Armes chimiques en Syrie : l’Occident pris à son propre piège


Le Point.fr – Publié le 22/01/2013 à 13:45 – Modifié le 22/01/2013 à 19:39

La communauté internationale avait fixé à Bachar el-Assad une ligne rouge à ne pas franchir en cas d’utilisation de gaz toxiques. Or, elle ne bouge pas.

Photo d'illustration. Les États-Unis et la France ont tous deux démenti les rapports faisant état de l'utilisation d'armes chimiques en Syrie.
Photo d’illustration. Les États-Unis et la France ont tous deux démenti les rapports faisant état de l’utilisation d’armes chimiques en Syrie. © DE LA PAZ / Sipa

Des victimes qui suffoquent et vomissent. Les vidéos diffusées par les militants syriens parlent d’elles-mêmes. Autant que les diagnostics des médecins syriens présents sur place. De tels symptômes n’avaient jusqu’ici jamais été observés en Syrie. « Ces gens ne présentaient aucune blessure externe, mais étaient victimes d’hémorragies internes », affirme au Point.fr Ignace Leverrier (1), ancien diplomate en poste en Syrie. « Il s’est indéniablement passé quelque chose d’anormal le 23 décembre dernier à Al-Bayyada. »

D’après le magazine américain Foreign Policy, les forces syriennes ont bel et bien utilisé une forme mortelle de gaz empoisonné le 23 décembre dernier à Homs contre les opposants à Bachar el-Assad. Le site du bimestriel affirme se baser sur un câble diplomatique, signé par le consul général américain à Istanbul, Scott Frederic Kilner, et envoyé début janvier au département d’État à Washington. Le diplomate américain tire ses conclusions d’une série d’entrevues réalisées avec des militants, médecins et dissidents de l’armée syrienne, dont le général Mustafa al-Sheikh, ex-chef de l’Armée syrienne libre, et ancien homme-clé du programme syrien d’armes de destruction massive. Classé « top secret », le document est jugé « convaincant » par un responsable de l’administration Obama, bien qu’il « ne puisse le confirmer à 100 % ».

« Agent innervant »

Ces allégations ont été confirmées samedi par Le Monde. Dans un article intitulé « Alerte à l’arme chimique en Syrie », le quotidien du soir évoque l’utilisation d’une « arme chimique non létale à effet incapacitant » employée par le régime syrien contre des opposants, dans les quartiers d’Al-Bayyada, où s’affrontaient forces gouvernementales et rebelles anti-Assad. « Il s’agirait d’un agent incapacitant de type BZ, code OTAN de l’agent 15, envoyé à l’aide de grenades dans un espace clos », confirme au Point.fr David Rigoulet-Roze (2), chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas). « Ce gaz affecte les sens des combattants, leur orientation et donc leurs facultés d’évaluation », ajoute le spécialiste. « Il a des effets sur la respiration et le coeur. »

S’il juge « plus que vraisemblable » que les victimes d’Al-Bayyada aient été victimes d’une intoxication chimique, le chercheur Joseph Henrotin (3) estime en revanche qu’il ne s’agit pas de gaz BZ. « Cet agent innervant a pour effet de dilater totalement les pupilles. Or, celles des opposants étaient au contraire contractées », affirme ce chargé de recherche du Centre d’analyse et de prévision des risques internationaux (Capri). « Les médecins syriens évoquent des paralysies, ce qui ne correspond pas à du gaz BZ, assure-t-il. Or il est étonnant qu’aucun d’entre eux n’ait pris le soin d’effectuer des prélèvements sanguins de victimes pour en avoir le coeur net. »

Ligne rouge

Ces détails ont leur importance. Jusqu’ici, la principale menace liée à l’utilisation d’armes chimiques par Damas concernait l’utilisation du gaz sarin, substance incolore et quasi inodore qui, même à des doses infimes, bloque la transmission de l’influx nerveux, entraînant la mort par arrêt de la respiration et du coeur. L’alerte a été lancée début décembre par un responsable américain selon qui le régime de Bachar el-Assad était en train d’assembler les précurseurs chimiques nécessaires à la militarisation d’armes chimiques.

Comme un seul homme, les chancelleries occidentales ont alors averti Bachar el-Assad que toute utilisation de l’arme chimique constituerait le franchissement d’une ligne rouge qui entraînerait sur-le-champ une intervention militaire étrangère. Or, si les dernières révélations de Foreign Policy et du Monde ont de nouveau provoqué une réaction occidentale coordonnée, celle-ci fut cette fois inattendue. Le département d’État a ainsi expliqué qu’il n’avait pas trouvé de preuves crédibles pour corroborer ou confirmer que des armes chimiques avaient bien été utilisées en Syrie.

Un des plus gros arsenaux au monde

Même son de cloche à Paris, où Laurent Fabius a assuré qu’après vérification aucune arme chimique n’avait été utilisée à Homs. « Si on retient le degré de dangerosité, le gaz utilisé à Homs n’est pas une arme de guerre, car il ne cause pas directement la mort », explique David Rigoulet-Roze. « Par contre, si on en retient la nature, cela s’apparente bien à une arme chimique. » La Syrie posséderait aujourd’hui l’un des plus gros arsenaux chimiques au monde.

Mais Damas ne l’a jamais utilisé, en tout cas lors de conflits. Toutefois, l’ex-diplomate Ignace Leverrier assure que le régime syrien a expérimenté dans les années 2000 des substances biologiques sur des prisonniers politiques du camp de Khan Abou Shamat, qui en sont décédés. Il n’empêche. L’emballement médiatique soudain autour d’une possible utilisation d’une « arme de destruction massive » n’est pas sans rappeler celui qui a précédé la guerre de 2003 en Irak. Or, à la chute de Saddam Hussein, aucune trace de telles armes n’avait été retrouvée.

Test

Un argument que rejette catégoriquement Thomas Pierret (4), maître de conférences de l’islam contemporain à l’université d’Édimbourg. « Si des opposants syriens cherchaient à provoquer une intervention occidentale en inventant une histoire d’utilisation d’armes chimiques, pourquoi en inventeraient-ils une qui implique un gaz de combat assez peu létal, surtout quand on le compare aux neurotoxiques beaucoup plus dangereux que posséderait le régime syrien, comme le gaz sarin ? » D’après ce spécialiste de la Syrie, « le régime pourrait avoir agi pour tester les réactions occidentales, peut-être dans la perspective d’un usage d’armes chimiques plus dangereuses ».

« La question est de savoir si les forces syriennes ont délibérément visé les opposants ou si des frappes ont touché un entrepôt contenant des produits chimiques, comme cela a pu se produire en Tchétchénie », estime pour sa part le chercheur Joseph Henrotin.

Embarras occidental

Outre l’action plus que probable d’agents chimiques à Homs, le 23 décembre dernier, c’est surtout la gêne de la communauté internationale qui marque aujourd’hui les esprits. « Toutes les réactions témoignent d’un embarras manifeste », juge le chercheur David Rigoulet-Roze. « Personne ne veut mettre le doigt dans un engrenage qui serait incontrôlable. »

La fameuse ligne rouge brandie par l’Occident à Bachar el-Assad pourrait être qu’un écran de fumée. Le 11 janvier dernier, le général Martin Dempsey, chef d’état-major américain, a d’ailleurs admis que ni le gouvernement américain ni la communauté internationale n’avaient la capacité d’empêcher Bachar el-Assad d’utiliser ses armes chimiques.

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(1) Ignace Leverrier, auteur du blog Un oeil sur la Syrie du Monde.fr.

(2) David Rigoulet-Roze, auteur de L’Iran pluriel (éditions L’Harmattan) et de Géopolitique de l’Arabie saoudite (éditions Armand Colin).

(3) Joseph Henrotin, publie en février 2013 Julian Corbett, l’empire de la mer (éditions Argos).

(4) Thomas Pierret, auteur de Baas et islam en Syrie. La dynastie Assad face aux oulémas (PUF, 2011).

source

Bachar Al Assad ignore le mécontentement populaire et tente de rassurer fidèles et alliés


Aurélien Pialou

Au cours de ce qui constitue l’événement médiatique du jour, le chef de l’Etat syrien Bachar al Assad s’est prononcé sur la manière dont il souhaitait conduire la Syrie pour lui permettre de surmonter la crise. Trois aspects de son dicours retiennent l’attention.

Nouveau discours, nouvelles promesses
(selon Ali Farzat)

Tout d’abord, la rhétorique. Dans le conflit en cours, il – le président… et ceux qui monopolisent avec lui les moyens de la violence qui s’exerce sur les masses – représente le peuple. Il ne fait que se défendre. Il est attaqué en raison de ses positions, ô combien courageuses, sur la Palestine, qui ne l’ont pas dissuadé, rappelons-le, d’attaquer récemment le camp de Yarmuk et de massacrer les Palestiniens qui y résident. Bref, le diptyque, « je suis la nation » et « la nation syrienne représente le monde arabe légitime », reste plus que jamais d’actualité dans la pensée présidentielle.

