[youtube https://youtu.be/bRbmFYYbcyw?]
Une vidéo filmée clandestinement à l’intérieur du plus grand camp de migrants en Hongrie, à la frontière de la Serbie, montre les conditions « inhumaines » dans lesquelles la nourriture est distribuée.
Cette vidéo, filmée en secret par une bénévole australienne qui s’est rendue mercredi au camp de Roszke, montre quelque 150 migrants rassemblés dans un enclos à l’intérieur d’une grande salle et se bousculant pour tenter d’attraper des sacs de sandwiches que leurs lancent des policiers hongrois portant des casques et des masques hygiéniques.
Des femmes et des enfants sont dans cette foule mouvante et chaotique, tentant d’attraper le pain volant dans les airs, tandis que ceux qui sont au fond escaladent la barrière de l’enclos pour tenter d’attirer l’attention de ceux qui distribuent la nourriture.
« C’était comme de nourrir des animaux enfermés dans un enclos, comme un Guantanamo en Europe« , a déclaré Alexander Spritzendorfer, dont la femme Michaela a filmé la séquence, diffusée sur YouTube jeudi soir.
Le couple, avec d’autres bénévoles, était venu apporter de la nourriture, des vêtements et des médicaments.
Mardi, l’agence de l’ONU pour les réfugiés avait critiqué les conditions très dures au camp de Roszke, alors que la Hongrie se débat pour tenter de faire face à l’afflux record de migrants qui traversent ses frontières pour tenter d’atteindre l’Europe occidentale.
Le gouvernement de droite avait fini fin août de construire une barrière de barbelés le long de sa frontière de 175 km avec la Serbie, mais celle-ci ne semble pas être un obstacle à l’arrivée des migrants.
Une nouvelle barrière, de quatre mètres de haut, est en construction et devrait être achevée fin octobre ou début novembre.
Caricature : Plantu aussi a migré…
D’abord, le bon sourire du père de cette famille de migrants, sous le crayon de Plantu. Un père replet, manifestement quinquagénaire, très différent des jeunes hommes efflanqués que nous montrent les photos, et les images télévisées.
Enturbanné, aussi, comme les mollahs de Charlie Hebdo, alors que les mêmes images télévisées (mais peut-être sont-elles mensongères) ne nous montrent aucun enturbanné.
Le personnage sourit. Ce n’est ni un mollah ni un djihadiste, c’est un « bon » enturbanné. A moins que ce sourire ne vise à tromper la vigilance du douanier ?
Et la larme de sa femme, forcément voilée (mais pas trop) ? Sincère, ou bien trompeuse elle aussi, pour émouvoir le même personnage à tampon (et les caméras) ?

Le dessin de Plantu à la une du Monde, le 10 septembre 2015
Le regard se pose ensuite sur l’ouvrier français (casquette, salopette, mine patibulaire) qui vient de prendre au collet un malingre personnage à lunettes, agrippé à un épais code du travail (universitaire ? fonctionnaire ? Aucun signe distinctif, sinon les lunettes, signe de faiblesse physique face à la force brutale du prolétaire).
Le jeu du Medef, du FN, ou des deux ?
On imagine que l’ouvrier va lui faire passer un mauvais quart d’heure, à ce rat de bibliothèque. Puis on réalise que là non plus, la caricature de Plantu ne correspond pas à la réalité, telle que la narrent les médias du jour : dans cette narration-là, ce sont les ouvriers, les salariés, qui sont protégés par l’épais et archaïque code du travail, qu’il s’agit de moderniser, de dépoussiérer.
En toute logique, si ses deux mains n’étaient pas occupées à malmener le binoclard, c’est l’ouvrier, qui devrait s’agripper au code. Mais qu’un ouvrier, incarnation de la force brutale, puisse être attaché à des textes protecteurs, n’entre pas dans l’univers mental du dessinateur.
