Gideon Levy : la barbarie d’Israël à Gaza


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Dans le journal israélien Ha’aretz :
Barbarie à Gaza

Gideon Levy Haaretz 3 8 2014

La barbarie d’Israël à Gaza

Samedi matin, le Ministre Palestinien de la Santé a appelé A. de Rafah et lui a demandé de libérer sa chambre froide où il stocke les légumes. L’idée était de faire de la place pour des dizaines de corps empilés dans le petit hôpital local. La chambre froide de A. a été rapidement remplie de corps dont ceux de plusieurs enfants.

A Rafah samedi on a compté 120 morts et près de 500 blessés en une nuit lors des opérations israéliens de recherche du sous-lieutenant Hadar Goldin. A minuit, dans la nuit du vendredi au samedi j’ai reçu un appel de Y., le frère de A., qui m’a dit, en excellent hébreu, la voix étranglée puis en pleurs  » ce qui s’est passé à Rafah aujourd’hui est un massacre à tous les sens du terme ».

Y. et sa famille sont partis à pied de chez eux vers la mer sous les bombardements.  » Tous les F-16 et les avions sans pilotes que possède Israël sont maintenant dans le ciel de Rafah  » m’a dit cet homme qui a travaillé 33 ans en Israël.

« Nous avons passé Rafah, comme tu le voulais Tal », chantait Arik Lavie dans une chanson vantarde d’une autre guerre. Lavie parlait du Major Général Israël Tal qui commandait la division qui a pris Gaza en 1967. Mais cette fois, effroyablement, nous n’avons pas encore passé Rafah, la ville la plus dévastée de la Bande, où les corps de samedi s’empilent.

Alors qu’Y. pleurait le massacre de Rafah, un commentaire du porte-parole de la Maison Blanche traitait le capture d »un officier israélien et la mort de deux de ses camarades de « violation barbare » de l’accord de cessez-le-feu. D’habitude réservé, le porte-parole employait le mot « barbare » pour la première fois durant cette guerre.

Rien d’autre n’est donc barbare. Ni le bombardement israélien deux jours auparavant du marché très achalandé de Shujayeh qui fit 17 morts et 150 blessés en plein cessez-le-feu, ni le bombardement qui frappa une école de l’UNRWA où 3000 personnes avaient trouvé refuge, ni le bombardement de la centrale électrique de Gaza, ni le bombardement de l’Université, ni la bombe lancée par les excellents pilotes de l’Armée de l’air israélienne sur un immeuble de quatre étages à Khan Yunis, sans sommation, tuant 35 personnes, dont 18 enfants et 8 femmes, sans doute le bombardement le plus meurtrier jamais lancé sur Gaza.

Seuls l’enlèvement et la mort de deux soldats. Voici un porte-parole américain qui souffre aussi de racisme : la « barbarie » pour lui est l’apanage d’un seul camp. Oui, le Hamas est connu pour sa « barbarie » , comme tous les palestiniens, et l’emploi du mot barbarie fait de Washington un nouveau trophée des relations publiques israéliennes.

Mais la vérité est que cette guerre est barbare depuis le début. Le nombre de morts dépasse d’ores et déjà celui de l’attaque barbare précédente, l’opération Plomb durci, avec un nombre atterrant de civils tués.

En proportion de la taille de la population de Gaza, le nombre de victimes est de l’ordre de celui de la guerre de Syrie. celui qu’Israël brandit pour prouver la nature animale des arabes. La semaine dernière, on a battu en Syrie le record de 1700 morts. A Gaza, dont la population est d’un dixième de celle de la Syrie, on est arrivé à sensiblement le même nombre de morts en trois semaines et demi d’intoxication des sens par Israël – pas une énorme différence.

Ce qui a débuté avec l’opération Plomb durci et continué avec l’opération Pilier de la défense, peut tourner à l’opération Paix en Galilée. On parle de rester un an à Gaza. Plus de 60 soldats et officiers ont été tués, ainsi que que plus de 1500 palestiniens dans une guerre qui n’arrive à rien sinon un bain de sang.

