Dans le journal israélien Ha’aretz :
Barbarie à Gaza
Gideon Levy Haaretz 3 8 2014
La barbarie d’Israël à Gaza
Samedi matin, le Ministre Palestinien de la Santé a appelé A. de Rafah et lui a demandé de libérer sa chambre froide où il stocke les légumes. L’idée était de faire de la place pour des dizaines de corps empilés dans le petit hôpital local. La chambre froide de A. a été rapidement remplie de corps dont ceux de plusieurs enfants.
A Rafah samedi on a compté 120 morts et près de 500 blessés en une nuit lors des opérations israéliens de recherche du sous-lieutenant Hadar Goldin. A minuit, dans la nuit du vendredi au samedi j’ai reçu un appel de Y., le frère de A., qui m’a dit, en excellent hébreu, la voix étranglée puis en pleurs » ce qui s’est passé à Rafah aujourd’hui est un massacre à tous les sens du terme ».
Y. et sa famille sont partis à pied de chez eux vers la mer sous les bombardements. » Tous les F-16 et les avions sans pilotes que possède Israël sont maintenant dans le ciel de Rafah » m’a dit cet homme qui a travaillé 33 ans en Israël.
« Nous avons passé Rafah, comme tu le voulais Tal », chantait Arik Lavie dans une chanson vantarde d’une autre guerre. Lavie parlait du Major Général Israël Tal qui commandait la division qui a pris Gaza en 1967. Mais cette fois, effroyablement, nous n’avons pas encore passé Rafah, la ville la plus dévastée de la Bande, où les corps de samedi s’empilent.
Alors qu’Y. pleurait le massacre de Rafah, un commentaire du porte-parole de la Maison Blanche traitait le capture d »un officier israélien et la mort de deux de ses camarades de « violation barbare » de l’accord de cessez-le-feu. D’habitude réservé, le porte-parole employait le mot « barbare » pour la première fois durant cette guerre.
Rien d’autre n’est donc barbare. Ni le bombardement israélien deux jours auparavant du marché très achalandé de Shujayeh qui fit 17 morts et 150 blessés en plein cessez-le-feu, ni le bombardement qui frappa une école de l’UNRWA où 3000 personnes avaient trouvé refuge, ni le bombardement de la centrale électrique de Gaza, ni le bombardement de l’Université, ni la bombe lancée par les excellents pilotes de l’Armée de l’air israélienne sur un immeuble de quatre étages à Khan Yunis, sans sommation, tuant 35 personnes, dont 18 enfants et 8 femmes, sans doute le bombardement le plus meurtrier jamais lancé sur Gaza.
Seuls l’enlèvement et la mort de deux soldats. Voici un porte-parole américain qui souffre aussi de racisme : la « barbarie » pour lui est l’apanage d’un seul camp. Oui, le Hamas est connu pour sa « barbarie » , comme tous les palestiniens, et l’emploi du mot barbarie fait de Washington un nouveau trophée des relations publiques israéliennes.
Mais la vérité est que cette guerre est barbare depuis le début. Le nombre de morts dépasse d’ores et déjà celui de l’attaque barbare précédente, l’opération Plomb durci, avec un nombre atterrant de civils tués.
En proportion de la taille de la population de Gaza, le nombre de victimes est de l’ordre de celui de la guerre de Syrie. celui qu’Israël brandit pour prouver la nature animale des arabes. La semaine dernière, on a battu en Syrie le record de 1700 morts. A Gaza, dont la population est d’un dixième de celle de la Syrie, on est arrivé à sensiblement le même nombre de morts en trois semaines et demi d’intoxication des sens par Israël – pas une énorme différence.
Ce qui a débuté avec l’opération Plomb durci et continué avec l’opération Pilier de la défense, peut tourner à l’opération Paix en Galilée. On parle de rester un an à Gaza. Plus de 60 soldats et officiers ont été tués, ainsi que que plus de 1500 palestiniens dans une guerre qui n’arrive à rien sinon un bain de sang.
Le monde ne peut concevoir à quel point Israël est insensible, Y de Rafah ne le peut pas non plus. La nuit de vendredi, il me disait au téléphone, » je suis honteux pour ma culture israélienne. J’ai grandi avec vous jusqu’à 16 ans, et cela me fait mal quand j’entends une sirène à Ashkelon, la ville où j’ai travaillé pendant des années, et vous ne vous préoccupez pas de nous, pas du tout ». Il a encore pleuré, et j’ai gardé le silence.
source page fb de Marianne Blum