Bref, ce dessin, paru à la une du Monde de ce jeudi, et tweeté par Attac qui se demande s’il fait davantage le jeu du Medef, du FN, ou des deux, n’est pas seulement une caricature cumulant deux poncifs réacs (le migrant enturbanné, l’ouvrier brutal).
Il ne dit pas le monde tel qu’il est
Il décrit un univers « plantuesque » entièrement imaginaire, où les migrants s’apprêtent à prendre la place des ouvriers français, tous deux étant par ailleurs mieux nourris que les fonctionnaires français.
Il ne dit pas le monde tel qu’il est. Il ne dit même pas Le Monde qui, ce jeudi, envoie trente reporters rapporter images et récits de la crise des migrants, qui viseront à capturer partout des éclats de réel, à l’opposé des caricatures.
Il ne dit rien d’autre qu’une trajectoire individuelle. Il dit, pour ceux qui suivent depuis toujours son travail, et l’ont longtemps aimé, la longue migration intérieure d’un dessinateur, qui à ses débuts, naïf qu’il était, et sans doute affamé lui-même, n’avait pas encore compris que « le Sud » est peuplé d’enturbannés replets, et sournois.
L’HUMANITÉ QUI LEUR FAIT DÉFAUT, par François Leclerc
copié du blog de Paul Jorion
Billet invité.
Devant le spectacle offert par « la marche de l’espoir » de plus d’un millier de réfugiés, le verrou mis en place par le gouvernement hongrois a sauté, la situation devenant intenable pour lui. Derrière un drapeau de l’Europe et brandissant des portraits d’Angela Merkel, ceux-ci avaient entamé hier en famille une longue marche de 175 kilomètres, quelques uns en chaise roulante, pour rejoindre la frontière au départ de Budapest où ils étaient bloqués, mais 123 bus affrétés par le gouvernement hongrois les y ont finalement conduits.
Les autorités autrichiennes avaient pris des dispositions pour les acheminer ensuite en train jusqu’à la frontière allemande, où ils ont été pris en charge, répartis dans le pays pour y trouver enfin « une once d’humanité » selon Amnesty International. Dans les gares allemandes d’arrivée, des centaines de bénévoles attendent les réfugiés. Fort de ce résultat, une seconde marche a été entreprise au départ de Budapest par plus de 500 réfugiés, mais les autorités ont fait savoir que les réfugiés ne seront pas transportés par bus. 800 évadés d’un camp situé près de Debrecen, à l’Est de Budapest, tentent également de rejoindre la frontière autrichienne, qui se trouve à environ 500 kilomètres.
Les conditions dans lequelles se poursuivent l’exode restent indignes. Illustration de la dégradation de la situation, des milliers de réfugiés qui cherchaient à embarquer pour Athènes ont été repoussés avec des gaz lacrymogènes par les forces anti-émeutes dans l’île grecque de Lesbos, qui recueille la moitié des arrivants en Grèce et où règne une très grande confusion.
Venant de Grèce puis de Macédoine, la route des Balkans vers l’Allemagne n’a pu être longtemps barrée par le gouvernement hongrois, malgré l’adoption par le parlement d’une loi anti-immigrants qui renforce les possibilités de déploiement de l’armée aux frontières, et rend l’immigration illégale passible de jusqu’à trois ans de prison. 50.000 réfugiés auraient rejoint la Hongrie durant le mois d’août et l’exode se poursuit. Comme l’a fait remarquer le ministre autrichien des affaires étrangères Sebastian Kurz, « ceux qui pensent que l’hiver va régler le problème parce que ça va réduire le nombre [de réfugiés] ont peut-être raison en ce qui concerne la route méditerranéenne vers l’Italie, mais pas en ce qui concerne la route des Balkans occidentaux ».
Réunis de manière informelle, les ministres des affaires étrangères n’ont pas publié de communiqué. Le vice-Premier ministre turc Cevdet Yılmaz a conclu le G20 finances d’Ankara en annonçant que « la question des migrants » serait traitée « au niveau politique » lors du sommet des chefs d’État et de gouvernement du G20 qui est prévu à la mi-novembre à Antalya (Turquie). D’ici là, la situation aura largement le temps d’empirer et les conditions de l’exode de se détériorer.
