Sousse, le plus difficile: dépasser le dégoût et l’abattement


Baudouin Loos
Mis en ligne vendredi 26 juin 2015, 21h48

L’attentat de Sousse, en Tunisie, a fait 37 morts ce vendredi. Dans la rue, la colère gronde.

Comment ne pas être envahi, submergé, par un puissant sentiment de dégoût mêlé d’abattement ? Ces tueries qui s’accumulent. Au nom, soi-disant, d’une religion, cet islam qui a bon dos…

Il n’y a plus de lieu sûr. Cela s’est passé hier à Sousse, à Koweït-City et près de Lyon, mais cela pourrait être demain – à nouveau – à Bruxelles, à Miami, à Bangkok ou ailleurs. A la veille des vacances pour la majorité des gens. Dégoût et abattement, oui.

Pour la Tunisie, c’est une catastrophe d’ampleur nationale. « Si tu ne viens plus, les terroristes ont gagné », nous disait au téléphone un ami qui habite Sousse où il est né. Il a raison. En même temps, ceux qui ont annulé, qui annulent et qui vont annuler leurs réservations ont de bonnes raisons aussi, hélas !

Les nombreux appels à la solidarité façon « Je vais en Tunisie » qui avaient fleuri sur les réseaux sociaux après l’attentat déjà sanglant du Musée du Bardo à Tunis le 18 mars dernier vont-ils résister à ce nouvel assaut fanatique ? On peut en douter.

Un tweet relevé par notre confrère français Pierre Haski, du site Rue89, en dit long.« Après 4 ans de sacrifices et d’énergie dépensée, le terrorisme va réussir à nous ramener au régime policier  », lâchait Farah Hached, présidente du Labo démocratique, une ONG tunisienne. Oui, car la Tunisie, quatre ans après sa révolution et toutes les autres de ce qu’on osa appeler « les printemps arabes », restait seule au firmament des réussites potentielles. Grâce à la vigueur d’une société civile tunisienne mature, décidée et combative.

Il n’existe pas de recette toute faite pour vaincre l’extrémisme religieux. Ni dans le monde musulman ni chez nous. Mais les autorités tunisiennes, par laxisme sinon parfois par complaisance, n’ont pas pris la mesure du danger après la révolution. Les signes n’ont cependant pas manqué. Attentats sanglants contre policiers et soldats perpétrés par des terroristes passés dans le maquis, nombre record de jeunes perdus dans les chimères djihadistes en Syrie : des marqueurs clairs qui auraient dû secouer les décideurs…

Les marges de manœuvre, certes, semblent étriquées. Transition démocratique et préservation des droits et libertés de chacun riment mal avec discriminations régionales et injustices sociales.

Plus globalement, convoquer l’amalgame et le manichéisme sont autant de postures funestes et erronées que les terroristes espèrent imposer par l’effroi. Toutes leurs cibles, à Tunis, Bruxelles et partout ailleurs, sont prévenues.

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Tunisie : Béchir Labidi «En 2008, nous avons fait la révolution sans le savoir»


Enseignant et syndicaliste à Redeyef, dans le bassin minier de Gafsa, une des régions défavorisées de Tunisie, Béchir Labidi, 61 ans, a été un des acteurs majeurs de la crise sociale de 2008 qui est souvent considérée le mouvement précurseur de la révolution de décembre 2010-janvier 2011 qui vit le dictateur Ben Ali s’enfuir en Arabie Saoudite.«Je dis parfois qu’on a fait la révolution sans le savoir», assène-t-il avec un petit sourire. Entretien à Gafsa.

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Comment les événements ont-ils démarré?
Le mouvement social de protestation a commencé le 5 janvier 2008, après la publication d’un concours de recrutement faussé à la Compagnie des phosphates de Gafsa. Il y a eu des arrestations dont la mienne entre le 7 et le 9 avril, mais nous avons été libérés rapidement car les femmes se sont mobilisées et ne quittaient plus les places et les rues! On a été accueilli en héros. Après, des négociations ont eu lieu mais sans résultats avec le représentant envoyé par Ben Ali. Les grèves ont continué, les manifestations aussi. A Redeyef, Metlaoui, Moulares, des confrontations avec la police se multipliaient. C’était la première fois que ce régime devait faire face à un tel mouvement. Un jeune a été tué en mai. Au sein du régime, la tendance favorable à la manière forte, menée par le ministre de l’Intérieur Rafik Haj Kassem, un dur, l’a emporté. Ils ont accentué la répression et les arrestations. Mon fils Mondhafer et moi fûmes arrêtés le 1er juillet. Tout le monde a été torturé. Nous, pendant une semaine, cela a été très pénible surtout pour mon fils. C’était une équipe de Tunis qui procédait, aidée par des agents de Gafsa. En février 2009, des centaines de condamnations ont été prononcées, de 2 à 10 ans ; moi j’ai pris huit ans en appel. En octobre, nous avons été graciés.

Que s’est-il passé pour vous entre ce moment et la révolution de 2011?
Nous avons été évidemment surveillés de près mais en raison de la sympathie que nous manifestaient les militants syndicalistes des sections de l’UGTT (le grand syndicat national historique, NDLR), nous avons réussi à aller témoigner dans différentes sections régionales, à Kairouan, Jendouba, Sfax, etc. Proche du régime, le secrétaire général de l’UGTT, Abdessalam Jrad, n’a rien pu faire contre nous, contre la base. Et nous jouissions de l’appui d’organisations de la société civile comme la Ligue des droits de l’homme, les Femmes démocrates, le Comité de soutien aux prisonniers du bassin minier, etc.

Et ces événements qui ont abouti à la chute du régime en 2011, comment les avez-vous vécus?
Les militants de gauche, la société civile, tout le monde prenaient conscience que si on avait été plus soutenu en 2008 la révolution aurait déjà pu éclater à ce moment-là. 2011, finalement, fut la copie révisée de 2008, car on n’a pas laissé seuls les gens de Sidi Bouzid, les premiers à bouger; les syndicalistes se sont mobilisés et quand les policiers s’en sont pris aux jeunes on les a hébergés dans les locaux de l’UGTT. Même Jrad a dû négocier la dispersion. La mobilisation a fait tache d’huile et, ce fameux 14 janvier 2011, jour de la fuite de Ben Ali, on était trop fier du but enfin atteint! C’était l’apothéose d’une lutte de 30 ans pour la liberté.

