Kris Kaerts sur Facebook*
AVERTISSEMENT : En ce qui concerne les auteurs cités ci-dessous, je ne porte absolument aucun jugement sur la qualité de leur travail. La plupart d’entre eux sont des professionnels. Je n’ai jamais rien lu de certains d’entre eux.
Mais il me faut quand même dire quelque chose à propos de nos écrivains professionnels.
À l’heure où j’écris ces lignes, nous avons dépassé les 450 jours de nettoyage ethnique à Gaza. Nous savons ce qui s’y passe. Ou nous pourrions le savoir, bien qu’Israël interdise à tous les journalistes d’accéder à la bande de Gaza et diffuse de préférence ses propres communications. Les rares reporters admis sont « escortés ». Des « Embedded journalists », comme on dit si joliment en anglais. J’ai une admiration absolue pour les journalistes palestiniens sur le terrain et ceux qui combattent le colonisateur avec leurs smartphones. Ils documentent l’extermination de leur propre peuple dans les conditions les plus brutales et, malheureusement, ils perdent aussi la vie dans des proportions hallucinantes.
Cette guerre défie toute imagination et en même temps, fait tomber pas mal de masques. Ce n’est pas parce qu’un accord a été conclu avant-hier entre Israël et le Hamas sur exactement le même texte qui existait déjà il y a huit mois que nous pouvons penser que l’affaire est réglée. Elle se reproduira tant que l’injustice fondamentale faite aux Palestiniens, vieille de 100 ans, ne sera pas réglée.
À l’heure où j’écris ces lignes, alors que les organisations humanitaires se demandent comment elles vont pouvoir venir en aide au peuple palestinien, l’IDF continue de bombarder et de tuer des dizaines de personnes par jour. Quel autre pays au monde en serait capable ? N’oublions pas non plus que l’agence d’aide la plus importante et la plus dévouée – l’UNRWA – a été déclarée hors-la-loi par le parlement israélien.
La question qui s’impose à moi et qui me fait piquer une autre colère – car je devine déjà la réponse, est la suivante : comment se fait-il que nos auteurs professionnels et surtout ceux que je rencontre presque tous les jours sur FB pour se promouvoir ou promouvoir leur propre travail – comment se fait-il que ces messieurs (c’est ce qu’ils sont généralement de toute façon) n’osent pas poster une seule phrase, pas même le début d’une opinion, ou exprimer leurs sentiments sur le conflit le plus dégoûtant, le propagateur de dissension le plus puant de ces cent dernières années qui se répand comme un cancer menaçant le monde entier ? Comment cela est-il possible ?
Si les écrivains ne peuvent pas écrire sur ce sujet, nous devons oser les mettre dans le collimateur, quels que soient leurs mérites littéraires ou artistiques. Par nécessité, je me limite ici au domaine littéraire néerlandophone.
Je commencerai par Herman Brusselmans. L’affaire Brusselmans aurait dû, à elle seule, inciter l’ensemble de la corporation des écrivains à se lever comme un seul homme ou une seule femme pour défendre leur frère écrivain. Ne serait-ce que dans leur propre intérêt, car après Brusselmans, ce pourrait être leur tour. Car dans la pratique, pas un seul auteur néerlandophone n’a été capable de s’exprimer publiquement pour aider à faire pression sur nos politiciens et rejoindre une société civile pourtant très active. N’ont-ils pas étudié dans les universités où tant d’actions ont été menées ?
Brusselmans a été injustement pris à partie et tout le monde le sait. Personnellement, je n’en suis pas fan. Je déteste son style, ses poses éculées, ses apparitions télévisées léthargiques, ses sujets futiles et sa misogynie. Mais je sais une chose : il n’est pas antisémite. Il aurait fallu l’indiquer. L’expliquer. Le réfuter.
Brusselmans, dans toute sa misérable clownerie, ne peut être assimilé aux carnavaliers d’Alost qui, il y a quelques années, ont cru devoir se moquer des Juifs en les représentant avec des nez crochus.
