Lettre à François Hollande (traduction intégrale)


L’historien et écrivain flamand David Van Reybrouck publie ce dimanche sur le site de la VRT (deredactie.be) une lettre ouverte adressée au Président français François Hollande. Il estime que la terminologie « d’acte de guerre » utilisée par le président de la République dans son discours de samedi est particulièrement imprudente.

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Monsieur le Président,
Le choix extraordinairement irréfléchi de la terminologie que vous avez utilisée dans votre discours du samedi après-midi, où vous répétiez qu’il s’agissait d’un « crime de guerre » perpétré par « une armée terroriste » m’a interpellé. Vous avez dit littéralement :
« Ce qui s’est produit hier à Paris et à Saint-Denis près du Stade de France, est un acte de guerre, et face à la guerre, le pays doit prendre les décisions appropriées. C’est un acte de guerre qui a été commis par une armée terroriste, Daesh, une armée de terroristes, contre la France, contre les valeurs que nous défendons partout dans le monde, contre ce que nous sommes, un pays libre qui parle à l’ensemble de la planète. C’est un acte de guerre qui a été préparé, organisé, planifié de l’extérieur et avec des complicités intérieures que l’enquête fera découvrir. C’est un acte de barbarie absolue. »
Si je souscris pleinement à la dernière phrase, force est de constater que le reste de votre discours est la répétition angoissante et presque mot à mot de celui que Bush a tenu devant le Congrès américain peu après les attentats du 11 septembre : « Des ennemis de la liberté ont commis un acte de guerre contre notre pays. »
Les conséquences de ces paroles historiques sont connues. Un chef d’État qui qualifie un événement d’acte de guerre se doit d’y réagir, et de rendre coup pour coup. Cela a conduit Bush à l’invasion de l’Afghanistan, ce qui était encore admissible parce que le régime avait offert asile à Al Qaeda – même l’ONU avait approuvé. A suivi alors l’invasion totalement démente de l’Irak, sans mandat de l’ONU, pour la seule raison que les Etats-Unis soupçonnaient que ce pays détenait des armes de destruction massive. À tort, s’est-il avéré, mais cette invasion a conduit à l’entière déstabilisation de la région, qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui. Le départ des troupes américaines en 2011 a laissé le pays dans une vacance du pouvoir. Et c’est peu après, lorsque dans le sillage du Printemps arabe une guerre civile a éclaté dans le pays voisin, que l’on a pu constater à quel point l’invasion militaire américaine avait été pernicieuse. Dans le nord-ouest de l’Irak déraciné et l’est de la Syrie déchirée, entre l’armée gouvernementale et la Free Syrian Army, assez d’espace s’était manifestement créé pour que se lève un troisième grand acteur : Daesh.

 