Tahar Ben Jelloun – Cet enfant, c’est l’humanité échouée !
En Syrie, un dictateur prêt à tout pour rester en place a pris son peuple en otage, dans l’indifférence du monde. C’est de cela que ce petit garçon est mort.
Par Tahar Ben Jelloun
Publié le 03/09/2015 à 11:54 | Le Point.fr
photo Un policier porte le corps d’Aylan Kurdi retrouvé mort sur la plage de Bodrum, en Turquie. Son frère âgé de 5 ans et sa mère seraient morts noyés eux aussi en tentant de rejoindre Kos en Grèce. Ils venaient de Kobane.
i Un policier porte le corps d’Aylan Kurdi retrouvé mort sur la plage de Bodrum, en Turquie. Son frère âgé de 5 ans et sa mère seraient morts noyés eux aussi en tentant de rejoindre Kos en Grèce. Ils venaient de Kobane.AFP PHOTO / DOGAN NEWS AGENCY©STR
Des enfants meurent tous les jours de maladie ou d’accident. Ce malheur est le plus terrible dans la vie. Mais là, c’est un enfant de trois ans assassiné par Bachar el-Assad. Il aurait pu vivre, aller à l’école, danser et rire, jouer et dessiner des rêves.
Quel âge ont les enfants de Bachar el-Assad ? Dorment-ils bien ? Ont-ils vu le dentiste pour éviter les caries ? On est inquiet, on voudrait savoir s’ils se portent bien, s’ils ne manquent de rien. Parce que tout autour de leur maison des citoyens en armes tentent de renvoyer leur père à son premier métier, la médecine. Mais il est très occupé. Il n’est pas sûr que le soir il trouve le temps d’aller leur raconter une petite fable avant de s’endormir et de faire de beaux rêves. Peut-être qu’il les a envoyés loin, à Londres par exemple, où ils devraient vivre en toute sécurité avec leur maman.
« Moi ou le chaos islamiste »
Il y a la guerre et puis il y a l’exil. Des réfugiés syriens errent dans le monde. L’Europe ne peut pas aujourd’hui se détourner des conséquences de cette guerre. Lorsque le peuple syrien est descendu dans les rues de Damas manifester pacifiquement contre la dictature que Bachar a héritée de son père Hafez, il fut reçu non pas par des jets d’eau, mais par des rafales de mitraillettes qui ont fait des centaines de morts. C’était en mars 2011. Le monde savait de quoi était capable cette famille de malheur pour rester au pouvoir. Le père avait donné l’exemple en tuant, en février 1982, 40 000 opposants à Hama, en toute impunité. Cela s’est passé dans un huis clos absolu.
Avec l’appui de la Russie et de l’Iran, Bachar a entamé une guerre sans merci contre son peuple. Depuis, les choses se sont compliquées et l’islamisme radical s’en est mêlé, ce qui arrangeait bien la stratégie de Bachar, qui dit au monde : c’est moi ou le chaos islamiste !
Puis il y eut l’utilisation en août 2013 d’armes chimiques. Obama s’est énervé. Juste un petit énervement, une mauvaise humeur. Sans plus. Les Européens attendaient de voir ce qu’allait faire l’Amérique. Elle ne fit rien. Ainsi fut délivré « le permis de tuer » à un grand assassin, Bachar el-Assad.