Quel regard portez-vous sur les quatre années qui se sont écoulées depuis lors?
Les principaux acteurs de la révolution, la gauche et les jeunes, ont été rapidement marginalisés, dès les élections d’octobre 2011; les islamistes (le parti Ennahda, NDLR) étaient bien mieux organisés et plus riches que nous. On n’avait pas fait la révolution pour ce résultat! Mais les démocrates s’étaient divisés entre plusieurs partis. Avant cela, j’avais fait partie du Comité national pour la réalisation des objectifs de la révolution avec 150 autres membres. Durant les années 80 et 90, j’ai été membre de partis de la gauche radicale, j’ai notamment fondé avec des amis le PCOT (Parti communiste des ouvriers de Tunisie). J’ai concouru comme candidat indépendant en 2011, j’ai obtenu 2.700 voix, neuvième score de la circonscription qui n’élisait que sept députés. En 2014, je n’étais pas candidat.

Justement, lors de ce dernier scrutin, un parti créé en 2012, Nidaa Tounes, est parvenu à dépasser Ennahda. On dit parfois que c’est le retour du parti de Ben Ali…
Non. Les échecs économiques et les erreurs en politique étrangère d’Ennahda et du président Moncef Marzouki, entre 2012 et 2014, ont provoqué la victoire de Nidaa Tounes, une force disparate composée de gens qui ont en commun leur hostilité aux islamistes. C’est un mélange de gens de gauche, de syndicalistes, de gens de droite, d’ex-RCD (le parti quasi unique de Ben Ali). Ennahda a réussi à se glisser dans la coalition gouvernementale qui vient de se former car c’est un renard en politique: il a compris que le vent ne soufflait par de son côté, qu’il était encerclé, et il veut en même temps rester présent, en position d’attente. Voilà pourquoi il est entré dans ce gouvernement dominé par Nidaa.

Pour qui avez-vous voté aux présidentielles l’an dernier?
J’ai d’abord soutenu Hamma Hammami (le candidat de la gauche radicale, leader du PCOT, NDLR), je l’ai même accompagné en campagne. Au second tour, entre Moncef Marzouki et Beji Caïd Essebsi, je n’ai pas pu voter. Personne dans ma famille n’a voté car nous estimions qu’aucun de ces deux noms ne méritait d’occuper le poste de président de la république. Essebsi, qui a gagné, a été longtemps ministre sous le dictature de Bourguiba, il est très vieux (88 ans, NDLR) et donc d’autres dirigeront le pays en réalité. Quant à la vraie gauche, elle court à l’échec car elle reste enfermée sur elle-même. Il faut créer un nouveau front démocratique, large, ouverts à tous les partis et instances démocratiques de la gauche.

Vous ne craignez pas que les échecs économiques ne fassent le lit des nostalgiques du RCD?
Non car les Tunisiens ont dépassé la dictature. Les problèmes socio-économiques sont lourds. Il faudra du temps, le sens du travail et un sens du développement du pays qui impliquent une révolution culturelle. Mais les acquis de la révolution, le pluralisme, la liberté de presse et d’expression, plus personne ne nous les enlèvera. Les «ex-RCDistes» doivent s’intégrer, qu’ils le veuillent ou non, à ce processus en marche.

Propos recueillis par Baudouin Loos à Gafsa le 16 février 2015.

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Vous avez bien lu, 2115


Oxfam: Gaza sera finalement reconstruite en… 2115

A peine 0,25% des matériaux nécessaires ont pu être acheminés

Au rythme actuel, la reconstruction d’habitations, d’établissements scolaires et de structures de santé indispensables risque de prendre plus de cent ans. C’est ce qui ressort des observations de l’organisation internationale de développement Oxfam qui constate que le nombre de convoi de matériaux de construction essentiels ont diminué le mois dernier.

Au cours des trois derniers mois, moins de 0,25% des matériaux de construction nécessaires ont pu entrer dans la bande de Gaza. Six mois après la fin du conflit, la situation ne cesse de s’aggraver. Oxfam appelle instamment à la fin du blocus israélien, en place depuis près de huit ans. Environ 100.000 personnes, dont plus de la moitié sont des enfants, continuent de vivre dans des abris et des logements temporaires où se sont réfugiés chez leur famille élargie, suite à la destruction de leur logement. Des dizaines de milliers d’autres familles vivent quant à elles dans des habitations fortement endommagées.

Après les conflits à répétition et les années de blocus, plus de 800.000 camions chargés de matériaux de construction seraient nécessaires pour construire les habitations, les établissements scolaires, les structures de santé et autres infrastructures dont les Gazaouis ont absolument besoin. Pourtant, en janvier, seulement 579 camions de matériaux sont entrés dans la bande de Gaza – encore moins que les 795 du mois précédent.

Koen De Groof, expert en la matière pour Oxfam-Solidarité, revient tout juste du territoire palestinien occupé :

«Seule la fin du blocus permettrait aux Gazaouis de reconstruire leur vie. Des familles vivent dans des maisons sans toit, ni murs ou fenêtres depuis six mois. Beaucoup n’ont de l’électricité que six heures par jour et sont sans eau courante. Chaque jour qui passe sans que ces gens aient la possibilité de reconstruire met en péril davantage de vies. Il est tout à fait déplorable que la communauté internationale manque une fois de plus à ses devoirs vis-à-vis de la population gazaouie qui a tant besoin d’aide.»

Il n’y a eu aucune avancée concernant les pourparlers de fond sur une solution à long terme de la crise à Gaza, qui étaient censés être organisés après le cessez-le-feu. Oxfam appelle les deux parties à rechercher activement une solution pacifique, comprenant la fin du blocus israélien toujours en place, qui continue d’avoir un impact catastrophique sur la population gazaouie. Des tensions croissantes au sein du gouvernement d’unité palestinien exacerbent en outre la situation à Gaza.

L’an dernier, à cause de ce blocus, les exportations gazaouies de produits agricoles n’ont atteint que 2,7% de leur volume avant l’imposition du blocus. Les pêcheurs se voient toujours imposer une zone de pêche de six milles nautiques (11 km), loin des eaux les plus poissonneuses, et les agriculteurs n’ont pas accès à la majeure partie des terres les plus fertiles. La bande de Gaza reste coupée de la Cisjordanie, et la plupart de ses habitants ne sont toujours pas autorisés à en sortir. La frontière avec l’Égypte a en outre été fermée pour l’essentiel de ces deux derniers mois, empêchant des milliers de personnes de se déplacer.

