sa femme est enceinte de huit mois et demi. « Ma libération conditionnelle a été révoquée et j’ai purgé ma peine jusqu’en 1969 », rapporte-t-il. Le jeune papa n’aura guère eu le temps de voir grandir son fils. Lil’Robert « est mort à cinq ans d’une tumeur »…
Sa conscience politique s’affirme
Ses ennuis avec la police et la justice n’en finiront plus. Robert King est arrêté en février 1970 pour un vol à main armée « que je n’avais pas commis », assure-t-il encore. Peu importe l’absence de preuves, son alibi ou le fait que la victime ne reconnaisse pas, dans ce jeune homme, son agresseur de 40 ans. « Le système légal se soucie peu de culpabilité ou d’innocence, surtout pour les Noirs. Il veut obtenir une condamnation et clore l’affaire. Dans ce processus, on peut être moralement innocent et légalement coupable. » Le voilà condamné à 35 ans de travaux forcés. Un énorme sentiment d’injustice l’envahit. Il tente une évasion, ratée, et prend quelques années supplémentaires.
Au fil des épreuves, « graduellement », il se forge une conscience politique, alors que « je n’étais pas attiré au début ». Les discours de Martin Luther King ne le séduisent pas plus que cela; il se montre plus sensible aux Black Panthers qu’il découvre derrière les barreaux. « C’est le rejet qui nous a mis en contact. » Le parti« articule » sa pensée et lui « permet de tenir le coup ». Lui et ses coreligionnaires organiseront des grèves de la faim et manifesteront pour améliorer les conditions de vie des prisonniers, faire cesser les humiliations quotidiennes – la nourriture jetée sous les barreaux, les fouilles anales systématiques. « D’autant que plusieurs d’entre nous n’avaient rien à faire en prison ! »
Au souvenir de cette lutte, il hausse la voix, s’anime, mitraille ses mots et arguments pour défendre la justesse du combat des panthères noires. « Eh, on était à l’époque du Klu Klux Klan ! » , rappelle-t-il. « Les Black Panthers se battaient pour tout le monde. Je vais vous surprendre, mais j’ai connu des Blancs qui étaient membres du parti ! »
Vingt-neuf années dans 5 m2
Dans son engagement politique les autorités ont tout de suite vu une raison de plus pour le casser. Il est envoyé en cellule de confinement solitaire pour une raison fallacieuse. Le meurtre d’un détenu donnera l’occasion de lui tomber à nouveau dessus. Il est condamné à perpétuité en 1975, sur base d’un faux témoignage.
Robert King devra attendre 1987 pour que l’homme qui l’avait chargé se rétracte; et 2001 pour se retrouver une nouvelle fois face à la justice. « Ils voulaient que je plaide coupable », pour justifier les trente et un ans de prison, dont vingt-neuf en confinement solitaire, qu’il avait dû subir. « J’ai refusé. Ils m’ont alors proposé de plaider coupable de « complot en vue de commettre un assassinat ». Je ne voulais qu’une chose : sortir, rentrer chez moi, c’est-à-dire hors de cette prison. Alors je leur ai dit ce qu’ils voulaient entendre. » Au moment où Robert King doit jurer de dire toute la vérité, il lève la main gauche à la place de la droite. Personne ne le remarque, à part le procureur de district. Leurs regards se croisent, l’homme de loi ne dit rien. Personne n’est dupe.
Robert King est libéré le 8 février 2001 à 16h12. À ce jour, selon Amnesty International, près de 80 000 prisonniers sont incarcérés à l’isolement aux Etats-Unis. Parmi eux, Albert Woodford, Black Panther lui aussi, croupit depuis 40 ans.
« Je n’ai pas l’air fou »
Finalement, Robert King se sera peu épanché sur ses journées seul entre quatre murs. Il concède à se lever de sa chaise pour donner une idée de la taille de sa cellule : « six pieds sur neuf ». Il tend les bras sur le côté, fait trois pas devant lui : 5 m2. « Enfermez-vous quelques jours dans votre salle de bain, vous verrez… » Il n’en est sorti que peu, pour prendre une douche, et enchaîné. Il a lu des livres, commencé à écrire son autobiographie, fait de l’exercice. « Des gens pensent que si l’on peut fumer une cigarette, avoir un stylo et recevoir de la visite, c’est déjà bon… Mais ce n’est pas humain ! », tempête-t-il. « Ce sont les quakers qui avaient inventé le confinement solitaire au XIXe siècle. Mais ils le limitaient à six mois, parce qu’ils pensaient qu’on ne pouvait pas supporter cela plus longtemps sans devenir dingue… » , explique-t-il.
