Ben Jelloun : en Syrie, massacres sur ordonnance


Le Point.fr –

Le régime de Bachar el-Assad a tué 180 médecins. Le dernier se nommait Abbas Khan. L’occasion pour Tahar Ben Jelloun de condamner la lâcheté de l’Occident.

D’après un observateur des droits de l’homme en Syrie, le régime de Bachar el-Assad a tué 180 médecins, dont 6 étrangers. Le dernier en date n’avait que 32 ans, il s’appelait Abbas Khan, britannique, chirurgien orthopédiste arrêté en Syrie le 22 novembre 2012, deux jours après son arrivée, et mort en détention le 17 décembre 2013. Il était venu en tant que bénévole des hôpitaux de campagne pour soigner des civils victimes de la guerre que fait Bachar el-Assad à son peuple.

Cela faisait plus de quatre mois que sa mère était partie en Syrie réclamer sa libération. Elle pensait rentrer avec lui. Ce sera dans un cercueil que le régime syrien lui rendra son fils, après l’avoir torturé. Le frère d’Abbas a accusé le Foreign Office d’avoir « traîné des pieds pendant plus de treize mois ». Cela signifie que la Grande-Bretagne n’a pas fait ce qu’il fallait pour obtenir la libération d’un de ses citoyens. Il n’était pas otage d’un groupuscule extrémiste, il était arrêté par la police officielle de Bachar el-Assad.

Bachar ne veut pas de témoins

La mère aurait dû aller à Moscou prier Poutine pour qu’il intervienne auprès de son ami Bachar afin de libérer ce médecin. Mais peut-être avait-elle cru aux promesses de la police et comptait-elle sur la diplomatie de son pays pour faire pression sur le régime.

Ordre a été donné dès mars 2011 de liquider les médecins qui soignent les blessés. Il n’est pas prudent de venir en aide à ceux qui souffrent, car Bachar ne veut pas de témoins, pas de survivants qui raconteraient un jour de quoi son armée a été capable. D’où la mort de 180 médecins.

Si le régime a été indifférent au sort d’Abbas Khan, c’est parce qu’il sent à présent la victoire proche. Victoire du crime et de l’impunité, victoire qui légitimerait le massacre de la population comme cela s’est passé la semaine dernière à Alep, où l’on comptait 26 enfants parmi les nombreuses victimes du bombardement effectué en connaissance de cause par l’armée de Bachar. Il peut tout se permettre. Les Européens ont démontré leur impuissance et l’Amérique s’apprête à discuter avec le clan islamiste intégriste qui a infiltré la rébellion.

Un homme qui respecte sa parole

Bachar ne craint plus rien. Poutine a eu la géniale idée de focaliser l’attention du monde sur les armes chimiques, ce qui a fait oublier les crimes perpétrés sur la population avec des armes conventionnelles. À présent que l’Iran se bat directement aux côtés de Bachar, le peuple syrien est pris en tenaille entre plusieurs armées et experts en crimes de masse. Pendant ce temps-là, le monde s’habitue à voir tomber quotidiennement des centaines de civils et à assister à la destruction d’un pays par une minorité alaouite au pouvoir depuis plus de quarante ans. Le père Hafez el-Assad n’avait pas hésité en 1982 à tuer 20 000 personnes à Hama parce que quelques centaines d’opposants s’étaient réunis dans cette ville. Il a tué tout le monde et personne n’a bougé. Bachar avait 17 ans et allait rejoindre l’université pour devenir médecin. À présent, c’est sur son carnet des ordonnances qu’il donne ses ordres pour tuer son peuple.

Le Liban, qui avait réussi en 2005 à expulser la Syrie de son territoire, est devenu une cible nouvelle dans la politique du chaos décidée par le clan syro-irano-russe.

Bachar tient parole. Au début du Printemps arabe, il avait prévenu tout le monde : si on touche à la Syrie, je ferai un enfer de toute la région. C’est un homme qui respecte sa parole ! Il peut le faire, car la permission de massacrer son peuple lui a quasiment été donnée par ceux qui auraient pu l’en empêcher. Le scénario qui a consisté à brouiller les pistes en introduisant des islamistes extrémistes dans le combat des rebelles a bien fonctionné. L’Occident ne fait rien de peur de voir la victoire d’une future République islamique appliquant la charia et menaçant ses intérêts dans le monde. Le tour est joué. Silence, on massacre. L’objectif de Bachar-Poutine est presque atteint.