Le monde ne peut concevoir à quel point Israël est insensible, Y de Rafah ne le peut pas non plus. La nuit de vendredi, il me disait au téléphone,  » je suis honteux pour ma culture israélienne. J’ai grandi avec vous jusqu’à 16 ans, et cela me fait mal quand j’entends une sirène à Ashkelon, la ville où j’ai travaillé pendant des années, et vous ne vous préoccupez pas de nous, pas du tout ». Il a encore pleuré, et j’ai gardé le silence.

source page fb de Marianne Blum

Gideon Levy, un sioniste détesté en Israël


Publié le  par Baudouin Loos

Contre la vague nationaliste imposante qui soutient avec ferveur l’attaque de l’armée israélienne contre Gaza, les voix israéliennes juives qui réussissent à se faire entendre ne sont pas légion. L’une d’elles bénéficie d’un support médiatique de choix, le très minoritaire mais estimé quotidien de gauche Haaretz. Au sein de sa rédaction, en effet, un homme symbolise «l’autre Israël», celui qui refuse la logique de guerre, et qui dénonce d’ailleurs depuis des décennies l’occupation. Cet homme s’appelle Gideon Levy et les menaces contre lui s’accumulent ces derniers jours.

Le journaliste a tenté la semaine dernière de se rendre dans les villes israéliennes proches de Gaza – l’entrée dans la bande maudite étant interdite aux Israéliens par Israël. Mais son reportage a tourné court devant la tension que sa présence suscitait quand il arrivait quelque part. Il estime même avoir échappé à un lynchage grâce à la présence d’une équipe de la télévision de la seconde chaîne nationale qui devait l’interviewer dans un «mall» d’Ashkelon (l’interview n’a d’ailleurs pas pu avoir lieu en raison de l’hostilité du public présent). Il a raconté cet épisode dans un article publié le 19 juillet.
Que dit donc Gideon Levy pour provoquer une telle ire contre lui?
Dans la rubrique «Opinions», il a par exemple signé le 17 juillet un papier intitulé «Voudriez-vous vivre dans le nouvel Israël qui vous tend la main?».

L’Israël qui se dessine, explique-t-il, sera celui «qui ne tolérera aucune opinion différente, aucune idée alternative. (…) Le peuple parlera à l’unisson, comme un chorus, aussi uniforme qu’un choeur de l’Armée rouge. Les médias aussi parleront d’une seule voix, déclamant les communiqués dictés par le gouvernement et l’armée».

Plus fort encore, car évoquant le climat de ces derniers jours: «En temps de guerre, la situation est différente, bien sûr. (…) On peut critiquer l’armée et la Défense mais dans une seule direction: ”Pourquoi ne laisse-t-on pas l’armée gagner? Laissons-la faire son travail, les battre tous, les bombarder, les écraser plus encore, conquérir plus encore, couper l’électricité, resserrer le siège, accroître autant que possible les tueries, la souffrance et les dévastations (…). Ramener les Arabes à l’âge de la pierre et Gaza au Moyen Age”. C’est autorisé.»

Dans un article plus analytique publié dans la même rubrique ce dimanche 20 juillet, Levy examine les dix conditions posées par le Hamas et le Djihad islamique pour cesser le feu. Et d’estimer qu’il n’y en pas une seule d’infondée parmi elles! Comme la fin du siège imposé à Gaza (que le droit international et la communauté internationale condamnent, d’ailleurs, n’écrit-il pas), la réouverture de l’aéroport de Gaza, celle du passage vers l’Egypte sous supervision internationale, l’ouverture d’un port, etc.) «Ces conditions sont d’ordre civil; les moyens utilisés pour y arriver sont militaires, violents et criminels. Mais l’amère vérité est que quand Gaza ne tire pas de roquettes sur Israël personne ne s’en préoccupe.»

L’animosité rencontrée par Gideon Levy en Israël ne date pas d’hier. Ce journaliste s’est spécialisé dans les affaires palestiniennes durant les années 1980. Ses fréquents reportages très crûs dans les territoires occupés, bien avant qu’il ne commençât à également remplir les colonnes des pages «Opinions», lui ont valu une solide réputation: celle d’un «prophète» pour les uns, comme l’intellectuel juif américain Noam Chomsky, ou celle d’un «traître» pour nombre d’Israéliens.

