Crime au commissariat d’Al Hoceima : la police marocaine tente de falsifier l’acte de décès de la victime


28/05/2014 – 17:06

 

AL HOCEIMA (SIWEL) — Hier 27 mai, entre 3 et 6 H du matin, la police marocaine dans la localité rifaine d’Al-Hoceima a arrêté puis torturé à mort, à l’intérieur du commissariat central, Karim LACHQER, militant syndicaliste rifain de gauche. La victime a été arrêtée aux environs de 3 h du matin, à l’entrée de la ville d’Al Hoceima, avant d’être conduite au commissariat de police où il sera torturé puis assassiné. Quelques heures plus tard, le corps de la victime est conduit à l’Hôpital où la police tente de faire pression sur les médecins pour signer un certificat de décès préétabli et falsifié, attestant que la victime était morte après son arrivée à l’Hôpital. Les médecins légistes qui ont reçu le corps de la victime sans vie ont refusé de signer le l’acte de décès falsifié


La victime, Karim ACHRAQ, ancien militant de gauche, était membre du syndicat des pêcheurs d’Al-Hoceima. Il était connu dans les milieux amazighs et rifains pour son intégrité et son engagement en faveur des droits économiques et sociaux des siens.( PH/DR)

La victime, Karim ACHRAQ, ancien militant de gauche, était membre du syndicat des pêcheurs d’Al-Hoceima. Il était connu dans les milieux amazighs et rifains pour son intégrité et son engagement en faveur des droits économiques et sociaux des siens.( PH/DR)
Selon la famille de la victime, la police de contrôle marocaine a arrêté Karim LACHQER à l’entrée de la ville d’Al Hoceima avec deux de ses amis qui étaient dans une voiture pour un contrôle de circulation routière. La victime a été conduite par la police au commissariat central d’Al Hoceima aux environ de 4 H du matin et deux heures plus tard, vers 6h, la famille reçoit la mauvaise nouvelle du décès de leur fils.Alors que le corps de la victime était transférée du commissariat à l’hôpital, un des compagnons qui était avec lui et qui est un de ses amis proche, «Mustafa ABERKAN » aurait « disparu », selon la famille de la victime et selon les sources de la société civile.

Une source hospitalière de l’Hôpital provincial M.V a indiqué que la police d’Al Hoceima a tenté de faire pression sur les médecins qui ont pris en charge le corps de Karim LACHQAR pour qu’ils signent un certificat de décès préétabli, certifiant que la victime était vivante à son arrivée à l’Hôpital et que sa mort était survenue dans l’enceinte de l’hôpital. La même source a indiqué que les autorités médicales de l’hôpital ont refusé de signer le certificat de décès préétabli, ces dernières ayant reçu un corps sans vie.

C’est dans ce contexte que la police d’Al-Hoceima a rendu public un communiqué pour donner une version totalement ahurissante des faits qui a été reprise, sans complexe, par la presse du makhzen, dont Hespress.com et Goud.ma. Ainsi selon la police du makhzen, la victime a été arrêtée à un contrôle de routine à l’entrée de la ville, à bord d’un véhicule où se trouvaient 3 personnes qui étaient toutes « ivres ». N’ayant pas de papiers sur lui, et pour éviter d’être contrôlé, Karim LACHQER a ouvert la porte du véhicule et a pris la fuite. Il était tellement ivre qu’il a trébuché et qu’il est tombé en se cognant la tête sur un objet contendant. C’est n’est qu’après cela qu’il a été arrêté, puis transféré au commissariat de police où il a été identifié avant d’être transporté par ambulance à l’hôpital où la victime est décédée alors qu’il était dans le coma.

 

Au nom de mon frère Ali Aarrass


« Au nom de mon frère Ali Aarrass », témoignage de Farida Aarrass à la tournée d’Amnesty International en Espagne (12-23 mai 2014)

Farida Amnesty tour 2(partie n°1) Je m’appelle Farida Aarrass et je vais vous raconter ce qui est arrivé à mon frère Ali Aarrass. Ce dont il a été victime. Vous en déduirez vous même, j’en suis sûre, que cela aurait pu très bien arriver à n’importe lequel d’entre vous. Aujourd’hui cela fait 6 ans qu’il est en détention arbitraire.

 

Belgique : Ali Aarrass est un citoyen belgo marocain né dans la petite enclave espagnole, Melilla, le 4 mars 1962. Il y a vécu 15 ans et est ensuite allé rejoindre ma mère qui travaillait en Belgique où il a vécu 28 ans. C’est a partir de 15 ans que Ali a commencé a travailler. Comme ouvrier, comme désosseur de viande dans une entreprise flamande … et plus tard en tant que marchand ambulant pour terminer comme indépendant dans une librairie, papeterie où il vendait aussi des ordinateurs et du matériel informatique . Ali avait sacrifié son droit aux études pour se mettre directement au travail afin de soulager ma mère qui avait à l’époque sous sa responsabilité non seulement nous ses trois enfants, mais également celle de ma grand mère, ma tante (sa jeune sœur) et ses deux enfants. Ils vivaient à Melilla et ma mère leur envoyait un mandat chaque mois. Durant ces 28 ans Ali en tant qu’indépendant a toujours payé ses contributions comme tout citoyen honnête. En 1993 il fait son service militaire à Liège. Il n’a jamais eu aucun antécédent juridique, son casier judiciaire est vierge que ce soit en Belgique, Espagne et quant au Maroc il n’y avait jamais vécu.

 

Melilla : En 2005 Ali et son épouse décident d’aller s’installer à Melilla, ville où nous sommes nés, où mon père y a toujours vécu et avec qui Ali maintient une excellente relation. En plus le climat semble convenir totalement à Ali qui souffre de problèmes d’allergie tels qu’ils lui provoquent de gros soucis au niveau respiratoire. Ali aime beaucoup l’ambiance melillense. Il y ouvre une cafétéria qu’il a géré pendant un an… Le lieu n’était pas vraiment bien choisi stratégiquement parlant et donc le négoce n’avait pas trop marché. Cependant et alors que Ali vient d’avoir une petite fille, Amina, et qu’il vit les plus beaux moments de sa vie, le 3 novembre 2006, la garde civil espagnole se présente à son domicile et procède à sa détention. Ali est envoyé à Madrid où il fut interrogé durant trois jours. À l’issu de cet interrogatoire, il est libéré de manière provisoire sous une caution de 24000 €, mais Ali est à partir de ce moment là sommé et en obligation de résider en Espagne, de prouver sa présence sur le territoire espagnol via un contrôle d’identité hebdomadaire au Tribunal. Ali se soumet sans aucun inconvénient à cette exigence car il n’a rien a se reprocher.

