Le Monde.fr | 13.01.2016 à 16h15 • Mis à jour le 13.01.2016 à 19h26 | Propos recueillis par Laure Stephan (Beyrouth, correspondance)

L’aide humanitaire est finalement entrée, lundi 11 janvier, à Madaya, petite ville assiégée depuis l’été 2015 par l’armée syrienne et le Hezbollah libanais. Elle a été distribuée par les Nations unies (ONU), le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le Croissant-Rouge syrien. Il s’agissait du premier convoi depuis octobre dans cette bourgade située entre le Liban et Damas. Selon Sajjad Malik, le représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en Syrie, « des rapports crédibles disent que des personnes sont mortes de faim » à Madaya.
Les besoins sont tels que les agences de l’ONU ont demandé un nouvel accès, qui pourrait avoir lieu jeudi. L’évacuation des personnes les plus vulnérables est aussi l’objet de négociations. Porte-parole du CICR en Syrie, Pawel Krzysiek a rencontré à Madaya des habitants épuisés. Dans un entretien au Monde, il détaille ce qu’il a vu.
Qu’est-ce qui vous a frappé à Madaya ?
Lorsque nous sommes arrivés, beaucoup de personnes nous attendaient près du dernier checkpoint, la limite qu’ils peuvent atteindre. Les habitants manifestaient de l’espoir et de la joie. Mais il y avait beaucoup de fatigue sur les visages. Quand les quatre premiers camions du convoi sont entrés, beaucoup nous ont dit : « C’est tout, c’est seulement ça que vous apportez ? Nous avons faim. »
Quand on entend ça, on comprend combien l’aide est nécessaire, et combien les gens ont vécu dans l’attente depuis des semaines. Presque tous ceux qui venaient me voir me demandaient : « Peux-tu me donner un petit bout de pain, un biscuit ? J’ai faim. » C’est déchirant. Dans la culturesyrienne, c’est très difficile que quelqu’un expose ainsi ses souffrances.
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Comment se passe la distribution de l’aide ?
Presque quatre cinquièmes de l’aide avait été distribuée mercredi en fin de matinée. Une phrase résume l’ambiance générale : on nous dit que les habitants ont recommencé à sourire. L’aide est distribuée à travers des comités civils locaux de Madaya. Il en existe dans toutes les zones assiégées en Syrie : les communautés ont dû s’organiser pour gérer les besoins quotidiens. En tant que CICR, nous avons livré des médicaments, de l’aide chirurgicale, des kits d’hygiène et des couvertures.
Quels sont les besoins médicaux ?
J’ai vu beaucoup de personnes malades, et beaucoup de personnes amputées [les alentours de Madaya ont été minés par les forces prorégime, et selon les témoignages de militants, des habitants sont morts ou ont été blessés par ces mines ou par des tirs]. La situation sanitaire est si préoccupante qu’on ne peut pas se limiter à parler de malnutrition : une femme qui est enceinte et ne mange pas à sa faim se retrouve avec des problèmes qui dépassent la malnutrition.
L’équipe médicale du CICR et du Croissant-Rouge syrien a identifié, lors de l’entrée à Madaya, les personnes qui ont besoin d’un traitement urgent et spécialisé [des négociations sont en cours pour l’évacuation des cas les plus graves].
Avant l’entrée du convoi, les stocks de médicaments étaient quasi épuisés…
Nous avons distribué des médicaments pour les personnes qui souffrent de maladies chroniques ou aiguës, et pour les enfants. Cela devrait permettre de couvrir les besoins pour trois mois.
À Madaya, j’ai rencontré un médecin et une infirmière, ils font un travail extraordinaire. Ils nous ont dit que chaque jour, ils font face à de nouveaux cas : des malades, des gens faibles. Le personnel médical est réduit à Madaya, et il n’a pas l’équipement pour traiter ces patients. C’est très difficile.
Y a-t-il eu des difficultés pour acheminer de l’aide ?
Non, pas vraiment. C’est compliqué logistiquement, parce que l’on parle d’un très grand convoi de quarante-quatre camions d’aide humanitaire pour 40 000 personnes, et que l’opération a été simultanée, synchronisée avec celle qui a eu lieu à Foua et Kefraya [deux villages du nord-ouest de la Syrie où les habitants sont assiégés par la coalition islamiste de l’Armée de la conquête depuis l’été 2015, et où un convoi de l’ONU, du CICR et du Croissant-Rouge syrien est aussi entré lundi]. Là-bas, les gens sont sans eau potable, sans électricité et sans nourriture.
Il faut comprendre que l’acheminement de l’aide est lié à un accord politique qui ne dépend pas des humanitaires, mais qui a été scellé entre parties belligérantes [cet accord inclut, entre autres, l’Iran, parrain du Hezbollah et soutien de Damas, et l’Armée de la conquête, qui contrôle la province d’Idleb]. Cela dicte des conditions sur comment, combien et quand l’aide humanitaire peut être acheminée.
Un nouveau convoi devrait gagner Madaya dans les prochains jours, peut-être jeudi…
Oui, l’aide est urgente. Mais il n’y a pas qu’à Madaya que les besoins sont énormes. On entend les mêmes récits de souffrance dans les autres régions qui vivent sous un siège : à Foua et Kefraya, à Deir ez-Zor [sous l’étau de l’Etat islamique, dans l’est de la Syrie], à Yarmouk ou Douma[faubourg et banlieue de Damas assiégés par le régime].
Partout dans ces zones, la vie n’est pas normale. Un cercle vicieux s’installe : le manque de nourriture affaiblit les gens, ils sont du coup plus exposés au froid et n’ont rien pour se chauffer, deviennent malades, ne peuvent pas se soigner faute de médicaments… Chaque jour la situation se détériore. Nous demandons un accès régulier à ces zones.
- Laure Stephan (Beyrouth, correspondance)
Journaliste au Monde