Face à l’augmentation des besoins, Oxfam et ses partenaires fournissent de l’eau potable, des bons alimentaires et des soins de santé aux communautés de la bande de Gaza.

Ce que les urnes tunisiennes n’ont pas dit


Béji Caïd Essebsi, 88 ans, vient de remporter la première élection présidentielle tenue librement en Tunisie. Il entendait incarner le camp laïque, même si son adversaire au second tour, Moncef Marzouki, n’était pas assimilable à l’islamisme stricto sensu, loin de là. L’avis sur ce scrutin de François Burgat, politologue spécialiste de l’islamisme.

La victoire du candidat du camp dit «laïque» à la présidentielle tunisienne signifie-t-elle que la Tunisie a «tourné la page de l’islamisme » comme certains observateurs en France se sont empressés de le proclamer?
Rien n’est moins sûr. Et pour plusieurs raisons. D’abord parce que ce n’est pas en tant qu’islamistes que les membres d’Ennahda ont dû céder leur première place dans le scrutin législatif. Si leur popularité, et celle du candidat à qui ils ont ensuite accordé un soutien officieux mais bien réel, a reculé, c’est avant toute chose parce qu’ils ont pris le risque d’exercer le pouvoir en 2012-2013 dans une conjoncture exceptionnellement exigeante et à laquelle – ni plus ni moins d’ailleurs que les autres compartiments de l’opposition – ils n’étaient réellement préparés. Si dans cette phase délicate, leur couleur politique leur a valu une difficulté spécifique, c’est seulement l’hostilité hypocrite et néanmoins généralisée de la rive occidentale du monde (la France qui avait traîné ostensiblement les pieds avant de se décider à prendre acte de la victoire d’Ennahda ayant montré la voie), ainsi que celle, à l’exception notable du Qatar, de l’entière corporation des «dictateurs arabes sans frontières». Si ces «grands démocrates» apportent un soutien financier massif, en Tunisie comme en Egypte, aux adversaires des islamistes, ce n’est pas, est-il besoin de le rappeler, du fait d’un subit prurit ultra laïc. C’est seulement parce qu’ils savent – et on peut leur faire confiance – que c’est dans cette mouvance et non dans la gauche défunte que se trouvent les principaux obstacles à leur rêve d’immortalité politique.

Ennahda avait gouverné avec des formations de gauche…
C’est la seconde raison expliquant l’effacement relatif du camp d’Ennahda et de ses alliés: lors de ce scrutin présidentiel, ce parti ne représentait pas, tant s’en faut, la totalité des forces que l’on regroupe généralement sous le label de plus en plus imprécis d’«islamistes». Ennahda paye ainsi le prix de son option délibérée de gouverner au centre, et de se couper ce faisant d’une importante partie de sa clientèle potentielle. Il faut donc prendre acte de ce choix, aussi délibéré que respectable. Et se garder dès lors de conclure – comme le fait une partie des observateurs français – que la petite composante du paysage politique tunisien avec laquelle nous partageons un anti-islamisme virulent a des raisons, et nous avec elle, de triompher.

On entre dans une «ère démocratique» en Tunisie?
A défaut d’avoir «tourné la page de l’islamisme», la Tunisie est en train d’ouvrir celle de l’alternance, et donc de la possibilité de voir une majorité alternative succéder à celle qui est en train de reprendre le pouvoir. Sans doute est-ce bien la dimension qui donne aujourd’hui à ce scrutin la portée historique qui est la sienne.

Propos recueillis par Baudouin Loos

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Qu’est-ce que la Palestine?


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Publié le par Baudouin Loos

 

Evoquer la Palestine en maximum 2.000 signes, pas évident… Voici l’essai, publié dans ”Le Soir” du 4 décembre 2014.

De quoi la Palestine est-elle le nom? De la dépossession, d’abord. Entre les deux guerres mondiales, on a «vendu» aux Juifs de la diaspora en proie à l’antisémitisme et en quête d’un Etat «une terre sans peuple pour un peuple sans terre». Sauf qu’il y avait un peuple, les Palestiniens. Dont l’identité nationale n’était certes pas affirmée à 100%. Le mandat britannique (1920-1948) et l’immigration juive vont ancrer, galvaniser cette identité, que seuls quelques extrémistes osent encore nier.

D’exil forcé en défaites militaires arabes, les Palestiniens sous l’égide de l’Organisation de libération de la Palestine ont finalement accepté en 1988 de ne réclamer pour bâtir leur Etat que 22% de la Palestine historique, à savoir les territoires conquis par Israël en 1967 (Jérusalem-Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza).

Mais face à la toute-puissance militaire et économique d’Israël, Etat conforté par l’aide des Etats-Unis et la bienveillance de l’Europe, les Palestiniens en sont réduits, depuis 1991, à négocier ce qu’ils pourraient sauver de ces 22%. Car Israël, pour des raisons dites de sécurité mais souvent aussi religieuses, n’entend céder que le minimum dans tous les dossiers comme le retour des réfugiés (c’est un «niet» israélien total, mais le droit international dit autre chose), le partage de Jérusalem (idem) ou les colonies (illégales, elles grignotent et rongent les territoires occupés, rendant l’émergence d’un Etat palestinien quasiment impossible).

Malgré la radicalisation d’une partie non négligeable du public palestinien frustré qui entend les sirènes islamistes parfois extrémistes, l’ensemble de la planète Terre s’est résolu au XXIe siècle à soutenir la création d’un Etat palestinien. Avec l’injustice fondamentale du sort des Palestiniens de plus en plus difficile à cacher, les excès israéliens sont largement responsables de cette prise de conscience: des interventions armées aux moyens disproportionnés ont choqué le monde au Liban (1982), face aux intifadas (révoltes) des populations occupées (celle de 1987 et celle de 2000), à Gaza en 2008 et 2014.

En l’absence de pressions dignes de ce nom sur l’occupant israélien, la question palestinienne continuera longtemps encore à hanter les esprits.

BAUDOUIN LOOS

 

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Michèle Sibony: «Il faut demander des sanctions contre Israël»


Michèle-SibonyUn visage a crevé les écrans des télés françaises pendant l’offensive israélienne contre Gaza cet été: celui de Michèle Sibony, pugnace porte-parole de l’Union juive pour la paix (UJFP), qui n’a cessé de dénoncer la situation. Invitée à Bruxelles par l’ONG belge Tayush, la semaine dernière, Michèle Sibony a répondu à nos questions.