 

Madrid : Il en sera ainsi jusqu’au 1er avril 2008, date à laquelle la garde civil espagnole vient l’appréhender à son lieu de travail, avec l’ordre de l’amener de nouveau à Madrid. Il résulte que le Maroc (pays dans lequel Ali n’a jamais vécu) exige à l’Espagne sa mise en détention afin qu’il soit extradé. Le Maroc le soupçonne de terrorisme et plus précisément de trafic d’armes sans aucune preuve.Farida amnesty tour 4 L’Espagne nous informe que l’arrestation est provisoire, pour une durée de 40 jours en attendant que le Maroc leur soumette les preuves nécessaires pour justifier son arrestation. Cela ne sera jamais le cas. Le Maroc n’enverra jamais aucune preuve à l’Espagne et cette période dite de détention provisoire fut très largement dépassée puisqu’il a été gardé en détention jusqu’au 14 décembre 2010 en Espagne, date à laquelle il fut extradé au Maroc. Aucune explication ne nous est jamais donnée en ce qui concerne cet état de fait, mais nous comprenons assez vite que ces agissements se font avec une facilité déconcertante, sous l’emprise et influence de la soi disant lutte contre le terrorisme. Tous les coups sont permis et même les états dits de droits se permettent et commettent l’inadmissible.

 

En mars 2009 nous apprenions pourtant que le juge Baltasar Garzón Real qui était magistrat instructeur de l’Audiencia Nacional d’Espagne, l’une des plus hautes instances juridictionnelles d’Espagne. Connu à l’étranger pour ses enquêtes sur des affaires de terrorisme, de corruption et sur des crimes commis en Argentine et au Chili par les dictatures, avait prononcé un non lieu après qu’il ait ordonné une enquête qui a duré près de trois ans. Cette enquête fut assidument menée de 2005 à mars 2009. Absolument rien n’a pu être mis a charge d’Ali. Nous pensions que Ali serait alors mis en liberté, mais il en fut autrement. Au mois de novembre 2010, le Haut Commissariat de l’ONU avait demandé aux autorités espagnoles de suspendre l’extradition pour gros risque de torture, mais cet appel ne fut entendu ou totalement ignoré et Ali d’être malheureusement extradé. Les responsables s’étaient contenté d’établir un compromis formé de garanties formulées par le Maroc. Ce compromis garantissait qu’Ali ne serait ni condamné à mort ni condamné à perpétuité, mais absolument rien au sujet de la fort probable torture… L’Espagne qui a pourtant ratifié les conventions des droits de l’homme et entre autre l’article 3, ne s’est jamais préoccupé du sort qui attendait Ali.. cela malgré les multiples appels d’Amnesty International Espagne et autres instances, avocats, comités de soutien et famille.

 

Détention à Madrid, Badajoz et Algeciras : C’est ainsi qu’après deux ans et huit mois de détention complètement arbitraire en Espagne, dans différents Centres Pénitenciers, sous très haute sécurité, en isolation sensorielle, temporelle et interdit de tout contact humain Ali va vivre un terrible et horrible calvaire avant qu’il ne soit envoyé tel une marchandise à ses bourreaux marocains. Pendant tout ce temps il sera transféré de Madrid à Badajoz, puis à Algeciras pour ensuite être ramené à Madrid d’où il fut extradé. J’ouvre une parenthèse car il est très important de connaître ne fut ce qu’une partie de ce qu’Ali à enduré en Espagne. Ali était de manière permanente seul ! La cellule ne laissait passer aucun bruit ni aucune lumière naturelle, de façon à ce qu’il perde toute notion du temps, du jour, de l’heure… Il n’avait pas de montre. Son régime était l’isolement 23h sur 24h, mais il avait du renoncer très vite à l’heure de sortie à la cour car s’il choisissait d’y aller, au retour il devait être fouillé et ces fouilles s’avéraient être des plus humiliantes, accompagnées de propos racistes et d’insultes.

 

Finalement l’isolement était de 24h/24h puisque de toutes manières dans la cour il devait s’y retrouver tout seul. Non seulement il y était seul mais en plus cette petite cour ne permettait même pas d’observer le ciel. La seule visite, seul contact en deux ans et huit mois et demi : Farida Amnesty tour 1Je me rappelle de la seule visite que j’ai pu rendre à mon frère, au Centre pénitencier d’Algeciras, en juillet 2009. C’était vraiment pénible. Cela ne faisait pas longtemps qu’il avait arrêté une deuxième grève de la faim pour dénoncer cette énorme injustice et il avait donc perdu beaucoup de poids. Ali n’était plus du tout le même homme physiquement. Il avait toujours été très grand et costaud…là il était fort maigri et très fragilisé. En deux ans et huit mois je ne l’avais jamais eu au téléphone. Il lui était interdit d’avoir des contacts en dehors de son avocat, qui n’a pas pu non plus aller le voir souvent.

 

Ce fut lors de la toute première visite que l’avocat avait rendu à Ali qu’il réalisa qu’il n’avait plus de voix et cela parce qu’il ne parlait à personne. Sa voix s’était estompée … Il a du par la suite faire preuve de force et développer des capacités afin de ne pas sombrer dans la folie. Ali se parlait à lui même … Il touchait son corps pour réaliser qu’il était bien vivant… Aussi il fit deux grèves de la faim qui durèrent deux mois et la seconde il avait été contraint d’y mettre un terme car il fit une chute et une crise d’épilepsie… Il se fractura un doigt en tombant. Il clamait son innocence depuis le début … En vain. Alors que de notre cotė la famille, les avocats et les personnes qui le soutiennent tentaient aussi toutes les démarches possibles et imaginables pour le faire sortir de la, les autorités espagnoles et plus précisément le Conseil des Ministres espagnol ainsi que l’audience espagnole formée de juges, vont prendre la terrible et injuste décision le 19 novembre 2010, de permettre son extradition. Ali en apprenant la très mauvaise nouvelle entame une troisième grève de la faim pour contester la décision, mais il sera quand même envoyé à la torture malgré son état fragile. Une infirmière de la Croix Rouge espagnole va lui faire une injection pour le calmer et on le pousse à s’asseoir dans un petit avion de transport de caisses de poissons.

 

Maroc – Centre secret Temara : Une fois arrivé à l’aéroport au Maroc, il est jeté dans une voiture où des personnes commencent à le passer à tabac durant le trajet vers le Centre secret de torture de Temara. Il s’agit d’un endroit où les pires atrocités se pratiquent dans les sous sol. Ali y est resté 12 jours et 12 nuits en garde à vue, et a été sauvagement torturé. Pendu avec une grosse corde par les poignets au plafond des longues et interminables heures. 16 gardes le tabassaient avec des bâtons partout sur le corps… Ils le relâchaient et le frappaient ensuite sur les mains où le sang s’y trouvait concentré après tant d’heures … Le même procédé après l’avoir pendu par les pieds… Ils le pendaient aussi par les mains et les pieds au même temps..