Nous l’avions rencontré à Bruxelles en 2010. Il assumait son impopularité chez lui en Israël. «Il y a de plus en plus d’Israéliens qui sont furieux contre moi. Eh bien! quelque part, ça me rend fier de moi. Car je lutte contre l’indifférence. Si je les fâche, c’est au moins que je les réveille, je touche leurs nerfs sensibles. Cela dit, la société israélienne devient de plus en plus intolérante. Beaucoup d’Israéliens trouvent que Barack Obama flirte avec l’antisémitisme, les associations qui défendent les droits de l’homme sont traitées de nazies, il y a de moins en moins de contre-pouvoirs, la société civile est dans le coma…»

Depuis lors, le journaliste a aggravé son cas, si l’on ose dire: depuis l’année dernière, lui le sioniste convaincu qui dit se battre «pour un Israël dont je pourrais être fier», s’est résolu à appeler au boycott de son pays«Le changement ne viendra pas de chez nous. C’est clair depuis longtemps. Aussi longtemps que les Israéliens ne paient pas le prix pour l’occupation, ou au moins ne font pas la connexion entre cause et effet, ils n’auront aucune raison d’y mettre fin. Et pourquoi un résident lambda de Tel-Aviv serait-il dérangé par ce qui se passe dans une ville de Cisjordanie comme Jénine ou de la bande de Gaza comme Rafah ? Ces endroits sont loin et pas particulièrement intéressants.»

Avec l’escalade actuelle à Gaza, comme il l’écrivait le 19 juillet, voici pour lui «le temps des menaces, de la haine, des intimidations (mais aussi les encouragements, le réconfort et la solidarité) dans la rue, par courriels, par téléphone, sur Twitter et Facebook. Les ténèbres sont tombés sur nous.»

Et de conclure de manière sombre: «Toutes les semences des incitations à la haine, toutes les lois nationalistes, racistes et la propagande incendiaire, les campagnes de peur et la subversion de la démocratie par le camp de la droite, tout cela a porté ses fruits, et ces fruits sont répugnants et pourris».

BAUDOUIN LOOS

Cette entrée a été publié sur le blog de Baudouin Loos  sur  ce permalien.

Les Israéliens peuvent essayer, mais ils ne peuvent ignorer l’occupation


La seule voie encore ouverte aux Palestiniens pour rappeler leur existence et leur situation déplorable aux Israéliens est la voie de la lutte par la violence.


Arrestation d’un Palestinien à Hébron. (Photo : AP)

L’enlèvement de trois étudiants en judaïsme en Cisjordanie jeudi dernier a été commandité à l’avance – par Israël. Au moment où j’écris ces lignes – samedi – leur sort était inconnu et l’inquiétude à propos de leur état évinçait toutes les autres questions concernant leur disparition. Mais qu’importe ce qu’il adviendra pour finir, qu’ils retournent chez eux sains et sauf ou pas, que Dieu les garde, où qu’il s’avère que le parti responsable est celui du djihad mondial ou un parti du genre local, le contexte de l’action, lui, ne peut être ignoré.

Il est possible que l’opération ait pris par surprise les services si sophistiqués de l’espionnage israéliens, mais la chose ne pouvait être une surprise pour personne, en fait.

Les gens qui refusent opiniâtrement de relâcher des prisonniers palestiniens, dont certains sont emprisonnés depuis des décennies – même avant la signature des accords d’Oslo en 1993 – et d’autres attendent toujours qu‘Israël respecte sa promesse de la relâcher ; les gens qui gardent en prison des détenus sans jugement des années durant ; les gens qui ignorent la grève de la faim de 125 détenus « administratifs », dont certains sont en train de mourir dans des hôpitaux ; les gens qui ont l’intention de les nourrir de force et les gens qui ont prévu de faire passer des lois radicales interdisant leur libération – tous ces gens ne peuvent prétendre avoir été surpris ou choqués par les enlèvements. Ce sont eux qui les ont préparés à l’avance.

Depuis des années, Israël, qui se dit tellement soucieux du bien-être de chacun de ses citoyens, ignore avec arrogance l’inquiétude des Palestiniens à propos du bien-être de leurs prisonniers.

Israël détient le copyright du souci de son peuple, et il l’a aussi pour le culte des héros de sa lutte nationale. Meir Har-Zion [l’un des membres fondateurs deUnit 101 qui, en 1953, avait mené un raid de représailles contre une tribu bédouine après que sa sœur et d’autres avaient été tués alors qu’ils étaient en route illégalement pour Petra] fut un héros national ; Ahmad Sa’adat [le secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine] est lui un tueur au sens le plus commun.