Bref, sans l’invasion idiote de Bush en Irak, il n’y aurait jamais été question de Daesh. C’est par millions que nous avons manifesté contre cette guerre en 2003, moi aussi, la désapprobation était universelle. Et nous avions raison. Cela, pas parce que nous étions capables de prédire l’avenir, nous n’étions pas clairvoyants à ce point. Mais nous en sommes pleinement conscients aujourd’hui : ce qui s’est passé dans la nuit du vendredi à Paris est une conséquence indirecte de la rhétorique de guerre que votre collègue Bush a employée en septembre 2001.
Et pourtant, que faites-vous ? Comment réagissez-vous moins de 24 heures après les attentats ? En employant la même terminologie que votre homologue américain de l’époque ! Et sur le même ton, bonté divine !
Vous êtes tombé dans le panneau, et vous l’avez fait les yeux grands ouverts. Vous êtes tombé dans le panneau, Monsieur le Président, parce que vous sentez l’haleine chaude de faucons comme Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen vous brûler la nuque. Et vous avez depuis si longtemps la réputation d’être un faible. Vous êtes tombé dans le panneau. Des élections se préparent en France, elles auront lieu les 6 et 13 décembre, ce ne sont que des élections régionales, mais après ces attentats, elles seront placées sous le signe de la sécurité nationale, à n’en point douter. Vous êtes tombé dans le panneau à pieds joints, parce que vous avez fait mot pour mot ce que les terroristes espéraient de vous : une déclaration de guerre. Vous avez accepté leur invitation au djihad avec enthousiasme. Mais cette réponse, que vous avez voulue ferme, fait courir le risque monstrueux d’accélérer encore la spirale de la violence. Je ne la trouve pas judicieuse.
Vous parlez d’une « armée terroriste ». Pour commencer, rien de tel n’existe. C’est une contradictio in terminis. Une « armée terroriste », c’est un peu comme pratiquer un régime boulimique. Des pays et des groupes peuvent avoir des armées ; s’ils ne parviennent pas à en former, ils peuvent opter pour le terrorisme, c’est-à-dire pour des actions ponctuelles dont l’impact psychologue est maximal au lieu d’un déploiement structurel de forces militaires avec des ambitions géopolitiques.
Mais une armée, dites-vous ? Soyons clairs : jusqu’ici, nous ignorons si les auteurs des faits sont des combattants syriens revenus ou envoyés. Nous ne savons pas si les attentats ont été tramés dans le califat ou dans les banlieues et « quartiers ». Et bien que certains indices laissent supposer qu’il s’agit d’un plan global émanant de la Syrie (la quasi-simultanéité de l’attentat-suicide au Liban et de l’attaque éventuelle d’un avion russe), force est de constater que le communiqué de Daesh est venu bien tard, et qu’il ne contient pas d’autres éléments que ceux qui circulaient déjà sur internet. Ne serait-il pas question de coordination ou de récupération ?
Pour autant que l’on sache, il pourrait s’agir d’individus incontrôlés, sans doute pour la plupart des citoyens français revenus de Syrie : ils y ont appris à manier des armes et des explosifs, s’y sont immergés dans une idéologie totalitaire, cryptothéologique et s’y sont familiarisés aux opérations militaires. Ils sont devenus des monstres, tous tant qu’ils sont, mais ils ne sont pas une armée.
Le communiqué de Daesh glorifiait les « lieux soigneusement choisis » des attentats, vos propres services soulignaient le professionnalisme de leurs auteurs : sur ce point, remarquons que vous parlez la même langue. Mais qu’en est-il, en réalité ? Les trois hommes qui se sont rendus au Stade de France où vous assistiez à un match amical de football contre l’Allemagne semblent plutôt être des amateurs. Ils voulaient sans doute pénétrer dans l’enceinte pour commettre un attentat contre vous, c’est fort possible. Mais celui qui se fait sauter à proximité d’un McDonald et n’entraîne qu’une victime dans la mort est un bien piètre terroriste. Qui ne fait que quatre morts avec trois attentats-suicides, alors qu’un peu plus tard une masse humaine de 80 000 personnes sort de l’enceinte, est un bon à rien. Qui veut décimer le public d’une salle avec quatre complices, mais ne bloque même pas la porte de sortie n’est pas un génie de la stratégie. Qui s’embarque dans une voiture et mitraille des citoyens innocents et sans armes attablés aux terrasses, n’est pas un militaire formé à la tactique, mais un lâche, un enfoiré, un individu totalement dévoyé qui a lié son sort à d’autres individus du même acabit. Une meute de loups solitaires, ça existe aussi.
Votre analyse d’une « armée terroriste » n’est pas probante. Le terme que vous avez employé, « acte de guerre » est extraordinairement tendancieux, même si cette rhétorique belliqueuse a été reprise sans honte aucune par Mark Rutte aux Pays-Bas et Jan Jambon en Belgique. Vos tentatives de calmer la nation menacent la sécurité du monde. Votre recours à un vocabulaire énergique ne signale que la faiblesse.
Il existe d’autres formes de fermeté que celle de la langue de la guerre. Immédiatement après les attentats en Norvège, le premier Stoltenberg a plaidé sans détours pour « plus de démocratie, plus d’ouverture, plus de participation ». Votre discours fait référence à la liberté. Il aurait aussi pu parler des deux autres valeurs de la République française : l’égalité et la fraternité. Il me semble que nous en avons plus besoin en ce moment que de votre douteuse rhétorique de guerre.
Traduction française réalisée par Monique Nagielkopf

Solidarité avec Molenbeek


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Nous sommes dimanche 15 novembre, je dois rentrer mon article pour Points critiques, le mensuel de l’UPJB,. Mais comment écrire sur quelque sujet que ce soit aujourd’hui sans être hanté par les victimes (129 morts et plus de 300 blessés dont certains pourraient ne pas survivre) de l’atroce massacre perpétré à Paris deux jours plutôt par des fous d’on ne sait quel Dieu ? Hanté et aussi effrayé par les conséquences que ce massacre pourrait avoir sur nos sociétés.