 

Pendant toute la durée qu’on le pendait les coups étaient interminables. Le groupe de tortionnaires se relaie régulièrement. Des multiples tentatives de noyade, on le réanimait afin de remettre ça … On l’a soumis à des décharges électriques dans ses parties intimes et dans ses lobes… On applique pour ça des pinces dans les bourses et dans les lobes des oreilles. Brûlures de cigarettes sur les parties intimes également. Menaces de mort une arme à la tempe. Injections de produits étranges dans les veines qui très rapidement provoquaient un effet horrible, comme si la tête et tout le corps allaient exploser. Ali a été également violé à l’aide de bouteilles à plusieurs reprises, si sauvagement que cela provoqua des déchirures à l’anus.

 

On lui a également fracassé des bouteilles de verre contre la bouche, Ali a ainsi perdu 5 dents, les incisives inférieures et une canine qui se sont complètement déchaussées. Les coups portés à la tête furent d’une telle violence qu’on lui avait détruit l’ouïe… Cette ouïe à beaucoup saigné et du pus en sortait. Ali n’a jamais reçu à manger durant ces 12 jours, juste de toutes petites quantités d’eau. La violence dont ils ont fait preuve était accompagnée d’insultes, humiliations, moqueries … Ces crapules n’ont pas eu assez de violenter Ali et alors qu’on lui présentait des photos et des noms et qu’on lui demandait de reconnaître l’une où l’autre personne tout le long, en voyant qu’il refusait de signaler personne on le menaça de ramener sa petite fille et de la violer devant lui… Ali parapha à ce moment la tout ce qu’on lui dit de signer. Ali a enduré l’innommable et il n’est point le seul. Il entendait d’autres personnes se faire torturer, les cris et les pleurs lui parvenaient et Ali raconte en pleurant que c’est horrible, que ces gens la ne sont pas des êtres humains.

 

Procureur et juge d’instruction : Après tous ces traitements il fut amené devant un procureur et le lendemain devant le juge d’instruction… Ce fut très étrange car à aucun moment ils ne lui dirent de qui il s’agissait et Ali avait cru que ces deux magistrats étaient les chefs des tortionnaires. Comme Ali ne tenait pas debout et se trouvait dans un état pitoyable, le juge avait reporté son entrevue du 26 décembre 2010 jour où il le recevait, au 18 janvier 2011. Ali déduira de ces entrevues que même les magistrats sont complices de toutes ces horreurs.

 

Prison de Salé II : Ali est amené à la prison deSalé II dans l’état que vous pouvez deviner… Sur place règne une forme d’entente avec le corps des polices qui torturent. Les chefs de détention, fonctionnaires et gardes, prennent la relève et après avoir enregistré Ali le jètent dans un cachot grillagé où la suite des mauvais traitements se poursuivent. Pas de visite médicale pas de compassion, aucune pitié … Il est méprisé et insulté régulièrement … La nourriture est abjecte mais il la mange pour reprendre des forces. Il sait qu’il ne peut et ne doit compter sur personne. Ali va passer de longues semaines avant de récupérer un peu et aussitôt qu’il le peut il dit à l’avocat marocain lors de l’une de ses rares visites qu’il souhaite déposer plainte pour torture et mauvais traitements. Je suis aujourd’hui convaincue que les avocats au Maroc, pour très sincères et justes qu’ils soient, ils jouissent d’une marge d’action fort limitée. Le danger les guettant également. Stop torture I am Ali AarrassLes plaintes sont totalement ignorées. Elles avaient été envoyées à cinq différentes instances dont le ministère de la justice marocain, sans aucun succès. Aucune enquête ne sera menée pour s’assurer qu’en effet il y eut torture. Ali sera soumis dans cette prison à des conditions inhumaines et cela durant pas mal de temps. Il se rend compte que tout peut s’obtenir avec l’argent mais étant solidement accroché à ses principes il va s’y refuser catégoriquement a toutes sortes de propositions en vue de gagner en privilèges, ou en vue d’améliorer ses conditions de détention. Il est si intègre que cela va jusqu’à provoquer la haine des agents pénitenciers qui comptent sur la corruption pour se faire du fric…  Farida Aarrass SIGNEZ l’appel du 25 mai pour la libération immédiate d’Ali Aarrass :cliquez ICI

 

Les sidérants déboires du meilleur spécialiste du Maroc


Un journaliste espagnol compétent qui se voit retirer la couverture du dossier, le Maroc, dont il est sans doute le plus grand spécialiste au monde: une affaire atypique où se cachent sous couvert de «terrorisme» de sournoises influences politiques…

Une information sidérante. Voilà comment on a envie de commenter la mésaventure subie par notre confrère espagnol Ignacio Cembrero au sein de la rédaction du quotidien El Pais. Cet éminent spécialiste du Maroc s’est vu retirer brutalement en février la couverture de ce dossier qu’il couvrait depuis une vingtaine d’années. Il est dorénavant rattaché à l’équipe du dimanche au journal. Mais pourquoi ? La direction du journal répond de manière laconique qu’il s’agit d’«une décision interne» qu’elle n’a pas à commenter, «un changement normal, pas étrange».

Vraiment? C’est se moquer du monde. Le contexte de l’affaire suggère en effet plutôt des explications d’ordre politique: El Pais aurait en l’occurrence retiré la couverture marocaine à Cembrero à la suite de la plainte, bien établie celle-là, du gouvernement du Maroc contre le directeur d’El Pais et contre ce journaliste. La plainte a été déposée le 20 décembre dernier à Madrid pour la diffusion sur le site internet du quotidien – en fait sur le blog de Cembrero, «Orilla Sur» – d’une vidéo intitulée «Maroc, Royaume de corruption et de despotisme». Le parquet espagnol précise que la plainte se réfère au titre du deuxième paragraphe de l’article 579.1 du code pénal espagnol relatif au délit «d’apologie du terrorisme». Diantre!

Cette vidéo a en réalité déjà fait couler beaucoup d’encre. Elle a été en effet postée le 12 septembre 2013 sur internet par Al-Andalous, un site proche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Comme l’explique le remuant site marocain, Demainonline, dans cette vidéo d’une quarantaine de minutes, «Aqmi reprend une série d’informations publiées par des médias relatives à la corruption du régime marocain, de la monarchie et de son entourage en particulier, avant d’appeler les jeunes musulmans marocains au djihad contre le régime».

A l’époque, Ali Anouzla, le directeur de la partie arabe d’un journal en ligne marocain, Lakome, également connu pour son indépendance et son esprit critique, avait parlé de cette vidéo dans un article qui donnait en hyperlien un article du blog d’Ignacio Cembrero, sur le site d’El Pais, lequel article donnait en hyperlien la fameuse vidéo des terroristes d’Aqmi.