Quelques mots sur votre parcours personnel. Vous avez habité en Israël, c’est cela?

Oui, j’y ai étudié les Lettres et le cinéma dans les années 1972-1977, à l’Université de Haïfa. Ce n’était pas dans l’idée de faire mon alya (immigration juive en Israël), plutôt dans celle de quitter ma famille, rassurée par le fait que j’allais dans ce pays. Mes parents pensaient peut-être que j’allais m’y marier, eh bien c’est raté! (rires). J’ai donc appris l’hébreu sur place et j’ai rencontré des gens qui m’ont aidée à déconstruire mes idées reçues. J’ai eu la chance de côtoyer ceux qu’on appelle aujourd’hui les nouveaux sociologues ou les nouveaux historiens. C’est là que j’ai rencontré des Israéliens juifs puis palestiniens qui m’ont aidée à voir la réalité que j’avais sous les yeux. On m’a parfois traitée de «pute palestinienne» juste parce que je faisais partie des premiers qui ont osé prononcer le mot «palestinien». J’ai eu des copains qui m’ont emmenée dans les zones «arabes» comme on disait, palestiniennes, j’ai y vu les discriminations.

Un des mes malaises en Israël provenait du fait que j’avais l’impression que la porte d’Auschwitz venait de se refermer derrière moi! Ce que je n’avais jamais ressenti en France. Je me disais: mais pourquoi dois-je vivre avec cette angoisse? Juive d’origine marocaine, ma famille n’a pas été déportée mais malgré cela je ressentais cette pression.

Je suis ensuite rentrée en France pour des raisons familiales – j’y ai pris ma retraite de professeur de lycée professionnel il y a deux ans – et aussi parce que le passage à la vie active en Israël n’était pas à l’époque mon choix. Je sentais que cela eût supposé de devenir israélienne, ce qui m’aurait demandé beaucoup d’efforts. Ce n’était pas encore très politique mais je suis rentrée en France avec la conviction qu’il fallait que je milite. J’ai failli rentrer au parti communiste mais y ai renoncé car il y a eu (l’invasion par l’URSS de) l’Afghanistan. J’ai milité à partir de 1980 dans un groupe qui s’appelait Perspectives judéo-arabes dans lequel il y avait des militants français, marocains, israéliens, palestiniens (de l’OLP à Tunis). J’en suis sortie, je n’étais pas prête non plus à travailler avec des Palestiniens, mon chemin fut long et lent! Après, j’ai été plus en contact avec les militants israéliens, pendant par exemple la première intifada (1987-1992), un groupe qui s’appelait «L’occupation, ça suffit». Je n’ai commencé à militer en m’inscrivant à l’UJFP (l’Union juive française pour la paix) qu’à partir de 2000. C’était énorme: c’était le début de la seconde intifada et les institutions juives françaises officielles supportaient Israël. L’UJFP est un groupe politique. Composé de Juifs français qui s’inscrivent dans un combat anticolonial et qui ne supportent pas l’assignation à une posture politique en France qui est le soutien inconditionnel à Israël quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse. Vous êtes juifs donc vous soutenez Israël quoi qu’il fasse: ce rôle-là n’est pas acceptable pour nous. Beaucoup de militants de l’UJFP n’avaient d’ailleurs jamais milité comme juifs auparavant. Ils étaient dans le syndicalisme, comme moi, ou dans des partis politiques français. Six cent mille juifs en France ne peuvent pas être pris en otages par le conseil soi-disant représentatif des organisations juives de France (le Crif, NDR) qui doit avoir un corps électoral à tout casser de six mille personnes et qui est composé d’une petite centaine d’associations. Cela dit, je ne suis pas plus propalestinienne que je ne suis anti-israélienne, contrairement à ce que disent certains journalistes qui m’agacent prodigieusement.

Cela fait donc 14 ans que vous êtes à l’UJFP…

Oui, j’ai toujours fait partie des bureaux nationaux de l’UJFP. J’ai parfois été vice-présidente, coprésidente, et je suis actuellement un des porte-parole de l’association.

L’historien Georges Bensoussan, dans le magazine juif belge Regards, dit en substance que les Maghrébins de France sont en quelque sorte jaloux de la réussite sociale des Juifs français…

De tels propos auraient pu être tenus par un antisémite! Il y a 600.000 Juifs en France. Doit-on penser qu’il y a 600.000 exemples de réussites sociales en France? Penser qu’il n’y a pas des Juifs pauvres, des Juifs des quartiers populaires, des cités? A Sarcelles, les Juifs font-ils partie de l’élite sociale? Par contre, il y a sûrement un ressentiment contre les Juifs, c’est vrai. Cela vient du fait qu’au niveau international Israël est un Etat auquel il est interdit de toucher. Dont l’impunité est garantie et cautionnée, notamment par le gouvernement français. Dans la société française, surtout depuis 2000, il y a cette espèce d’affirmation que l’islam remplace le communisme comme ennemi. La communauté juive est manipulée aussi à un niveau local en France comme pouvant être menacée par ce qu’ils appellent «une importation du conflit», termes aussi utilisés par les représentants de l’Etat, dans le sens que ceux qui sont censés l’importer ce sont les Arabes des quartiers populaires, les jeunes beurs. Le Crif, quand il organise par exemple des manifestations de soutien à (Ariel) Sharon (Premier ministre israélien durant l’essentiel de la seconde intifada et auteur d’une répression sans états d’âme, NDR), lui n’importe pas le conflit! La communauté juive a droit au titre de communauté, elle, mais dès qu’il s’agit des Arabes, on crie «Attention au communautarisme»! Tout se passe comme si on considérait que la communauté juive avait droit à un statut protégé par rapport aux Arabes – qui eux ont le droit de se taire sur la question palestinienne car dès qu’ils ouvrent la bouche ils sont d’évidence antisémites. Cette situation-là est en effet créatrice de ressentiment à l’égard des Juifs.