Première conséquence : la découverte sur les lieux d’un passeport syrien enregistré en Grèce au nom d’un candidat à l’asile. Voilà qui va apporter de l’eau au moulin de l’extrême droite qui avait «prédit» l’arrivée de «dizaines de milliers» de djihadistes» sur le territoire français, une extrême droite qui sera suivie par tous ceux qui sont opposés à l’accueil des demandeurs d’asile. Dorénavant, tout candidat à l’asile sera soupçonné d’être un terroriste en puissance. En France, mais aussi chez nous et dans toute l’Europe. Voilà qui va sensiblement compliquer la tâche des mouvements de solidarité.

Seconde conséquence : Molenbeek à nouveau dans l’œil du cyclone. On y a en effet procédé à l’interpellation de plusieurs personnes qui pourraient être liées au massacre de Paris. Et, pas rassurant pour un sou, notre ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, s’est empressé de déclarer qu’il allait s’«occuper personnellement de Molenbeek» ! Généralement, lorsque quelqu’un dit qu’il va s’occuper personnellement de telle ou telle question, ça annonce la castagne. Désormais, tout Molenbeekois un tant soit peu basané sera considéré comme étant susceptible de fomenter un attentat. Pas de quoi favoriser le vivre ensemble. Comme le disait une femme interviewée par la RTBF, «nous sommes les victimes collatérales» des événements de Paris.

Et de fait, Le samedi 14, nous étions en compagnie d’Éléonore et d’Eitan Bronstein, deux militants invités par l’UPJB qui venaient faire entendre une autre voix israélienne au Centre culturel maritime de Molenbeek. Il devait y avoir du monde, mais il n’y en avait que fort peu parce que la radio annonçait déjà des interpellations et des perquisitions dans la commune et il y avait très peu de monde aussi dans les rues pour un samedi. Après un moment d’accalmie, les Molenbeekois ont à nouveau peur.

Toutes nos condoléances aux familles des victimes de Paris et toute notre solidarité avec la population d’origine immigrée de Molenbeek.

Dominique de Villepin: « Se dire en guerre, c’est faire le jeu de l’ennemi »


RÉDACTION EN LIGNE Publié le dimanche 15 novembre 2015 à 20h20 – Mis à jour le dimanche 15 novembre 2015 à 20h28

INTERNATIONALC’est une archive de septembre 2014 qui resurgit dans une actualité brûlante: en septembre dernier, l’ancien Premier ministre français Dominique de Villepin était l’invité de « Ce soir ou jamais » sur France 2. L’occasion pour celui qui était Ministre des Affaires étrangères à l’époque de la guerre en Irak de livrer un autre regard sur la guerre contre le terrorisme.

Cette intervention de M. de Villepin, qualifiée de « 6 minutes d’intelligence et de lucidité » par la personne qui a posté l’extrait sur le site DailyMotion, est largement partagée sur les réseaux sociaux ce dimanche soir (voir la vidéo ci-dessous).

« La guerre contre le terrorisme ne peut pas être gagnée », affirmait-il à l’époque face à Frédéric Taddeï. « L’échec est annoncé. Le terrorisme est une main invisible, mutante, opportuniste. On ne se bat pas contre une main invisible avec les armes de la guerre. Il faut être capable d’employer la force de l’esprit, la ruse, les moyens de la paix pour désolidariser des forces qui s’agglutinent autour de ces forces terroristes. »

Des paroles qui s’opposent à la rhétorique guerrière employée par François Hollande au lendemain des attentats du 13 novembre. « C’est un acte de guerre qui a été commis par une armée terroriste », disait alors le président de la République française.

En 2014, Domique de Villepin ajoutait: « Il faut une stratégie et une vision politique, une capacité à penser l’action très au-delà des bombes Tout ce que nous savons de ce type de guerre depuis l’Afghanistan a conduit à l’échec. »

« Une guerre ce sont deux Etats et deux armées qui se confrontent »

Ce 15 novembre, l’ancien ministre a confirmé ses propos dans Le Grand Jury RTL LCI Le Figaro. « Se dire en guerre, c’est faire le jeu de l’ennemi », estime-t-il. « Une guerre ce sont deux Etats et deux armées qui se confrontent. Ici nous avons des groupes fanatiques, une mafia […] Ils veulent nous diviser. ils veulent pousser notre pays à une sorte de guerre civile en engageant des représailles contre des membres de la communauté musulmane. »

Lettre ouverte à François Hollande : « Vous êtes tombé dans le piège, Monsieur le Président »


Belga
dim. 15/11/2015 – 12:47 David Van Reybrouck (traduction Eric Steffens)L’historien et écrivain flamand David Van Reybrouck publie ce dimanche sur le site de la VRT (deredactie.be) une lettre ouverte adressée au Président français François Hollande. Il estime que la terminologie « d’acte de guerre » utilisée par le président de la République dans son discours de samedi est particulièrement imprudente.