Anouzla et Lakome ont payé cher ce papier. Le site a été fermé d’autorité et le journaliste a été emprisonné pendant cinq semaines puis libéré, son procès pour «assistance matérielle au terrorisme», «apologie du terrorisme» et «incitation à l’exécution d’actes terroriste» aura en principe lieu le 20 mai. Il risque gros et se tait dans toutes les langues depuis lors.

Curieusement, alors qu’Anouzla n’avait fait que renvoyer au blog de Cembrero, son confrère Aboubakr Jamaï, directeur de la partie francophone de Lakome, n’a jamais été poursuivi par la justice de son pays alors qu’il a fait pire, de son côté, puisqu’il a mis directement la vidéo controversée en hyperlien internet dans un article consacré au sujet.

Ajoutons que Cembrero, Anouzla et Jamaï, quand ils ont parlé de la vidéo d’Aqmi, ont tous trois bien précisé qu’il s’agissait d’une vidéo de propagande.

Alors pourquoi le gouvernement marocain attaque-t-il El Pais et à Cembrero (et pas à d’autres sites dans le monde spécialisés dans les affaires de terrorisme et qui reprennent la vidéo litigieuse)? Seule explication plausible: parce que Cembrero n’est pas un journaliste comme les autres. «C’est le meilleur spécialiste du Maroc dans le monde !, s’exclame Ali Lmrabet, notre confrère marocain qui a lancé Demainonline, contacté à Tétouan. C’est un véritable puits d’informations sur mon pays, il ne rate jamais une info et il en sait bien plus que nous les Marocains car lui jouit – faut-il dire «jouissait?» – de la liberté de la presse dans son pays. Il n’empêche, je n’en reviens pas qu’El Pais ait cédé aux pressions et lui ait retiré la couverture du Maroc. »

On peut comprendre l’hostilité qu’Ignacio Cembrero suscite en haut lieu à Rabat. C’est lui, par exemple, qui a éventé l’information l’été dernier, de la libération et du transfert vers l’Espagne du pédophile espagnol Daniel Galvan, condamné au Maroc à 30 ans de prison pour le viol de onze enfants. Il avait bénéficié d’une grâce royale, une bourde monumentale qui avait indigné tous les Marocains et obligé le palais à faire – trop tard – machine arrière. Cette affaire porte désormais le nom de «Danielgate».

Expliquer l’inimitié du régime marocain pour un journaliste de cette trempe est donc chose aisée. Ce qui l’est bien moins, c’est de trouver une explication au sort funeste subi par ledit journaliste au sein même de sa rédaction. Contacté par Le Monde cette semaine, Ignacio Cembrero n’a pas souhaité réagir. Mais, dès le 22 février, Demainonline, qui avait révélé ses ennuis à El Pais, lançait des pistes: «Apparemment, le Makhzen – le pouvoir marocain, NDLR – a réussi à convaincre les principaux dirigeants du journal, surtout Juan Luis Cebrian, le président de Prisa, la maison mère du journal, qui se trouve être un ami personnel de Felipe Gonzalez, l’ancien président du gouvernement espagnol devenu cette dernière décennie le plus efficace lobbyiste du Maroc en Espagne.» Filipe Gonzalez est un membre éminent du parti socialiste espagnol bien en cour à Rabat et El Pais un journal de gauche.

Le Monde a diffusé ce 18 mars un extrait d’une lettre qu’Ignacio Cembrero a adressée à ses amis marocains, dans laquelle il les remercie pour «toutes les infos, les impressions et les réflexions, émaillées de thé ou de couscous, que vous m’avez transmises tout au long de ces années et qui m’ont tant aidé à faire mon boulot de journaliste».

Le journaliste a été sanctionné par sa direction mais il n’est pas encore condamné en justice. «L’Audience nationale (parquet général) étudie la plainte marocaine, constate Ali Lmrabet, mais elle n’a pas encore décidé si elle poursuivra le journal et le journaliste. Et même si c’était le cas, rien ne dit que la justice espagnole les condamnera.»

BAUDOUIN LOOS

ADDENDUM du 3 mai 2014

Ignacio Cembrero a finalement quitté El Pais. Il a diffusé ce communiqué le 3 mai 2014: “Après plus de trois décennies de travail à El Pais je quitte le journal suite à des désaccords avec la direction. Je n’ai pas été soutenu par la direction depuis que le premier ministre du Maroc a porté en Espagne plainte contre moi pour apologie du terrorisme. La plainte sera probablement classée sous peu.” Il y a ajouté une revue de presse qui débute par l’article de ce blog ci-dessus.

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En Belgique, Rabat veut contrôler


Et voici un copié collé de l’article signé Baudouin Loos : »En Belgique, Rabat veut contrôler » (Le Soir du 22 février 2014)
Bonne lecture.

« Rabat veut contrôler

Comment contrôler l’immigration? Cette question s’est posée au Maroc dès les années 1960 et le roi Hassan II, à l’époque, n’a pas hésité à investir dans cette tâche. Objectif: maintenir les immigrés dans le giron de son pouvoir, les détourner de la politique et, si possible, faire taire par l’intimidation les opposants exilés.

Ecoutons Mustapha Halla, de Charleroi, un ancien prisonnier politique: «A l’époque, le Maroc envoie, dans toutes les nations où résident des immigrés marocains, des sortes de milices privées nommées les Amicales. Celles-ci ont pour mission d’empêcher leurs congénères de participer à toute forme d’organisation syndicale ou autre organisation de la société civile ainsi que de se faire naturaliser. Ces milices sont actives à partir des années 60 jusque dans les années 90. Ceci n’a évidemment pas favorisé l’intégration, que du contraire. Cette même stratégie se poursuit actuellement par le biais des mosquées.»

Le royaume chérifien ne lésine pas sur les moyens et on sait que des éléments de la Direction générale des études et de la documentation (DGED, soit les services de renseignement) sont également mis à contribution quand la sécurité du royaume est jugée en cause. La Belgique avait demandé en 2008 le renvoi au Maroc de trois agents du DGED en raison de leur «ingérence» et autres «activités hostiles»…

Certaines mauvaises langues vont jusqu’à affirmer que les dossiers qui ont abouti au Maroc aux lourdes condamnations pour terrorisme de deux Belgo-Marocains, Abdelkader Belliraj (perpétuité en 2008) et Ali Aarrass (12 ans en 2011), n’avaient d’autres raisons que de justifier aux yeux des Belges les activités policières marocaines en dehors du territoire national. Ces allégations ne peuvent être prouvées, mais les deux enquêtes fondant ces procès et verdicts au Maroc ont attiré la suspicion, les deux hommes ayant notamment affirmé avoir été torturés…

Amicales, peu amicales, mosquées sous influence, espions zélés: faut-il s’étonner, dans ces conditions, qu’une certaine peur continue à régner chez les Belges de souche marocaine? «La plupart des Marocains de Belgique, explique Radouane el-Baroudi, caméraman-réalisateur et fils d’un opposant notoire décédé en exil en Belgique en 2007, sont issus de couches immigrées peu éduquées, souvent analphabètes à l’arrivée ici. Chez eux, la peur subsiste en Belgique encore maintenant. Dans la communauté marocaine, on ne cause pas de politique. On peut parler d’omertà. La peur est dans le code génétique des Marocains de Belgique depuis Hassan II.»