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Eyad Sarraj n’est plus: la Palestine porte le deuil


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Eyad Sarraj n’est plus. Le pédopsychiatre de Gaza militant de la paix est décédé le 17 décembre dans un hôpital israélien des suites d’une longue maladie à l’âge de 67 ans. La Palestine a perdu un de ses meilleurs fils et tous les Palestiniens sont en deuil.
Cet homme affable, souriant, aux analyses sans complaisance, aura consacré sa vie à étudier les effets de la guerre sur les enfants, à militer pour la paix et… à dire avec une franchise déroutante sa façon de penser. Pas seulement à l’occupant israélien, d’ailleurs. Aussi aux dirigeants palestiniens. Ainsi Yasser Arafat le fit-il arrêter et même torturer pendant quelques jours en 1996. Il avait osé qualifier au New York Times, le 7 mai, la jeune Autorité palestinienne de «régime corrompu, dictatorial, oppressif», ajoutant un détail qui avait humilié le chef palestinien: «J’étais cent fois plus libre de m’exprimer sous l’occupation israélienne». (Vite libéré, il accepta ensuite pendant quelque temps un rôle d’ombudsman entre la société palestinienne et l’Autorité palestinienne, preuve peut-être qu’ Arafat savait parfois apprendre de ses erreurs.)
La Belge Simone Susskind, inlassable militante de la paix, était très émue ce mercredi matin de la disparition de son ami: «Eyad avait mis en place le système de santé mentale à Gaza (où plus que partout ailleurs, c’était une nécessité essentielle). Il présidait aussi une magnifique association: la Faculté pour la paix israélo-palestinienne, dont j’ai l’honneur de faire partie avec des universitaires palestiniens, israéliens et internationaux. Deux souvenirs parmi de nombreux autres m’assaillent: j’ai eu la chance d’avoir un permis pour visiter Gaza après l’intervention israélienne “Plomb durci”. Eyad et sa femme m’ont donné l’hospitalité et c’est chez lui que j’ai pu rencontrer un ministre du Hamas pour un échange de vues. Sans jamais renoncer à ses principes humanistes, et à sa liberté d’expression, Eyad parlait avec tout le monde, dirigeants, responsables à Gaza et en Palestine, mais aussi avec son jardinier et tous ceux qui souffraient. Nous perdons un ami, un homme de paix, un homme de vision. Nous le pleurons».

Nous avons personnellement rencontré Eyad Sarraj à six reprises, donc cinq fois à son domicile de Gaza, entre 1998 et 2010. Il nous avait notamment conté l’amer exil qu’il subit en 1948 lors de la création d’Israël à l’âge de 4 ans quand sa famille dut fuir Beersheva pour se réfugier à Gaza. Le souvenir que ces diverses rencontres nous laissent est pénétrant. La meilleure façon d’en attester n’est autre que de relire ci-dessous, quelques-unes de ses réponses à nos questions.

Sur la partition de la Palestine en 1948
«Je n’accepte pas l’idée de la partition de la Palestine, et je fais partie de modérés. Vous savez, les Israéliens n’ont pas accepté sans arrière-pensées le plan de partage de l’ONU, en 1947. On sait maintenant que Ben Gourion considérait ce plan comme une première étape, qu’il suffisait de laisser les Arabes refuser la partition, ce qu’il était logique d’attendre d’eux, puisqu’ils étaient chez eux et très majoritaires. Cela a été démontré dans le livre de l’historien sioniste de gauche Simha Flapan «Mythes et réalités de la naissance d’Israël» (Ed. Pantheon, en anglais). Logique en effet: qui accepterait de céder sa maison dans laquelle il vit depuis des siècles à un Polonais, par exemple, pour aller vivre dans le garage? Et encore, les Israéliens refusent maintenant encore que nous considérions le garage (les territoires occupés) comme nôtre!» (Gaza, le 4 mai 1998).