Il rappelle notre silence et notre impuissance
Des millions de Syriens ont fui. Un million au Liban. Et un peu plus de trois autres millions éparpillés dans le monde, dont la famille du petit garçon retrouvé le visage contre le sable sur la plage de Bodrum en Turquie. L’embarcation devait aller à Kos, en Grèce. Le malheur s’est abattu sur elle et voilà un naufrage non seulement d’une dizaine de citoyens syriens expulsés de leur maison par la guerre et par l’indifférence du monde, mais d’une humanité meurtrie, trahie, dont le sort fait honte au monde. Comme l’a écrit quelqu’un en voyant cet enfant, le corps inanimé, c’est « l’Humanité échouée ». C’est la civilisation dans tous ses échecs. C’est la victoire de la barbarie, qu’elle vienne des rangs de Daesh ou de la tête de Bachar.
Cet enfant jeté par les flots rappelle la petite Vietnamienne qui courait nue fuyant les bombardements. Il rappelle le silence des uns, l’impuissance des bonnes âmes, mais surtout il nous dit que le monde est ainsi : la barbarie a pignon sur rue. On tue, on égorge et on filme le carnage. Le peuple syrien est abandonné de tous. Demain, ce sera un autre peuple qui subira le même sort. C’est cela, l’avenir du monde. Avant on croyait à la solidarité, à la bonté, à l’humanité. Tout cela est bien fini. Bachar, après bien d’autres massacreurs de leur peuple, nous dit calmement « c’est moi ou le chaos », un chaos mis en scène par ses services. Et le tour est joué.
La photo du petit garçon hantera ses nuits. Mais, vidé de toute humanité, il n’aura aucune émotion, aucun geste et passera une bonne nuit jusqu’au jour où il n’y aura plus de peuple syrien en Syrie.
EditoriaI du « Monde ». Il s’appelle Aylan Kurdi,

EditoriaI du « Monde ». Il s’appelle Aylan Kurdi, il est âgé de 3 ou 4 ans. Un petit corps sans vie échoué sur une plage turque. C’est un enfant syrien qui fuyait la guerre, avec sa famille. Ils voulaient gagner l’Europe, en l’espèce la Grèce, par la Turquie. Leur embarcation comptait au moins onze personnes à bord. Elle a sombré quelque part au large de l’île de Kos. La mer a rejeté certains des corps sur une plage turque. Et, un peu à part, tout seul, celui de ce petit bonhomme en tee-shirt rouge et pantalon bleu, qui restera comme l’emblème de cet afflux migratoire sans précédent que nous ne voulons pas voir. Ou pas assez.
Le Monde a déjà publié des photos d’enfants morts, notamment lors de l’attaque chimique d’un quartier de Damas par la soldatesque de Bachar Al-Assad en 2013. Nul voyeurisme, nul sensationnalisme, ici. Mais la seule volonté de capter une part de la réalité du moment.
Cette photo, celle de l’enfant, témoigne très exactement de qui se passe. Une partie du Proche-Orient s’effondre à nos portes. Des Etats qui étaient des piliers de la région se décomposent – la Syrie et l’Irak, notamment. Les pays voisins immédiats croulent sous une masse de réfugiés qui représentent souvent près du quart de leur population – en Jordanie et au Liban. Ces Etats-là, si l’on n’y prend garde, vont commencer à vaciller à leur tour.
Par dizaines de milliers, chaque mois, chaque semaine, Syriens, Irakiens, mais aussi Afghans et autres, fuient. Nos querelles juridiques sur l’exacte nature de ces migrants ont quelque chose d’ubuesque. Aux termes de conventions datant de l’immédiat après-guerre, il y aurait les migrants économiques et les migrants politiques : les premiers fuient la misère, les autres les persécutions politiques et la guerre. Ils n’ont pas les mêmes droits.
L’exode ne fait que commencer
Mais l’enfant, lui, l’enfant de la plage, le petit Aylan, où faut-il le ranger ? La vérité est que ce ne sont plus seulement des hommes jeunes en quête d’emploi et d’un avenir meilleur qui forment le flux migratoire de l’heure ; ce sont des familles entières, femmes et enfants compris, qui fuient et la misère et les combats. Il faudra encore des années avant que le mélange de guerres civiles, religieuses et régionales nourrissant le chaos proche-oriental ne s’apaise. L’exode ne fait que commencer, il ne s’arrêtera pas de sitôt. Et l’Union européenne est sa destination naturelle.