Il faut dire que les méthodes, même encore maintenant, peuvent faire réfléchir. «Moi je fais un travail d’archivage de témoignages sur vidéo, poursuit Radouane el-Baroudi. Par exemple, j’ai interrogé les frères Boureqat, victimes du terrible bagne de Tazmamart dans les années 70. Eh bien! on me conseille de me calmer. Ou on passe tout simplement aux menaces: sur YouTube en avril 2011, il y a eu diffusion de mon nom, mon adresse, mon téléphone avec ce commentaire: Ce traître veut semer la zizanie au Maroc. J’ai porté plainte et la police a pris l’affaire très au sérieux. Il y a quand même eu l’agression en 2010 en plein boulevard Lemonnier à Bruxelles d’Ahmed Marzouki, autre rescapé de Tazmamart…»

Le comédien et metteur en scène Sam Touzani abonde dans ce sens. Il se souvient par exemple qu’en 2005, le directeur… d’origine marocaine du Mrax (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie), Raoudane Bouhlal, avait reçu une lettre officielle du consul du Maroc lui demandant de retirer du site de l’organisme une interview de l’acteur…

Mais les moyens de contrôle se révèlent aussi plus «soft». Ainsi en est-il des efforts constants de récupération par le Palais des dizaines d’élus issus de l’immigration marocaine. «La grande majorité des élus d’origine marocaine sont courtisés par Rabat, où ils sont reçus, constate Radouane el-Baroudi. En 2011, des mosquées ont été utilisées pour le référendum sur la Constitution, ce n’est pas normal.»

Sam Touzani confirme: «Depuis que les immigrés ont le droit de vote, le Maroc s’assure l’allégeance des élus d’origine marocaine, il n’y a que cinq d’entre eux qui refusent cette mascarade. Il y a des élus qui sont des agents marocains dans les trois grands partis traditionnels. Mais des Belges y participent aussi, comme Philippe Moureaux, qui a organisé naguère des soirées en faveur de la marocanité du Sahara occidental payées par des deniers belges!»

L’histoire personnelle de Touzani est frappante: «En 1972, ma mère s’était rendue avec une grande sœur au consulat du Maroc à Bruxelles pour obtenir des cartes d’identité. Là, on a exigé un bakchich et ma maman, indignée, a refusé. Des gorilles ont surgi, les ont giflées devant tout le monde puis les ont traînées dans les caves pour les tabasser avant de finir par les jeter sur le trottoir. Personne n’avait levé le petit doigt pour elles. Elles ont dû aller à l’hôpital, ont porté plainte, et ensuite subi des menaces pendant des semaines de flics marocains en civil. J’avais 4 ans. J’ai été marqué à vie. C’est mon héritage.»

BAUDOUIN LOOS

 

Sam Touzani : « Un drame a fondé mon héritage »


Acteur, humoriste, auteur, metteur en scène, etc.: Sam Touzani, né il y a 45 ans, n’est plus à présenter. Ce qu’on ignore parfois, ce sont ses rapports difficiles avec le pays d’où viennent ses parents, le Maroc. Explications.

Comment vos parents se sont-ils retrouvés en Belgique?

C’était en 1965. Mon père vient d’un village berbère, Bni Touzine, à 30 km de Nador, dans le Rif; ma mère est de Tanger. Ils étaient de milieu modeste et analphabètes. Mon père, passé en Algérie française, avait combattu à 16 ans et demi en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale, à Monte Cassino. Quatre de leurs enfants sont nés au Maroc, trois, dont moi, à Bruxelles. J’en profite pour tirer mon chapeau: comment ils ont pu élever tant d’enfants avec si peu de moyens, un père manœuvre, une mère femme de ménage, c’est inouï!

Pourquoi refusez-vous d’aller au Maroc?

A cause d’un vrai drame qui a eu lieu en 1972 et qui m’a marqué à vie. Ma mère s’était rendue avec une grande sœur au consulat du Maroc à Bruxelles pour obtenir des cartes d’identité. Pour rentrer au pays, c’était l’idée initiale de tous les Marocains immigrés, celle du retour. Après, avec les enfants nés ici, ces projets se sont souvent évanouis. Là, donc, on a exigé un bakchich et ma maman, indignée, a refusé. Des gorilles ont surgi, les ont giflées devant tout le monde puis les ont traînées dans les caves pour les tabasser avant de finir par les jeter sur le trottoir. Personne n’avait levé le petit doigt pour elles. Elles ont dû aller à l’hôpital, ont porté plainte, et ensuite subi des menaces pendant des semaines de flics marocains en civil. J’avais 4 ans. C’est mon héritage.

Votre père n’était pas un opposant?

Non, il avait, comme beaucoup de Rifains, une grosse méfiance de ce qui venait du «makhzen» (pouvoir pyramidal autour de la personne royale). Ils ont alors tenté d’acheter mes parents pour éviter un procès, ils ont offert un million de francs belges, une somme énorme en 1972, mais ma mère a refusé, elle a dit non à l’oppression, à l’injustice, au dictateur. Tout ce que je suis devenu depuis lors, c’est à partir de cet ancrage-là. Je précise que nous avons été aidés par des opposants, Abdelrahmane Cherradi et Mohamed el-Baroudi. Ce dernier était un compagnon de Mehdi Ben Barka, le grand leader de l’opposition marocaine assassiné en 1966 en France.

Comment le makhzen entend-il contrôler l’immigration?

Il y a eu longtemps les «amicales», ces associations marocaines dans les divers pays d’immigration où des barbouzes faisaient la loi. Les mosquées, aussi, ou les professeurs de religion islamique. Une toile tentaculaire. Et les gens avaient peur, surtout qu’ils rentraient les étés au Maroc. Pensez que des gens disparaissaient ! Maintenant, l’omerta continue dans les familles marocaines mais c’est plus policé, c’est en costume trois-pièces. Mohammed VI n’est pas sanguinaire. Mais on continue à étouffer tout projet de résistance dans l’œuf. Depuis que les immigrés ont le droit de vote, le Maroc s’assure l’allégeance des élus d’origine marocaine, il n’y a que cinq d’entre eux qui refusent cette mascarade. Il y a des élus qui sont des agents marocains dans les trois grands partis traditionnels. Mais des Belges y participent aussi, comme Philippe Moureaux, qui a organisé naguère des soirées en faveur de la «marocanité» du Sahara occidental payées par des deniers belges !