« Moi, on me dit souvent que je n’ai pas l’air fou. » On lui demande aussi régulièrement s’il est possible vivre normalement après une telle épreuve. Robert King prend un air malicieux, joue avec les mots. « Il n’est pas très difficile de retrouver une vie normale, mais on ne peut pas redevenir complètement normal. Quand les gens me posent cette question, je les laisse sans réponse. Je ne vous ai pas dit que je n’étais pas fou. Ni que j’étais sain d’esprit. » Il prend un regard amusé, redevient vite sérieux. « Mais comment voulez-vous vivre une telle épreuve et en sortir sans être affecté ? Quand on passe tant de temps dans une poubelle, on n’en sort pas sans en garder l’odeur. »
(*) « From the Bottom of the Heap. The Autobiography of Black Panther », PM Press, 2008.
Accueil de netanyahou à Washington par une campagne d’affichage (Photos)
Accueil de netanyahou à Washington par une campagne d’affichage (…) – CAPJPO – EuroPalestine//
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Le Collectif Palestine Advocacy Project, qui avait déjà lancé, aux Etats-Unis une première campagne d’affichage dénonçant le nettoyage ethnique par Israël et le soutien financier américain à l’occupation et la colonisation, vient de démarrer une nouvelle grande campagne, à l’occasion du discours que doit prononcer Netanyahou, cette semaine, devant le congrès américain.
Dans 7 villes américaines (Los Angeles, New York, San Antonio, San Diego, San Francisco, et Washington D.C), 60 stations de métro, sur 52 bus, 3 camions ambulants 2 grands panneaux d’affichage et un journal, ces affiches seront visibles pendant un mois :
Ce collectif d’associations a également réussi à convaincre Barack Obama, le vice-president Joe Biden, le secrétaire d’Etat John Kerry et d’autres représentants du gouvernement étatsunien à ne pas recevoir le premier ministre pendant sa visite à Washington. De même, une trentaine de parlementaires se sont engagés à quitter le congrès au moment du discours de Netanyahou.
Ce dernier sera en outre accueilli aussi bien devant le Capitole que devant la réunion de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee’) par de gigantesques panneaux dénonçant l’occupation israélienne et les massacres perpétrés cet été à Gaza.
Grâce aux 100.000 dollars de dons recueillis l’automne dernier, ce collectif d’associations va, durant un mois, montrer aux contribuables américains à quoi servent les milliards de dollars pris dans leurs poches pour aller gonfler le budget militaire israélien.
Nous saluons cette campagne, dont il faut signaler qu’elle serait impossible à mener en France, quelle que soit l’ampleur des sommes recueillies, puisque dans notre pays qui se prétend démocratique, tout affichage dénonçant la politique israélienne ou montrant la situation en Palestine est interdit.
Aidons donc nos amis américains à montrer la vérité à leurs concitoyens :
http://www.palestineadvocacyproject.org/blog/2015/2/26/palestine-advocacy-project-goes-national
CAPJPO-EuroPalestine
Ne pas diffuser ?
La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent
Albert Einstein
C’était au tout début du mois de juillet de l’année dernière. J’étais place Tahrir au Caire, dans l’attente d’un événement que même le cireur de chaussures de la corniche Maspéro savait inéluctable. Mohamed Morsi, le président égyptien allait , selon l’expression consacrée, devoir dégager. Le téléphone sonne. Un ami m’appelle de France pour m’annoncer : « Tu sais ! Un des principaux éditorialistes parisiens affirme qu’il va rester au pouvoir ! » Du point de vue de ce confrère, depuis son bureau avec vue sur la Seine, c’était tout à fait logique. Morsi avait été élu démocratiquement.
L’administration Obama, persuadée qu’elle avait enfin trouvé un « bon » islamiste sunnite, le soutenait. Les correspondants et envoyés spéciaux en Egypte pouvaient toujours décrire les foules immenses et le soutien accordé par l’armée aux manifestants anti-Frères musulmans, cela ne changeait rien à la vision manichéiste de cet expert en politique étrangère.