Ensuite, le programme. Il est clair. Un pardon circonstancié en fonction de critères obscurs, un dialogue national et un nouveau gouvernement. Précisons bien les termes. Le nouveau gouvernement demeurera sous la conduite du chef de l’Etat. Le dialogue national sera conduit et le pardon prononcé par les services compétents, les moukhabarat.

Enfin, le décorum. Des foules fanatisées qui ne crient pas pour défendre la Syrie, mais pour clamer leur amour de Bachar al Assad. Elles considèrent, mais sous une autre forme qu’en avril 2011, que leur « leader maximo » dispose de toutes les qualités requises pour accéder au titre et à la fonction de « président de l’univers ». Dans les rituels staliniens, il est indispensable de disposer d’une foule galvanisée, prête à s’enflammer quel que soit le discours. On est ici face au même cas de figure. En cela, il faut saluer la constance du président. Son discours d’avril 2011 et celui de janvier 2013 exploitent les mêmes arguments, les mêmes logiques, les mêmes visions, les mêmes méthodes. Le message est clair !

« Ophtalmo, guéris-toi toi-même »
(par Ali Farzat)

Pendant ce temps, la réalité devient chaque jour plus dramatique pour les Syriens, trop souvent occultée par la succession des événements. Elle offre deux faces, radicalement antagonistes.

D’un côté, le message du président et de son régime. Il s’écrit en lettre de sang. Le nombre de morts, objet d’un débat indécent depuis quelque jours, est brutalement passé de 47 à 60 000 morts durant la semaine écoulée. Ce « rattrapage » révèle la difficulté de ceux qui assitent au drame en simples spectateurs à percevoir l’ampleur du carnage. Alors qu’à l’intérieur, tout le monde s’entend pour parler de plus de 100.000 morts, voire peut-être 150.000, reconnaître une telle réalité reviendrait, pour les instances internationales, à reconnaître la faillite de leur approche. Que dire alors d’autres réalités de cette politique défendue et martelée par le président en personne ?  Que dire du million de Syriens et Syriennes torturés, dont quelques uns ne sont sortis des geôles du régime que pour décéder dans les jours suivants, et dont les autres ne se remettront sans doute jamais de cette épreuve, durablement brisés dans leur chair et leur être ? Que dire des quatre millions de Syriens jetés sur les routes par la destruction de leur demeure, grâce au zèle d’une armée qui brûle le pays pour sauver un seul homme, son « dieu », Bachar al Assad ? Faudra-t-il être en mesure de dénombrer les yeux arrachés dans les geôles syriennes par les sbires assadiens, pour comprendre notre aveuglement ? Le message est pourtant clair !

De l’autre côté, le manque de recul dissimule quelques traits qui ne manquent pourtant pas de force. Bien qu’affecté et meurtri, le peuple syrien reste uni dans l’épreuve. Il n’est pas une famille qui ne compte pas de martyrs, morts pour que vive un président dont l’unique souci est de se maintenir. Mais ces mêmes familles, dans leur majorité, participent à l’entraide quotidienne. Dans le chaos syrien, déclenché, maintenu et accru par la seule volonté d’un chef à mille lieues de la réalité, les Syriens font preuve d’un courage sans nom pour s’aider les uns les autres. Aujourd’hui, le lien social qui fait que la Syrie demeure un pays – et qu’elle le demeurera – tient à la solidarité quotidienne entre ses habitants, qui pour loger un proche déplacé, qui pour fournir une couverture, qui pour conduire un blessé vers un espace de soin, qui pour le soigner, qui pour fournir un panier de nourriture… Et ce sont ces Syriens anonymes, grâce à qui la Syrie reste unie après deux ans bientôt de massacres et de tortures, qui sont qualifiés, par la loi de juillet 2012, de « terroristes » !

« Même pas peur… »
(selon Ali farzat)

La Syrie d’aujourd’hui, c’est la rencontre de deux forces. L’une est celle du peuple. L’autre celle d’une mécanique dévastatrice. La première, incarnée dans l’Armée Syrienne Libre, a libéré depuis le mois d’août dernier la majorité des espaces ruraux du pays. Elle a assuré la maitrise des axes dans le Nord du pays. Elle a récupéré de nombreux quartiers dans les villes. De manière évidente, tout espace qui bascule se libère, et aucune force, quelle que soit sa puissance de feu, ne permet de le récupérer. Sur le terrain, le message est donc clair.

Et pourtant, malgré la limpidité de ce message, que fait la communauté internationale ? Successivement, à différents niveaux, elle a envoyé des observateurs qui ont vu le peuple syrien se faire massacrer. Puis elle s’est décidée à deléguer des médiateurs, sans mandat précis et sans capacité de contrainte. On en voit le résultat dans les pérégrinations touristiques de Lakhdar Brahimi, qui, affolé par la dégradation de la situation humanitaire sur le terrain, répète qu’il « faut trouver une solution ». Mais cette même communauté internationale reste paralysée, imputant tour à tour son immobilisme à la complexité de la situation, à l’absence de structuration de l’opposition, aux désaccords prévalant entre les puissances, et au blocage par la Russie et la Chine de tout processus politique. Leur inaction ne dissuade pas ces mêmes pays de poclamer leur « soutien ».

Les Syriens n’attendent que deux choses de notre part. Ils ne veulent ni de corps expéditionaire, ni d’opération militaire. Ils ont démontré, depuis deux ans, leur courage et leur capacité au combat. En revanche, ils attendent toujours les moyens qui leur permettront d’acquérir les armes qui leur font défaut pour contrer la folie destructrice d’un régime aux abois. Et ils demandent que nous cessions de parler, que nous agissions, que nos gouvernements donnent effectivement les sommes qu’ils promettent dans leurs discours, et qu’on les laisse enfin se procurer ce dont ils ont besoin pour assurer leur survie…

Au nom de quoi ces demandes seraient-elles illégitimes? Quel peuple, dans son histoire, n’a pas affronté de temps compliqués ? Si George Washington avait été abandonné sans arme et si un « dialogue » lui avait été imposé, les Etats-Unis auraient-ils aujourd’hui le privilège de vivre libre? Si les Alliés n’avaient pas consenti à fournir les matériels nécessaires pour contrer les forces de l’Axe, l’Europe serait-elle aujourd’hui une terre d’espoir et de droits pour ses citoyens?

A certains moments, il faut que les messages soient clairs!

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Les déboires du « printemps de Damas » (2002)


Prophétique article tiré des Archives du Monde Diplomatique de novembre 200

Quel sera l’objectif américain après l’Irak ? La question hante les dirigeants de Damas, qui craignent de faire les frais de la politique des Etats-Unis, des tensions nées entre le Liban et Israël sur les questions de l’eau et des risques d’embrasement à la frontière des deux pays. Cette instabilité de l’ordre régional a permis aux caciques du régime baasiste de mettre un terme au « printemps de Damas », qui avait suivi la mort du président Hafez El Assad et son remplacement par son fils, M. Bachar El Assad.
Par Judith Cahen *

A la mort d’Hafez El Assad le 13 juin 2000, après trente années de pouvoir sans partage, la société civile, les opposants au régime, et même certains baasistes, ont cru à la démocratisation du système politique. La personnalité et la jeunesse de son fils Bachar, successeur désigné du qaïd, sa volonté de modernisation et de lutte contre la corruption ont suscité un grand espoir. Certes, nombre de gens furent choqués par la rapidité avec laquelle la succession fut bouclée  (1) et refusèrent la manière dont le nouveau pouvoir insistait sur l’« exception syrienne » qui empêcherait le pays de pratiquer la démocratie des autres. Mais l’insistance du jeune président sur le respect de l’opinion publique accéléra le mouvement de contestation réclamant plus de démocratie et de respect pour le droit des personnes.

« Il faut redonner la parole au peuple. Que le Parlement ait à nouveau le pouvoir de contrôler l’Etat. Sans ce retour aux principes républicains, la Syrie restera ce qu’elle est aujourd’hui : un régime totalitaire, une République héréditaire. » Par cette déclaration de juin 2000, M. Riyad Turk, chef du Parti communiste – Bureau politique, libéré après plus de quinze ans de prison, s’affirme comme la figure emblématique du « printemps de Damas  (2) ». Pendant un an, des pétitions – émanant de groupes aussi différents qu’un collectif de « 99 intellectuels », d’avocats, de Syriens de l’étranger ou des Frères musulmans basés à Londres – paraissent dans la presse arabe non syrienne pour réclamer la fin de l’état d’urgence – maintenu depuis l’arrivée du Baas au pouvoir en 1963 -, le retour à l’Etat de droit, le pluripartisme et la libération de tous les prisonniers politiques.

Parallèlement, des muntadayat (forums de discussions organisés en appartement) s’ouvrent à Damas et dans la plupart des grandes villes du pays, recueillant un large succès. Des personnalités politiques indépendantes, des universitaires, mais aussi nombre de citoyens commencent à y exprimer, en public et sous l’œil attentif de membres du Baas, leurs critiques contre la corruption, l’accaparement du pouvoir par les dignitaires du régime et leurs enfants ou appellent au multipartisme, au respect du droit d’expression et à la libération des prisonniers politiques.