Peut-être faudra-t-il cette photo pour que l’Europe ouvre les yeux. Et comprenne un peu ce qui arrive. Pas d’angélisme : on ne fait pas de bonne politique sur de l’émotion. Pas de leçon de morale : nos Etats-providence, encore malmenés par la crise de 2008, lourdement endettés, faisant souvent face à un chômage massif, en proie, pour certains, à un malaise identitaire sérieux, sont désemparés face à l’afflux des migrants. Nos démocraties sont naturellement perméables aux mouvances protestataires les plus démagogiques – championnes du « y a qu’à » et autres solutions toutes faites.
Lire aussi : Guy Sorman : « Les réfugiés d’aujourd’hui me rappellent mon père fuyant le nazisme »
Tout cela est vrai, comme il est exact que l’accueil de populations étrangères pose effectivement nombre de difficultés, qu’il est irresponsable de nier. Mais, enfin, l’Europe est déjà passée par là. La seule France a su, dans les années 1920, alors qu’elle comptait 37 millions d’habitants, recevoir quelque 140 000 Arméniens. On trouvera d’autres exemples.
Tellement décriée, ici et là, notre Union européenne nous a tout de même appris à gérer ensemble des politiques complexes et difficiles. Nos Etats-providence savent faire face à des situations d’urgence. Nos sociétés civiles sont tissées de liens associatifs qui ont fait leurs preuves, dès lors que l’opinion était convaincue de la justesse de telle ou telle cause.
Il ne faut pas se tromper. Dans quelques années, les historiens jugeront les Européens sur la façon dont ils ont accueilli ceux qui fuyaient la mort sous les bombes, l’esclavage sexuel, les persécutions religieuses, les barils de TNT sur leurs quartiers, l’épuration ethnique. Dans les livres d’histoire, le chapitre consacré à ce moment-là s’ouvrira sur une photo : celle du corps d’un petit Syrien, Aylan Kurdi, noyé, rejeté par la mer, un sinistre matin de septembre 2015.
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Jérôme Fenoglio (Directeur du « Monde »)
Directeur du « Monde » Suivre Aller sur la page de ce journaliste Suivre ce journaliste sur twitter
Tribune. “Je n’ai jamais voulu publier une photo d’enfant mort. Jusqu’à hier”
Peut-on publier la photo d’un enfant mort en première page d’un journal ? D’un enfant qui semble dormir, comme notre fils ou notre petit-fils ?
Jusqu’à hier soir, j’ai toujours pensé que non. Ce journal s’est battu pour le respect de limites claires et infranchissables, pour le respect des êtres humains. Hier encore, ma réponse a été : “On ne peut pas la publier.”
Mais pour la première fois, je ne me suis pas senti bien. J’ai senti au contraire que cacher cette image, c’était comme détourner le regard, faire comme si de rien n’était, que tout autre choix reviendrait à se ficher du monde. Cela ne servirait qu’à nous donner une autre journée d’inconscience tranquille.
Et là, j’ai changé d’avis. Le respect, pour cet enfant qui fuyait avec ses frères et ses parents une guerre qui se déroule aux portes de chez nous, exige que tout le monde sache. Que chacun de nous s’arrête un instant et prenne conscience de ce qui est en train de se passer sur les plages qui bordent la mer où nous sommes allés en vacances. Ensuite, vous pourrez reprendre le cours de votre vie, peut-être indignés de ce choix, mais conscients.Je les ai rencontrés ces gamins syriens, enfants d’une bourgeoisie qui abandonne tout – maisons, boutiques, terrains – pour sauver l’unique chose qui compte. Je les ai vus tenir la main de leurs parents qui, comme tous les papas et toutes les mamans du monde, veulent les protéger de la peur et leur achètent une peluche, une casquette ou un ballon avant de monter dans un canot, après leur avoir promis qu’il n’y aurait plus ni cauchemars ni explosions dans leurs nuits.
