Pas maintenant ? François Burgat


 

Je comprends et je respecte la position ceux qui se sentent aujourd’hui beaucoup ou même un peu “Charlie”, quand bien même ils n’étaient plus les lecteurs de ce journal. Depuis qu’il était devenu celui de Philippe Val et de Caroline Fourest, depuis que dans ce “temple de l’irrévérence” (vous savez…le droit sacré de se moquer de tous, quelle que soit leur religion :-)) le grand Siné avait été frappé par une fatwa de licenciement pour “antisémitisme”… nos routes s’étaient radicalement séparées.

Pour dire ma condamnation des assassins, l’identification métaphorique aux victimes m’est néanmoins initialement apparue, à moi aussi, comme parfaitement opportune. J’ai donc un temps envisagé d’”être Charlie”. Mais, ensuite, c’est tout ce que la cohorte de ceux qui s’arrogent l’absolu monopole de la parole de deuil ont jugé bon d’ajouter au sens initial – minimal – de la dénonciation nécessaire d’un crime, qui m’a fait reculer.

L’identification à des victimes par dessus les divergences (avec en fait certaines d’entre elles seulement, pas Cabu !) ne me pose pas de problème. Il en va différemment de l’injonction autoritaire à m’identifier “pour toujours” à un projet éditorial que je combattais bec et ongles. Car …. “Il faut s’abonner à vie à Charlie » exigeait hier F. O. Giesbert, “il faut le tirer à soixante millions d’exemplaires » surenchérissait un de ses comparses. Et bien cela, il n’y a pas de délais pour le dire. La mémoire de Cabu ne peut qu’en être honorée !

Il y a une autre raison pour laquelle, dès aujourd’hui, à l’avant veille d’un grand rassemblement où les tripes risquent une fois encore de marcher à la place des cerveaux, je refuse catégoriquement d’”Etre Charlie” : je ne veux pas cautionner l’ aveuglement mortifère qui nous demande d’entrer dans les coulisses du crime par la seule porte du fanatisme religieux. Je ne veux pas cautionner ce tour de passe passe qui fait que jamais, la moindre trace de la matrice politique pourtant essentielle ( les centaines de tonnes de bombes que nous déversons sur ceux qui nous dérangent) ne trouve place dans l’univers explicatif des maitres de notre parole publique.

“Etre Charlie” ce serait accepter le hold up de mon émotion. « Etre Charlie » ce serait accepter le viol de ma conscience et celui de mon cerveau. La semaine a été suffisamment longue et suffisamment douloureuse pour que je ne veuille pas y rajouter ces épreuves là. Et différer le moment le dire. Au contraire…il y a urgence !

 

Une fois de plus, c’est le préjugé d’ignorance qui vous mène


« Une fois de plus, c’est le préjugé d’ignorance qui vous mène.
C’est à vous, à la France, à toute la France pensante, qu’il faudrait enseigner ce qu’est cette civilisation arabe que vous ignorez et méprisez, ce qu’est cette admirable et ancienne civilisation.

Ce monde musulman que vous méconnaissez tant, messieurs, depuis quelques décennies prend conscience de son unité et de sa dignité. Deux mouvements, deux tendances inverses s’y trouvent : il y a les fanatiques, oui, il y a des fanatiques…Mais il y a les hommes modernes, les hommes nouveaux… Il y a une élite qui dit :l’Islam ne se sauvera qu’en se renouvelant, qu’en interprétant son vieux livre religieux selon un esprit nouveau de liberté, de fraternité, de paix.

Et c’est à l’heure où ce mouvement se dessine que vous fournissez aux fanatiques de l’Islam l’occasion de dire : comment serait-il possible de se réconcilier avec cette Europe brutale ? Avec cette France, qui se dit de justice et de liberté, mais qui n’a contre nous d’autres gestes que les canons et les fusils ?

Oui,messieurs, si les violences auxquelles se livre l’Europe en Afrique achèvent d’exaspérer la fibre blessée des musulmans, si l’Islam un jour répond par un fanatisme farouche et une vaste révolte à l’universelle agression, qui pourra s’étonner ?Qui aura le droit de s’indigner ? »

Jean Jaurès

Ce texte, extraordinaire, est repris du livre « Rallumer tous les soleils. Jaurès ou la nécessité du combat »de Jérôme Pellissier

J’ai découvert ce texte, éberlué, dans une pièce de théâtre interprétée à la Cartoucherie de Vincennes. La pièce doit être jouée aujourd’hui à Montreuil. Ces paroles prophétiques sont réellement de Jean Jaurès, simplement l’auteur m’a indiqué qu’il avait remanié les phrases,trop longues, proustiennes à la façon de l’époque. Tout cela peut être vérifié sur le site www.jaures.eu. Et puis, m’a indiqué l’auteur, Jaurès précise vouloir faire témoignage pour l’avenir. NOUS SOMMES DANS L’ AVENIR DE JAURES. Terrible époque dont il faudrait construire le chemin d’humanité et de fraternité.

Serge Grossvak sur FB

Le 9/01/2015