Sur la violence (moins de deux ans et demi avant la seconde intifada) :
«Cela explosera un jour. Je suis totalement contre la violence, mais quand vous subissez, comme par exemple au barrage d’Erez, des humiliations terribles, vous comprenez pourquoi certains finissent par réagir violemment. (…) Les Israéliens font certaines choses d’une manière systématique. Nous avons ainsi étudié le cas de trois mille enfants de Gaza pendant l’intifada: 55 % d’entre eux ont vu leur père battu sous leurs yeux par des soldats israéliens. Cinquante-cinq pour cent! Autre cible privilégiée: les maisons, détruites systématiquement, pour toutes raisons, sécurité, «illégalité», expropriations, etc. Le père et la maison: les deux choses qui incarnent la sécurité dans la vie d’un enfant.
Une étude récente, menée à Gaza avec une université néerlandaise et l’ONU montre que 17 % des adultes souffrent de dépression; et 30 % ont subi des actes de violences, ont vu des scènes avec mort d’homme ou ont été torturés. Lors des dix dernières années, plus de 100.000 personnes ont fait un passage en prison. Même mon père a été emprisonné pendant treize mois, à 65 ans, et tout ce qu’on lui reprochait était de refuser de collaborer.» (Gaza, le 4 mai 1998)

Sur la victoire du Hamas aux élections de janvier 2006
«La plupart des électeurs n’ont pas choisi le Hamas pour des critères religieux ou pour son rôle dans la résistance anti-israélienne : ils en avaient assez de la gestion de l’Autorité palestinienne et voulaient un changement. Ils n’ont pas voté contre la paix ou pour la violence, mais pour que le Hamas donne une leçon au Fatah. J’ai parlé d’un tsunami car ce phénomène a été inattendu, soudain et massif. Et il affectera notre vie pour des générations, à nous, Palestiniens, mais aussi dans tout le Proche-Orient. Il s’agit d’un fait historique d’une importance comparable à l’arrivée du panarabiste Nasser au Caire en 1952 ou à l’avènement de Khomeiny en Iran en 1979. Dans dix ans, presque tous les pays arabes seront dirigés par des islamistes, car ceci n’est que le début. Demain, nous verrons de semblables évolutions en Syrie, en Egypte, au Maroc, en Tunisie, en Libye… (…)
Les Occidentaux ne doivent pas punir les gens qui ont puni le Fatah. L’Europe et les Etats-Unis sont en droit de faire pression sur le Hamas pour qu’il renonce à la violence, mais ils ne doivent pas oublier Israël, jusqu’ici intouchable, jouissant d’une réelle impunité alors que l’extrémisme ne vient pas de nulle part, mais de la pauvreté et de l’injustice.» (Gaza, le 31 janvier 2006)

Sur le coup du Hamas à Gaza en juin 2007
«C’était simplement horrible. Ils tiraient de partout. Il y a trois mois, ma maison avait déjà été atteinte par hasard par des tirs. J’avais prévu cet enchaînement. Je l’ai écrit dans le quotidien Al Qods en avril, sous le titre «Un ou trois Etats?». Mais on n’a pas assisté à une guerre civile, seulement une guerre entre factions, la population n’y a pas pris part. Pas davantage qu’une bonne partie des forces de sécurité, celles qui ne sont pas proches du Fatah. Mais, même si je m’y attendais, j’ai été très choqué. Par le niveau d’inhumanité, cette façon de se tuer, de se torturer. On n’avait jamais vu cela dans notre histoire. Un gars jeté du quinzième étage d’un immeuble, des gens achevés dans un hôpital. Des atrocités incroyables dans les deux camps, avec le pire quand même chez le Hamas, comme ce chef du Fatah criblé de trois cents balles. Cette violence est nouvelle pour nous.
J’essaie de la comprendre. Nous avons subi une occupation pendant quarante ans, qui a engendré colère et humiliation, notre psyché collective a été brutalisée. Nous sommes devenus de plus en plus insensibles à la souffrance. Et nous sommes passés de la guerre des pierres (première intifada, NDLR) aux attentats suicides. Avant 1967, quand un crime était commis à Gaza c’était un événement exceptionnel, cela arrivait une fois tous les deux ans.
Puis vint l’occupation. Les maisons démolies. Quatre cent mille Palestiniens qui passent par les prisons israéliennes, où beaucoup y sont torturés. Cela laisse des traces. On s’est habitué au fait que des gens se faisaient tuer tous les jours. Puis Israël est parti, en 2005. Mais la défaite chronique restait dans tous les esprits. L’énergie violente que nous dirigions contre notre ennemi commun nous l’avons tournée vers nous-mêmes, nous avons cherché des ennemis plus petits, en notre sein.
Voyez ces drapeaux du Hamas érigés sur les bâtiments publics : des signes de victoire qui sont l’expression d’une défaite, une défaite que nous n’admettons pas. Car qui a gagné ? Nous sommes tous perdants. J’ajoute l’élément de la suffocation. Nous sommes en prison ici à Gaza. Tout le monde ressent cela. Moi-même, je ne puis pas aller à Tel-Aviv pour le suivi de mon traitement médical. Au moins trois de mes proches doivent aller se faire soigner au Caire et ce n’est pas possible. Mélangez tout cela : emprisonnement, torture, assassinats, maisons démolies, siège économique international, et vous obtenez des chats sauvages qui s’entretuent. Il n’y a pas d’échappatoires…» (Gaza, le 1er juillet 2007)