Nous ne pouvons plus tergiverser, faire des acrobaties entre nos peurs et nos élans de compassion, cette photo fera l’Histoire comme le fit celle de cette fillette vietnamienne la peau brûlée par le napalm ou de ce petit garçon les bras levés dans le ghetto de Varsovie. C’est la dernière occasion pour les dirigeants européens de montrer qu’ils sont à la hauteur de l’Histoire. Et c’est l’occasion pour chacun de nous de faire ses comptes avec le sens de l’existence.
Belgique 1940 – Syrie 2015
Patrick Rousseau
La crise actuelle aux frontières de l’Europe m’a rappelé le journal tenu par ma grand-mère en mai 1940. En voici quelques extraits résumés:
10 mai 1940: Les ponts sur la Meuse vont peut-être être dynamités, ce sera plus sûr de quitter Liège pour aller chez mes parents à Bruxelles.
12 mai: Mon oncle et ma tante nous offrent gentiment l’hospitalité à Dentergem (Flandre), nous y serons en sécurité.
17 mai: Nous passons la nuit à La Panne, Il faut absolument passer la frontière, la vague vert-de-gris va déferler sur la Belgique.
18 mai: Nous passons en France, nous croyant sauvés!
20 mai: Les Allemands ont atteint la côte à Abbeville, nous sommes bloqués, nous devons trouver un bateau pour aller en Angleterre.
26 mai: Nous voici dans un camp de réfugiés au sud de Londres, heureusement la Croix-Rouge distribue des colis alimentaires. Nous espérons bien rentrer chez nous dans quelques semaines.
Finalement ma famille passera 5 ans en Angleterre, parmi les plus chanceux des réfugiés belges…
Comme eux, c’est avec un coeur très lourd que les réfugiés d’aujourd’hui ont quitté leur foyer. Comme eux, ils espèrent que ce ne sera que temporaire, et rèvent de pouvoir un jour rentrer au pays…
A nous de les traiter aujourd’hui comme nous l’avons été il y a 75 ans.
L’Autriche partagée entre repli et solidarité envers les migrants
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La société autrichienne est bouleversée. Des fleurs et des bougies sont déposées sur le lieu du drame, alors que les initiatives personnelles d’aide aux migrants se multiplient. (Reuters)

71 cadavres ont finalement été découverts dans le «camion de la honte». L’enquête se dirige vers un réseau de trafiquants établi entre la Hongrie et la Bulgarie
71 morts, dont 59 hommes, 8 femmes et 4 enfants: le bilan définitif annoncé vendredi par les autorités autrichiennes est terrible. Des trafiquants d’êtres humains, originaires des pays de l’Est, auront donc osé entasser 71 migrants désespérés dans ce camion réfrigéré retrouvé jeudi en fin de matinée sur la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute autrichienne venant de la frontière hongroise.
Un document syrien, retrouvé au milieu des cadavres en décomposition, permet de penser que nombre des victimes étaient originaires de ce pays. Ces migrants sont morts dans des conditions atroces, probablement asphyxiés lentement, alors que leurs passeurs les abandonnaient à leur destin tragique, une fois le véhicule tombé en panne.
Les experts des équipes médico-légales ont travaillé toute la nuit pour les extraire du camion. Les corps vont maintenant être autopsiés, à Vienne, afin de déterminer la cause et la date des décès. Le bilan est bien supérieur aux premières estimations qui faisaient état jeudi de 20 à 50 victimes. C’est que l’état de décomposition des corps a rendu le comptage difficile.
Mais l’annonce de cette surenchère dans l’horreur, aggravée par le fait que, jeudi également, au moins 76 migrants partis de Libye ont péri noyés en Méditerranée (lire ci-contre), n’a pas provoqué le sursaut espéré par les ONG chez les dirigeants concernés. Au contraire, les autorités hongroises et autrichiennes ont tenté, toute la journée de vendredi, de masquer l’absence de concertation concernant cette crise majeure des migrants, en communiquant sur des avancées dans l’enquête et en annonçant un renforcement des mesures à l’encontre du trafic des êtres humains.