Et la Belgique entretient de bons rapports avec le royaume…

Cela cache quels intérêts? Qui a peur de la démocratie au Maroc chez nos politiques? Il y a 250 militants du mouvement du 20 Février (dans le sillage des «printemps arabes» en 2011, NDLR) qui sont en prison et personne n’en parle ! Le roi est l’une des plus grosses fortunes au monde, il est plus riche que l’émir du Qatar, selon le magazine Forbes, c’est le premier assureur au Maroc, premier banquier, premier propriétaire terrien, etc. cela sur le dos du peuple, c’est honteux. Mais cela ne durera pas, on va vers la fin de la monarchie…

BAUDOUIN LOOS

A lire dans Le Soir version papier, ce samedi 22 février 2014, mon reportage dans la région de Nador (Rif), et aussi un article sur la volonté du Maroc de contrôler les populations de l’immigration marocaine. voir ici

bruxelles ville refuge : ali amar


agenda

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et tout le programme passa porta ici

L’auteur et journaliste marocain Ali Amar (°1969 – Mohammed VI. Le Grand Malentendu, Paris-Marrakech) sera en résidence à Bruxelles durant les prochaines années dans le cadre d’ICORN (International Cities of Refuge Network). Il est co-fondateur de l’hebdomadaire marocain indépendant Le Journal, qui a cessé de paraître pour des raisons politiques et financières. Son livre sur Mohammed VI n’était pas bienvenu au Maroc. Agé de 42 ans, Amar collabore actuellement au site d’information Slate. Dans son oeuvre, il dépeint avec courage la réalité actuelle de son pays. A l’Hôtel de Ville de Bruxelles, il donne une conférence sur son travail et les problèmes de liberté d’expression qu’il a rencontrés. Ensuite il s’entretiendra avec Béatrice Delvaux (Le Soir).

* L’affaire du pédophile gracié par le roi constitue-t-elle un tournant ?


Mohammed VI garde tout le pouvoir

* L’affaire du pédophile gracié par le roi constitue-t-elle un tournant ?

* Elle a mis en lumière le pouvoir absolu du roi… et de son cabinet.

Le « Daniel Gate », la grâce royale accordée à ce pédophile espagnol qui a suscité une extraordinaire indignation populaire au Maroc, forçant le roi à annuler sa décision, restera-t-il dans l’histoire comme un moment clé ? C’est sans doute le vœu d’une partie des citoyens las d’un pouvoir royal aux prérogatives qu’ils jugent exorbitantes.

« Il y aura bien un avant et un après ce 30 juillet 2013 au Maroc (date de la grâce, NDLR). Par une telle décision (aussi involontaire soit elle), le roi – père et protecteur de la nation selon la constitution et l’imaginaire collectif Marocain – vient de bafouer, d’outrer tous les Marocains, et par la même, ruiner 14 années de communication et marketing politique. (…) Quelque chose a changé, et pour toujours. Un rapport entre une grande partie du peuple et la monarchie a été rompu. » : ce constat a été fait le 4 août par l’intellectuel Youssef Oulhote et diffusé sur le site fr.lakome.com.

Comment en est-on arrivé là ?

Quand il prend le pouvoir le 30 juillet 1999 au décès de son père, le très craint Hassan II, Mohammed VI a alors 35 ans. Il jouit d’un préjugé favorable. Ses premières décisions confortent cette impression : il limoge Driss Basri, le ministre de l’Intérieur de son père dont il était l’exécuteur des basses œuvres, il fait revenir le vieil opposant d’extrême gauche banni Abraham Serfaty, il visite les provinces du nord que son père avait délaissées et il se façonne rapidement une image de « roi des pauvres » en affichant sa sollicitude pour les défavorisés.

La suite sera moins glorieuse même si « M6 », comme on le surnomme affectueusement, reste un souverain populaire. Le roi, dit-on, n’éprouve pas un penchant marqué pour la politique. Ses absences, ses vacances, se multiplient, elles sont longues. Ce printemps, ainsi, il partira deux mois en France sans mots dire, laissant la rumeur s’inquiéter pour sa santé.

L’affairisme prend le dessus au palais. Comme l’explique un livre édifiant (1), « la fortune personnelle du souverain a quintuplé depuis son accession au trône ». Aux commandes, on trouve le cabinet royal qui, selon des experts, gère en réalité le Maroc tout entier (y compris avec incompétence, comme l’affaire du pédophile l’a montré).

Cela c’était la version pessimiste. D’autres vantent en revanche un roi habile en économie et en politique. Ainsi, par exemple, quand un mouvement de revendication s’est développé au Maroc à l’éclosion des printemps arabes, au début de 2011, Mohammed VI a rapidement décidé de donner à ses sujets une nouvelle constitution, présentée comme plus démocratique que celle en vigueur. Le texte sera déjà adopté par référendum dès le 1er juillet de la même année !

Certains s’enthousiasment. Comme Baudouin Dupret et Jean-Noël Férié, directeurs de recherche au CNRS qui travaillent au Centre Jacques Berque à Rabat. « Le Maroc est le seul pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à avoir réussi à entamer des réformes suffisamment profondes pour qu’on ne puisse plus se résoudre – sauf de manière polémique – à le qualifier d’autoritaire », écrivent-ils dans la revue Moyen-Orient.

Vraiment ? Ces réformes ne convainquent pas tout le monde. Voici le constat formulé le 10 juillet par Souleiman Bencheikh, de l’hebdomadaire TelQuel : « C’est le roi en personne qui a pris la décision de réformer la Constitution, qui a nommé la commission chargée de la rédiger, qui l’a soumise à référendum, qui a nommé un nouveau chef de gouvernement et son équipe. Le pari implicite des démocrates marocains était que la nouvelle donne politique permettrait au chef de gouvernement de s’émanciper progressivement de la tutelle du chef de l’Etat et de profiter à plein des nouvelles prérogatives que lui octroie la Constitution : choix effectif des membres de son gouvernement (…), responsabilité devant le peuple et non plus devant le roi… Mais là encore, les démocrates sincères en ont été pour leurs frais : la pratique politique des deux dernières années et l’interprétation qui a été faite de la Constitution ont consacré un roi qui règne et gouverne. En d’autres termes, pour reprendre une métaphore sportive, Mohammed VI est à la fois arbitre et joueur. Alors forcément, à la fin, c’est lui qui gagne ! ».

Peu contestent ce constat, même le Premier ministre islamiste Abdelilah Benkirane dit que son parti, le PJD « ne fait que participer au gouvernement ; c’est le roi qui détient le pouvoir ». L’Association marocaine des droits de l’homme met, elle, les pieds dans le plat ce 23 juillet, constatant : « L’essence despotique de la nouvelle constitution est préservée et reste loin des composantes d’une constitution démocratique ».