La guilde des écrivains aurait dû le protéger en tant que petit frère attardé souffrant un peu du syndrome de la Tourette. Quelque chose comme ça. Elle aurait dû agir comme le gardien de son frère. Rien de tout cela.
Je n’ai entendu qu’un silence assourdissant. À une exception près : Arnon Grunberg, qui s’est exprimé comme « un bon garçon de Tel-Aviv », comme l’aurait dit Gideon Levy. Grunberg, j’apprécie son travail et c’est un professionnel. Mais depuis l’affaire Brusselmans, nous savons que c’est un sioniste pur sang. Je ne peux qu’apprécier et regretter les éclaircissements qu’il nous a fournis.
Stefan Hertmans est un auteur flamand à succès qui m’a définitivement dégouté dès les premières semaines où l’enfer s’est déchaîné à Gaza. Je le vois encore assis dans le Zevende Dag le jour de l’Armistice en 2023, en train de parler de la paix. Mais parler de la question palestinienne ? Non, l’auteur du best-seller très traduit « Guerre et térébenthine» n’a pas pu le faire. Pour lui, la situation est « trop complexe ».
Entre-temps, le globe a tourné plus de 450 fois autour de son axe et Hertmans se retrouve avec un nouveau best-seller, un certain nombre de traductions et quelques lauriers. Par exemple, il a récemment annoncé sur FB qu’il avait été invité à rejoindre la Deutsche Akademie für Sprache und Dichtung (Académie allemande pour la langue et la littérature).
« Cela rend humble de voir son nom parmi des grands comme Jean Améry, Hannah Arendt, Hans Georg Gadamer, Elias Canetti, Jürgen Habermas, Thomas Mann, Rüdiger Safranski, W.G. Sebald ou Adam Zagajewski, et tant d’autres grands auteurs ».
Je doute fort de cette humilité. Hertmans est un paon. Je me questionne également sur toutes les actions nécessaires en coulisses pour obtenir une telle « invitation ». Son annonce sur FB a été immédiatement reprise par VRTnws et c’est probablement ce que l’auteur recherchait, malgré son humilité feinte.
L’Allemagne a une réserve de lecteurs dix fois plus importante. Les Pays-Bas, mais surtout le monde anglo-saxon, ne sont évidemment pas des biotopes où l’on aimerait être signalé comme critique d’Israël. Cela pourrait vous causer quelques ennuis, comme ce qui est arrivé à ce pauvre Brusselmans sur la base d’un seul article. Mais alors en bien pire. C’est pour cela et pour rien d’autre, que Hertmans se tait de façon pitoyable sur ce sujet et continue sa pêche quotidienne aux compliments sur ce média. Et malheureusement, il n’est pas seul.
Récemment, une sorte de « duel littéraire » entre les écrivains Rob Van Essen et Ilja Leonard Pfeijffer a attiré mon attention.
Van Essen avait osé attaquer le monumental Ilja Leonard Pfeijffer dans un « sermon littéraire » (qui s’est déroulé dans une église de Nimègue). Je ne sais pas comment cela s’est passé, car je n’ai pu lire le récit de cet iconoclasme que dans la réponse de Pfeijffer lui-même. Du haut de la chaire de Nimègue, Van Essen aurait affirmé que la littérature était morte. Il prétendait en être la preuve, puisqu’il avait assisté aux funérailles. Et ces funérailles n’étaient ni plus ni moins que la présentation du roman de Pfeijffer « Alcibiades » à Anvers, une ville qui peut se vanter de ses iconoclasmes. Dans « Alcibiade », l’histoire ancienne montre comment la démocratie peut s’effondrer. Oh actualité !
Ce que Van Essen a affirmé dans son sermon reviendrait en fait à dire que si un écrivain veut parler de l’actualité, de la société et de la politique, il doit écrire un essai, mais pas un roman, s’il vous plaît.