On ne parle plus désormais d’un conducteur roumain, mais on évoque plutôt un réseau établi entre la Bulgarie et la Hongrie. Deux citoyens bulgares, dont un ayant des origines libanaises, ainsi qu’un Afghan porteur d’une carte d’identité hongroise, ont ainsi été interpellés en Hongrie. Ces personnes sont soupçonnées d’être fortement impliquées dans la mort des migrants. La justice hongroise dispose de trois jours pour décider de leur mise en examen.
Alors que la chancelière allemande en appelle une nouvelle fois à l’Europe, l’Autriche parle dans son coin de renforcer les contrôles inopinés à sa frontière, la Hongrie de faire passer des nouvelles lois qui autoriseraient l’armée à épauler la police aux frontières de Schengen. De plus en plus critiquée pour sa gestion, la ministre autrichienne de l’Intérieur, Johanna Mikl-Leitner, démocrate-chrétienne, a de nouveau exclu de démissionner, comme le réclamait «Asyl im Not», une association d’aide aux réfugiés, ainsi que la majorité sociale-démocrate de la ville de Vienne.
La société autrichienne est bouleversée. On ne compte plus les initiatives personnelles d’aide aux migrants, les gens s’organisant désormais eux-mêmes, pour porter secours aux démunis qui commencent à affluer, notamment, autour de la gare centrale de Vienne.
Une plaque va être apposée sur un château médiéval de la région du Burgenland, où les corps ont été retrouvés. A la mémoire des victimes et à celle des milliers de personnes fauchées dans leur fuite vers une «vie meilleure».
Au policier qui m’a frappé, à la frontière entre la Macédoine et la Grèce…
Notre identité meurtrière – 26 août 2015 | Par MAJD ALDIK
Activiste syrien de 28 ans, originaire de Douma en banlieue de Damas, Majd Aldik a fui la Syrie fin 2014. Réfugié politique, il publie une chronique cet été sur Mediapart dans le cadre de l’opération OpenEurope.
Au policier qui m’a frappé, à la frontière entre la Macédoine et la Grèce…
Donne-moi ta matraque et ton bouclier anti-émeutes. Enlève ton uniforme militaire, il ne te sera d’aucun secours face à la mort. Donne-moi la main, celle avec laquelle tu m’as frappé. Je vais t’emmener faire un tour.
On va retourner vers les plages grecques, afin de rejoindre laTurquie. C’est une marche longue et épuisante. J’espère que tu ne crains pas trop la douleur…Il faut que tu saches d’emblée que tes plaies vont te faire de plus en plus mal, t’entailler profondément la chair. Sur la route, je chercherai une pharmacie, pour t’acheter des compresses. Je t’enlèverai tes bottes militaires et te panserai les pieds. Ne t’en fais pas, on finira bien par atteindre la côte.
Ça nous prendra un peu de temps, avant de trouver un passeur. Il va te prendre tout ce que tu possèdes, contre la promesse qu’il ne surchargera pas le bateau. Ne le crois pas. Tu verras, on sera trois fois plus nombreux que prévu. Mais ne crains rien, je suis avec toi.
On devra nager un peu pour rejoindre le bateau. Le passeur n’osera pas s’approcher du rivage. Une fois là-bas, je te hisserai à l’intérieur de l’embarcation. Ce n’est pas la peine que tu me tendes la main en retour, j’ai l’habitude de faire ça.
Tu vas sentir la mer se répandre à tes pieds. Tu vas avoir l’impression de te noyer. Le passeur va brandir son couteau et menacer de couler la barque si jamais des garde-côtes se manifestent. Il est possible aussi qu’il te dépouille de tes derniers biens.