Les aveugles
Il souffrait du syndrome de l’inertie conceptuelle. L’incapacité à adapter l’analyse et le discours aux tranformations d’une situation, d’un rapport de force. Une forme d’aveuglement, qui a frappé les médias mais aussi les services de renseignements et d’analyse au cours de l’Histoire. En 1941, aveuglé par sa vision des relations bilatérales avec Berlin, Staline n’a pas voulu voir les signes annonciateurs de l’offensive nazie contre l’URSS. Dans les années 70, les Américains n’ont pas compris la nature des événements précurseurs à la chute du Shah d’Iran et l’arrivée au pouvoir des Ayatollahs. Plus tard, ils ont refusé toutes les informations sur l’inexistence d’armes de destruction massives dans l’Irak de Saddam Hussein. On connaît la suite.
Les Israéliens, politiques, analystes et journalistes n’ont pas toujours fait mieux. La surprise stratégique de la guerre du Kippour en est un des principaux exemples. Il faudrait aussi rappeler le soutien sans faille accordé par l’armée et le Shin Beth au développement de l’Islam radical à Gaza jusqu’au jour où ces « sympathiques religieux » ont créé le Hamas dont l’objectif est la destruction de l’État juif. J’ai décrit cet épisode dans mon livre « Le grand aveuglement » .
Que faire des Palestiniens ?
Aujourd’hui, on est bien obligé de constater que ce syndrome est omniprésent chez les dirigeants et les médias occidentaux, bloqués sur la vision de l’inéluctabilité d’une paix israélo-palestinienne. Or, la probabilité d’un accord est extrêmement faible comme le prouve l’échec de l’initiative du secrétaire d’état John Kerry. Un accord était tout simplement impossible.
D’abord pour des raisons politiques israéliennes.Le Likoud, le principal parti de droite, a toujours été opposé à la création d’un état palestinien indépendant aux côtés d’Israël. Le développement de la colonisation en Cisjordanie a été un de ses principaux objectifs depuis son arrivée au pouvoir avec l’élection de Menahem Begin en 1977 et après la conclusion du traité de paix avec l’Egypte en 1979. Grâce à son alliance historique avec le Sionisme religieux, près de 400 000 Juifs y habitent, transformant radicalement les données du conflit au Proche Orient. La direction de l’OLP l’a compris et admet en privé qu’elle a échoué et ne parviendra pas à créer un état indépendant.
A terme, Israël, devra donc dévoiler ce qu’il compte faire des Palestiniens. Les maintenir dans l’autonomie sous sa forme actuelle ? Des personnalités comme Ehoud Barak estiment que cela serait une forme d’apartheid. Les annexer en leur accordant tous les droits politiques – y compris la possibilité de voter pour la Knesset ? Ouri Ariel, ministre de l’habitat et colon militant le propose. Mais, à l’étranger, les images de l’occupation israélienne dérangent et les grands médias ne les diffusent plus depuis longtemps.
Crise économique oblige, les grandes chaines généralistes occidentales, occupées par la grande bataille de l’audience, ne couvrent plus l’international au quotidien. Et puis, en Europe ces images suscitent des réactions souvent anti-juives au sein de certaines populations et réveillent diverses formes d’antisémitisme. Un phénomène renforcé par l’attitude des institutions communautaires juives, identifiées à la politique israélienne, qu’elles soutiennent sans faille.
Ne pas diffuser ?
Cette montée de l’antisémitisme consolide l’inertie conceptuelle des médias. Un rédacteur en chef d’une grande agence de presse m’a dit, récemment : « Il faut faire attention. La montée de l’antisémitisme est sans précédent et il ne faut pas diffuser d’articles ou de sujets trop négatifs sur Israël ».
Résultat : le dossier palestinien a quasiment disparu de la place publique occidentale. Cela fait bien entendu l’affaire de la droite israélienne, mais avec un inconvénient majeur : son discours est , lui aussi, devenu inaudible. A preuve : la rapidité avec laquelle les États Unis, l’Union Européenne, la Chine, l’Inde et la Russie ont reconnu le nouveau gouvernement palestinien soutenu par le Hamas. Le message de Netanyahu, rappelant que l’organisation islamiste prône la destruction d’Israël, n’est pas passé.
Inexorablement, ce conflit finira par atteindre son paroxysme et embraser non seulement la région mais aussi des populations musulmanes dans le monde arabe et en Europe. Les dirigeants occidentaux, analystes et éditorialistes devront alors révéler les raisons pour lesquelles ils ont laissé ce conflit glisser vers le point de non retour.