Puis, en septembre 2001, le régime, après avoir lancé un premier avertissement sur les lignes rouges à ne pas franchir (3), jette en prison dix militants pour la démocratie, dont M. Riyad Seif, député indépendant, et M. Turk. A la fin d’août 2002, tous les militants sont condamnés à des peines allant de deux à dix ans de prison pour avoir « porté atteinte à la Constitution, incité à la sédition armée et aux dissensions confessionnelles, sapé le sentiment patriotique et propagé de fausses nouvelles ».

Certains observateurs étrangers soutiennent que M. Seif a été emprisonné à la suite d’un rapport au Parlement dans lequel il dénonçait des irrégularités entourant la création de deux monopoles de téléphonie mobile, SyriaTel et Investcom, dont M. Rami Makhlouf, cousin de M. Bachar El Assad, est le principal actionnaire. En réalité, M. Seif n’avait même pas cité ce dernier, mais il avait attiré l’attention sur le fait que la Syrie était l’un des rares pays dans le monde où l’Etat n’avait rien gagné par la vente des licences de téléphonie mobile et où les opérateurs n’étaient même pas soumis à l’impôt sur les sociétés…

Pour Me Haïssam Maleh, président de l’Association des droits de l’homme en Syrie (ADHS), contre lequel un mandat d’arrêt a été émis récemment, « le pouvoir a voulu, avec ces arrestations, envoyer un message clair à la société civile. Il n’avait pourtant rien à craindre de ce mouvement – et d’ailleurs personne ne croit en Syrie que le régime sera renversé par la force. Mais la peur est double : il y a celle du peuple, et celle du régime, qui craint pour ses privilèges ».

Une presse sous contrôle

Les forces ayant porté le « printemps de Damas » avaient d’ailleurs des contours flous et manquaient singulièrement d’assise populaire. Y… regarde, sceptique, le marc de son café ; il a préféré une rencontre dans un lieu public, les appartements des opposants étant trop souvent surveillés. Après avoir passé de longues années en prison, cet ancien membre du Parti communiste de M. Turk porte un regard amer : « Les jeunes sont formatés par le Baas de la maternelle à l’université. La nouvelle génération ne pense au mieux qu’à faire de bonnes études, au pire qu’à s’enrichir par tous les moyens. En Syrie, on ne peut pas vraiment parler d’opposition, mais plutôt d' »attitude oppositionnelle » consistant à en appeler à la « glasnost » et à la modernisation. Ses différents courants sont comme des tribus qui se côtoient, mais ne proposent pas de projet fédérateur. Et elle a échoué à conquérir la jeunesse, peut-être parce qu’elle continue à utiliser un vocabulaire politique qui n’a pas changé depuis les années 1950-1960. »

Cette jeunesse urbaine ressemble à celle des grandes villes européennes : portables et street wear sont l’apanage des Damascènes, qui ont depuis peu investi la traditionnelle medina, désormais remplie de cafés Internet, de restaurants implantés dans d’anciens palais et de discothèques pleines à craquer le jeudi soir, veille du week-end musulman. Les copines sortent en groupe, les lycéennes enlacent leur petit copain dans les lieux publics, et on aperçoit çà et là des femmes voilées fumer en pleine rue.

Du côté du pouvoir, les choses sont retournées à la situation initiale, confie un diplomate : « Le style présidentiel n’a pas changé, même s’il y a moins de portraits du président dans les rues. Avant son accession au pouvoir, on voyait Bachar El Assad partout, en toute simplicité. Aujourd’hui, non seulement on ne le voit plus, mais il reste totalement opaque pour son peuple sur les questions internes : aucune interview aux médias syriens, pas de discours télévisés… »

D’ailleurs, l’ancien système politique n’a jamais disparu. Plus que jamais, il s’apparente à une joumloukia  (4). Pour confirmer son intronisation, M. Bachar El Assad a dû réunir le Congrès du parti, qui ne s’était plus tenu depuis 1985. Le Baas, un moment tenté par le « printemps », s’est soudé autour des dignitaires, de peur de perdre ses privilèges de parti « guide » de la Syrie. Seule nouveauté, quelques proches du nouveau président (huit sur trente-six ministres) détiennent des postes importants du point de vue économique, mais pas du point de vue politique.

M. Assad fils a permis l’introduction d’une nouvelle loi sur la presse (inchangée depuis 1949), qui autorise la publication de nouveaux titres, mais reste très restrictive : les journaux mettant en cause l’« unité » ou la « sécurité » nationale peuvent être interdits, la publication de fausses nouvelles est punie de un à trois ans de prison et d’une amende pouvant aller jusqu’à 18 000 dollars. Pour cet universitaire damascène, « la nouvelle loi institutionnalise la censure. Les fils des caciques du régime, par leurs liens avec le pouvoir et leur poids économique, sont les seuls à en profiter ». De fait, les nouveaux titres sont tous dirigés soit par des formations politiques inféodées au Baas, soit par des amis ou familiers de Bachar, soit par des fils de dignitaires du régime. Cette nouvelle presse s’est même montrée bien plus dure vis-à-vis du dossier Seif et des autres prisonniers d’opinion que la presse officielle.

Sur la corruption, ce diplomate européen constate, non sans une pointe de cynisme, que « derrière chaque homme d’affaires il y a un général qui veille au grain. Ici, la corruption est endémique. Par exemple, chaque colonel a droit à une dotation de diesel. Qu’en fait-il ? Il la revend à bon prix aux chauffeurs de taxi… La plupart des puissants ne pensent qu’à se faire de l’argent ; peu leur importe que ce soit dans une économie socialiste ou capitaliste. Mais, lorsqu’ils auront compris qu’il y en a plus à se faire dans un système capitaliste, alors peut-être ils songeront à la démocratie ».

Dans un pays où le chômage frappe au moins 20 % de la population active, où les 15-35 ans représenteront dans deux ans un peu plus de 8 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, et où le produit national brut par habitant se situe en deçà de 1 000 dollars  (5), le gouvernement mise surtout sur le thème de la réforme économique pour faire oublier l’absence de démocratie. Mais de quelles réformes s’agit-il et à quelle vitesse se réalisent-elles ?

Ainsi, malgré la loi no 28 sur la création de banques privées, votée en 2001, l’ouverture du premier établissement privé, prévue pour 2002, a été reportée. Le Conseil suprême de la monnaie et du crédit, qui gérera la Banque centrale et les activités bancaires publiques et privées, n’est toujours pas créé, et il faudra encore que les banques candidates passent par deux étapes préliminaires, dont une seule prend trois mois. L’investissement privé, autorisé en 1991, ne décolle pas, et les étrangers, eux, n’en représentent qu’à peine 1 %. Comment, il est vrai, s’engager dans un pays dans lequel la justice semble si inféodée au régime, même dans le domaine des affaires  (6) ? Réputé proche de M. Bachar El Assad, ancien membre du Parti communiste, M. Issam Al-Zaïm, ministre de l’industrie, a affirmé, le 11 juillet 2002, que les réformes économiques peuvent tout à fait avancer sans qu’on touche au domaine politique, le modèle à suivre étant celui de la Chine…

D’autre part, et malgré le contrôle qu’exerce sur lui la Syrie, le Liban est devenu, surtout depuis deux ans, un terrain de relative liberté d’expression pour l’opposition syrienne. Le quotidien libanais An-Nahar (interdit en Syrie) et surtout Al-Moulhaq, son supplément culturel, dirigé par l’écrivain et homme de théâtre Elias Khoury, ouvrent régulièrement leurs pages à l’opposition syrienne. Pour M. Khoury, « dès avant la mort d’Hafez El Assad, certains intellectuels s’exprimant au Liban avaient brisé les tabous sur la Syrie. Maintenant, leur marge d’expression est devenue une lutte qui peut s’épanouir, car elle fait partie intégrante de la lutte pour la démocratie libanaise ». Le 5 juillet 2002, un sit-in de la gauche libanaise et de quelques chrétiens de l’opposition avait lieu à Hamra, artère principale de Beyrouth, pour demander la libération de M. Turk.

Le contexte régional, avec l’Intifada palestinienne, l’élection de M. Ariel Sharon, puis les attentats du 11 septembre, a placé le pays du « mauvais côté de la barrière  (7)  ». Le regain de tension offre au régime un prétexte pour repousser l’ouverture démocratique. Mais l’affrontement régional permet aussi à l’opposition d’exprimer, indirectement, ses critiques.