Sur le Hamas, peu après l’offensive israélienne «Plomb durci» contre Gaza
«Le boycott du Hamas par l’Occident fut une erreur monumentale, tous les diplomates européens l’admettent en privé. Le Hamas est là, ce n’est pas un fantôme. Cela dit, je m’élève contre le terrorisme, ne serait-ce que parce qu’il est contre-productif, et qu’il sert au contraire la propagande israélienne, qui parvient à faire passer Israël pour la victime, un comble après toutes les guerres et les horreurs que cet Etat a infligées à la région.
Israël est en fait dirigé par un establishment militaire extrémiste qui contrôle la population par la peur. Un Sharon en faisait partie, qui a réussi à provoquer l’intifada en septembre 2000 puis à terroriser les Palestiniens, suscitant la violence attendue qui permet d’étayer la théorie qu’il n’y a pas de partenaire palestinien – donc pas de paix possible ; cette agression des civils à Gaza en décembre 2008 – janvier 2009 a le même dessein. Cette génération d’enfants martyrisés n’oubliera pas, ils voudront se venger, cela fera plus de haine, plus de violence, qu’on mettra sur le dos des Palestiniens!» (Gaza, le 31 janvier 2009)

BAUDOUIN LOOS

Jusqu’ou ira la follie des hommes ??? La vache Hublot !!!


Appel à boycott des produits laitiers industriels hollandais. Voici une « innovation » des services de l’INRA (Institut National de la Recherche Agricole) : Des vaches à hublot. D’après les chercheurs, ce hublot, qui donne accès à l’un des estomacs de la vache, permet d’analyser de manière simple et non douloureuse le contenu de ce qu’elle mange, afin de lui fournir plus tard la meilleure nourriture possible…. Jusqu'ou ira la follie des hommes ??? La vache Hublot !!! vache_hublot_2

La vache à hublot, une nouvelle torture au nom de la science

Une séquence est introduite comme cela : « âmes sensibles, s’abstenir ». L’industrie ‘agricole’ hollandaise parvient à faire     produire à des vaches 100.000 litres de lait par an.

En s’assurant qu’elles digèrent bien et que le taux d’acidité est correct. En créant dans leur flanc un orifice (d’un diamètre de +10-15 cm) dans lequel on introduit une sonde. Cet orifice est cerclé de plastique ou je ne sais quoi, afin que     j’imagine l’orifice ne se rebouche pas, pour avoir en permanence accès à son estomac ….

Le rumen est le premier des quatre estomacs de la vache. Pour avoir accès plus facilement à l’intérieur de cet estomac, on a cousu ce dernier à la peau et on a ensuite refermé le tout avec un hublot en plastique. Dans les fermes expérimentales, ce hublot permet de passer le bras profondément dans l’animal afin de prélever des échantillons du bol alimentaire. Détail sordide: lorsque ce hublot est ouvert par temps froid, une vapeur s’en dégage qui monte jusqu’au plafond. Cette vision, accompagnée des chuintements causés par la digestion, donne au visiteur profane l’impression d’un mauvais rêve.