Gilad Shalit nous appartenait à tous, mais le sort de Walid Daka, qui est emprisonné en Israël depuis plus de 30 ans, pour avoir fait partie d’une cellule de militants qui avait tué un soldat israélien – sans le moindre congé ni visite conjugale – ne suscite aucun intérêt chez qui que ce soit ici.

Personne ici ne se soucie des milliers de prisonniers palestiniens. La semaine dernière, les Israéliens étaient bien plus intéressés par la femme de charge deMeir Sheetrit que par les 125 grévistes de la faim qui sont en train de mourir lentement depuis 53 jours.

Parmi les milliers de prisonniers palestiniens, certains sont des criminels de droits commun, mais nombreux aussi sont des prisonniers politiques – et tous sont considérés comme des héros de la lutte nationale palestinienne. C’est la même chose dans toute lutte nationale. Derrière eux se trouve toute une société qui n’est pas moins inquiète de leur sort que les Israéliens ne le sont de leurs êtres chers.

En tuant le processus de paix, Israël ferme les portes de ses prisons et le message israélien aux Palestiniens était tranchant comme un raison : La seule façon de libérer vos fils passera par une opération violente. Jeudi soir, les conclusions étaient tirées. Mais le contexte des enlèvements va bien au-delà des libérations de prisonniers.

Le rideau est tombé sur le processus de paix, aussi stérile que ce processus soit resté et, avec lui, le dernier espoir palestinien d’une libération nationale via des négociations. La vie en Israël et dans les colonies de Cisjordanie a repris son cours , c’est une vie de liberté et d’accomplissement, une vie de reality show et de cirque que l’occupation ne touche absolument pas.

On ne peut dire la même chose des Palestiniens : Ils n’ont rien de tout cela et, pour eux, tout retard dans une solution au conflit accroît leurs souffrances, leurs humiliations et leurs tribulations.

Tous ceux qui croyaient que les Palestiniens allaient s’asseoir tranquillement en attendant qu’Israël daigne changer de ton ou de gouvernement se faisaient des illusions. Tous ceux qui croyaient que les colons allaient continuer à vivre en sécurité dans les territoires ont subi une lourde déception : Les enlèvements de jeudi étaient tout simplement un appel au réveil, un avant-goût de ce qui pourrait suivre.

La seule voie qui s’ouvre encore aux Palestiniens pour rappeler leur existence et leur situation critique aux Israéliens est la voie de la lutte par la violence. Toutes les autres voies ont été bloquées. Si la bande de Gaza ne lance pas des roquettes Qassam sur Israël, la bande de Gaza n’existe pas. Et si, enCisjordanie, on n’enlève pas des étudiants de yeshiva, la Cisjordanie disparaît de la conscience d‘Israël.

Enlèvements ou meurtres visent à entamer l’intolérable complaisance d’Israël, et, en tant que tels, ils ne devraient surprendre personne. Ces quelques derniers mois, cette complaisance a atteint de nouvelles hauteurs inconcevables.

Considérez simplement l’absurdité qui a attiré l’attention d‘Israël. Le rappel terrifiant qui est tombé sur nos têtes n’est que la bande annonce de ce à quoi nous pourrions nous attendre si nous continuons à vivre entre le coffre-fort de Benjamin Ben-Eliezer et le baiser d’Ahi et Anna dans la version israélienne de « Big Brother ».

Telle est la nature embarrassante de l’occupation. Elle nous poursuivra, même si nous enfonçons nos têtes encore plus profondément

Publié sur Haaretz le 15 juin 2014. Traduction : JM Flémal.

source

Gideon Levy est journaliste au quoitidien israélien Haaretz.

Il a publié : Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009La Fabrique, 2009

Autres articles de Gideon Levy sur ce site :

L’armée israélienne tue deux civils et un membre d’un groupe armé dans le camp de Jénine

L’armée la plus morale du monde

L’accord de paix de John Kerry au Moyen-Orient est un désastre

Qui a peur d’un État binational ?