Ainsi, à partir du siège de Jénine par l’armée israélienne, au printemps 2002, des sit-in ont été organisés pendant quarante-deux jours devant le siège de l’ONU à Damas, dans le quartier chic d’Abou Roumané, sans qu’aucun slogan ni affiche fasse référence à la politique officielle du régime. Le mouvement est allé jusqu’à rassembler 5 000 personnes. « Or, commente un intellectuel, le pouvoir ne pouvait ni interdire, car, pour le principe, les manifestations propalestiniennes sont bienvenues, ni laisser faire, puisque celles-ci n’étaient pas prises en main par le parti et risquaient de finir en critiques contre l’inaction du régime face aux frères de Palestine. Il a donc décidé de neutraliser les manifestants par d’autres moyens : en faisant venir par bus entiers des centaines de jeunes appartenant au Baas ainsi qu’aux moukhabarat (services de renseignement), et en noyant ainsi la manifestation dans cette foule. »

A Damas, la vieille garde a repris le dessus. Une amnistie des prisonniers syriens, que Patrick Seale, biographe de Hafez El Assad, appelle de ses vœux  (8), serait non seulement moralement nécessaire, mais également utile pour l’image du pays. Or M. Bachar El Assad donne l’impression d’agir comme s’il avait, quoi qu’il arrive, trente ans de pouvoir devant lui. Et même si l’époque des arrestations massives est passée, la façon dont le fils gère la contestation tend à montrer qu’un des slogans du temps du père (Assad lil abad wa baad al abad : « Assad jusqu’à l’éternité et après l’éternité ») a pris le sens d’une sombre prophétie. Pourtant, comme l’a si bien dit le dramaturge syrien Saadallah Wannous, décédé en 1997, les Syriens « sont condamnés à l’espoir ».

Judith Cahen

* Chargée d’études sur le Proche-Orient à Paris.

(1)  Sur les modalités de la succession, voir l’article d’Alain Gresh, « L’ascension programmée du « docteur Bachar » en Syrie », Le Monde diplomatique, juillet 2000, ainsi que ceux de Sakina Boukhaima et de Philippe Droz-Vincent (« Bachar Al Assad : chronique d’une succession en Syrie » et « Syrie, la « nouvelle génération » au pouvoir : une année de présidence de Bachar Al Assad », dans Maghreb-Machrek, respectivement n° 169, juillet-septembre 2000 et n° 172, juillet-septembre 2001).

(2)  Le Monde, 28 juin 2000. M. Riyad Turk adopta, dans les années 1970, des positions hostiles à l’URSS et au régime en place à Damas : il créa sur cette base le PC – Bureau politique, dont il fut secrétaire général. Il passa dix-sept ans et demi dans une cellule d’isolement et fut libéré en 1998 sans avoir été jugé. Depuis septembre 2001, il est à nouveau sous les verrous et a été condamné à deux ans et demi de détention.

(3)  Le 8 février 2001, dans une interview à Asharq Al-Awsat, puis en mars lors de manœuvres militaires, M. Bachar El Assad déclare que l’unité nationale, la politique de son père, l’armée et le parti sont des sujets qui ne peuvent être critiqués. De son côté, le vice-président syrien Abdel Halim Khaddam déclarait : « L’Etat ne permettra pas que la Syrie se transforme en une autre Algérie. »

(4)  Néologisme formé par le début du mot arabe signifiant république et par la fin de celui signifiant royauté. Cf. « Menaces sur le printemps de Damas », Chronique d’Amnesty, Paris, mai 2002.

(5)  Chiffres de la Banque mondiale, 2000.

(6)  Un tribunal syrien a débouté le géant des télécommunications Orascom dans la bataille juridique qui l’opposait à son partenaire (pour 25 %), SyriaTel. L’opérateur égyptien accusait la compagnie syrienne de vouloir détenir l’exclusivité d’accès aux comptes bancaires, contrairement aux accords passés. C’est maintenant chose faite : les 40 millions de dollars d’avoirs d’Orascom sont gelés par la justice, qui a nommé M. Makhlouf directeur général de SyriaTel.

(7)  Pour rectifier son image, la Syrie collabore, depuis octobre 2001, avec la CIA. Le 21 juin 2002, M. Vincent Cannistraro, ancien chef de la CIA pour la lutte antiterroriste, déclarait au Washington Post que la Syrie « coopère entièrement dans les enquêtes sur Al-Qaida et sur les personnes liées à l’organisation. Dans certains cas, la Syrie a même reporté l’arrestation de suspects afin de suivre leurs conversations et déplacements pour en référer aux Etats-Unis ».

(8)  Al-Hayat, Londres, 21 juin 2002, numéro censuré en Syrie.

 

 

A Damas, une prière de l’Aïd al Fitr présidentielle pleine de leçons


A l’occasion de la prière de l’Aïd al Fitr, qui marque la fin du mois de Ramadan, le président syrien Bachar Al Assad a fait sa première apparition publique depuis le 18 juillet. On se souvient que, ce jour-là, une explosion au siège du Bureau de la Sécurité nationale, au cours d’une réunion de la Cellule centrale de Gestion de Crise, avait abouti à la mort de 5 hauts responsables sécuritaires : son beau-frère, le général Asef Chawkat, le ministre de la Défense, le général Dawoud Al Rajiha, le directeur et le directeur adjoint du Bureau de la Sécurité Nationale, les généraux Hicham Al Ikhtiyar et Amin Charabeh, enfin le chef de la Cellule de crise, le général Hasan Tourkmani. On n’est pas obligé de considérer que cette liste, établie au terme d’une série de révélations partielles, est désormais exhaustive et définitive. Le débat relancé par les confidences du vice-ministre russe des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov au quotidien Al Watan – qui ont été démenties par son administration… mais confirmées, enregistrement à l’appui, par le journal saoudien – , concernant la présence de Maher Al Assad à cette réunion dont il serait sorti très… diminué, confirment ce que beaucoup pensaient. A savoir qu’il serait étonnant qu’une opération de cette ampleur n’ait fait de victimes que parmi les participants de premier plan, épargnant la totalité des seconds couteaux et du personnel administratif.

Prière de l’Aïd al Fitr à la mosquée Al Hamad (19.08.2012)

Quoi qu’il en soit, en accomplissant la prière, le matin du dimanche 19 août, à la mosquée Al Hamad de la capitale, le chef de l’Etat syrien aura permis de constater que, en dépit des efforts qu’il déploie pour donner le change, il vit désormais dans la crainte de subir le même sort que ces anciens hauts collaborateurs.

Il a d’abord choisi – ou on aura choisi pour lui – pour sacrifier au rite, un lieu dont l’emplacement à l’extrémité du quartier de Mouhajirin, et dont la proximité avec l’esplanade du Mausolée du Soldat inconnu, à quelques centaines de mètres plus à l’ouest, devaient lui permettre de prendre la fuite en quelques secondes en cas de menace et de regagner sa forteresse, le Palais du Peuple, de l’autre côté de la vallée du Barada. En comparaison, le chef de l’Etat s’était montré presque audacieux lorsqu’il s’était rendu, le 6 novembre 2011, dans la ville de Raqqa située à plus de 350 km à vol d’oiseau de son palais, pour y célébrer l’Aïd al Adha en présence de fidèles triés sur le volet.

Alors que, par précaution, la télévision syrienne s’est abstenue de mentionner le nom de la mosquée où Bachar Al Assad accomplissait son devoir jusqu’à son départ des lieux, des mesures exceptionnelles de sécurité avaient été mises en place la veille tout le long du trajet que celui-ci devait emprunter… dévoilant prématurément ce qui devait rester secret. L’arrivée de plusieurs cars d’officiers et soldats de la Garde républicaine dans le secteur Khorchid du quartier de Mouhajirin, dont ils avaient interdit l’accès après la prière de l’après-midi du samedi 18 août, avait fait comprendre à ses habitants de quoi il retournait. Quant aux habitants de Doummar, ils n’avaient guère eu plus de peine à imaginer pourquoi, au lieu de les laisser emprunter la voie menant de chez eux à la capitale via l’esplanade du Mausolée, des agents de la sécurité les avaient soudain refoulés, provoquant un immense embouteillage.

Emplacement de la mosquée Al Hamad

Le chef de l’Etat a ensuite opté pour une mosquée à la capacité d’accueil limitée. Le décompte des fidèles réunis autour de lui dans la mosquée Al Hamad permet d’affirmer, sans crainte de susciter les habituelles querelles de chiffres qui accompagnent les mouzâharât (manifestations) de l’opposition et les masîrât (marches) des partisans du régime – qui accompagnaient, devrait-on dire à propos de ces dernières, car à cela aussi le régime a désormais renoncé… -, qu’ils ne dépassaient pas les 150. Parmi eux figuraient des membres du gouvernement et d’autres personnalités politiques : le ministre des Awqafs, Mohammed Abdel-Sattar Al Sayyed, le secrétaire régional adjoint du parti Baath, Mohammed Saïd Bakhitan, le nouveau Premier ministre, Wa’el Al Halqi, tous les trois à la droite du chef de l’Etat ; le mufti général de la République, Ahmed Badreddin Hassoun, et le président de l’Assemblée du Peuple, Mohammed Jihad Al Lahham, à sa gauche ; le ministre des Affaires de la Présidence, Mansour Azzam, au second rang, au côté de l’inévitable Dhou al Himmeh Chalich, assis immédiatement derrière son cousin dont il est le chef des gardes du corps ; le ministre des Affaires étrangères, Walid Al Moallem, discrètement installé au fond de la salle de prière… Le reste de l’assistance était composée d’hommes de religion, de hauts fonctionnaires et des agents de la sécurité présidentielle. Il ne restait donc plus de place pour les habitants du quartier qui ont été refoulés.