On ne peut nier que dans les diasporas juives occidentales la grande majorité des Juifs sont porteurs d’un sentiment d’empathie envers Israël…

Oui, il y a souvent une sympathie des Juifs pour Israël qui est vécu comme proche, situation nourrie par ce qui a longtemps circulé, «une terre sans peuple pour un peuple sans terre», «ils font fleurir le désert», toute cette imagerie qui influençait d’ailleurs les gens et pas seulement les Juifs dans les années 1960, époque où personne ne savait rien de ce qui s’était passé en Israël-Palestine. Après, la sympathie des Juifs est instrumentalisée et au bout de compte on arrive à une situation qui n’est pas celle de ma jeunesse. Moi j’étais aux Eclaireurs israélites de France qui était à l’époque un groupe non sioniste de manière claire. On n’y parlait pas d’Israël. Aujourd’hui, cette organisation est en première ligne de tous les combats pour soutenir Israël quoi qu’il fasse. Le Crif a été représenté à une certaine époque par des gens comme Théo Klein, pas des extrémistes de droite comme l’est maintenant le Crif dans une grande partie de sa composition. En outre, le gouvernement français semble comme encourager les Juifs français à émigrer en Israël, c’est tout juste s’ils ne nous disent pas «votre pays Israël».

Prenez l’horrible affaire Merah (auteur du meurtre de sang-froid de plusieurs Juifs français, dont des enfants, en 2012, NDR): un an après, on voit le président de la république se pointer sur les lieux du drame à Toulouse avec… Binyamin Netanyahou, Premier ministre israélien! Il y a une espèce de rapprochement fantasmé de la France et d’Israël. Et quoi, la république ne considère plus qu’il relève de sa responsabilité de garantir la sécurité de tous ses citoyens y compris les Juifs? On va bientôt nous expliquer que notre place est en Israël si on est en danger! Moi je crois que les gens qui sont surtout agressés dans la rue, notamment les femmes voilées, ce sont les musulmans; on a un racisme d’Etat islamophobe déclaré, avec des lois, des décisions de justice. S’il y a un racisme d’Etat, vous pensez bien que le citoyen de base se sent à l’aise.

Vos interventions cet été sur les chaînes françaises pour condamner l’offensive israélienne à Gaza n’ont pas manqué d’impressionner – ou de choquer – et de faire le buzz sur les réseaux sociaux, en France et dans le monde…

Je dois dire que ce buzz est assez tragique! Parce que j’ai dit des choses tellement simples! J’ai juste dit qu’il s’agissait d’un endroit colonisé, entièrement encerclé et bombardé sans moyens de se défendre. Dire cela et que cela puisse faire scandale me paraît hallucinant. Cela veut dire que la presse ne fait pas son travail si elle n’est pas capable de rappeler qu’il y a occupation et colonisation, qu’elle se confine à «la lutte contre le terrorisme». «Israël a le droit de se défendre contre le terrorisme du Hamas», point barre: c’est la propagande israélienne et c’est ce qu’ont repris le président, le gouvernement et 85% des médias français cet été.

Et cela va de mal en pis sur le terrain…

C’est catastrophique. On a maintenant une offensive sur Jérusalem qui veut transformer le conflit en un conflit religieux. On a des déclarations de Netanyahou qui expliquent que l’Autorité palestinienne c’est la même chose que le Hamas qui est la même chose que Daesh («l’Etat islamique»), sous-entendu: nous Israéliens, nous sommes dans le combat occidental contre l’islam radical, c’est-à-dire qu’en fait on veut une guerre sans fin. Car s’il y a un mot qui n’est plus prononcé depuis très longtemps sur aucune des plates-formes politiques lors des deux ou trois dernières élections israéliennes, c’est le mot paix. Il n’en est plus question. Alors, avec ce gouvernement d’extrême droite, il n’est pas question de politique, de stratégie, de négociations mais bien d’une fuite folle en avant qui crée un emballement et on en arrive à des choses sanglantes, des chasses aux Arabes dans les rues israéliennes, à Jérusalem-Ouest des milices tabassent les Arabes! Il y a une fascisation du discours de la rue terrorisante. Il y a ce projet de loi qui veut faire d’Israël «l’Etat nation du peuple juif», ce qui signifie pour les Palestiniens de 1948 (ceux qui sont restés à l’indépendance d’Israël, NDR) profil bas ou la porte: vous êtes des invités chez vous, pas des citoyens à égalité. Ce qui signifie aussi que les réfugiés palestiniens ne bénéficieraient plus du droit au retour.

L’Assemblée nationale française doit voter ce 2 décembre sur une résolution recommandant la reconnaissance de l’Etat de Palestine…

Oui, elle a des chances de passer, malgré que sur cette résolution l’Elysée a fait savoir que lui et son ministre des Affaires étrangères ne feraient rien qui puisse nuire de façon unilatérale aux négociations, ce qui est un peu troublant. Ils n’ont honte de rien: de quelles négociations parlent-ils? Et parler d’unilatéralisme côté palestinien en ignorant l’unilatéralisme israélien permanent depuis des années, en toute impunité d’ailleurs, c’est gonflé de leur part! Après, on peut sentir une nuance entre Fabius et Hollande sur ce sujet, la réponse de l’Elysée étant moins prometteuse en soutien à ce vote que celle de Fabius, mais je me trompe peut-être… Cela dit, ça ne mange pas de pain, une résolution demandant la reconnaissance de la Palestine. S’il n’y a pas en même temps une démarche annoncée et claire du même parlement, s’il était courageux, en faveur de la prise immédiate de sanctions contre l’Etat occupant. Par exemple, un embargo sur les armes. Après ce qu’il s’est passé cet été à Gaza, continuer à livrer des armes à Israël relève du pur scandale. Il y en a eu des embargos français sur les armes, dans d’autres cas, pourtant. Israël craint fort les sanctions, mais ce sont toujours les Etats européens ou l’UE qui reculent.
Qui reculent ou font des choses choquantes. On sait par exemple pourquoi l’Autorité palestinienne n’est pas en mesure de déposer un dossier contre des Israéliens à la Cour pénale internationale (CPI): parce qu’elle vit sous la menace de l’UE et des grands Etats européens de supprimer leurs aides budgétaires au fonctionnement de l’AP. L’AP ne peut pas le dire, mais c’est un chantage absolument odieux. Ces puissances européennes ont décidé qu’il n’y aurait pas de justice dans cette histoire. On peut amener des Soudanais, des Serbes devant la CPI, mais pas des Israéliens. Alors qu’on sait ce qui s’est passé. La dernière session du tribunal Russell qui s’est déroulée à Bruxelles en septembre l’a démontré, nous avons des témoignages israéliens et palestiniens qui racontent de véritables crimes.

La question palestinienne, qui va de mal en pis, ne vous inspire pas de désespoir?