Pour avoir réagi contre le harcèlement sexuel, une Palestinienne se retrouve en prison

L’hypocrisie consistant à ne boycotter que les colonies

Lettre d’un fantôme

A propos de la campagne de haine contre Amira Hass

Huit cent mille

Le racisme du nationalisme de gauche

L’heure des fauteurs de guerre

Panique en plein ciel

Loi anti-boycott : jusqu’ici elle cause surtout des ralliement (implicites) à BDS

« Goldstone a ouvert la voie à une nouvelle guerre à Gaza »

« Le Diable Occidental s’habille en Prada »,



22 mars 2014

Saddam Hussein a déjà été exécuté, de même qu’Oussama ben Laden. Mais tout n’est pas perdu pour l’Occident éclairé. On a un nouveau diable. Il s’appelle Vladimir Poutine. Il déteste les homosexuels, alors les hauts responsables éclairés ne sont pas allés à Sotchi. Le voilà qui occupe une terre, alors on va lui imposer des sanctions. L’Occident crie partout comme un putois : Comment ose-t-il annexer le territoire de la Crimée ?

Les États-Unis est la superpuissance responsable du pire carnage commis depuis la Seconde Guerre mondiale. Les victimes ensanglantées nous implorent, enfouies sous la terre de Corée, du Vietnam, du Cambodge et du Laos, de l’Iraq, du Pakistan et de l’Afghanistan. Pendant des années, Washington s’est ingéré dans les affaires internes de l’Amérique Latine, comme si c’étaient les siennes, installant et renversant les régimes, bon gré mal gré.

Qui plus est, le nombre de détenus dans les prisons américaines et leur proportion par rapport à la population, est la plus élevée du monde, y compris la Chine et la Russie. Depuis 1977, 1.246 personnes, dont certaines étaient innocentes des accusations portées contre elles, ont été exécutées aux États-Unis. Huit états des USA restreignent la liberté d’expression contre l’homosexualité par des moyens qui ressemblent beaucoup à la loi anti-gay promulguée par Poutine. C’est cette superpuissance qui, avec ses alliés et ses états vassaux, crie haro sur le nouveau diable.

Ils protestent contre l’occupation de la péninsule de Crimée, comme si c’était l’occupation la plus épouvantable du monde. Pour ça, ils vont punir la Russie. Peut-être qu’ils vont même s’engager dans une guerre mondiale pour libérer Sébastopol. L’Amérique peut occuper l’Irak – la guerre contre la terreur, et les armes de destruction massive justifient cette action, comme tout le monde sait – mais la Russie n’a pas le droit d’envahir la Crimée. C’est une violation de la loi internationale. Même un référendum est une violation de la loi – que l’Occident observe si scrupuleusement, comme tout le monde sait.

Mais évidemment, la vérité est loin du monde de cette partialité moralisatrice, comme l’orient l’est de l’occident. L’annexion de la Crimée peut poser problème, mais moins que l’occupation israélienne des territoires palestiniens. Elle est plus démocratique que le projet d’échange de territoires proposé par Avigdor Lieberman. Au moins, la Russie a demandé aux habitants sous quelle puissance souveraine ils voulaient vivre, ce à quoi Lieberman n’a jamais pensé.

Les raisons pour lesquelles la Russie a annexé la Crimée sont plus convaincantes que l’annexion de facto des territoires occupés par Israël. Les Russes et les Israéliens emploient la même terminologie : droits ancestraux et liens historiques. Les Israéliens ajoutent des raisons tirées de la Bible, et y ont incorporé les notions de caractère sacré et de croyance messianique. « La Crimée et Sébastopol retournent vers … leurs propres rivages, leur port d’attache, la Russie » selon Poutine. En Israël, le premier ministre Benjamin Netanyahou parle du « rocher de notre existence ».

Mais, alors que la plupart des habitants de Crimée sont russes, la plupart des habitants des territoires sont palestiniens – la différence est minime, voire insignifiante…

La Russie est aussi plus honnête qu’Israël : Elle déclare son intention d’annexer le territoire. Israël, qui, à toutes fins utiles, a annexé ses territoires il y a longtemps, n’a jamais osé l’admettre.

