Excellente émission quotidienne que Géopolitique. Ecoutez-la ci-dessous
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Par Anthony Bellanger.
Direction la Tunisie qui s’apprête à réinstaller la statue de Bourguiba dans le centre-ville de Tunis.
Une énorme statue équestre d’Habib Bourguiba, le père de la nation et de l’indépendance de la Tunisie, sur l’avenue qui porte son nom à Tunis. Mais vous avez raison de parler de réinstallation, parce que cette statue revient à son point de départ.
Ce bronze monumental avait en effet été installé là du vivant de son vivant, déboulonnée par son tombeur et successeur le président Ben Ali, en 1988, pour être plus modestement exposé dans le quartier de la Goulette, toujours à Tunis mais en retrait.
C’est à l’actuel président Essebsi, qui a été le ministre de Bourguiba, qu’il revient d’avoir décidé de remonter le colosse équestre sur son socle historique : la statue a donc été réinstallée hier sur son socle et sera officiellement inaugurée le 1er juin prochain.
Tout va bien donc ? Statue, commémoration, unité nationale, tout ce dont la Tunisie a besoin ?
A voir. D’un côté, ce que vous dites est exact : la Tunisie, qui a été secouée par de très violents attentats islamistes, qui a la Libye défaite pour voisine et dont une partie de la jeunesse est partie faire le djihad en Syrie, a bien besoin de repères.
De l’autre, réinstaller la statue du commandeur en centre-ville de Tunis est une sorte de pied-de-nez particulièrement retors fait à tout une partie de la classe politique passée ou présente tunisienne. A commencer par les anciens cadres du régime de Ben Ali.
Ceux-là, de toute façon, ont été plus ou moins écartés du pouvoir et des responsabilités et la réinstallation symbolique du « président à vie » Bourguiba au centre de la capitale est une façon de signer leur licenciement définitif.
Mais c’est surtout un message adressé aux islamistes qui tous ont de bonnes raisons de détester Bourguiba qui buvait ostensiblement de l’eau pendant le Ramadan et qui avait « libéré » les Tunisiennes en leur octroyant un statut unique dans le monde arabe.
D’autant que les statues, les islamistes ne doivent pas les apprécier !
Effectivement, on l’a compris avec Palmyre : les radicaux n’aiment pas la représentation humaine en ronde-bosse. C’est haram, tabou !
Or il se trouve qu’il y a quelques jours à peine, le principal parti islamiste tunisien, Ennahdha, a tenu son congrès et qu’il a pris un tournant historique : celui de laisser la religion aux religieux et de ne s’intéresser qu’à la politique.
Au revoir l’islam politique, bonjour les « islamo-démocrates » sur le modèle des « chrétiens-démocrates » allemands. Cette inauguration de la statue du père de la nation est donc une façon de les prendre au mot.
C’est machiavélique mais très malin. C’est d’ailleurs ça qui est intéressant : en Tunisie, et nul par ailleurs dans le monde arabe, les questions politiques ne se règlent plus à la kalachnikov mais par le biais d’une statue.
Et s’il en fallait une, c’est pour cette raison qu’il faut soutenir ce petit pays exemplaire qui, tous les jours, par sa presse, par ses débats, par ses statues qu’on inaugure, nous donne à tous des leçons de démocratie et d’exemplarité. Alors vive la Tunisie !