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Un documentaire intitulé « La fin des paysans » qui est passé ce 23 octobre, sur Arte à     20h45.                  

Dans un reportage sur Arte sur l’élevage intensif de bovins, ils parlaient du fait que des hormones sont injectées aux vaches pour augmenter leur production de lait. Mais ce traitement contre nature provoque notamment des infections des pis, ce qui implique des traitements à base d’antibiotiques, que l’on retrouve malheureusement dans le lait que nous consommons, ce qui n’est pas sans conséquence… sans parler du pu que l’on retrouve aussi dans le lait, puisqu’avant que l’infection soit détectée et traitée, un peu de pu a le temps de s’écouler avec le lait.

Pour remédier à ces soucis techniques, l’homme dans toute sa splendeur a ainsi inventé les vaches avec un hublot sur le côté… lui permettant de contrôler constamment la qualité de la digestion, et les médicaments à donner pour que tout soit « parfait »…

Il y aurait 3 ou 4 producteurs en France qui utiliseraient cette méthode selon certains journalistes. 

voir deux vidéos dans l’article ici

« Alors, raconte, c’était comment la Syrie ? »


 

© MSF

© MSF

Iline Ceelen est sage-femme pour Médecins Sans Frontières. Elle dresse le bilan de son travail en Syrie, en pleine guerre civile.

« Alors, raconte, c’était comment la Syrie ? »

Je ne sais jamais ce que je suis censée répondre à cette question que l’on me pose sans cesse.

Dois-je parler des nuits que nous passions dans la cave à écouter les bombardements se rapprocher ? De nos plans catastrophe médicaux et de notre sentiment d’impuissance face au chaos ? Des blessés que nous avons soignés et des amputations que nous avons effectuées ? Des accouchements que j’ai pratiqués au beau milieu de la nuit, en pensant à l’avenir de ces enfants qui naissaient en pleine guerre ?

Ou dois-je plutôt parler de l’exceptionnelle beauté des montagnes au coucher du soleil et des délicieux repas que nous avons partagés ? De l’incroyable hospitalité et de la chaleur de la population ? Du dévouement, de la motivation et de la persévérance de mes collègues sages-femmes syriennes ?  De la force de ces femmes qui, même en temps de guerre, vivent pleinement ?

Quand on part en Syrie, il faut s’attendre au pire et au meilleur. Bien sûr, la guerre et ses conséquences sont terribles, mais la population n’a pas cessé de vivre pour autant : les gens se marient, achètent une maison, ont des enfants. Une vie normale à laquelle j’ai un peu participé.

Lors de mes consultations, j’ai rencontré des femmes de tous âges et horizons. Un jeune couple qui était déjà marié depuis quelques jours et avait des difficultés à « le » faire pour la première fois est venu me demander de l’aide. (Après une conversation et un rapide examen, tout s’est avéré en ordre sur le plan physique, donc je leur ai donné quelques conseils pratiques.)

Réchauffer le bébé d’une autre

Une femme enceinte de jumeaux, qui avait des contractions précoces et était hospitalisée chez nous depuis plusieurs jours, a fini par venir me prêter main forte pour mettre de l’ordre dans la maternité. Elle a très vite compris que « check check » signifiait que j’allais écouter les battements du cœur des enfants. Quelques semaines plus tard, elle a dû subir une césarienne parce que les contractions étaient trop avancées. L’un des deux bébés est né avec un myéloméningocèle (spina bifida, une lésion dans le dos) et a dû être transféré de l’autre côté de la frontière où il y a des hôpitaux équipés  pour des situations médicales plus compliquées. Un transfert difficile auquel on ne recourt que lorsque c’est vraiment nécessaire..

