Les enfants sont les premières victimes du conflit syrien. Ils sont même des cibles pour le régime de Bassar el-Assad. Leur sort mérite bien davantage d’attention de la part de la Communauté internationale.

Carte blanche -Par Action Syrie (Ahmad Darwiche Sbahi, Sarah Degée, Alec de Vries, Caroline Goossens, Rend Haffar, Bicher Haj Ibrahim, Yahia Hakoum, Anne-Laure Losseau, Hisham Masalmeh, Median Omar Albakkour, Marie Peltier et Simone Susskind), ainsi que plusieurs cosignataires*Publié le 18/11/2021 à 14:45 Temps de lecture: 8 min
Alors que nous fêtons le 32e anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, nous pleurons une décennie de guerre en Syrie. Bien que la Syrie ait ratifié cet instrument juridique, la guerre se déroulant sur son sol s’avère dramatiquement cruelle pour les enfants. Ceux-ci n’y sont pas des victimes collatérales, mais bien des victimes premières. Que l’on ne s’y trompe pas : le régime de Bachar el-Assad n’a pas échoué à protéger les enfants, il en a fait, délibérément, des cibles.
Hiver 2011, en plein printemps arabes, des adolescents écrivent sur le mur de leur école « ton tour arrive docteur ». Ce message s’adresse à Bachar el-Assad, ophtalmologue de formation et fait référence à la chute des dictateurs Ben Ali et Moubarak. Dans de nombreux pays, ces enfants auraient été réprimandés pour leurs tags et auraient dû nettoyer les murs de leur école. Mais en Syrie, la famille Assad et leurs affidés, en place depuis les années septante, sont aussi mégalomanes que cruels. Ils se déchaînent sur tout individu osant les défier, même par des actes minimes et même s’il s’agit d’enfants. Peu de temps après, les services secrets ont retrouvé Mohamed, Bachir, Nayef, Ahmed et les autres. Ils les ont arrêtés et torturés. Ces actes ignobles engendrèrent les premières manifestations au printemps 2011 et déclenchèrent la révolution syrienne. Mohamed et les autres personnifient le drame du peuple syrien et leurs corps meurtris illustrent la barbarie du régime.
Des chiffres accablants et l’ensemble des droits violés
Après dix années de guerre, les enfants syriens victimes se comptent par millions. La situation est tellement grave qu’une carte blanche ne pourrait suffire à citer l’ensemble des droits de l’enfant violés. Quelques chiffres toutefois : en mars 2021, Unicef avançait le chiffre de 12.000 enfants syriens morts ou blessés du fait de la guerre (1), tandis que le SNHR avance le chiffre de 29.618 enfants tués. Ils et elles sont morts sous les bombardements et les tirs émanant des différentes parties en conflit, mais surtout parce que le régime Assad a délibérément bombardé des maternités, des écoles et des hôpitaux et gazé à plusieurs reprises la population. D’autres enfants sont morts de faim, de soif et de froid. Rappelons à cet égard que des villes entières ont été et sont assiégées par le régime. De plus, dans les prisons de Bachar ainsi que dans celles des groupes terroristes, croupissent des mineurs d’âge arrêtés sans nulle autre forme de procès qui subissent tortures, viols et maltraitances psychologiques. Aussi, 5.700 enfants âgés entre sept et dix-huit ans ont été enrôlés dans les combats par les différentes parties belligérantes. En outre, le Comité onusien des droits de l’enfant condamne les violences sexuelles et mariages forcés auxquels sont exposées les filles et dont sont coupables les forces armées ainsi que certains groupes de l’opposition. Des mariages forcés de mineures syriennes ont également lieu dans les camps de réfugiés. Enfin, 2,14 millions d’enfants vivant en Syrie et 750.000 réfugiés dans les pays limitrophes sont privés de scolarisation.À lire aussiAmnesty: les réfugiés syriens qui rentrent au pays risquent torture et disparition
Quel avenir pour ces martyrs ?
Au-delà des chiffres nous parviennent des images marquantes d’enfants syriens. Celles de Sama dans le documentaire « Pour Sama » qui illustre une enfance sous les bombes lors du siège d’Alep. Qui peut encore ignorer le sort de ces fillettes yézidies vendues comme esclaves sexuelles par des groupuscules terroristes ? La photographie, désormais mondialement célèbre, du photographe turc Mehmet Aslan.

On peut y voir un père unijambiste, victime d’un bombardement dans la région d’Idlib, tenant son jeune enfant né sans membres inférieurs ni supérieurs, à la suite des gaz inhalés par sa mère durant des attaques du régime. Les images, enfin, d’enfants vivant dans des camps de réfugiés, comme celles prises par le photographe syrien vivant en Belgique Abdulazez Dukhan.