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Le fils d’un réalisateur annonce « le jour du châtiment » et tue 6 personnes en Californie
Le Monde.fr avec AFP et AP | 24.05.2014 à 13h42 • Mis à jour le 25.05.2014 à 05h40
Le fils d’un réalisateur de Hollywood souffrant de troubles mentaux a poignardé à mort trois personnes avant d’en tuer trois autres par balles, vendredi 24 mai près de Santa Barbara dans le sud de la Californie, a indiqué samedi la police locale. En outre, au moins treize personnes ont été blessées par le tireur, Elliot Rodger, 22 ans, qui s’est apparemment suicidé à l’issue de son équipée meurtrière à Isla Vista, près du campus de l’Université de Californie à Santa Barbara (UCSB). Son père, Peter Rodger, est connu pour avoir participé à la réalisation du film à succès Hunger Games (2012).
Faisant le récit des événements, le shérif du comté de Santa Barbara, Bill Brown, a expliqué que le criminel avait « poignardé à plusieurs reprises » trois hommes à son appartement avant de sortir avec une arme à feu.
Une fois dehors, il a pris pour cible trois femmes dans la rue, tuant deux d’entre elles, âgées de 19 et 22 ans. Au volant de sa BMW noire, il a trouvé sa victime suivante, un étudiant de 20 ans, Christopher Martinez, qu’il a abattu.
La police s’est alors lancée à la poursuite d’Elliot Rodger, qui a tiré au hasard sur des passants. Touché par un tir à la cuisse, il a heurté un cycliste, qui s’est retrouvé sur le capot de sa voiture. « Le véhicule du suspect est alors entré en collision avec des voitures garées et il s’est arrêté », a raconté Bill Brown. Trois armes semi-automatiques de 9 mm ont été retrouvées à bord de la BMW, toutes achetées légalement et enregistrées, ainsi que de grosses quantités de munitions.

UNE VIDÉO PUBLIÉE LA VEILLE
La police pense que le tueur a agi seul et enquête sur une vidéo publiée sur YouTube, qui menace les habitants d’Isla Vista. On y voit Elliot Rodger, assis derrière son volant, se filmer et raconter pendant sept minutes sa solitude, sa haine du monde et son amertume d’être rejeté par les femmes. Il affirme notamment qu’il s’agit de sa « dernière vidéo » et annonce le « jour du châtiment », disant vouloir prendre sa « revanche sur l’humanité » et notamment sur les femmes. Le jeune homme dit avoir souffert de solitude et de rejet.
Avant la tragédie de vendredi soir, la police avait déjà eu trois fois affaire à Elliot Rodger, la première fois en juillet 2013, a indiqué le shérif du comté de Santa Barbara.
« QUAND CETTE FOLIE VA-T-ELLE CESSER ? »
Les fusillades meurtrières sont un phénomène récurrent aux Etats-Unis qu’il s’agisse d’un lycée de Columbine (13 morts dans le Colorado en 1999), d’une fusillade sur le campus de Virginia Tech (32 morts en 2007), à l’école Sandy Hook de Newtown (26 morts dont 20 enfants en 2012 dans le Connecticut), un cinéma près de Denver (12 morts en 2012) ou dans un immeuble de la Marine américaine à Washington (13 morts). Au total depuis 2006, le FBI a recensé au moins 170 fusillades ayant fait au moins quatre morts sans compter le tireur.
Lire : Etats-Unis : 300 millions d’armes à feu, 30 000 morts par an

« Quand cette folie va-t-elle cesser ? », s’est demandé le père d’une des victimes, s’adressant aux hommes politiques et au lobby des armes dans un témoignage poignant. « Notre famille a un message pour tous les parents : vous pensez que cela n’arrivera pas à votre enfant mais, pourtant, c’est le cas », a déclaré Richard Martinez, retenant difficilement larmes et colère.
Coïncidence glaçante : en 2001, le fils du réalisateur Daniel Attias (Ally McBeal, The Wire) avait écrasé quatre piétons dans une rue fréquentée à seulement un pâté de maisons du lieu où est survenue la tragédie de vendredi. En sortant de sa voiture après les faits, David Attias avait crié : « Je suis l’ange de la mort. » Condamné dans un premier temps pour meurtre, il avait ensuite été jugé irresponsable et enfermé dans un hôpital psychiatrique.
Lire aussi : Et les Etats américains où les armes tuent le plus sont…
George Carlin à propos de la guerre et de la politique
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