BAUDOUIN LOOS

(1) Le Roi prédateur, par Catherine Graciet et Eric Laurent, au Seuil (2012)

LE SOIR DU MERCREDI 7 AOUT 2013

Le Belge Ali Aarrass en danger de mort dans sa prison marocaine


C’est l’histoire d’un homme qui va peut-être mourir en prison dans quelques jours. Un Belge en grève de la faim et de la soif dans une prison marocaine. Plus exactement, un Belgo-Marocain. A l’exception de ses proches, de ceux touchés par son sort, de quelques parlementaires et d’une agence de l’ONU, personne ne se préoccupe de son cas pathétique. A des degrés divers, trois Etats, le Maroc, l’Espagne et la Belgique, seront responsables s’il lui arrive malheur.
Il s’appelle Ali Aarrass. Il a 51 ans. En degré d’appel, le 2 octobre 2012, il a été condamné à douze ans de prison (après les quinze ans écopés en première instance, le 29 novembre 2011) pour « utilisation illégale d’armes » et « appartenance à un groupe ayant l’intention de commettre des actes terroristes ». Problème : Ali Aarrass a été torturé et ses « aveux » signés figurent sur un document rédigés en arabe, langue qu’il ne maîtrise pas. Personne n’a connaissance d’autres « preuves » contre lui.
Comment cette histoire à peine croyable s’est-elle développée ? Rétroactes.
Ali Aarrass est né le 4 mars 1962 à Melilla, l’enclave espagnole au nord du Maroc. Il arrive à 15 ans en Belgique muni d’un passeport marocain, mais il n’a jamais habité au Maroc où il n’a aucune attache. Le jeune Ali abandonne vite l’école, il veut travailler. Il travaille. Son dernier boulot en Belgique : libraire à Bruxelles. Il se marie en 1989, devient belge, fait son service militaire en Belgique (à l’Otan !) en 1993. En 2005, il retourne vivre à Melilla pour rejoindre son père.

Descente en enfer

Le cauchemar débute en 2006, par une première interpellation de la police espagnole qui le soupçonne de terrorisme. Il est relâché. Mais le 1er avril 2008, il est arrêté et emprisonné. Le célèbre juge Baltazar Garzon enquête pendant un an. Faute de preuves, il prononce un non-lieu le 16 mars 2009. Mais les autorités espagnoles ne le libèrent pas car le Maroc exige son extradition.
Le Haut-commissariat aux droit de l’homme de l’ONU examine son cas et demande le 26 novembre à Madrid de suspendre l’extradition en raison des risques de tortures encourus. Le gouvernement espagnol ignore l’avis et l’extrade le 14 décembre 2010.
L’ONU avait raison, le Maroc reste le Maroc. Pendant douze jours, Ali Aarrass va connaître les tristement célèbres chambres de torture de Temara, près de Rabat. Il connaît l’enfer. A bout de force, il finit par parapher des aveux rédigés dans un arabe classique qu’il ne connaît pas. S’ensuivent les condamnations mentionnées plus haut.
Al Aarrass s’empresse dès le 11 février 2011 de signaler au juge d’instruction marocain les faits de torture dont il a été l’objet. Ses avocats déposent des plaintes, mais la justice marocaine refuse d’ouvrir une enquête, se contentant d’un rapport médical du 8 décembre 2011 qui concluait qu’il ne portait aucune trace de torture. Amnesty International précise que « les experts indépendants commis par la défense d’Ali Aarrass ont jugé que le rapport d’examen était loin d’être conforme aux normes internationales en matière médico-légale qui sont inscrites dans le Protocole d’Istanbul ».
Le Haut-commissariat de l’ONU aux droits de l’homme s’intéresse alors à nouveau à lui. Son rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumais ou dégradants fait un rapport daté du 14 décembre 2012. Juan E. Mendez y est cinglant. Il a pu voir l’accusé en prison le 20 septembre de la même année avec son propre médecin légiste. Les traces de tortures sont effectivement constatées (voir encadré). Les recommandations de ce rapport resteront lettre morte.
La famille et les amis d’Ali Aarrass se démènent depuis des années. Un site rend compte des éléments de l’affaire (freeali.eu). Mais son cas émeut peu, ou a du mal à se faire connaître. Seize parlementaires belges (1), dont une poignée d’origine marocaine, publient tout de même un appel le 16 février 2012 pour demander au ministre belge des Affaires étrangères de relayer aux autorités marocaines les inquiétudes sur la torture subie et l’iniquité des procès.

Grève de la faim

Le sort d’Ali Aarrass prend un caractère dramatique en ce mois de juillet. Voici ce qu’en dit Amnesty : « Ali Aarrass a entamé sa grève de la faim le 10 juillet car des employés de la prison étaient entrés dans sa cellule en son absence, avaient emmené sa correspondance personnelle, notamment des lettres de sa famille et des cartes postales de personnes lui apportant leur soutien, et avaient laissé les lieux en désordre. Il a ensuite été privé des droits élémentaires des prisonniers, y compris passer des appels téléphoniques, avoir accès à son courrier, se doucher et sortir dans la cour, ce qui s’apparente à des mauvais traitements. Il a durci sa grève de la faim le 25 juillet en refusant de boire. Depuis lors, il n’est pas autorisé à avoir des contacts avec sa famille ni ses avocats ».
Son état de santé serait devenu précaire. « Nous n’avons que des nouvelles indirectes, nous dit sa sœur Farida. Il est devenu très faible, nous sommes très inquiets. Au début de cette affaire, nous avions cru à une erreur car Ali n’est pas politisé. J’ai assisté aux procès, j’ai vu d’appel qui dormaient pendant l’audience ! Sauf que l’un d’eux a sommé Ali de se taire quand il évoquait la torture et lui a lâché qu’il avait de toute façon signé ses aveux. »
Les avocats d’Ali Aarrass ont porté la condamnation en appel devant la Cour de cassation, « sans beaucoup d’espoir », comme le dit Me Dounia Alamat. Avec Farida Aarrass, celle-ci a encore interpellé d’urgence le ministre belge des Affaires étrangères le le 26 juillet. Car la Belgique, parlons-en, n’a jamais levé le petit doigt pour le Belge Ali Aaarass.
Le porte-parole des Affaires étrangères a expliqué le 25 juillet que « le droit international stipule que lorsqu’un citoyen binational connaît un problème avec l’un de ses deux pays, l’autre s’abstient d’intervenir ». Un argument que Me Dounia Alamat balaie : « La Belgique invoque une convention de 1930 qui est désuète et que le Maroc n’a de toute façon même pas signée ! La jurisprudence internationale montre au contraire que les Etats protègent leurs ressortissants même en cas de double nationalité et puis la règle absolue en droit international c’est l’interdiction de la torture ».
Plusieurs citoyens belges d’origine marocaine ont lancé sur Facebook des appels au ministre Didier Reynders. Comme Radouane el-Baroudi, qui explique être né le 27 septembre 1979 à l’hôpital Edith Cavell, à Bruxelles : « Je sais comme vous que mon pays d’origine, le Maroc, est une dictature où l’on torture (…). Monsieur le Ministre, m’aideriez-vous s’il m’arrivait malheur au Maroc ? ».
BAUDOUIN LOOS