Ces images à la fois tragiques et belles sont porteuses d’humanité ; elles illustrent et personnifient le drame des enfants syriens. Nous ne souhaitons pas les réifier face à la tragédie dont ils et elles sont victimes. Pour autant, nous posons avec force et inquiétude la question de leur avenir. Ces enfants ont été exposés à de graves privations et carences. Celles-ci, pour tout être humain, constituent des entraves au développement physiologique et neurologique. Unicef mentionne que plus d’un demi-million d’enfants âgés de moins de cinq ans vivant en Syrie souffrent d’un retard de croissance engendré par la malnutrition chronique. Les enfants ayant grandi en Syrie et sur les routes migratoires sont également exposés à l’insécurité psychique. Or, vivre de manière répétée, continue et profonde l’insécurité psychique n’est pas sans conséquence sur le développement physiologique, neurologique, affectif et social.À lire aussiSyrie: les violences reprennent à Deraa, où tout avait commencé
Des Etats très peu réactifs
Au-delà de ces inquiétudes, nous sommes préoccupés par le peu de considération portée par les pays de l’Union européenne aux enfants syriens. Le Danemark a commencé à révoquer, depuis peu, les titres de séjour de Syriens et Syriennes se trouvant sur son sol arguant que la situation dans la région de Damas, entre autres, est « sûre ». Or, les Syriens et Syriennes rentrant au pays sont exposés aux arrestations, à la torture et au viol, même s’ils et elles sont mineurs. En Grèce, dans les camps, les enfants sont exposés à des conditions de survie indignes, leurs besoins et droits les plus fondamentaux sont entravés. En Belgique et en France, le nombre de structures spécialisées pour accueillir les enfants ayant vécu la guerre demeure insuffisant. En outre, aucun des Etats européens, pour l’heure, et ce, depuis le début du conflit, n’agit d’une manière ferme à l’encontre du régime de Bachar el-Assad. De même, les dernières observations finales du Comité onusien des droits de l’enfant adressées à la Syrie, datant de 2019, nous semblent bien « molles » face à ce régime tuant, torturant et bafouant les enfants autant que leurs droits.À lire aussiGuerre en Syrie: Assad, dix ans plus tard, règne sur un monceau de ruines
Nous refusons d’accepter ces réalités. D’abord, au nom de notre humanité commune. Ensuite, parce que les enfants méritent une protection particulière, raison de l’existence même de la Convention internationale des droits de l’enfant. Enfin, parce que, lorsque les conditions favorables à un bon développement sont réunies, les enfants syriens, comme tous les enfants du monde, peuvent se réaliser et offrir ce qu’ils et elles ont de meilleur, à l’instar de Leen, championne d’échec syrienne de quatorze ans vivant en France.
*Cosignataires : Basel Adoum, médiateur culturel et réfugié syrien ; Hani Al Helwani, pharmacien et réfugié syrien ; Sabreen Al Rassace, spécialiste Genre en Exil-Asile ; Noura Amer, psychologue et présidente de l’ASBL Awsa – Arab Women’s Solidarity ; Sema Aydogan, psychopédagogue ; Fabienne Brion, professeure de criminologie et islamologue (UCLouvain) ; Raphaële Buxant, enseignante engagée, Lycée Martin V Louvain-la-Neuve ; Françoise Cousin, psychologue et enseignante ; Jean-Baptiste Dayez, psychologue social et militant des droits humains ; Damien Dejemeppe, directeur du Lycée Martin V, Ecole d’application de l’UCLouvain ; Stéphanie Demblon, militante des droits humains ; Martine Demillequand, collaboratrice pédagogique UCLouvain ; William Donni, travailleur social exerçant, entre autres, auprès de familles syriennes ; Jean-Louis Dufays, professeur de littérature et de didactique (UCLouvain) ; Abdulazez Dukhan, photographe et réfugié syrien ; Nadia Echadi, enseignante et responsable de l’ASBL Maxi-Liens, réseau Être bon pour les enfants ; Mohamed El Hendouz, militant des droits humains ; Sabiha El Youssfi, enseignante ; Roman Foy, secrétaire général de l’association Revivre ; Caroline Guilleaume, enseignante en classe Daspa ; Brigitte Herremans, politologue et doctorante à l’Université de Gand ; Bruno Humbeeck, psychopédagogue ; Hana Jaber, directrice exécutive de la Fondation Lokman Slim ; Marie Jadoul, PhD researcher Faculté de droit et de criminologie UCLouvain ; Cristèle Jonnart, enseignante ; Firas Kontar, opposant au régime syrien et juriste ; Esther Kouablan, militante antiraciste ; Irène Labeyrie, architecte retraitée ayant vécu en Syrie (entre 1976 et 2013) ; Christelle Macq, doctorante et assistante en droit, membre de l’équipe droits européens et migrations (UCLouvain) ; Altay Manço, directeur scientifique de l’Institut de Recherche Formation Action sur les Migrations (IRFAM) ; Laura Merla, professeure de sociologie (UCLouvain) ; Thierry Moreau, avocat, professeur extraordinaire à la Faculté de droit et de criminologie de l’UCLouvain et directeur du Centre interdisciplinaire des droits de l’enfant ; Yasser Mustafa, enseignant et réfugié syrien ; Laurence Nazé, citoyenne engagée dans l’accueil des migrant.e.s en transit ; Jennifer Nowé, travailleuse exerçant dans le champ des migrations et de l’interculturalité ; Élodie Oger, enseignante et chercheuse à l’UCLouvain ; Rudi Osman ; Joëlle Petit, pédagogue, professeure d’art et formatrice d’enseignant.e.s (UCLouvain) ; Olivier Peyroux, sociologue, cofondateur de l’association Trajectoires ; Eric Picard, pédopsychiatre ; Edith Praet, criminologue et directrice d’un centre d’hébergement pour enfants ; Salim Sendiane, docteur en droit et réfugié syrien ; Marianne Stasse, militante des droits des migrant.e.s ; Mohamed Taha, archéologue et réfugié syrien ; Pauline Thirifays, enseignante ; Corinne Torrekens, professeure de science politique (ULB) ; Doris Van Cleemput, psychologue en soins de santé ambulatoires – Bruxelles Service de Santé Mentale Chapelle-aux-Champs ; Roman Witterbroodt, enseignant.https://b0ffd2a13f76f712ab21b3c6095e3030.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html
(1) Ces chiffres couvrent la période de 2011 à 2020..