L’occupation israélienne ne résonne pas dans le monde – pas de sanctions et sûrement pas de menaces de guerre – comme le fait l’occupation de la Crimée. Netanyahou n’est pas le diable, ni aux yeux des Américains, ni à ceux des Européens, et on ne parle jamais des violations de la loi internationale par Israël. L’occupation israélienne, qui est plus cruelle que celle de la Crimée, n’est pas reconnue comme telle, et l’Occident ne fait rien du tout pour y mettre définitivement fin. Les États-Unis et l’Europe lui fournissent même des fonds et des armes.

Cela ne veut pas dire que la Russie ne mérite pas d’être critiquée. L’héritage de l’Union Soviétique est horrible, et la démocratie en Russie est loin du réel, que ce soit la déclaration de guerre de Poutine contre les médias et la liberté d’expression, ou la honteuse affaire « Pussy Riot ». Il y a une montée de la corruption et, avec elle, le règne des oligarques. Poutine ne parle pas aussi noblement que le président des USA, Barack Obama, mais c’est l’Amérique et non la Russie, qui administre Guantanamo.

Malgré les pontifiants discours occidentaux sur la justice et le droit international, c’est en réalité le diable occidental qui s’habille en Prada, tandis qu’il en fait bien plus que la Russie pour saper ces valeurs dont il fait l’éloge. »

Gidéon Levy

Connaître les Israéliens


Gideon Levy

 


Un tiers des Israéliens veulent que les citoyens arabes soient interdits de droit de vote ; environ la moitié des Israéliens sont en faveur d’une politique de « transfert » des Arabes hors du pays ; et une majorité affirme qu’il existe ici un apartheid. Finalement, il nous faut renoncer à tout espoir de voir les choses s’améliorer.

Contents de faire votre connaissance, nous sommes racistes et pro-apartheid. Le sondage dont les résultats ont été publiés dans Ha’aretz ce mardi, réalisé par Dialog pour la Yisraela Goldblum Fund, prouve ce que nous savons depuis toujours, sans savoir que c’était aussi net. Il est important de reconnaître la vérité qui nous est lancée en pleine face, et à celle du monde (où l’enquête est en train de faire des vagues). Mais il est plus important encore d’en tirer les conclusions qui s’imposent.

Étant donné l’actuelle réalité, faire la paix serait un acte presque antidémocratique : la plupart des Israéliens n’en veulent pas. Une société juste, égalitaire violerait aussi les désirs de la plus grande partie des Israéliens : de cela aussi ils ne veulent pas. Ils se satisfont avec le racisme, ils sont à l’aise avec l’occupation, ils sont contents avec l’apartheid ; les choses vont très bien pour eux dans ce pays. C’est ce qu’ils ont dit aux sondeurs.

Jusqu’à ce qu’une direction courageuse survienne ici, de celle qui n’apparaît que rarement dans l’histoire, et qu’elle tente de changer cet état d’esprit nationaliste, raciste, il n’y a indéniablement aucun espoir de changement à attendre de tout cela. Il n’en viendra pas ; et en effet cela ne se peut car il est contraire aux souhaits de la plupart des Israéliens. Cette réalité doit être admise.

Le monde doit aussi en tenir compte. Ceux qui, impatients d’arriver à un accord, élaborent périodiquement des plans de paix doivent finalement bien comprendre ce que les Israéliens leur ont clairement dit : « Non merci, nous ne sommes pas intéressés ». Le monde arabe doit de la même manière comprendre que ce sondage (et d’autres comme lui) est le véritable discours Bar-Ilan d’Israël (discours de Netanyahu à l’université de Bar-Ilan, le 14 juin 2009).

Il est difficile de blâmer les Israéliens. Des années de lavages de cerveau, la diabolisation et la déshumanisation des Arabes en général et des Palestiniens en particulier, associés à des années de terrorisme brutal, ont laissé des traces. Qu’attendez-vous, pour l’amour du ciel, des Israéliens qui sont exposés tous les jours à des médias qui leur affirment, par exemple, que la récente visite à Gaza de l’Émir du Qatar, Sheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani, venu donner des centaines de millions de dollars pour construire des routes, c’est « le Qatar pour le terrorisme » (comme l’a publié le gros titre d’hier de l’édition en hébreu de Israel Hayom) ? Pourquoi voudraient-ils faire la paix avec ceux qui, depuis des décennies, ont été méthodiquement dépeints comme cherchant uniquement à les anéantir ?

