Sept longues années de massacres.
Sept longues années d’agonie d’un peuple et, à travers lui, de l’idée que nous pouvions nous faire du monde.
Sept longues années de nuit syrienne.
Tout avait pourtant commencé en plein jour, ce 15 mars 2011, lorsque des milliers de citoyennes et de citoyens ont osé manifester pour demander des changements, une part de lumière. Ils ne réclamaient ni califat ni théocratie, contrairement aux mensonges que propagent aujourd’hui, ici, tant de plumes révisionnistes de droite comme de gauche. Ils ne réclamaient pas même la chute du régime, au départ. Juste des changements. Et de la « dignité ».
Bravant la peur, ils descendaient pacifiquement dans les rues de leur ville. La réponse de Bachar al-Assad fut de raser leurs rues. Et leurs villes avec.
« Vous voulez la révolution ? Vous aurez la guerre. » La leçon administrée par le dictateur de Damas et ses parrains russes ou iraniens dépasse largement les frontières syriennes. Elle est un véritable manifeste contre-révolutionnaire, écrit en lettres de sang, à destination de toutes celles et de tous ceux qui auraient l’idée de se révolter. Là-bas ou ailleurs.
« Vous voulez la liberté ? Vous aurez la mort. » Voilà l’essence du message adressé au monde par Assad, Khamenei et Poutine. À l’absence du monde plutôt. Au monde en tant qu’absence, en tant qu’idée périmée dont il convient de prouver la fin à coups de cadavres, d’urbicides et d’attaques chimiques.
Tous nos dirigeants se pressent chaque année à la tribune des Nations unies pour célébrer l’universalité des droits. Mais, quand vient le massacre des Syriens, il n’y a plus personne. Personne pour faire respecter les « lignes rouges ». Personne pour aider Alep hier. Personne pour sauver la Ghouta aujourd’hui. Personne.
Et pas grand-monde non plus sur nos places ou dans nos rues, il faut le reconnaître, pour manifester notre solidarité. Le droit d’ingérence fut décrédibilisé par les mensonges américains en Irak et le chaos libyen. L’idée de l’humanité, elle, n’en finit pas de périr de nos absences, de nos renoncements, de notre indifférence sur la Syrie.
Obnubilés par Daech, nous oublions que les relations internationales ne se résument pas à la nécessaire lutte contre le terrorisme. Que le monde ne se divise pas simplement en deux : les djihadistes et ceux qui s’y opposent. Qu’il y a, parmi ceux qui se prétendent en « guerre contre le terrorisme », des ennemis résolus de tous nos principes, d’authentiques bouchers dont les exactions systématiques ne font qu’alimenter le djihad, des pyromanes qui se déguisent en pompiers après avoir eux-mêmes allumé le brasier. Des terroristes, eux aussi, en fin de compte. Car comment qualifier autrement ceux dont les bombes visent sciemment les hôpitaux et les écoles ou qui se permettent d’éliminer leurs opposants à coups d’agents toxiques au cœur même de nos villes ?
On nous dit, ici, qu’il a bien fallu s’allier à Staline contre Hitler et qu’on peut bien soutenir Assad et Poutine contre Daech. Sauf que nous ne sommes pas en 1941. Que le drapeau noir du califat ne flotte pas sur l’Europe. Et, surtout, que Poutine et Assad ne font nullement de Daech leur ennemi principal. Ils ont toujours bombardé infiniment plus l’Armée syrienne libre que les terroristes. Nos alliés potentiels sont leurs adversaires désignés, pas ceux qui ont couvert de sang nos rues et nos salles de concert.
Il y avait une révolution syrienne. Après sept ans de guerre et d’abandons, elle tente tant bien que mal de survivre dans quelques ghettos assiégés et affamés. Nous avons, au fond, accepté sa mort. Nous en paierons le prix un jour.
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Photos : Manifestation à Saqba, Syrie, 18 mars 2016 © Msallam Abdalbaset/CrowdSpark/AFP – Étagères dans les décombres, 14 novembre 2017, Atarib, Syrie © ZEIN AL RIFAI/AFP – Syriens au milieu des débris, 13 novembre 2017, Atarib, Syrie © AFP PHOTO/Zein Al RIFAI – Secouristes portant un homme bléssé, 20 février 2018, Damas, Syrie © Khaled Akasha/Anadolu Agency