(16 avril 2024)

19 avril 2024
Ma mère m’a raconté un jour l’histoire d’une femme émaciée du ghetto de Varsovie qui hurlait depuis le rebord de sa fenêtre que tous les Juifs du ghetto seraient tués. On l’a appelée Cassandre, d’après la prophétesse de malheur de la mythologie grecque. Tout le monde pensait qu’elle était folle. Rétrospectivement, ma mère a supposé qu’elle avait en quelque sorte découvert la vérité : les Juifs n’étaient pas « déplacés » à l’Est ; ils étaient transportés vers la mort.
J’ai hésité jusqu’à présent à tirer la sonnette d’alarme. Mais au risque de passer pour un fou, il faut, en tant qu’acte de responsabilité politique, le dire haut et fort : Israël se précipite vers le précipice et entraîne le reste du monde avec lui.
Une analyse rationnelle de la situation actuelle doit commencer par ce constat fondamental : Israël est un État fou. Pas un « mauvais acteur », pas un régime « voyou ». Un État fou. L’éventail complet de l’opinion de l’élite israélienne, qui reflète elle-même l’ensemble de la société israélienne (qui soutient massivement la guerre génocidaire à Gaza ; seule une poignée d’Israéliens ont refusé de servir), s’étend sur un petit pas de puce :
A UN POLE se trouvent des « réalistes cinglés », dont le sociologue C. Wright Mills a écrit dans le contexte américain : « Ils en sont venus à croire qu’il n’y a pas d’autre solution que la guerre, même s’ils sentent que la guerre peut être une solution à rien… ils continuent à croire que « gagner » signifie quelque chose, même s’ils ne nous disent jamais quoi. » (1) Le professeur Benny Morris est carrément coupé de ce moule. Il est urbain, éduqué, laïc – et cinglé. Il a même un jour « prouvé » que les Juifs israéliens ne pouvaient pas coexister avec les barbares palestiniens en rassemblant, entre autres, des statistiques sur le nombre d’accidents de la route supplémentaires dans lesquels les Palestiniens se trouvaient ! (2) Morris exhorte les États-Unis à se joindre à une attaque contre l’Iran, puis agite la menace que si Washington ne se montre pas à la hauteur, Israël fera cavalier seul en bombardant l’Iran. Il doit être conscient de la situation lorsqu’il avance avec désinvolture qu’une attaque non seulement incinérerait des dizaines de millions d’Iraniens – il estime qu’ils l’ont bien mérité – mais déclencherait également des représailles mortelles. Le Hezbollah à lui seul posséderait 150 000 missiles. C’est un autodafé tortueux. Cette perspective ne semble toutefois pas inquiéter Morris le moins du monde.
À L’AUTRE PÔLE se trouvent des fous purs et durs – ou ceux qui sont à deux doigts de ce seuil. « Le plus grand danger auquel Israël est actuellement confronté », observait avec prévoyance Noam Chomsky il y a déjà quatre décennies, « est la « version collective » de la vengeance de Samson contre les Philistins – « Laissez-moi périr avec les Philistins » – lorsqu’il a fait tomber le Temple en ruines. » Les clones de Samson retranchés à Jérusalem sont soit déjà devenus fous – « nous tuerons et enterrerons les Gentils autour de nous tandis que nous mourrons avec eux » – soit font semblant de « devenir fous » afin de terrifier ennemis et alliés et de les soumettre. Il faut noter que la folie feinte se transforme facilement en réalité lorsque les fantômes imaginaires que l’on évoque à répétition s’infiltrent dans les chambres intérieures de la psyché. Le résultat est que cette folie, réelle ou artificielle, « rend les calculs rationnels… discutables » car Israël « peut se comporter à la manière de ce que l’on a parfois appelé des « États fous » » (3). Un article paru dans le journal d’hier illustre en temps réel cette propension israélienne aux accès de colère : lorsqu’un haut responsable israélien a conseillé la prudence, ne serait-ce que dans l’immédiat, après les représailles symboliques de l’Iran, un ministre d’extrême droite a exigé au contraire qu’Israël devienne « fou » (4).