Pourquoi l’Israélien moyen serait-il d’accord pour qu’il y ait un étudiant arabe dans la classe de son enfant ou une famille arabe dans son immeuble s’il n’a jamais rencontré d’Arabes et s’il les connaît uniquement que comme des terroristes, des criminels ou un peuple primitif – les seules images des Arabes qui sont diffusées ? Pourquoi penserait-il que la discrimination contre les Arabes par les ministères du gouvernement serait une mauvaise chose si la seule réalité qu’il connaît est que les Arabes sont des égoutiers ou des balayeurs de rues, et s’il ne sait pas que les Arabes sont capables de bien mieux que cela ?

Après tout, même les Israéliens laïcs qui ont exprimé les opinions les plus tolérantes dans ce sondage ne savent pas en réalité de quoi ils parlent. Quand ont-ils même rencontré un Arabe ? Quand leurs enfants en ont-ils rencontré un ? Et s’ils en ont vu, quel genre d’Arabe ont-ils rencontré sinon que le garçon livreur de l’épicerie, le propriétaire de l’épicerie du quartier, le laveur de voiture, Ahmed le plâtrier ou le monteur d’échafaudages ? Et cela sans même parler des Palestiniens : la dernière fois (et aussi la première) qu’ils ont rencontré un Palestinien, si tel est le cas, ce fut durant leur service militaire, à travers la lunette de leur fusil, comme un objet suspect et dangereux.

Néanmoins, ce lavage de cerveau n’absout pas les Israéliens de leur responsabilité. Il est vrai que le système éducatif, et plus encore les médias, incitent et échauffent, sèment la terreur et la haine. Mais ils le font pour se conformer aux goûts de leur auditoire. C’est un cercle vicieux déprimant, dans lequel on ne sait qui a commencé.

Après tout, si les médias israéliens pensaient que leur lavage de cerveau était répulsif pour leurs lecteurs, ils y auraient renoncé depuis longtemps. Mais ils connaissent le cœur de leurs clients. L’establishment politique, lui aussi, comprend la nature des choses. C’est pourquoi nous sommes pris dans une course effrénée vertigineuse vers la droite : Yair Lapid, le président de Yesh Atid, rivalise avec Shelly Yacimovich, dirigeant du Parti travailliste, pour savoir lequel est le plus à droite.

Ainsi, on ne peut excuser la situation par l’incitation : les Israéliens sont toujours heureux de se faire inciter contre l’Arabe de Baka (quartier de Jérusalem), ou le Palestinien de la casbah. Les médias soucieux de leur audimat et les politiciens face à la bataille des primaires cherchent seulement à se nourrir sur leur dos.

Un tiers des Israéliens veulent que les citoyens arabes soient interdits de droit de vote ; environ la moitié des Israéliens sont en faveur d’une politique de « transfert » des Arabes hors du pays ; et une majorité affirme qu’il existe ici un apartheid. Finalement, il nous faut renoncer à tout espoir de voir les choses s’améliorer.

Voir :

-  Un sondage révèle que la plupart des Juifs israéliens soutiennent le régime d’apartheid en Israël de Gideon Levy – Ha’aretz

et

-  Omar Barghouti : A propos du soutien des juifs israéliens au régime d’apartheid en Israël

et aussi :

-  Les Palestiniens aux prises avec un apartheid de fait, selon les Israéliens – Globalnet

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Gideon Levy : Né en 1955, à Tel-Aviv, journaliste israélien et membre de la direction du quotidien Ha’aretz, Gideon Levy dénonce inlassablement les violations commises contre
les Palestiniens 
et le recours systématique 
à une violence 
qui déshumanise 
les peuples dressés l’un contre l’autre.

Du même auteur :

-  Les colons en passe de réussir une prise de contrôle hostile d’Israël
-  Pourquoi les Égyptiens nous haïssent
-  Obama a rejoint le Likud
-  Les masses égyptiennes ne joueront pas l’alliance avec Israël
-  La presse israélienne cache la vérité
-  Israël soulagé de ne pas être le seul criminel de guerre
-  La république juive d’Israël
-  Netanyahu a raison : le monde entier est contre Israël
-  Opération mini Plomb Durci

25 octobre 2012 – Ha’aretztraduction : Info-Palestine/JPP