Encore une fois, l’absence du vice-président Farouq Al Chareh a été remarquée. Mais, si sa participation à cette prière aurait été bienvenue pour mettre un terme définitif aux rumeurs qui enflent de jour en jour à son sujet, force est de reconnaître que sa présence aurait été contraire aux usages protocolaires en la matière. Il est en effet de règle, en Syrie, que le chef de l’Etat et son premier vice-président n’assistent jamais en même temps à la prière. Cette règle de sécurité instaurée par Hafez Al Assad, qui considérait sans doute que les mosquées ne constituaient pas pour lui des lieux sûrs, n’a jamais connu de dérogation sous Bachar Al Assad. Les Syriens et les autres continueront donc de s’interroger sur la signification de l’occultation prolongée de l’ancien ministre des Affaires étrangères. Certains croient savoir qu’il a déjà pris le large mais qu’il n’est pas encore parvenu à quitter son pays, l’Armée Syrienne Libre attendant le moment opportun pour l’aider à franchir la frontière et à se réfugier dans un pays voisin.

Farouq Al Chareh

Une autre présence aurait apporté réponse à la question que les Syriens se posent, par curiosité plus que par compassion, sur le sort du secrétaire national adjoint du parti Baath, Abdallah Al Ahmar. On le dit détenu ou assigné à résidence depuis plusieurs semaines, suite à l’expression de doutes sur la stratégie du tout répressif choisie et ordonnée par le chef de l’Etat. Il faudra donc attendre encore pour savoir ce qu’il en est.

Plusieurs autres « anomalies » ont été relevées par les observateurs.
Le reportage de la cérémonie n’a pas commencé à l’extérieur, à l’arrivée du cortège du chef de l’Etat devant la mosquée, mais alors que celui-ci, déjà entré dans la salle de prière, se dirigeait vers sa place au centre du premier rang.
Le sermon du prédicateur, le cheykh Mohammed Kheir Ghantous, n’a duré que cinq minutes. C’est peu pour un homme si savant, sur qui le choix présidentiel ne s’était pas porté par hasard. Cela signifie surtout que Bachar Al Assad, en dépit de l’intérêt qu’il aurait pu prendre à ses propos, ne tenait pas à s’attarder.
Au total, l’ensemble de la cérémonie, prière et prône compris, n’aura pas duré plus de 11 minutes.
Dès la fin du sermon, la caméra a fait un plan fixe de plusieurs minutes sur le mihrab de la mosquée, avant de mettre fin subitement à l’émission. Les téléspectateurs n’ont donc pas vu, contrairement à l’habitude, le chef de l’Etat quitter la mosquée. Ils n’ont donc pas vu non plus que, à l’inverse de l’Aïd al Fitr du 30 août 2011 et de l’Aïd al Adha du 6 novembre 2011, Bachar Al Assad ne prenait pas le temps de recevoir les félicitations des fidèles, à l’intérieur et à l’extérieur de la mosquée.

Bachar Al Assad durant la prière de l’Aïd al Fitr

Tout cela confirme que le chef de l’Etat, qui est apparu à certains moments perdu dans d’étranges pensées, n’est guère rassuré sur sa propre situation.

source

Le régime syrien prépare une zone de repli dans la montagne alaouite


Ignace Leverrier

22 juin 2012

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Zone côtière de la Syrie

Cet article est la conclusion d’une étude intitulée “Le massacre de Houla en Syrie, étape délibérée d’une stratégie assumée“. Elle visait à faire la lumière sur les auteurs et les responsables du drame – l’assassinat de sang-froid de plus de 100 personnes, parmi lesquelles une cinquantaine d’enfants de moins de 10 ans et une trentaine de femmes – dont le village de Taldou, à Houla, avait été le théâtre, vendredi 25 mai 2012. Cette opération s’inscrivait dans une stratégie formellement niée mais implicitement assumée par le pouvoir syrien.

La première partie de cette étude :
1 / Visite des lieux
2 / Déroulement des faits
3 / Imputation du massacre
est accessible ici.

La seconde :
4 / Version officielle des évènements
5 / Analyse critique du discours officiel
6 / Rappels concernant l’ASL
l’est ici.

La troisième :
7 / Le drame de Houla selon Bachar Al Assad
8 / Fabrication et manipulation des terroristes par le régime syrien
Le recrutement et l’envoi de moujahidin en Irak
La création du Fatah Al Islam et la formation de terroristes du Golfe
9 / Manipulation des islamistes en Syrie
l’est ici.

La quatrième :
10 / Al Qaïda en Syrie, atout et instrument du régime
11 / Théorie de la 3ème force et émancipation des “terroristes islamiques”
12 / L’industrie des kamikazes et des victimes d’attentats en Syrie
La fabrication des kamikazes
L’industrie des victimes d’attentats

l’est ici.

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CONCLUSION :

Vers la constitution d’une zone de repli dans la montagne alaouite

En dépit des dénégations du régime, dont les agissements et le jeu avec le terrorisme contribuent depuis des mois à discréditer tout discours, la véritable question posée par la tuerie de Houla est moins celle de savoir si ce sont deschabbiha qui ont commis ce terrible forfait, que de découvrir s’ils ont agi à cette occasion de leur propre initiative ou s’ils se sont conformés à des ordres. Inconsciemment, dans la première hypothèse, et en connaissance de cause, dans la seconde, ils ont en tout cas apporté leur pierre à la réalisation d’un projet dont il n’est pas certain qu’ils aient une perception claire des tenants et aboutissants, projet qui justifie, dans l’esprit du régime, le recours aux comportements les plus abjectes contre une partie de sa population.

Ceux qui plaident pour l’initiative, qui donnerait alors au massacre une simple dimension “locale”, expliquent que, grisés par le rôle qui leur a été abandonné depuis des mois dans la répression par les responsables politiques, militaires et sécuritaires, les chabbiha ont commencé ici et là à agir de manière autonome. N’ayant pas trouvé face à eux, jusqu’à une date récente, de véritables adversaires, puisque les révolutionnaires n’avaient pas, avant la création de l’Armée Syrienne Libre, les moyens de s’opposer à l’expression de leur force brutale, les chabbiha ont retrouvé leurs vieilles habitudes : ils s’en prennent d’une part à qui ils veulent dans leur entourage au gré des circonstances, et ils décident seuls d’autre part de l’opportunité de telle ou telle opération.

On sait – ou on sait pas… – que, pour leur faire entendre raison, autrement dit pour les ramener à une juste appréciation de leur place et de leur condition, Basel Al Assad, héritier présomptif, s’était vu contraint à la fin des années 1980 et au début des années 1990, de faire la guerre à ces voyous, recrutés et utilisés par certains de ses cousins de la famille Al Assad pour leurs activités mafieuses. L’embauche dans l’armée et les services de sécurité de quelques uns de leurs chefs, puis la libéralisation du commerce qui a offert un cadre légal à leurs activités jusqu’alors délictieuses, ont contribué, durant la première décennie des années 2000, à les maintenir dans un calme relatif. Mais, sollicités à Lattaquié et dans sa région pour faire entendre raison aux manifestants, dès le mois de mars 2011, ils ont relevé la tête et retrouvé en quelques jours leurs mauvaises habitudes. A l’été de la même année, ils estimaient ainsi avoir le droit de décider par eux-mêmes des moyens et de la forme de leurs interventions, quitte à s’opposer frontalement aux officiers desmoukhabarat chargés d’assurer leur contrôle et leur rémunération.

Ceux qui plaident pour l’instrumentalisation, donc pour une opération planifiée et pilotée par la tête du régime, estiment, sans oser le dire franchement, que les responsables syriens qui connaissent mieux que quiconque les limites et la dangerosité de ces wouhouch, ces “bêtes sauvages” comme ils se désignent eux-mêmes avec fierté, n’ont pas pris le risque de leur faire connaître dans le détail les objectifs et la finalité d’opérations dans lesquelles ils interviennent, à Houla comme à Qbeir, à Salma comme à Al Haffeh, en tant que simples exécutants. Ils peuvent craindre en effet que, reprenant l’affaire à leur compte, les chabbiha tentent dans les différentes régions de la mener à leur rythme et à leur manière.

Depuis des mois, certains au sein du régime syrien estiment qu’il serait prudent de préparer, à l’intention des hauts responsables et des membres de la communauté alaouite, un lieu dans lequel ceux-ci pourraient trouver refuge, au moins à titre provisoire, au cas où la situation leur échapperait et où le conflit prendrait une tournure inter-communautaire. Minoritaires au sein de la population, les alaouites se sont en effet exposés à la colère de la majorité sunnite et à l’incompréhension de minorités ethniques comme les Kurdes et les Assyriens, en se rangeant pour la plupart du côté du pouvoir, en se comportant comme des mercenaires à sa solde, et en se livrant sur les manifestants et les populations à des exactions que les organisation de défense des Droits de l’Homme n’en finissent pas de dénoncer. Il est vrai que, au péril de leur vie, des hommes et des femmes de la communauté alaouite ont pris le parti de leurs frères syriens contre le régime. Mais l’admiration que leur comportement suscite ne permet pas de dissimuler le fait que, en application du plan diabolique conçu par le clan Al Assad pour compromettre les membres de sa communauté en les implicant dans la répression et les massacres, une majorité d’alaouites, militaires, moukhabarat et chabbiha, ont fait une majorité de victimes parmi la population sunnite.