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Le discours prononcé le 14 avril lors de la session d’urgence du Conseil de sécurité par le représentant d’Israël, Gilad Erdan, a montré à quel point Israël était devenu fou. Présentant un cours magistral sur – à tout le moins – la projection proche, Erdan semblait persuadé jusqu’au plus profond de lui-même que « le régime islamique d’aujourd’hui n’est pas différent du Troisième Reich d’Adolf Hitler. Tout comme le régime nazi, le régime des ayatollahs sème la mort et la destruction partout. Pendant des années, le monde a assisté à la montée de ce Reich islamiste de merde, mais tout comme lors de la montée du nazisme, le monde est resté silencieux » ; que « les ambitions hégémoniques de domination mondiale de l’Iran doivent être stoppées avant qu’elles ne conduisent le monde à un point de non-retour, à une guerre régionale qui pourrait dégénérer en guerre mondiale » ; que l’Iran « se dirigeait vers des capacités nucléaires… son temps de percée pour produire un arsenal d’armes nucléaires est maintenant de quelques semaines, quelques semaines seulement ». Si le monde ne contrôlait pas l’Iran, Israël n’aurait d’autre recours que de porter seul le fardeau écrasant de stopper le Troisième Reich d’Hitler : « Nous sommes bombardés de tous les fronts, de toutes les frontières. Nous sommes encerclés par les mandataires terroristes de l’Iran… Tous les groupes terroristes qui attaquent Israël sont les tentacules de la même pieuvre chiite, la pieuvre iranienne. Alors, je vous le demande, et soyez honnêtes avec vous-mêmes, que feriez-vous ?
Que feriez-vous si vous étiez à la place d’Israël ? Comment réagiriez-vous si votre existence était menacée chaque jour ? Israël ne peut pas se contenter de l’inaction. Nous défendrons notre avenir. » Tenant son iPad pour afficher une image d’Israël qui intercepte soi-disant un drone iranien au-dessus de la mosquée al-Aqsa, Erdan a même revendiqué pour Israël le rôle de véritable gardien des lieux saints de l’islam – « regardez cette vidéo qui montre comment Israël intercepte des drones iraniens au-dessus du Mont du Temple et de la mosquée al-Aqsa » – contre ceux qui les profanent à Téhéran. Le ton de sa rhétorique était celui d’une accusation provocatrice : « Qui ose douter de moi ? » « Dans chacun de mes discours et dans d’innombrables lettres », a encore rappelé Erdan, « j’ai sonné l’alarme concernant l’Iran. » Il avait raison de dire qu’il fallait sonner l’alarme, mais il s’était trompé sur l’origine de cette folie. Medice, cura te ipsum. Si Erdan représente ne serait-ce que la moitié de l’État et de la société israéliens – la fraction est sans doute bien plus élevée – une catastrophe se profile. Il est vrai que les dirigeants israéliens ont par le passé prononcé des folies certifiées.
Il suffit de se rappeler le Premier ministre Netanyahou brandissant un dessin animé de la bombe iranienne à la manière des Loony Tunes à l’ONU et sa déclaration selon laquelle ce n’était pas Hitler mais le mufti palestinien de Jérusalem qui avait orchestré la solution finale. En effet, déjà lors des négociations de Camp David en 1978, le président Carter méditait à propos du chef de l’État israélien : « Il devient de plus en plus clair que la rationalité de [Menahem] Begin est mise en doute. » (5)
Pourtant, un bond en arrière civilisationnel sépare l’Israël d’autrefois de ce qu’il est devenu. Le représentant d’Israël à l’ONU au moment de la guerre de 1967 (« des Six Jours »), Abba Eban,Il pouvait tergiverser à répétition, même avec une éloquence consommée, comme il convenait à un triple diplômé de Cambridge, sans sourciller. Mais il était néanmoins possible d’analyser rationnellement ses propositions (comme je m’y suis efforcé une fois) pour prouver qu’elles étaient fausses. (6) Il n’est pas plus possible d’analyser le discours d’Erdan que la diatribe d’un psychopathe.
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On pourrait demander à l’Iran de faire preuve de prudence pour ne pas agiter les fous dans la salle. Mais hélas, ce n’est pas, à mon avis, une option viable. Les documents montrent qu’une fois qu’Israël a fixé un pays dans sa ligne de mire, rien de moins qu’une soumission abjecte ne l’amènera à renoncer. Si la puissance « ennemie » résiste à la provocation initiale, Israël poursuivra l’escalade avec une provocation encore et encore jusqu’à ce qu’il s’avère politiquement intenable pour l’entité ciblée d’encaisser passivement de nouveaux coups.
C’est ce qui s’est passé quand Israël a ciblé le président égyptien Gamel Abdel Nasser au début des années 1950. (7) (Le Premier ministre israélien Ben Gourion craignait que le président égyptien « nationaliste radical » ne puisse un jour présider un État moderne capable de freiner les ambitions régionales d’Israël.)
C’est ce qui s’est passé quand Israël a ciblé l’Organisation de libération de la Palestine au Liban au début des années 1980. (8) (Le Premier ministre israélien Begin craignait que « l’offensive de paix » de l’OLP – les Palestiniens soutenaient mais les Israéliens s’opposaient à un règlement à deux États – n’exerce une pression internationale sur Israël pour qu’il se retire de la Cisjordanie.)
C’est ce qui s’est passé en 2002 pendant la deuxième Intifada, quand Israël a procédé à des assassinats ciblés de dirigeants palestiniens. (9) (Le Premier ministre Sharon craignait que les Palestiniens cessent leurs attaques armées en échange d’un cessez-le-feu négocié.)
