Le Monde.fr | 14.01.2014 à 06h39 • Mis à jour le 14.01.2014 à 07h51 | Par Soren Seelow

C’est l’affluence des grands soirs, le salon subversif où il faut être, le spectacle « collector » : la première représentation du nouveau numéro d’équilibriste de Dieudonné, Asu Zoa. Après avoir interdit plusieurs représentations du Mur, dont la tournée a été annulée après la décision du Conseil d’Etat, la préfecture de police de Paris a finalement autorisé la nouvelle création de l’humoriste, lundi 13 janvier au Théâtre de la Main d’or, tout en précisant qu’elle surveillerait si des propos « tombant sous le coup de la loi venaient à être tenus ».
Présenté comme un « nouveau spectacle » écrit en « trois nuits » et traitant de l’Afrique, Asu Zoa est en réalité une version édulcorée du Mur, tout en sous-entendus, expurgée des saillies les plus controversées sur les juifs et la Shoah.
Les fans historiques et ceux de la dernière heure, unis dans un même plaisir à braver l’interdit, se pressent dans l’étroit passage de la Main-d’Or. Sur le trottoir d’en face, les télévisions nationales immortalisent quelques scènes de file d’attente. « On va recevoir des courriels demain, va y avoir une montée du chômage en France », lance, goguenard, un jeune homme dans la queue. « Tu as vu, intervient un autre, y en a déjà qui disent que le titre “Asu Zoa” fait référence aux juifs ? ».
« Asu zoa » signifie « le visage de l’éléphant » en Ewondo, le dialecte camerounais du père de Dieudonné. Mais certains sites, comme le webmagazine juif Alliance, rompus au double langage de l’humoriste, y ont lu l’anagramme de USA ZOA, acronyme de Zionist Organization of America, la plus ancienne organisation pro-israélienne aux Etats-Unis. « La théorie du complot, elle est des deux côtés », tranche un troisième.
« LE MUR » EN CREUX
Dans l’enceinte du théâtre, l’excitation monte d’un cran. Un jeune homme crie au téléphone : « J’y suis, j’y suis ! » Un autre n’a pas été assez rapide pour acheter une préréservation sur Internet. Il a fait une heure de queue pour acheter des DVD et « lui donner de l’oseille », avant de se faire refouler par un videur peu compréhensif.
Il y a même Elisabeth Lévy, directrice de la rédaction du magazine Causeur, poussée par la curiosité, qui parvient – après avoir échangé des vues avec un spectateur sur la mémoire de la Shoah – à contourner la file d’attente, escortée par un videur. « Privilège ! », lance un moqueur. En entrant dans la salle, le public siffle un air, spontanément, celui du « Chant des partisans », dont Dieudonné a revisité les paroles pour adresser une « quenelle » à François Hollande.
« Dieudo, Dieudo ! » Il est là, sur scène. La salle gronde. Le début du spectacle reprend fidèlement la trame du Mur, jusqu’à ce premier acte d’autocensure : « Niveau président, je me suis arrêté à, heu… J’aimais bien la casquette. » La référence explicite au maréchal Pétain a disparu. Mais tout fonctionne sur l’autocitation, le ressort comique préféré de Dieudonné, à l’origine de cette connivence si particulière qu’il a établie au fil des années avec son public. Ses spectateurs ont lu entre les lignes.
Asu Zoa, c’est Le Mur en creux, inattaquable. La chanson « Shoananas », qui scandait son précédent spectacle, est traduite par ses soins en « Fresh ananas ». On n’interdit pas les non-dits. Le sketch sur Manuel Valls prenant ses ordres chez Alain Jakubowicz, le président de la Licra, a lui été conservé.
« JE NE SUIS PAS ANTISÉMITE »
« Attention, il y a des sujets, tu vas te faire traiter d’antisémite », lance le showman. La salle est aux anges. Et de poursuivre, plus sérieux : « Alors déjà, je ne suis pas antisémite, et personne dans cette salle n’est antisémite. Parce qu’on n’a pas envie, on n’a pas le temps. » Applaudissements nourris.
Et Dieudonné de poursuivre sur le thème qui traverse tous ses spectacles et constitue le plus petit dénominateur commun de son public hétéroclite : « J’ai toujours été contre ces lois mémorielles, ça, je ne reviendrai pas dessus. La compétition victimaire “J’ai plus souffert, j’ai plus souffert”… » Plus besoin de sous-titres : le mot « Shoah » a disparu du spectacle. Dieudonné évoque bien Patrick Cohen, le journaliste de France Inter à qui il avait souhaité les « chambres à gaz », mais cette sortie laisse place à un « Je m’en fous » désabusé.
Ses sketches s’enchaînent, souvent drôles, critiques virulentes et acides de l’exploitation des tirailleurs sénégalais envoyés en première ligne pendant la seconde guerre mondiale, du racisme « toléré » des Béké aux Antilles, de la société de consommation, de l’enseignement de l’histoire à l’école, des médias, du mariage pour tous… Le spectre du thème interdit plane sur tout le spectacle.
Et à la place de « Shoahnanas », en guise de « petite chanson de sortie, pas méchante, pas antisémite », il fait entonner à ses spectateurs : « François la sens-tu, qui se glisse dans ton cul, la quenelleuu », sur l’air du « Chant des partisans ». Le public la connaissait déjà.
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