Après s’être contentés, durant des mois, d’encaisser sans répondre autrement que par des slogans et par une radicalisation de leur revendications, les révolutionnaires se sont dotés, au début de l’été 2011, d’une force de protection sous la forme de l’Armée Syrienne Libre. Alors que la révolution et son corollaire, la répression, entrent dans leur 16ème mois, on ne peut exclure, en dépit des appels sans cesse renouvelés à conserver à la contestation son caractère de mouvement pacifique, unitaire et non-confessionnel, que des dérapages aient lieu et que, l’ASL optant pour une stratégie plus agressive pour mettre fin aux tueries, la Syrie devienne bientôt le champ d’affrontement entre sunnites et alaouites que tout le monde – à la notable exception du régime – redoute. Il sera alors temps pour Bachar Al Assad et les siens de gagner le refuge qu’ils se sont préparé.

Ce bastion sera évidemment la zone côtière, qui s’étend sur une centaine de kilomètres entre Tartous, au sud, et Lattaquié, au nord, sur une profondeur d’une cinquantaine de kilomètre vers l’est, au maximum. Berceau de la famille Al Assad au pouvoir depuis 1970 et d’une grande partie de la hiérarchie de son appareil militaro-sécuritaire, cette région présente un certain nombre de caractéristiques qui sont, dans les circonstances actuelles, en majorité des atouts.
Certes, sa population n’est pas homogène. Mais les alaouites qui y sont majoritaires ont les moyens de s’y comporter comme ils l’entendent, puisqu’ils disposent de la force des armes, du contrôle de l’armée, des moukhabarat et des chabbiha. Pour la défendre et en interdire l’accès, ils savent pouvoir compter, si ce n’est sur l’aide, du moins sur la neutralité des chrétiens et des ismaéliens, qui y constituent, les premiers à Tartous et Lattaquié, les seconds dans les agglomérations de Qadmous et Masiaf, de fortes minorités.
La région dispose de ressources limitées et ses infrastructures industrielles sont hétérogènes, créées davatange pour répondre aux intérêts de proches du régime qu’aux besoins de la population ou de l’économie locale. Mais, dans la plaine littorale et sur les hauteurs l’agriculture se développe et les ressources en eau n’y sont pas pires que dans la majorité des autres régions de Syrie. Le tourisme, dont les revenus sont directement liés aux conditions de sécurité, y est évidemment en berne, mais la région abrite les deux uniques ports du pays.
Délimitée à l’est par les hauteurs du Djebel Ansariyeh, d’où l’on domine l’Oronte et la plaine du Ghab, la région est aisément défendable, surtout dans sa partie nord. Elle dispose d’un accès par le sud, relativement ouvert, et deux entrées secondaires, plus mal commodes, l’une au centre, via la ville de Masiaf, l’autre au nord, via la région d’Idlib.
Elle dispose d’une sorte de prolongement naturel vers le sud, dans le nord Liban où réside une forte minorité d’alaouites. Ces derniers sont également nombreux dans le Sanjak d’Alexandrette, sur lequel la Syrie a affecté d’oublier ses légitimes revendications aussi longtemps que ses bonnes relations avec la Turquie l’exigeaient.
Enfin, cette région pourrait trouver une sorte de prolongement en direction de l’estdans la zone frontalière avec la Turquie sur laquelle le Parti de l’Union Démocratique en Syrie, la branche syrienne de l’ancien Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) d’Abdollah Ocalan, met en oeuvre depuis le début de la crise, avec la bénédiction des autorités syriennes, les instruments d’une gestion autonome.

Les attentions ont été attirées sur le projet en question, au mois de janvier 2012, par l’ancien vice-président Abdel-Halim Khaddam. Exilé en France à la fin de l’été 2005, ce compagnon de la première heure de Hafez Al Assad a maintenu de bonnes relations avec des dizaines de hauts responsables de son pays appartenant aux cercles du pouvoir, à la direction du Parti Baath, au commandement des forces armées et à la communauté alaouite, qui n’a jamais vu dans ce sunnite natif de Banias un ennemi. Ils désapprouvaient comme lui, mais sans être en mesure de le dire et de s’y opposer davantage, l’accession de Bachar Al Assad à une présidence qui ne lui revenait pas, et pour laquelle il ne disposait, selon eux, ni de l’âge, ni de l’expérience, ni des qualités requises. Depuis la dénonciation du régime dont il avait auparavant été l’un des piliers, à la fin de l’année 2005, l’ancien apparatchik a veillé à conserver avec le Baath, les chefs de l’armée et les cheykhs alaouites les meilleures relations possibles. Depuis le début du soulèvement populaire, il a multiplié à leur adresse les appels à “abandonner le régime pour rejoindre le peuple” (l’un de ses appels à l’armée figure ici, l’une de ses invitations aux alaouites est accessible ).

Dans un entretien au Figaro, publié le 25 janvier 2012, il affirmait : “Bachar et son clan ont d’abord distribué des fusils et des mitraillettes dans les villes et les villages peuplés par leurs compatriotes alaouites. Depuis un mois, ils ont aussi commencé à transférer les armements lourds de l’armée, par la route, vers le littoral, en les dissimulant sur les collines et les hauteurs”. Il ajoutait : “Les missiles et les armes stratégiques ont déjà intégralement été transférés. Les tanks et l’artillerie, en partie seulement, car le régime a besoin d’en garder pour assurer la répression contre les manifestants dans les villes. Bachar a également prévu d’envoyer ses avions de chasse sur l’aéroport de Lattaquié”. Et il expliquait : “Le président syrien a changé de tactique. Pendant longtemps, il a essayé d’envahir les villes et de bloquer les insurgés. Mais cela n’a pas marché. Il applique donc aujourd’hui un autre plan, qui vise à créer une guerre de religion, une guerre interconfessionnelle. Je sais qu’il y a un mois, il s’est confié à l’un de ses affidés libanais et lui a dit son intention de créer un État alaouite d’où il pourrait mener une guerre fratricide et confessionnelle. Il est désormais prêt à créer sa république personnelle. Il envisage de s’installer à Lattaquié. Je suis sûr qu’il existe suffisamment d’abris souterrains où lui et son clan pourraient se replier”.

Le 8 avril, il considérait que “la création d’un Etat des Alaouites est devenue une quasi-certitude” et il précisait qu’il “comprendrait les deux gouvernorats de Lattaquié et Tartous, sur la côte, la ville de Homs et une partie de son gouvernorat, les campagnes situées à l’ouest de Hama et le sud-ouest du gouvernorat d’Idlib”. Il y a quelques jours, le 9 juin, il adressait un “dernier message aux membres de la communauté alaouite“. Prédisant la “chute prochaine du régime”, il regrettait que “ses appels antérieurs à sauver ce qui pouvait l’être n’aient pas été entendus” et que, “au lieu de se tenir à distance des meurtres, des destructions et des pillages, les alaouites se soient laissés entraîner par Bachar Al Assad dans la guerre qu’il mène au peuple syrien”. Il s’étonnait que, “à défaut d’éprouver de la tristesse et d’exprimer leur réprobation pour les massacres commis au cours des dernières semaines, les alaouites n’aient pas compris que leur silence hypothéquait sérieusement leur avenir et qu’ils s’exposaient fatalement à des représailles sévères”. Toutefois, “il leur restait une dernière chance mais ils devaient faire vite. Ils devaient annoncer qu’ils se désolidarisaient de Bachar Al Assad et de son régime. Ils devaient appeler les alaouites exerçant au sein des forces armées à se rebeller et à rejoindre la révolution pour mettre un terme au bain de sang”.

L’observation de ce qui se déroule sur le terrain depuis le début des évènements montre que le régime n’a jamais écarté l’idée, au cas où sa situation deviendrait périlleuse à Damas, de chercher refuge dans la zone côtière. Après tout, Hafez Al Assad y avait lui-même pensé lorsqu’au plus fort de la contestation avec la société civile et les Frères Musulmans, au début des années 1980, il avait ordonné d’ouvrir, à Lattaquié, la seule succursale dans le pays de la Banque Centrale de Syrie. Les opérations menées, à l’intérieur du quadrilatère délimité par les villes de Tartous, Lattaquié, Idlib et Homs, contre les agglomérations dont les populations sont à majorité sunnite, montrent qu’elles participent d’une volonté de chasser par la terreur ou par le meurtre le plus grand nombre possible de leurs habitants. Il s’agit, à l’intérieur de la zone de repli proprement dite, qui recouvre les deux gouvernorats de la côte, de diminuer la menace constituée par la présence des sunnites  et de dégager de la place pour les alaouites et les autres fidèles du régime qui auraient besoin de s’y réfugier. Il s’agit, plus à l’Est, mais également au Sud et au Nord, de sécuriser le maximum de voies d’accès à ce futur ghetto et de lui donner, à titre préventif, la plus grande extension possible.