« Ce qui s’est produit hier à Paris et à Saint-Denis près du Stade de France est un acte de guerre et face à la guerre, le pays doit prendre les décisions appropriées. C’est un acte de guerre qui a été commis par une armée terroriste, Daech, une armée djihadiste, contre la France, contre les valeurs que nous défendons partout dans le monde, contre ce que nous sommes : un pays libre qui parle à l’ensemble de la planète. Un acte de guerre préparé, planifié, depuis l’extérieur avec des complicités intérieures. Un acte de barbarie absolue » a déclaré le Président Hollande.

Dans sa lettre ouverte, David Van Reybrouck écrit partager entièrement la dernière phrase du président mais que le reste de son discours est la répétition presque mot pour mot de ce que le président américain G.W. Bush déclarait peu après les attentats du 11 septembre devant le Congrès : « Le 11 septembre, les ennemis de la liberté ont commis un acte de guerre contre notre pays ».

Les conséquences de ces paroles sont connues. Celui qui en tant que chef d’Etat qualifie un événement d’acte de guerre doit avoir une réaction en conséquence. Cela a conduit à l’invasion de l’Afghanistan, ce qui peut encore être justifié puisque ce régime avait donné asile au mouvement Al Qaïda et que l’ONU avait donné son accord. Mais ensuite ce fut l’invasion complètement folle de l’Irak, sans mandat de l’ONU, simplement parce que les Etats-Unis soupçonnaient ce pays de posséder des armes de destruction massive. Mais il n’y en avait pas, et cette invasion a conduit à une totale déstabilisation de la région, aujourd’hui encore. Après le départ des troupes américaines en 2011, il y eut un vide de pouvoir.

Et lorsqu’éclata quelque temps après une guerre civile dans la Syrie voisine, dans le sillage du Printemps arabe, on s’est rendu compte à quel point l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis avait été néfaste. Au Nord-Ouest de l’Irak et à l’Est de la Syrie, il y avait à présent assez d’espace pour la création d’un troisième acteur sur le terrain, l’Etat Islamique, l’IS.

« En résumé, sans la stupide invasion de l’Irak par Georges Bush, il n’y aurait jamais eu d’Etat islamique. Nous étions des millions dans le monde à manifester contre cette invasion, j’y étais aussi », écrit David Van Reybrouck, et nous avions tout simplement raison. Non pas que nous pouvions lire l’avenir. Mais à présent c’est clair : ce qui s’est passé vendredi soir à Paris est une conséquence indirecte de la rhétorique guerrière de votre collègue Georges Bush en septembre 2001.

Et que faites-vous de votre côté ? Comment réagissez-vous moins de 24 heures après les attentats de Paris ? En utilisant exactement la même terminologie que votre homologue américain de l’époque.

Vous êtes tombé dans le piège, les yeux grands ouverts, Monsieur le Président, parce que des élections se profilent, en France, et que vous sentez dans votre cou le souffle de Nicolas Sarkozy et de Marine Le Pen. (…)

Votre analyse d’une armée terroriste n’est pas correcte. Le terme que vous utilisez d’acte de guerre est particulièrement tendancieux, même si cette rhétorique guerrière est reprise de manière éhontée par Mark Rutte aux Pays-Bas, et par Jan Jambon en Belgique.

Dans votre tentative d’apaiser la nation, vous rendez le monde moins sûr. Dans votre tentative d’utiliser un langage belliqueux, vous avez montré votre faiblesse. Il y a d’autres formes de fermeté que le langage guerrier. Après les attentats en Norvège, le Premier ministre Stoltenberg avait appelé à plus de démocratie, à une plus grande ouverture et plus de participation. Dans votre discours vous avez cité la liberté. Vous auriez dû aussi faire référence aux deux autres valeurs défendues par la République : l’égalité et la fraternité. Deux valeurs dont nous avons plus besoin en ce moment que de votre inquiétante rhétorique guerrière ».

David Van Reybrouck est l’auteur de « Congo, une histoire » chez Actes Sud, pour lequel il a obtenu le Prix Médicis Essai 2012.

Retrouvez ici l’intégralité de la lettre ouverte de David Van Reybrouck (en néerlandais)