C’est ce qui s’est passé en 2008 quand Israël a rompu un cessez-le-feu avec le Hamas afin de lancer l’opération Plomb durci. (10) (Le Premier ministre israélien Olmert craignait que le Hamas ne gagne en légitimité internationale en modérant son programme politique.) La triste vérité est que, à moins d’un suicide national, l’Iran ne peut pas exercer l’option de l’inaction : Israël continuera presque certainement à intensifier les provocations jusqu’à ce que Téhéran n’ait d’autre choix que de répondre. Il ne serait pas surprenant qu’Israël assassine l’ayatollah Khamenei puis (clin d’œil, clin d’œil) le nie.
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Le gouvernement israélien a toujours été en alerte pour exploiter les opportunités afin de mettre en œuvre ses plans préconçus. En 1989, lors du massacre de la place Tiananmen, Benjamin Netanyahou a exhorté son gouvernement à exploiter cette diversion médiatique en procédant à une expulsion massive des Palestiniens de Cisjordanie.
Le 4 novembre 2008, lorsque les États-Unis ont élu leur premier président noir, le Premier ministre Olmert a exploité cette diversion médiatique en rompant le cessez-le-feu avec le Hamas.
Le 17 juillet 2014, lorsqu’un avion de ligne malaisien survolant l’Ukraine a été abattu, le Premier ministre Netanyahou a exploité cette diversion médiatique en lançant l’invasion terrestre meurtrière de Gaza dans le cadre de l’opération Bordure protectrice. Les prétextes du 7 octobre et maintenant des « représailles » de l’Iran offrent aux fous de Jérusalem une occasion sans précédent de débarrasser Israël du triple défi à sa domination régionale : en détruisant Gaza, le Hezbollah et l’Iran ; le « brouillard » d’une telle explosion permettrait également à Israël de procéder au nettoyage ethnique de la Cisjordanie.
Si l’on espère qu’une cabale sensée se formera au sein des dirigeants israéliens pour stopper cette embardée, il faut reconnaître que les chances sont contre. Le biographe d’Hitler, Ian Kershaw, a observé que s’il a fallu si longtemps pour que les plans de coup d’État contre le Führer se concrétisent, c’est à cause d’un « profond sentiment d’obéissance à l’autorité et de service à l’État », de la conviction qu’il était « non seulement mal, mais méprisable et traître de saper son propre pays par la guerre », et que « même si les désastres militaires se multipliaient et que la catastrophe ultime se profilait, le soutien fanatique à Hitler ne s’était en aucun cas évaporé et continuait, même si c’était un goût minoritaire, à faire preuve d’une résilience et d’une force remarquables » (11).
Il est difficile de ne pas remarquer des facteurs apparentés en jeu dans les cercles d’élite israéliens. Sur ce dernier point, alors que les critiques de Netanyahou écrivent sa nécrologie politique depuis des années, lui aussi continue de rebondir malgré ses faux pas. Pourquoi ? Parce que les Israéliens se voient en lui. En effet, Netanyahou EST Israël : un suprémaciste juif odieux et narcissique pour qui seuls les juifs comptent dans le grand dessein de Dieu. Il faut enfin reconnaître que toutes les craintes israéliennes ne sont pas infondées : le souhait est désormais largement répandu de voir Israël disparaître de la carte alors que sa capacité à terroriser ses voisins a diminué.
Mais, pour l’essentiel, c’est un coin dans lequel Israël s’est enfermé. Avant le 7 octobre, le Hamas avait fait un geste en faveur d’un règlement à deux États, tandis que l’Iran avait systématiquement voté avec la majorité de l’Assemblée générale de l’ONU en faveur du consensus à deux États. Israël a repoussé cette proposition.
Le Premier ministre Netanyahou résistera-t-il à la tentation irrésistible de trancher le nœud gordien de la région ou, comme Samson, entraînera-t-il le Temple – et nous tous – avec lui ? Cassandre dirait probablement : « Tout est ouvert ! »
Références
1. Mills, Causes de la Troisième Guerre mondiale.
2. Morris, Un État, deux États.
3. Chomsky, Le triangle fatidique. Le journaliste d’investigation Seymour Hersh a développé plus tard les idées de Chomsky dans L’option Samson.
4. New York Times, 15 avril 2024.
5. Carter, Journal de la Maison Blanche.
6. Finkelstein, Image et réalité du conflit israélo-palestinien.
7. Benny Morris, Guerres frontalières.
8. Robert Fisk, Ayez pitié de la nation.
9. Norman Finkelstein, Au-delà du culot.
10. Norman Finkelstein, Gaza.
11. Kershaw, Hitler, 1936-1945 : Nemesi
Source Traduction par Google Translate
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