LEMONDE.FR | 09.01.09 | 13h13 • Mis à jour le 09.01.09 | 15h53
Dans un chat au Monde.fr, Jean-François Legrain, chercheur au CNRS, spécialiste du Proche-Orient, estime que le Hamas va dorénavant incarner l’identité nationale palestinienne.
Robert1 : Sur quels critères peut-on parler d’affaiblissement du Hamas, militaires, politiques… ? Comment pourra-t-on déterminer qui a « gagné » ?
Jean-François Legrain : La réponse est liée à l’identité du Hamas. Dans le domaine militaire, il y aura évidemment un échec du fait de la disproportion des forces en présence. Mais le militaire n’a jamais été essentiel pour le Hamas. Il n’a pas été élu pour libérer la Palestine. Du point de vue diplomatique, il y a également échec, puisque absence de négociations. Mais le Hamas n’a pas été élu pour négocier avec Israël. L’échec diplomatique a eu des conséquences économiques extrêmement graves pour la bande de Gaza, et cet échec pourra en effet lui être reproché par certains.
Mais la victoire est, elle, incontestable au niveau de la dignité des Palestiniens et de leur résistance à faire triompher leur identité.
Gex : Israël a-t-il d’autres objectifs que d’affaiblir le Hamas ?
Jean-François Legrain : La guerre de Gaza est une guerre à multiples détentes. Le premier objectif, partagé de facto par la communauté internationale et bon nombre d’Etats arabes, est d’interdire toute future victoire démocratique d’un parti islamiste.
Mais l’instrumentalisation par le gouvernement israélien de la lutte contre le « terrorisme islamique » vise à un deuxième niveau qui, lui, n’est pas nécessairement partagé par la communauté internationale et les Etats arabes : détruire l’infrastructure nationale palestinienne et toute institutionnalisation de l’identité nationale.
Remy : La bande de Gaza est étonnamment bien armée. D’où viennent les armes ?
Jean-François Legrain : Le surarmement de la bande de Gaza est en fait un effet de communication initié par le gouvernement israélien, qui affirmait que Hamas possédait des missiles Stinger et des missiles antichars en quantité. Jusqu’à présent, de telles armes n’ont pas été utilisées.
Il faut se rappeler 1990, quand l’armée irakienne avait été présentée par la coalition comme la troisième armée au monde, ou, plus récemment, les accusations portées contre l’Irak détenteur d’armes de destruction massive. Tout cela n’est fait que pour justifier une intervention et faire passer l’agresseur pour la victime.
Macoco : De telles armes, non, mais des roquettes sont quand même tirées sur Sderot. La nature des armes est-elle vraiment le problème essentiel ?
Jean-François Legrain : La nature des armes n’a jamais été le point essentiel, car la justification de l’intervention à Gaza par les tirs de roquettes et le non-renouvellement de la trêve est un simple argument de communication de la part du gouvernement israélien.
En réalité, durant les cinq premiers mois de la trêve, le Hamas s’est abstenu de tirer des roquettes sur le sud d’Israël. Les statistiques de l’armée israélienne en la matière sont très claires. En lançant une opération armée à l’intérieur même de la bande de Gaza début novembre, Israël savait qu’il relançait les tirs de roquettes et que, par là, il obtiendrait, par ce qui serait présenté comme une radicalisation de ses adversaires, la possibilité de mener sa guerre, voulue, contre le parti islamiste palestinien, et surtout contre le nationalisme palestinien.
Une fois de plus, Israël montre qu’il refuse d’envisager toute solution politique avec ses voisins palestiniens. Et nous retrouvons là la politique qui avait été clairement définie par Dov Weisglass, le principal conseiller d’Ariel Sharon, en 2005 : éviter tout processus politique en plongeant la communauté internationale dans le formol. Il s’agissait à l’époque de définir le retrait unilatéral de la bande de Gaza.
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Il y a évidemment bien du cynisme autour de la douleur de la population de Gaza. Cynisme du gouvernement israélien, en premier lieu. Cynisme aussi du Hamas, des voisins arabes, de l’Autorité palestinienne et de Téhéran. Cynisme, enfin, de la “communauté internationale”, du président Bush et sans doute d’Obama, qui se tait et donc consent.
On a beaucoup dit que l’attaque israélienne contre Gaza était “disproportionnée” dans ses moyens. Cela est exact si l’on considère qu’elle vise le seul Hamas et ses assez misérables roquettes. Mais Plomb durci a bien d’autres ressorts.
Comme l’explique The Observer, cette opération, loin d’être improvisée, a été soigneusement pesée et préparée depuis six mois. Et surtout elle a fait l’objet d’une longue campagne de communication. Cela n’a pas suffi. Car le sang versé ces derniers jours et toutes ces images d’horreur qui passent en boucle sur les écrans fournissent contre Israël des arguments de poids. En Europe, la réputation de l’Etat hébreu est au plus bas. Même aux Etats-Unis, ceux qui approuvent la guerre à Gaza ne sont plus majoritaires.
En fait, la brutalité de l’attaque et son calendrier ne peuvent s’expliquer que par un calcul géopolitique de grande ampleur. D’abord, Israël a toujours su “jusqu’où aller trop loin” sans fâcher son allié américain. Dans six mois, lorsque le gouvernement Obama aura entamé des négociations avec Téhéran, l’attaque eût été impossible. Car son véritable motif, explique Al-Hayat, est de tendre un piège au véritable ennemi, l’Iran. Si Ahmadinejad et Khamenei décidaient de réagir, Israël aurait alors un prétexte pour mener un raid contre les installations nucléaires iraniennes. S’ils ne bougent pas, au moins le Hamas est-il affaibli, et le prestige de l’Iran durablement atteint dans le monde musulman radical. Mais cette stratégie habile a son angle aveugle, que n’a pas voulu voir le brouillon Ehoud Barack. A savoir que déverser de nouvelles images de morts et de blessés dans une région déjà humiliée ne peut que susciter de nouvelles vocations, militantes ou terroristes. Al-Qaida peut se frotter les mains.
Philippe Thureau-Dangin
Malgré les pertes de vies humaines, le Hamas est en train de gagner. Il sortira plus fort de l’épreuve. Le Hamas est le dernier bastion de la résistance face à un ennemi autiste. Pensez-vous qu’une paix à l’égyptienne ait conquis les coeurs et les esprits des Egyptiens ?
Ce sont des arrangements entre dirigeants; le peuple ne suit pas tant que les sionistes continuent à opprimer les Palestiniens. On dit les Arabes divisés; c’est vrai au niveau des dirigeants, mais au niveau des peuples les Arabes sont solidaires.