(1) Zoë Genot, membre du parlement fédéral, Ecolo; Eva Brems, membre du parlement fédéral, Groen; Fouad Ahidar, membre du parlement bruxellois, SP.a; Jan Rogiers, membre du parlement flamand, SP.a; Bert Anciaux, membre du Sénat, SP.a; Patrick Moriau, membre du parlement fédéral, PS; Jamal Ikazban, membre du parlement bruxellois, PS; Juliette Boulet, membre du parlement fédéral, ECOLO-Groen; Nadia El Yousfi, membre du parlement bruxellois, PS; Céline Delforge, membre du parlement bruxellois, Ecolo; Olivier Maingain, membre du parlement fédéral, FDF; Zakia Khattabi, membre du Sénat, Ecolo; Ahmed el-Khannouss, membre du parlement bruxellois, CDH; Dirk Peeters,  membre du parlement flamand, Groen; Meyrem Almaci, membre du parlement flamand, Groen; Mahinur Özdemir, membre du parlement bruxellois, CDH.

Une version plus courte de cet article est parue dans le journal “Le Soir” du jeudi 1er août 2013.

GRÂCE : une lettre d’Ali Aarrass


Posted on juillet 4, 2013 | No comments

Farida Aarrass at Belgian embassy LondonGRÂCE !

 

La libération des détenus serait une décision plein de sagesse, dont les plus heureux seraient les épouses et les enfants. Heureux de voir leur père enfin rentrer à la maison, ce serait une bonne nouvelle. Espérons la libération des détenus politiques.

 

Un Etat digne et vraiment démocratique ne devrait avoir aucun détenu d’opinion derrière les barreaux. Il faudrait qu’ils libèrent ceux qui sont encore en prison afin d’engager les réformes en toute sérénité.

 

Pour ce qui me concerne, je refuse la grâce vu que celle-ci n’intervient qu’après l’accomplissement d’un crime, hors je n’en ai commis aucun !

 

La libération de ces détenus montrerait, que le plat de résistance de la réforme promise par le roi, est justement la réforme de la justice.

 

Au Maroc, il y a des gens en prison qui ne devraient pas y être, et d’autres en liberté qui devraient être en prison.

Je ne me suis jamais intéressé à la politique, mais il m’arrive de lire des choses qui me font sauter au plafond !

 

Aujourd’hui les faits ont prouvé que les vrais obscurantistes sont quelques responsables des services secrets et sécurité de l’Etat, qui commettent des crimes odieux indicibles. S’il y a des réels extrémistes qui constituent un danger pour la sécurité et la transition démocratique, ce sont justement ces sécuritaires hors la loi. Ceux qui commettent ces crimes barbares et dégradants, pour la dignité de l’homme et contraire à toute éthique, méritent d’être trainés en justice !

 

En ce qui concerne la presse et sa fonction, en tant que quatrième pouvoir, et celle des associations civiles, c’est de défendre la dignité humaine, les libertés et la vérité. Par conséquent, la société civile et la presse devraient défendre sans condition les victimes de ce terrible bagne et réclamer ensemble justice, contre ceux qui m’ont enlevé, torturé et injustement condamné.

Le meilleur moyen d’éviter de tomber dans le déni de la transition démocratique est bien sur de rompre avec les comportements inquisiteurs et les méthodes barbares.

 

« Mon emprisonnement, est le prix que je paie pour que la Belgique devienne un état de droit »

 

Ali Aarrass

Maroc : le 20 février, vu par ses artistes


Publié le 12 mai 2013 par Baudouin Loos

Mais que se passe-t-il au Maroc ? Alors que de nombreux pays arabes ont connu leur « printemps » en 2011, le royaume chérifien constituerait-il une exception ? Erreur ! La jeunesse marocaine a eu son mouvement cette année-là, celui qu’on appellera du « 20 Février ». Le réalisateur belgo-marocain Jawad Rhalib, qui est né et a grandi au Maroc, en a fait le thème d’un documentaire, Le Chant des tortues, et il sort bientôt en Belgique (1).

C’est peu dire de Jawad Rhalib qu’il ne cache pas sa sympathie pour le 20 Février. Par ses images – d’une exceptionnelle beauté plastique – et par les personnages choisis, son approche ressemble à une ode à la liberté, à la laïcité, aussi. Pourtant, le 20 Février pouvait compter à l’origine sur l’appui de « Al Adl wal Ihsane » (justice et bienfaisance), le puissant mouvement islamiste qui conteste le régime royaliste, mais celui-ci s’est toutefois retiré du 20 Février en décembre 2011, privant les contestataires d’une majorité de leurs militants.

Le parti pris de Jawad Rhalib ? Celui de décrypter le mouvement à travers ses artistes. Des peintres et des musiciens, surtout, dont les faits et gestes rythment le film. Un vrai sage, le journaliste vétéran Khalid Jamaï, vient aussi donner à cette jeunesse pleine d’espoir l’éclairage de l’expérience ou même lui prodiguer, le mouvement s’essoufflant, des paroles de nature à rasséréner les plus déçus.

A l’instar du mouvement du 20 Février, le travail de Jawad Rhalib reste tout de même dans les normes de ce qui peut se faire au Maroc. On n’y trouve nulle trace de contestation de l’omniprésente autorité, spirituelle ou politique, du roi Mohammed VI, ni même de ce fameux « makhzen » – l’oppressante autant que crainte administration pyramidale depuis le palais jusqu’au dernier « caïd » dans le bled. On n’y parle pas de torture mais bien, et comment ! de corruption…

Le Chant des tortues n’est d’ailleurs pas non plus un documentaire à prétention exhaustive sur le 20 Février. Ses forces et ses faiblesses ne s’y retrouvent pas analysées de manière exhaustive. Ce n’est pas son but. Cependant, à travers les états d’âme de ses divers protagonistes, souvent attachants, le festin funeste du mouvement pacifique n’est pas dissimulé. Funeste ? Le mur de la peur est tombé, fait remarquer Khalid Jamaï. Et cela, au Maroc, c’est une avancée d’une portée sans doute historique.

BAUDOUIN LOOS

(1) Après une salle comble au Flagey le 10 mai, des avant-premières suivies de débats se dérouleront dans différentes salles, alors que la sortie nationale est prévue du 20 mai au 18 juin. A l’Aventure (Galerie du Centre, 1000 Bruxelles), mardi 21 mai à 19h30, et une sortie par semaine à partir du 21 mai. A Churchill (Liège), jeudi 23 mai à 20h00, avec une sortie par semaine à partir du 23 mai et au Plaza Art (Mons), mercredi 28 août à 20h00, avec une sortie par semaine à partir du 28 août.
Détails: http://www.facebook.com/TheTurtlesSong

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