Depuis Madrid en 1991 puis Oslo en 1993, on en est arrivé à ces fausses négociations permanentes, des négociations qui sont censées ne mener à rien sauf à présenter une façade vis-à-vis du monde extérieur qui permet de continuer la colonisation. Aujourd’hui, on est dans une situation où un camp jouit d’une souveraineté absolue sur tout le territoire entre la mer et le Jourdain, avec un gouvernement d’extrême droite à forte tendance messianniste qui veut un seul Etat, celui de la Bible. Et il y a encore des gens qui parlent (des accords) d’Oslo? Mais quand fera-t-on le deuil de cette mascarade? Oslo, ainsi que le décrivait un ami palestinien, c’est comme si on avait mis un repas dans une écuelle devant un aigle et un moineau et qu’on leur avait dit: partagez-vous cela! Où est le médiateur sérieux? Où est le garant du respect d’un calendrier, des décisions? Ca ne peut être que l’Europe et les Etats-Unis. Ce sont les principaux responsables de l’échec d’Oslo. L’UE refuse d’en prendre acte et continue à nous baratiner sur une éventuelle résurrection d’un processus mort-né depuis 23 ans. Alors qu’aujourd’hui on est en train de menacer très directement les Palestiniens de citoyenneté israélienne, qu’il y a des enfants en prison, victimes de sévices, c’est vrai que c’est désespérant, surtout en l’absence de volonté de résoudre le conflit.

Propos recueillis le 27 novembre 2014 à Bruxelles par Baudouin Loos

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Mohammed VI: le souverain montré sans fard


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Un livre important sorti en septembre et traitant du roi Mohammed VI n’est pas en vente au Maroc. Pourquoi? Simplement parce qu’au Maroc «on» n’aime pas voir les tabous transgressés. Surtout celui-là.

L’essai Mohammed VI, derrière les masques (Editions du Nouveau Monde) que signe le journaliste marocain Omar Brouksy, synthétise avec talent la carrière d’un roi, commencée en 1999 en charriant maints espoirs, qui se poursuit à l’heure actuelle alors que les déceptions s’accumulent.

Déceptions? Le mot est sans doute faible. Dame! n’avait-on pas très vite surnommé Mohammed VI «le roi des pauvres» pour saluer son apparente sollicitude envers les innombrables démunis parmi ses «sujets»? Cet homme-là, en vérité, figure en bonne place au faîte du classement des plus grandes fortunes de ce bas monde, contrôlant une économie nationale qu’Omar Brouksy décrit comme «fortement marquée par la rente et la prédominance des réseaux clientélistes, lesquels se ramifient parfois jusqu’à un niveau élevé de l’Etat».

Brouksy n’est pas en odeur de sainteté au Maroc, son pays. Il a naguère dirigé le remarquable Journal hebdomadaire (que le régime a réussi à faire interdire), il a été récemment journaliste à l’AFP (où le régime a réussi à lui retirer son accréditation), et pourtant son livre, malgré les nombreux tabous qu’il piétine, ne ressemble pas un règlement de compte. Cet essai réussit en effet plutôt et sur un ton plutôt froid, presque détaché, à faire un diagnostic inquiétant mais si peu contestable de l’état du Maroc de «M6».

C’est dans la description du système du pouvoir au royaume chérifien que l’auteur se montre sans doute le plus dérangeant. Nous voilà en effet plongé dans les arcanes d’un pouvoir où «les ministres sont de simples fonctionnaires» et «ne font pas partie du cercle des décideurs». Qui prend, alors, ces décisions? Brouksy s’en réfère notamment à Wikileaks et donc aux câbles de l’ambassadeur américain qui met en cause «l’avidité consternante de ceux qui gravitent autour du roi Mohammed VI».

Et Brouksy d’entreprendre des «fiches» des «potes» du roi, qui participent de «ce régime de copains qui sont aussi parfois des coquins». Où l’on voit le cabinet royal agir tel «un gouvernement de l’ombre, dont l’objectif est notamment d’affaiblir l’équipe islamiste de Benkirane» (le Premier ministre, NDLR).

Omar Brouksy a écrit un livre comme si au Maroc on pouvait écrire librement. Il dit donc que la santé du roi suscite des inquiétudes, que son visage bouffi a bien changé ces dernières années. Il dit donc que le statut traditionnel du roi du Maroc qui le situe dans la descendance directe du Prophète (et en fait d’ailleurs le «commandeur des croyants») se base sur «une légende» qui «ne repose sur aucun argument historique fiable». Il dit donc que la séparation des pouvoirs prévue par la Constitution devient à l’analyse des faits «une contrevérité» puisque le roi domine les trois pouvoirs.

Un livre à recommander, assurément, même si on regrettera peut-être que l’auteur n’accorde pas une place plus visible aux actuelles violations des droits de l’homme et au harcèlement subi par la partie de la société civile qui n’accepte pas l’apathie imposée par le système.

BAUDOUIN LOOS

Cet article a été publié dans Le Soir du 12 novembre 2014.

 

«Comment un Etat peut-il être à la fois juif et démocratique?»


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Né en Israël en 1956, Avi Mograbi tisse depuis longtemps une oeuvre originale de cinéaste. Sa «patte» personnelle –impertinente – est reconnaissable entre toutes. Il se met le plus souvent lui-même en scène dans des situations parfois loufoques, jamais gratuites, où l’humour au second degré suscite la réflexion.

Il nous revient avec son dernier film, intimiste, où s’expose une relation amicale d’une étonnante tonicité entre lui et son professeur d’arabe. Nous l’avons rencontré à l’occasion de son passage en Belgique motivé par la rétrospective que lui consacre le cinéma Nova, dans le centre de Bruxelles.

Vous charriez en Israël une réputation de franc-tireur facétieux, de gauchiste pince-sans rire, mais votre oeuvre exhale un parfum plutôt pessimiste. Pourtant, votre dernier film, Dans un jardin je suis entré, donne de votre amitié avec un professeur palestinien une impression très positive des possibles rapports harmonieux entre Juifs et Arabes…

Oui, et le film sort ici à un moment, après ce qui s’est passé à Gaza cet été, qui n’inspire vraiment pas à l’optimisme! Il a certes été tourné auparavant (en 2011, NDLR), mais je dirais que cet optimisme que vous observez serait plutôt comme une sorte d’échappatoire, car il ne résulte pas de la réalité, il serait même contraire à la réalité, comme dans un rêve, même si cette amitié entre Ali, mon professeur d’arabe, et moi est bien réelle. Réelle entre deux personnes précises, mais non confirmée à grande échelle à l’heure actuelle où l’on voit au contraire exposer au grand jour le racisme en Israël non seulement contre les Palestiniens mais aussi contre tous ceux qui se dressent contre les massacres.
La fille de 10 ans d’Ali, Yasmine, la formidable autre héroïne de mon film, est à moitié palestinienne par son père et à moitié juive par sa mère. Elle est brillante, pétillante, intelligente, fine, généreuse, on ne peut que tomber sous son charme ; elle incarne la solution au Proche-Orient, elle est forte des richesses des deux côtés! Et pourtant, elle le dit, tout le monde ne l’apprécie pas dans son école israélienne en hébreu, où elle souffre du racisme.

