Interview de JP Filiu sur Mediapart


« Vous êtes en effet très alarmiste sur la dynamique djihadiste et le risque terroriste. Pourquoi ? »JP Filiu: « Je suis très inquiet car, depuis un quart de siècle que je travaille sur ce phénomène, je n’ai jamais vu cela. La densité de la mobilisation djihadiste, son inscription dans l’espace et dans la durée est sans précédent. Baghdadi, du fait de son trésor de guerre de plus d’un milliard de dollars, a de quoi perpétrer aujourd’hui l’équivalent de mille attentats du « 11 Septembre ». Les djihadistes sont capables, comme organisation totalitaire, d’affecter une partie de leurs ressources à un projet à long terme, et donc au recrutement, à la planification, voire à l’implantation de cellules dormantes.
Il y a bien sûr la propagande sur Internet qui est largement amplifiée par les médias occidentaux. À cet égard, le martyre de James Foley était absolument prévisible, il avait été précisément kidnappé pour être sacrifié dans des circonstances comme celles d’aujourd’hui, avec un impact médiatique aggravé par la barbarie de cet assassinat. Il faut aussi à cet égard rendre hommage aux autorités françaises qui ont œuvré inlassablement pour ne laisser aucun compatriote aux mains de l’État islamique.
La recrue étrangère chez Baghdadi doit, sous peine de sanctions, recruter elle-même trois ou cinq personnes. Donc cette personne envoie des messages sur les réseaux sociaux pour vanter son expérience et inviter à la rejoindre. C’est pourquoi la progression du recrutement djihadiste est exponentielle. On observe d’ailleurs maintenant une émigration familiale avec des femmes qui font des genres de « guide du routard », bourrés d’indications pratiques, pour familles djihadistes.
L’autre force de cette propagande, c’est son insistance sur la notion de butin, ghanima. C’est quelque chose qui parle beaucoup aux voyous ici et ailleurs. Si c’est pour le djihad tu peux braquer, tu peux faire une escroquerie à la carte de crédit, aux prêts à la consommation, etc. Sur place, on leur propose de se « payer sur la bête », par exemple lors des expulsions de chrétiens ou lors des liquidations « pour l’exemple ».
L’appât du butin est un puissant incitatif à l’embrigadement djihadiste. Ma pire crainte est que ces « volontaires » occidentaux, mal formés militairement, ne servent pas à grand-chose sur place aux commandos djihadistes. Ils vont donc en renvoyer un certain nombre en Europe pour perpétrer des actes terroristes, sur le modèle de Mehdi Nemmouche et de la tuerie du Musée juif de Bruxelles. Ils savent bien qu’en Europe le climat est dégradé et xénophobe, avec un risque réel d’escalade raciste en cas d’attentat communautaire. Le projet de Baghdadi est de prendre en otages les musulmans en Europe comme il l’a fait en Irak et en Syrie. »
Itw parue dans Mediapart

Maysaloon : Tant pis


Est-ce que je dois vraiment m’émouvoir  de la mort de Abu Mohammad al Golani dans une embuscade tendue par le régime ? Je pense que non.Le but de la révolution syrienne n’est pas d’échanger un dictateur alaouite contre un dictateur sunnite ; elle a pour objectif d’assurer la dignité et les droits fondamentaux des citoyens. Je ne vais pas pleurer pour quelqu’un simplement parce qu’il est opposé à Assad alors que son groupe appelle ouvertement au nettoyage ethnique et qu’il a été accusé d’horribles violations des droits humains.

Beaucoup de Syriens m’ont dit « ce sont les seuls qui combattent Assad » et nous devrions donc ignorer leurs erreurs. Je ne suis pas d’accord.Personne n’a demandé cette guerre, c’est Assad qui l’a imposée au pays afin de garder le pouvoir.

Ce qu’il voulait, c’était précisément le type de réaction dont des groupes comme Jabhat al-Nusra  et ISIS (Islamic State of Iraq and al-Shams) sont capables. Il voulait également renforcer sa position aux niveaux international et intérieur en se faisant passer pour le champion de la laïcité.

À y réfléchir, le régime redoutait deux éléments qu’il a voulu éviter à tout prix : le déploiement de manifestations pacifiques dans le pays-parallèlement à un mouvement en faveur d’une société civile-et l’ intervention étrangère-spécifiquement occidentale.

Ces deux options semblent bien lointaines maintenant mais si nous voulons que la tuerie s’arrête, s’arrête véritablement, nous devons les remettre sur la table. Peu importe que l’on me gueule « Irak et impérialisme », c’est une question de survie pour tout le pays.

Assad et ses alliés présentent maintenant au monde des scénarios pour la Syrie, tous deux inacceptables. Soit le pays devient une variante de la Corée du Nord, soit il se transforme en Afghanistan. Pour des raisons évidentes, ces deux options conviendraient à la perfection à l’Iran, au Hezbollah et à Assad.

Mais il y a une mise en garde importante : l’Iran, le Hezbollah et Assad ne peuvent pas imposer leur volonté à la Syrie. C’est ce qu’ils essaient de faire depuis trois ans et ils n’y sont pas arrivés. C’est très important,  même si le prix à payer a été très lourd

Les Syriens peuvent préconiser une troisième option, celle d’un pays qui respecte les droits de ses citoyens et leur donne l’occasion d’améliorer leurs conditions de vie. Pour y arriver, il ne leur est pas nécessaire d’applaudir et d’encourager n’importe quel fou qui tire avec sa kalachnikov contre le régime.

source

traduction : annie bannie

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