© MSF

© MSF

Une femme venue rendre visite à sa voisine qui venait d’accoucher a déchiré son T-shirt pour réchauffer contre son corps un bébé qui venait de naître et dont elle ne connaissait pas la mère. L’enfant avait des difficultés à respirer et devait être réchauffé le plus rapidement possible, mais la mère était traitée pour une hémorragie et ne pouvait donc pas s’en occuper elle-même. L’altruisme de cette femme  m’a profondément touchée. J’ai rarement assisté à cela dans notre société. Et dans de pareilles circonstances…

Une jeune femme a mis de longues heures pour accoucher de son premier enfant. Après l’accouchement, nous avons constaté une déchirure dans le museau de tanche, qui lui faisait perdre énormément de sang. On pouvait lire la panique dans les yeux de ses deux grands-mères. Dans l’équipe d’accouchement, nous devions gérer les problèmes linguistiques aussi rapidement et efficacement que possible. Alors qu’on se dépêchait d’emmener la jeune maman dans la tente qui servait de bloc opératoire, j’ai essayé d’informer son mari. Dans un acte de désespoir, il s’est jeté contre le mur. Il a réagi de manière tout aussi émotive une fois la déchirure refermée : il a pris sa femme dans ses bras et l’a ramenée à la maternité. Un homme robuste qui venait sans doute des combats, mais qui tremblait pour la vie de sa femme.

Je pourrais raconter des centaines d’histoires. Je pourrais parler de nos formidables soirées sur le balcon de la cuisine, avec les collègues qui travaillaient dans notre maison. On chantait, on buvait du thé, on discutait en arabe et en anglais, on fumait le narguilé… C’était surréaliste ! On regardait des films sur la terrasse en écoutant tomber les bombes au loin. Et on a fini par s’y habituer.

Je sais ce que cela fait de faire partie d’une famille où, au fond, personne ne se connaît vraiment. Les personnes avec lesquelles j’ai vécu des moments si intenses, les expats et les collègues syriens… Chacun a sa propre histoire, mais chacun s’investit dans le même but. Je pense notamment à l’un de nos interprètes. De nature très douce, il n’était pas fait pour voir toute cette souffrance. Ces personnes, que j’aurais tant aimé ramener dans ma valise, pour leur faire profiter de la sécurité, ici en Belgique. Ces personnes qui n’ont pas voulu la guerre et voient leurs maisons détruites.

Bien sûr, j’avais peur, j’étais en colère, tendue, triste, heureuse, surprise, seule, abasourdie, contente et bien plus encore. Je passais par toutes ces émotions en une seule journée, tous les jours de la semaine. « I live a hundred lifetimes in one day », comme le dit Ben Harper. Un morceau qui me passait par la tête au moins une fois par jour.

En Syrie, vous assistez au pire et au meilleur. Ce pays ne sera plus jamais le même et restera à jamais gravé dans ma mémoire. À la question « retournerais-tu en Syrie ? », je réponds oui sans hésiter ! C’est la seule bonne réponse possible.

– See more at: http://blog.lesoir.be/leblogdesmsf/2013/12/05/alors-raconte-cetait-comment-la-syrie/#sthash.wAnDL2MK.dpuf

« Alors, raconte, c’était comment la Syrie ? »

© MSF

© MSF

Iline Ceelen est sage-femme pour Médecins Sans Frontières. Elle dresse le bilan de son travail en Syrie, en pleine guerre civile.

« Alors, raconte, c’était comment la Syrie ? »

Je ne sais jamais ce que je suis censée répondre à cette question que l’on me pose sans cesse.

Dois-je parler des nuits que nous passions dans la cave à écouter les bombardements se rapprocher ? De nos plans catastrophe médicaux et de notre sentiment d’impuissance face au chaos ? Des blessés que nous avons soignés et des amputations que nous avons effectuées ? Des accouchements que j’ai pratiqués au beau milieu de la nuit, en pensant à l’avenir de ces enfants qui naissaient en pleine guerre ?

Ou dois-je plutôt parler de l’exceptionnelle beauté des montagnes au coucher du soleil et des délicieux repas que nous avons partagés ? De l’incroyable hospitalité et de la chaleur de la population ? Du dévouement, de la motivation et de la persévérance de mes collègues sages-femmes syriennes ?  De la force de ces femmes qui, même en temps de guerre, vivent pleinement ?

Quand on part en Syrie, il faut s’attendre au pire et au meilleur. Bien sûr, la guerre et ses conséquences sont terribles, mais la population n’a pas cessé de vivre pour autant : les gens se marient, achètent une maison, ont des enfants. Une vie normale à laquelle j’ai un peu participé.