Peut-on dire de toute votre oeuvre qu’elle est purement politique?

Très politique! Mais ça veut dire quoi? Mes films n’ont pas le pouvoir d’intervenir dans la vie politique, de l’influencer, ça je l’ai compris depuis longtemps: je n’entre pas dans la vie politique, je cherche certes le changement mais ce ne sont pas mes films qui l’apporteront. Je dois reconnaître que la plupart du temps ceux qui aiment mes films y apprécient certes ma touche personnelle, mon langage cinématographique propre, poétique, différent, mais ils partagent aussi mes opinions politiques! Sauf rares exceptions…

Vos films sont-ils vus en Israël?

Oui, mais dans un circuit assez fermé, celui des cinémathèques et d’une chaîne câblée spécialisée dans les documentaires. Il n’y a qu’un seul de mes films qui est passé une fois sur une grande chaîne nationale à une heure de grande écoute, dans les années 1990. Je regrette cette situation car je fais d’abord des films à destination des Israéliens.

Vos positions politiques font-elles de vous un ennemi public pour de nombreux Israéliens, à l’image du journaliste du quotidien Haaretz Gideon Levy?

Non! Lui c’est le gars le plus détesté en Israël, il a pris sur lui la tâche de dire les choses qui dérangent le plus. J’ai travaillé naguère avec lui sur un long tournage, nous nous entendons très bien, même si je ne suis peut-être pas toujours sur la même longueur d’onde au niveau de la façon de faire passer un message, car il privilégie la provocation. Cela dit, la plupart des gens qui le détestent ne l’ont jamais lu! Je ne suis pas aussi célèbre que lui en Israël. Nous sommes dans le même camp mais lui, tout le monde le connaît et le reconnaît, moi je suis un obscur réalisateur qui n’a pas mis tout le monde en colère alors pourtant que je le mériterais!

Etes-vous étonné par ce niveau inouï de haine observée actuellement en Israël envers les Palestiniens et les «gauchistes» qui les défendent?

La haine n’est pas neuve. Je me suis récemment retrouvé à Paris avec deux vieux amis avec qui j’avais manifesté à Tel-Aviv en 1982 contre la guerre d’alors au Liban, et nous avions été rossés par des hooligans d’extrême droite à l’époque. Elle n’est pas neuve, donc, cette haine, mais il est vrai qu’elle atteint des sommets. En fait, le racisme, en Israël, ne peut constituer une surprise. Il fait partie du concept même d’«Etat juif», à savoir une nation supérieure aux autres, qui ne peut se permettre de perdre sa majorité démographique (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les territoires palestiniens occupés, sauf à Jérusalem-Est, n’ont jamais été annexés). Cet Etat est contre une partie de ses citoyens, ceux qui ne sont pas juifs.
Je me pose la question: ce à quoi on assiste actuellement, est-ce une montée du racisme jusqu’à un nouveau sommet ou juste un nouveau sommet dans l’expression même du racisme qui préexistait? Je n’ai pas la réponse. Mais c’est de toute façon choquant et insupportable. D’autant que cela provient des dominants qui se sentent toujours menacés par les plus faibles.

Pourquoi? En raison de l’histoire des Juifs, des persécutions, de la Shoah?

Tout est compliqué. La nature de l’Etat juif, comme il se voit, est d’être une île dans un océan d’hostilité arabe; avec la ferme volonté de rester juif et de tout mettre en oeuvre pour sécuriser cet Etat. Son destin est donc d’être isolé. Les gens intègrent la notion. Cela vient-il du ventre ou de l’éducation? Des deux sans doute. Israël a décidé de rester isolé pour le reste de son existence. Beaucoup d’Israéliens ne partagent pas mon avis, ils croient que nous voulons vraiment la paix… mais oublient de dire: seulement à nos conditions. Faire la paix avec les Palestiniens implique de résoudre notamment la question des frontières, des lieux saints et celle des réfugiés palestiniens. Non pas qu’il faille faire revenir six millions de réfugiés en Israël, mais il faut commencer par admettre la responsabilité – évidente! – d’Israël dans la création du problème des réfugiés, ce que nous refusons.

L’Israélien moyen comprend-il cette responsabilité? On lui apprend le contraire dès l’école…

Le récit historique israélien n’inclut pas les Palestiniens. Ni le peuple ni les individus. Pour la grande majorité des gens, c’est clair et net: les Arabes ont refusé le partage de la terre en 1948, et ils paient pour cela. Cela dit, je comprends bien par ailleurs les Juifs qui ont fui l’Europe pour venir en Israël, ce fut le cas de ma propre grand-mère maternelle, dont la famille venait de Pologne, s’était exilée en Allemagne, à Leipzig, où elle était apatride, et qui décida en 1933 après avoir été harcelée par les Jeunesses hitlériennes de partir vers le seul endroit où il y avait une possibilité d’émigrer: en Palestine.

L’Etat d’Israël se veut à la fois juif et démocratique, est-ce une aporie, une difficulté insurmontable?

Eh bien, je voudrais bien qu’on m’explique comment on peut être les deux à la fois! D’ailleurs, dans cet Etat, on trouve deux communautés, l’une, dominante, jouit de la Loi du retour (tout Juif dans le monde a le droit d’émigrer en Israël et de devenir israélien, NDLR), alors que l’autre – les «Arabes israéliens» – subit des discriminations dans moult domaines, construction, éducation, santé, etc.