Au milieu de la mer, tu vas connaître le summum de la peur et te mettre à prier, même si tu n’es pas croyant. Mais garde ton calme. Je serai à tes côtés.
Une fois arrivés, tu vas me serrer dans tes bras comme si j’étais ton père…Le sang aura transpercé les bandages que tu as aux pieds, et tu seras incapable de marcher. Je te porterai sur mon dos, à travers les forêts de Turquie.
Puis je trouverai une voiture pour t’emmener à la frontière syrienne. Sur le chemin, je te parlerai du pays. Tu me trouveras un peu niais.
Au moment où nous entrerons en Syrie, tu me demanderas quels sont ces bruits assourdissants…Je ne te répondrai pas, pour que tu ne prennes pas peur. Les bruits s’intensifieront. Tu vas me demander ce que sont tous ces amas de pierre. Je te dirai alors que ça a été une ville, mais qu’une bête féroce, nommée Bachar al Assad, l’a ravagée. Qu’on a versé notre sang jusqu’à ce qu’on comprenne qu’ici, il n’y a pas de loi humaine. Que c’est le règne de la jungle. En regardant le ciel, tu vas apercevoir un avion. Surtout, ne lui fais pas signe. Pas comme quand on était petits. Et ne souris pas au pilote. Il n’est pas de la race humaine.
Dans les minutes qui suivent, tu vas voir un baril tomber de l’avion. C’est une pratique militaire que n’auras jamais vue, dans ton pays. Je te dirai immédiatement de te mettre à plat ventre, de te boucher les oreilles et de respirer par la bouche. Ce que tu entendras, c’est ce qu’on appelle une explosion. Nous, nous appelons ça la haine. Tu vas sentir ta poitrine se serrer et ton cœur accélérer. C’est l’effet de la peur. Ne t’en fais pas, au bout du dixième baril, tu t’y seras habitué.
Des haut-parleurs appelleront à venir donner du sang, tous groupes confondus. C’est ce qu’on fera, pour aider ceux qui nous donneront le leur, quand on sera touchés. On devra descendre dans des soubassements obscurs. N’aies pas peur, là non plus. On ne se rend pas à l’abattoir. C’est juste un dispensaire de terrain. Et ces lambeaux au sol ? Juste des morceaux de foies.
Tu vas pleurer de peur. Tu vas me demander de te ramener chez toi. Je vais te rappeler que la traversée de la mer t’a terrorisé, au point de t’en remettre à Dieu. A toi de voir… Tu as le choix entre une mort par noyade, mais en un seul morceau. Ou une mort sous un baril, avec tes membres récoltés dans un drap avant d’être jetés dans une fosse commune, avec le risque qu’ils se mélangent à ceux du pilote qui a balancé le baril. Après une courte réflexion, tu opteras pour la noyade. Le froid est préférable à la fournaise.
Je vais te ramener sain et sauf chez toi, calme-toi. Je m’en fais un devoir…Je vais te porter jusqu’à la frontière où je t’ai rencontré.
Mais, juste avant de passer en Macédoine, me rendrais-tu un petit service ?
Prends ma carte d’identité et donne-moi la tienne en échange. Je vais te ramener derrière la barrière, là où je me trouvais quand tu étais de l’autre côté. Tu vas te précipiter vers la zone de contrôle, convaincu qu’ils te reconnaîtront. Ils vont te demander tes papiers. Tes papiers syriens.
Un coup va s’abattre sur ton pied, juste à l’endroit rongé par la marche. On va t’ordonner de retourner d’où tu viens, et t’interdire, par la force, le passage. Tu vas oublier tes pieds en sang. Tu vas oublier toutes les morts que tu as côtoyées. Tu vas te sentir plus vulnérable qu’une fourmi. Allez, ce n’est pas très grave…C’est juste quelqu’un d’incapable de voir que tu es humain, au moment où il regarde ce bout de plastique censé te donner une identité.
Tu sauras alors qui tu as frappé.