Lors de mes consultations, j’ai rencontré des femmes de tous âges et horizons. Un jeune couple qui était déjà marié depuis quelques jours et avait des difficultés à « le » faire pour la première fois est venu me demander de l’aide. (Après une conversation et un rapide examen, tout s’est avéré en ordre sur le plan physique, donc je leur ai donné quelques conseils pratiques.)

Réchauffer le bébé d’une autre

Une femme enceinte de jumeaux, qui avait des contractions précoces et était hospitalisée chez nous depuis plusieurs jours, a fini par venir me prêter main forte pour mettre de l’ordre dans la maternité. Elle a très vite compris que « check check » signifiait que j’allais écouter les battements du cœur des enfants. Quelques semaines plus tard, elle a dû subir une césarienne parce que les contractions étaient trop avancées. L’un des deux bébés est né avec un myéloméningocèle (spina bifida, une lésion dans le dos) et a dû être transféré de l’autre côté de la frontière où il y a des hôpitaux équipés  pour des situations médicales plus compliquées. Un transfert difficile auquel on ne recourt que lorsque c’est vraiment nécessaire..

© MSF

© MSF

Une femme venue rendre visite à sa voisine qui venait d’accoucher a déchiré son T-shirt pour réchauffer contre son corps un bébé qui venait de naître et dont elle ne connaissait pas la mère. L’enfant avait des difficultés à respirer et devait être réchauffé le plus rapidement possible, mais la mère était traitée pour une hémorragie et ne pouvait donc pas s’en occuper elle-même. L’altruisme de cette femme  m’a profondément touchée. J’ai rarement assisté à cela dans notre société. Et dans de pareilles circonstances…

Une jeune femme a mis de longues heures pour accoucher de son premier enfant. Après l’accouchement, nous avons constaté une déchirure dans le museau de tanche, qui lui faisait perdre énormément de sang. On pouvait lire la panique dans les yeux de ses deux grands-mères. Dans l’équipe d’accouchement, nous devions gérer les problèmes linguistiques aussi rapidement et efficacement que possible. Alors qu’on se dépêchait d’emmener la jeune maman dans la tente qui servait de bloc opératoire, j’ai essayé d’informer son mari. Dans un acte de désespoir, il s’est jeté contre le mur. Il a réagi de manière tout aussi émotive une fois la déchirure refermée : il a pris sa femme dans ses bras et l’a ramenée à la maternité. Un homme robuste qui venait sans doute des combats, mais qui tremblait pour la vie de sa femme.

Je pourrais raconter des centaines d’histoires. Je pourrais parler de nos formidables soirées sur le balcon de la cuisine, avec les collègues qui travaillaient dans notre maison. On chantait, on buvait du thé, on discutait en arabe et en anglais, on fumait le narguilé… C’était surréaliste ! On regardait des films sur la terrasse en écoutant tomber les bombes au loin. Et on a fini par s’y habituer.

Je sais ce que cela fait de faire partie d’une famille où, au fond, personne ne se connaît vraiment. Les personnes avec lesquelles j’ai vécu des moments si intenses, les expats et les collègues syriens… Chacun a sa propre histoire, mais chacun s’investit dans le même but. Je pense notamment à l’un de nos interprètes. De nature très douce, il n’était pas fait pour voir toute cette souffrance. Ces personnes, que j’aurais tant aimé ramener dans ma valise, pour leur faire profiter de la sécurité, ici en Belgique. Ces personnes qui n’ont pas voulu la guerre et voient leurs maisons détruites.

Bien sûr, j’avais peur, j’étais en colère, tendue, triste, heureuse, surprise, seule, abasourdie, contente et bien plus encore. Je passais par toutes ces émotions en une seule journée, tous les jours de la semaine. « I live a hundred lifetimes in one day », comme le dit Ben Harper. Un morceau qui me passait par la tête au moins une fois par jour.

En Syrie, vous assistez au pire et au meilleur. Ce pays ne sera plus jamais le même et restera à jamais gravé dans ma mémoire. À la question « retournerais-tu en Syrie ? », je réponds oui sans hésiter ! C’est la seule bonne réponse possible.

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