Votre fils a fait de la prison en 2005 pour avoir refusé de servir sous les drapeaux…

Oui, nous avons trois générations de Mograbi qui ont connu des détentions pour motifs politiques… parfois différents! Mon père, venu de Syrie, faisait partie du groupe armé juif clandestin Irgoun et fut arrêté par les Britanniques et déporté pendant neuf mois en Erythrée dans les années 1940. Moi, j’ai fait quelques mois de prison en 1983 pour avoir refusé de servir ma période de réserve au Liban – j’ai participé à l’occasion à la création de «Yesh Gvul» («Il y a une limite»), une organisation dont je suis devenu porte-parole qui aide les soldats qui refusent de servir l’occupation. Enfin, donc, mon fils aîné a fait quatre mois de prison en 2005 pour la même raison.

Propos recueillis à Bruxelles par Baudouin Loos

Le Cinéma Nova consacre à Avi Mograbi une rétrospective jusqu’au 17 octobre (en présence du réalisateur jusqu’au 21 septembre). Son dernier film, Dans un jardin je suis entré, y sera diffusé du 24/9 au 19/10.

Le 17 septembre 2014.

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Les décapitations, le piège sournois des djihadistes


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Baudouin Loos

Irak

La troisième scène de décapitation d’otages occidentaux, celle du Britannique David Haines, inspire les mêmes sentiments de dégoût, d’indignation, de colère et de frustration envers les bourreaux du soi-disant « Etat islamique ».

Il convient pourtant de tenter de mesurer les motivations de ces derniers. D’évidence, leur « stratégie », puisqu’ils n’agissent pas ainsi sans raisons, ne peut être que d’attirer les Occidentaux dans un piège qui se refermerait ensuite sur eux : provoquer une intervention occidentale la plus massive possible, à l’aune de notre désir de vengeance spontanément induit par les ignobles assassinats filmés puis envoyés sur les réseaux sociaux.

Plus les réactions occidentales seront massives et brutales, plus ces djihadistes de l’Enfer pensent alimenter à travers le monde musulman sunnite un puissant sentiment de « deux poids deux mesures » puisque, il est vrai, la communauté internationale assiste en même temps depuis trois ans avec passivité au martyre de tout un peuple  : la majorité sunnite syrienne. Et ils comptent bien exploiter – pour recruter et convaincre – un tel sentiment d’injustice.

Il existe depuis près de deux ans quatre camps qui se déchirent les lambeaux de Syrie : le régime, les rebelles, les Kurdes et les djihadistes. L’alliance objective qui prévalait entre le premier et les derniers a volé en éclats quand les djihadistes, se sentant en position de force, ont commencé en juin leurs conquêtes en Irak (dont beaucoup provenaient), où le gouvernement central, pro-chiite de manière caricaturale, avait créé les conditions de leur succès en terres sunnites.

Dans le champ de bataille syrien, les rebelles sont le seul camp en danger de disparition rapide. Leur cruelle désunion et l’absence de soutien extérieur suffisant vont bientôt les exposer à un terrible choix entre la reddition, la mort ou l’exil. Sauf si, enfin, ils reçoivent une aide militaire concrète et importante.

L’erreur à ne pas commettre en Occident serait de considérer que Bachar el-Assad, à Damas, constitue en fin de compte un « moindre mal ». La majorité sunnite de Syrie accueillerait cette volte-face avec consternation, elle qui subit ce régime basé sur la torture depuis quarante ans. Et, comme l’écrit sur politico.com l’expert belge Thomas Pierret, ces sunnites se demanderaient pourquoi des décapitations précipitent une intervention contrairement aux atrocités bien plus nombreuses d’el-Assad.

Les exactions infâmes de « l’Etat islamique » ne peuvent rester sans réponse, et celle-ci n’a sûrement pas lieu d’être inspirée par la moindre faiblesse envers ces bourreaux sans scrupules. Mais, sauf à tomber dans leur piège, il faut que les cibles soient attentivement choisies, sans oublier qu’à Damas le régime impitoyable des el-Assad ricane d’une donne qui joue en sa faveur.

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Affaire Ali Aarrass: l’Espagne condamnée par un comité de l’ONU


Baudouin Loos
Mis en ligne lundi 1 septembre 2014, 18h58

Nouveau rebondissement dans l’affaire Ali Aarrass, du nom de ce Belgo-Marocain condamné au Maroc à 12 années de prison pour « terrorisme » après des aveux arrachés sous la torture

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Le Comité des droits de l’homme des Nations unies, dans une communication du 28 août 2014, vient de fustiger l’Espagne pour avoir extradé le plaignant en décembre 2010 alors qu’il existait un risque sérieux de torture encouru, comme le même comité l’avait d’ailleurs signalé en extrême urgence il y a quatre ans.

Les avocats d’Ali Aarrass, dans un communiqué, expliquent qu’ainsi, « le Comité des droits de l’homme constate qu’Ali Aarrass a bien été sauvagement torturé. Il considère, à cet égard, qu’en dépit des informations transmises aux autorités espagnoles, cet Etat n’a pas évalué adéquatement le risque de mauvais traitements. En effet, l’ « Audiencia nacional » avait simplement estimé que la torture n’était pas assez systématique au Maroc que pour justifier un refus d’extradition ! ».

Selon le Comité des droits de l’homme, l’Espagne doit maintenant, d’une part, offrir une compensation adéquate à Ali Aarrass pour les souffrances encourues et, d’autre part, prendre toutes les mesures possibles vis-à-vis des autorités marocaines pour assurer un suivi efficace quant au traitement du plaignant. L’Espagne a six mois pour se conformer à cette décision.

Les avocats, Mes Alamat, Cohen et Marchand, rappellent que, par ailleurs, une autre instance onusienne, le Comité contre la torture, saisi d’une plainte contre le Maroc, « a constaté le 27 mai 2014 que ce pays a bien violé la règle absolue de l’interdiction de la torture, n’a pas mené d’enquête sérieuse à cet égard, et a condamné Ali Aarrass sur base de preuves tronquées. Ce Comité a donné 90 jours au Maroc pour commencer une enquête impartiale et approfondie, incluant un examen médical conforme aux standards internationaux. Une instruction (impartiale ?) a bien été rouverte. Ali Aarrass n’a cependant pas été libéré et croupit toujours en prison, à la merci de ses tortionnaires ».

Enfin, on attend pour le 11 septembre prochain une décision en degré d’appel de la chambre bruxelloise des référés dans une plainte d’Ali Aarrass contre l’Etat belge à qui il demande une assistance consulaire refusée au motif principal qu’il est binational. En première instance, la juge avait donné raison au plaignant. Si elle est confirmée en appel, cette décision ferait jurisprudence.

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