On comprend dans ces conditions la vigueur avec laquelle les services de sécurité ont réagi, dès les premiers jours de la contestation, au mouvement de protestation déclenché à Lattaquié, à Banias et à Jableh, le “Vendredi de la Dignité” (25 mars 2011). Il n’était nullement hostile aux alaouites. Mais il se présentait déjà comme une menace pour l’emprise du régime sur la région. On comprend également le recours aux canons de marine pour pilonner et faire fuir, au milieu du mois d’août, la population du quartier de Raml Filastini, qui, créé pour accueillir des réfugiés palestiniens, en était venu au fil du temps à héberger des déplacés sunnites en provenance du gouvernorat d’Idlib et d’ailleurs. On comprend, aujourd’hui, la violence de la répression exercée sur Al Haffeh, qui est – ou qui était jusqu’à cette opération – la principale agglomération sunnite du nord du Jebel Ansariyeh. Située sur la route de Lattaquié à Slanfeh, elle permet d’accéder à la vallée du Ghab, offrant une alternative à l’autoroute qui relie depuis quelques années Lattaquié à Alep via Jisr Al Choughour.

On comprend également, à la périphérie de la région, la nécessité de reprendre aux insurgés et de vider de sa population la ville de Tall Kalakh, seule agglomération sunnite d’importance sur la frontière séparant le Liban de la Syrie. Située à quelques kilomètres au sud de l’autoroute qui, depuis la capitale, conduit au réduit et donne accès, en provenance de Homs, au nord du Liban, elle contrôle, elle facilite ou elle entrave la circulation vers Tartous et Lattaquié. La région de Houla, et plus précisément la ville de Taldou, entre Homs et les contreforts du Jebel Hélou, contrôle la route qui, via Masiaf et Qadmous, permet d’accéder à Banias, sur la côte, à mi-chemin entre les deux gouvernorats. Quant à la ville de Homs, où la reprise et la destruction de Baba Amr désormais vidé de sa population n’ont pas mis fin aux combats, sa possession est essentielle. Qui la tient possède la clef de la Syrie centrale et est en mesure d’isoler l’une de l’autre Damas et Alep. C’est ce qui explique la disposition du régime, si l’on en croit une récente confidence d’un officier supérieur syrien, à “raser la totalité de la ville jusqu’à ses fondations”. Après tout, sa reconstruction offrira l’opportunité de réaliser le fameux “Rêve de Homs”, cher à l’ancien gouverneur Iyad Ghazal, et de sélectionner ses nouveaux habitants.

On n’affirmera pas que, en partant exercer une vengeance réelle ou supposée contre les habitants de Houla, les alaouites des villages environnants avaient conscience de travailler à la réalisation de ce plan. En revanche, on peut affirmer que, si ce n’est pas lui qui a organisé cette agression sauvage, le régime l’a laissée se dérouler sans intervenir, parce que, comme les opérations menées à l’ouest de Homs, de Hama et d’Idlib, ou dans le Jebel Al Zawiyeh, elle entrait parfaitement dans ses visées. Il a laissé faire parce qu’il avait besoin, pour prévenir les doutes et les interrogations au sein de la communauté alaouite, de ressouder sa ‘asabiyya, sa cohésion ou son esprit de corps. Or, comme Michel Seurat l’a jadis rappelé dans divers articles, qu’il est plus que jamais urgent de lire et qui sont de nouveaux accessibles  dans Syrie. L’Etat de barbarie, celle-ci ne peut s’affirmer qu’en s’opposant à une autre ‘asabiyya, en l’occurrence celle des sunnites. Le chercheur montrait en particulier, en utilisant les concepts d’Ibn Khaldoun que, “pour asseoir un pouvoir tyrannique (le mulk), un clan ou une communauté mise sur la ‘asabiyya(esprit de corps) en exploitant une “prédication” (da’wa) religieuse ou politique”, autrement dit, s’agissant des responsables syriens, en usant d’un discours de résistance à Israël et de refus des projets impérialistes… qui se suffit à lui-même et n’a pas besoin d’être traduit en actes. Or, on le constate aujourd’hui comme hier, “dans ce processus de destruction de l’espace politique, la violence constitue le “mode de fonctionnement”, le “phénomène moteur” du système.

Par un étrange paradoxe de l’Histoire, en mettant en place un refuge provisoire… qu’il pourrait rêver de pérenniser, Bachar Al Assad redonnera vie à l’Etat des Alaouites. Créé en 1920 par la puissance mandataire, plus soucieuse de pérenniser la gestion qui lui avait été confiée par la Société des Nations que d’aider la Syrie naguère sous autorité ottomane à accéder à l’indépendance et à la souveraineté, ce territoire avait été rattaché, en 1936, à l’Etat de Syrie. En cette occasion, son aïeul, Soleiman Al Assad, était sorti de l’anonymat. Redoutant que “la fin du mandat mette les minorités du pays en danger de mort et sonne la disparition des libertés de pensée et de conscience”, il avait tenté de s’opposer à ce rattachement, au détriment de l’unité de la Syrie, en cosignant avec quelques notables de la région de Lattaquié une pétition adressée à Léon Blum.

L’aspect le plus cocasse de l’affaire est que, recevant en 2005, le journaliste américain James Bennet, Bachar Al Assad a devancé la question que celui-ci envisageait de lui poser à ce propos. Montrant sans vergogne que ses moukhabaratavaient accédé à la boite de courrier électronique du journaliste, il a pris l’initiative et nié contre toute évidence, comme à son habitude, ce qu’il savait exact. Pour démontrer que son grand-père, aussi “nationaliste” que lui, ne pouvait pas avoir oeuvré en faveur de la partition, il a affirmé que celui-ci “voulait le retour de l’Etat des Alouites à la mère patrie, qui est la Syrie”. Il savait, avec ses camarades, que ”si l’on divise le pays, nous aurons des guerres. Il valait donc mieux être et vivre avec les autres”.

On constate, une fois encore, de quelle manière Bachar Al Assad met en oeuvre ses principes.

Source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2012/06/21/le-regime-syrien-prepare-une-zone-de-repli-dans-la-montagne-alaouite/

Bachar al Assad condamne la tuerie de Houla


dimanche 3 juin 2012, par La Rédaction

Le président syrien Bachar al Assad a énergiquement condamné dimanche le massacre de Houla qui a fait plus de 100 morts il y a dix jours et a appelé les Syriens à s’unir pour mettre fin à la crise qui secoue le pays depuis 15 mois.

Le chef d’Etat syrien, qui s’est rarement montré ou exprimé en public depuis le début de l’insurrection dans son pays, à la mi-mars 2011, a prononcé un discours d’une heure devant le Parlement, dans lequel il a redit qu’il continuerait à réprimer ses opposants décrits comme des terroristes chargés de mettre en oeuvre un complot étranger.

Il a parallèlement offert le dialogue aux opposants n’ayant pas pris les armes ou qui ne sont pas appuyés par l’étranger.

La veille, l’émissaire de la communauté internationale Kofi Annan avait estimé que la Syrie, en proie à une escalade de la violence qui menace de déstabiliser son voisin libanais, était en train de basculer dans un « conflit généralisé avec une dimension confessionnelle alarmante ». Le monde doit agir et ne pas se contenter de mots, a dit Kofi Annan.

« Cette crise n’est pas une crise interne. C’est une guerre extérieure menée par des éléments internes », a déclaré le président syrien, qui semblait détendu. « Si nous travaillons ensemble, je confirme que la fin de cette situation est proche. »

Le 25 mai, le massacre de 108 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, dans la bourgade de Houla, dans le centre du pays, a suscité un tollé international et fait craindre un embrasement de la région.

« Ce qui s’est passé à Houla (…) et ce que nous décrivons comme des massacres horribles et abominables, ou de véritables monstruosités, même des monstres ne commettent pas ce que nous avons vu », a déclaré Bachar al Assad.

Les puissances occidentales estiment que les forces armées syriennes et les milices pro-Assad sont responsables de la tuerie.

Pour Bachar al Assad, la Syrie subit une escalade du terrorisme en dépit des réformes politiques, comme la tenue d’élections législatives le mois dernier, et affronte une guerre venue de l’étranger.

« Nous n’affrontons pas un problème politique parce que, si c’était le cas, ce parti proposerait un programme politique. Ce que nous affrontons est une (tentative de) semer le conflit intercommunautaire et l’instrument en est le terrorisme », a dit Assad.

« Le problème auquel nous faisons face est le terrorisme. Nous avons devant nous une vraie guerre venue de l’étranger ».

Les pays musulmans sunnites, notamment les monarchies du Golfe, soutiennent le soulèvement contre Bachar al Assad, un alaouite proche de l’Iran chiite et du Hezbollah.

Le chef de l’Etat syrien s’est dit prêt à renouer le dialogue avec les opposants, « s’ils ne se sont pas livrés à des actes de terrorisme » et s’ils ne sont pas soutenus par des puissances étrangères, a-t-il précisé.

« Nous allons continuer avec fermeté à faire face au terrorisme, laissant la porte ouverte pour tous ceux qui veulent y renoncer », a-t-il ajouté. « J’exhorte tous ceux qui hésitent toujours à y renoncer, à prendre cette décision. L’Etat ne se vengera pas ».

Dans l’opposition, Abdelbaset Sida du Conseil national syrien, a estimé que le discours du président n’était que des paroles en l’air.

« Assad veut rester à tout prix le chef d’un système répressif. Il ne veut pas reconnaître qu’il a fait son temps et que le peuple syrien ne le veut pas », a-t-il déclaré.

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Bachar al-Assad dénonce une « guerre menée de l’étranger »

Le président syrien Bachar al-Assad, confronté à une insurrection populaire depuis plus de 15 mois, a affirmé dimanche sa détermination à en finir avec la révolte, en affirmant que son pays faisait face à un « plan de destruction » et à une « guerre menée de l’étranger ».

M. Assad a aussi écarté tout dialogue avec les opposants liés à l’étranger, en allusion notamment au Conseil national syrien basé à l’étranger.

La Syrie fait face à un « plan de destruction », a-t-il martelé, dans un discours devant le nouveau Parlement retransmis par la télévision, dans lequel il s’est posé en rempart contre le « terrorisme qui augmente ».

Il a dit que son régime avait « essayé tous les moyens politiques » mais ajouté que ces efforts étaient vains « car nous faisons face à une véritable guerre menée de l’étranger et les moyens de l’affronter sont différents ».

M. Assad a souligné que les responsables selon lui du « terrorisme ne sont pas intéressés par le dialogue ou les réformes. Ils sont chargés d’une mission et ne s’arrêteront que s’ils accomplissent cette mission ou si nous arrivons à les arrêter ».

« La Syrie est ouverte à tous les Syriens quelles que soient leurs opinions mais le terrorisme ne peut faire partie du processus politique et nous devons lutter contre le terrorisme pour guérir la nation. Nous allons continuer à faire face avec vigueur au terrorisme », a-t-il ajouté.

« Il n’y aura pas de compromis dans la lutte contre le terrorisme et ceux qui le soutiennent », a dit le président syrien, qui ne reconnaît pas le mouvement de contestation, assimilé au « terrorisme ». « La sécurité de la nation est une une ligne rouge », a-t-il poursuivi.

« Nous allons continuer à faire front au terrorisme tout en ouvrant la porte à ceux qui n’ont pas porté les armes », a poursuivi le président syrien.

M. Assad a au début de son discours rendu hommage à « tous les martyrs, civils ou militaires », en soulignant que leur « sang n’aura pas coulé en vain ».

Le président syrien a toujours accusé l’étranger, notamment les Occidentaux, de fomenter un complot contre son pays.

Ce discours, le premier de M. Assad depuis janvier, intervient alors que le plan de sortie de crise du médiateur de l’ONU et de la Ligue arabe Kofi Annan est resté lettre morte et que le pays est désormais au bord de la guerre civile, selon de nombreux dirigeants internationaux.

A son arrivée dans le Parlement, M. Assad a été applaudi par les députés réunis en première session depuis les élections du 7 mai. Une minute de silence a été observée à la mémoire des « martyrs ».

Plus de 13.400 personnes, en majorité des civils, ont été tuées depuis le début, en mars 2011, de la révolte populaire, qui s’est militarisée au fil des mois, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

(03 juin 2012 – Avec les agences de presse)

Syrie A Damas, le régime affiche une confiance sans bornes


Analyse

Comme on pouvait le craindre, la date butoir du 10 avril fixée par l’ONU n’a pas correspondu, sur le terrain, à une pleine application du plan Annan, du nom de l’ancien secrétaire général des Nations unies. Des informations contradictoires ont circulé ce mardi, Damas affirmant avoir commencé à retirer ses troupes de plusieurs villes, ce que l’opposition démentait vertement. Pour Kofi Annan, l’armée syrienne « se retire de certains endroits et se déplace dans d’autres ». Le plan en six points prévoit en tout cas un cessez-le-feu général dans les 48 heures.

Pour nombre d’observateurs, le régime de Bachar el-Assad se sent dans une position suffisamment forte pour ne pas craindre pour sa survie en l’état actuel des choses. Une série d’éléments qui s’additionnent en attestent.

Un soutien local encore significatif

Si une bonne partie des sunnites (deux tiers de la population) compte parmi les opposants à un régime qui n’hésite pas à tirer sur sa population, des minorités comme les alaouites (dont la plupart des caciques du régime sont issus) ou les chrétiens restent – sans enthousiasme mais par crainte de l’inconnu – du côté des Assad. Ceux-ci brandissent la menace des « terroristes » d’en face et l’épouvantail d’une guerre civile : « Les alaouites au cimetière et les chrétiens à Beyrouth », comme le proclame un slogan apocryphe très efficace.

Une opposition faible

Bachar el-Assad et les siens profitent aussi de la faiblesse de l’opposition. Le Conseil national syrien (CNS) tente, depuis l’exil, d’unifier les rangs de cette opposition, mais il est patent qu’il n’y parvient pas. Soumise à de fortes pressions externes, sa direction est en outre « minée par des querelles politiques, du clientélisme et de l’inexpérience », comme le disait en mars au Soir l’experte française Caroline Donati.

L’ASL, « armée syrienne libre », de son côté, n’a d’armée que le nom. Son organisation souffre de moyens de communication dérisoires et son armement reste surtout celui, de petit calibre, emmené par les déserteurs. Le Qatar et l’Arabie Saoudite ont promis des armes, mais se gardent de les faire parvenir, ce qui poserait d’ailleurs de gros problèmes géostratégiques : par où les livrer ? L’armée loyale au régime n’a rien à craindre de l’ASL et elle ne peut donc perdre pour le moment une guerre d’usure contre les révoltés.

Moscou et Pékin veillent à l’ONU

Quand bien même des responsables de la communauté internationale osent çà et là (comme le Belge Reynders dans les colonnes du Soir mardi) un discours un tantinet plus musclé, Damas sait pouvoir compter sur la Russie et la Chine, aux Nations unies, pour veiller sur ses intérêts (déjà deux vetos jusqu’ici). Or on voit mal la communauté internationale s’engager militairement sans mandat du Conseil de sécurité. Sauf que l’appui russe et chinois est conditionné par un élément : si les violences imputables au régime devaient prendre les allures d’un « Srebrenica » par semaine (plusieurs milliers de civils tués froidement sur un site précis), Moscou et Pékin se verraient contraints de réviser leur politique. Rappelons que c’est la perspective d’un massacre à Benghazi qui avait motivé ces deux puissances à ne pas opposer leur veto en mars 2011 à une intervention militaire occidentale destinée à « protéger les civils » en Libye, même si la suite allait susciter l’ire des deux mêmes pays.

Les chiites au garde-à-vous

A l’extérieur, le régime jouit également du soutien jusqu’à présent illimité des forces régionales chiites, à savoir l’Iran des ayatollahs et le Hezbollah au Liban. Ce soutien est sans doute moins lié à une solidarité sectaire (la religion alaouite est une dissidence éloignée du chiisme) qu’à une alliance politique ancienne scellée dans l’hostilité commune à l’Occident « impérialiste » et à Israël, « entité sioniste coloniale ».

Même l’Irak post-Saddam Hussein n’est pas défavorable à un régime syrien proche de Téhéran comme bon nombre des ministres à Bagdad, dont le premier, Nouri al-Maliki, longtemps exilé dans la capitale iranienne.

L’Occident tétanisé

Les Etats-Unis et l’Union européenne ont bien du mal à cacher leur immense embarras. Les sanctions économiques et diplomatiques imposées à Damas dissimulent une impuissance à agir de manière décisive. Les Etats-Unis ont été les plus clairs, Obama estimant par exemple le 7 mars qu’« une action militaire unilatérale (comme en Libye) serait une erreur », tandis que le chef d’état-major, le général Martin Demsey, lâchait le 21 février qu’une aide armée aux révoltés syriens risquait de tomber entre les mains d’Al-Qaïda. Et la seule perspective de contribuer à l’éclatement d’une pleine guerre civile aux conséquences imprévisibles paralyse le camp occidental.

La Turquie entre deux chaises

Grande voisine septentrionale, la Turquie possède quelque 900 kilomètres de frontière commune avec la Syrie. Jusqu’aux événements de 2011, les deux pays entretenaient de fortes relations, mais celles-ci se sont rapidement détériorées. Au point de voir Ankara décider de montrer son appui aux révoltés (accueil de réfugiés, exil offert au chef de l’ASL, le colonel Riad Assaad, hébergement de conférences du CNS, etc.). Mais point trop n’en faut. Erdogan, le Premier ministre, aime aller dans le sens de sa « rue », mais il répugne à s’engager dans le pari risqué d’un conflit armé avec un pays qui est allié à l’Iran (qui touche la Turquie à l’est), qui peut se (re)mettre à soutenir le PKK, la rébellion kurde en Turquie et, enfin, qui peut faire fuir des centaines de milliers de citoyens vers son voisin.

On le voit, dans cet Orient décidément bien compliqué, les jours de la dictature des Assad ne semblent pas – encore – comptés.

Baudouin Loos @

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