“Il me reproche que mon roman historique soit d’actualité, social et politique. Il trouve cela inexcusable », écrit M. Pfeijffer dans sa réfutation.
S’agit-il d’une discussion nouvelle? Je crains que non. S’agit-il d’une discussion passionnante ? Je ne le crois pas non plus. Peut-être que ces deux messieurs – certains les soupçonnent – s’étaient mis d’accord entre eux pour croiser le fer, une fois de plus à la manière antique. Pour autant que je sache, le public s’est de toute façon tiré.
Certes, Pfeijffer a eu raison de remettre Van Essen à sa place. Mais lui aussi joue la carte de la sécurité en situant le problème quelque part dans un passé lointain. Une astuce familière dont tant de frères de l’art se sont servi dans des périodes périlleuses.
C’est l’heure pour un proverbe.
Que diriez-vous de « Qui dort avec le chien attrape ses puces » ?
Comme nous le savons, la sensationnelle écrivaine Lize Spit forme un couple avec Rob Van Essen. Je ne dis pas cela par sensationnalisme. Van Essen figure avec régularité dans sa chronique hebdomadaire dans De Morgen. Spit est également très active sur FB. Il y a quelques semaines, par exemple, elle a réussi à filmer une concentration de huit rats dans son quartier bruxellois. Ce reportage a également été diffusé sur VRTnws. Comme on le sait, des rats bruns se trouvent presque tous les jours dans le studio de télévision. Je soupçonne donc que cette fois-ci, c’est le nombre qui a attiré l’attention. Huit rats ! Mais ne sont-ils pas déjà nombreux au conseil d’administration de la VRT, cette chaîne autrefois « de gauche » ? Je soupçonne que la prochaine nouvelle concernant le couple d’écrivains pourrait bien être un déménagement hors de la maudite Bruxelles.
Lize Spit rejoint également les rangs des écrivains qui n’ont pas d’opinion sur Israël. Peut-on dire qu’il s’agit d’une manœuvre calculée ? Une collaboration passive sur les traces de l’humble Hertmans ? Son œuvre est traduite avec empressement – et à juste titre – dans des pays qui, en fin de compte, s’abstiennent ou votent contre les résolutions de l’ONU sur les violations du droit humanitaire et du droit de la guerre par Israël. Des résolutions qui sont massivement soutenues par le reste du monde et qui font d’Israël un État paria.
Il est de notoriété publique que David Van Reybrouck entreprend depuis un certain temps un long voyage(en bateau) vers l’Afrique. Plus d’une fois, Van Reybrouck s’est engagé pour le climat, pour le G1000, contre l’extrême droite, … pourquoi pas finalement ? Pourtant, je ne crois pas me souvenir qu’il ait écrit sur les péchés d’Israël au cours des 450 derniers jours. Encore une fois : pourquoi (pas) ?
J’ai pensé à lui récemment en lisant un long article de Martin Sijes sur le site d’information de la BNNVARA. Excusez-moi, qui est Martin Sijes ? C’est, selon l’internet, un sociologue de 73 ans qui a travaillé dans les services de santé mentale et de toxicomanie. Il alterne ses séjours entre les Pays-Bas et l’Israël. Apparemment, cela lui permet également d’être autorisé à rédiger de longs articles sur le site d’information du VARA. Il s’agit d’articles d’opinion visant à corriger les malentendus entourant le génocide à Gaza. Il ne s’agit pas du tout de massacre, selon l’auteur. L’article a été écrit au printemps 2024. La Cour Internationale de Justice de La Haye vient de rendre un arrêt : l’État d’Israël doit prendre des mesures provisoires pour empêcher un génocide à Gaza. Ce qui n’a manifestement pas été fait. Cfr. d’autres condamnations et un mandat d’arrêt international contre Netanyahou.
Sijes joue la carte habituelle de la propagande. Selon lui, l’IDF fait tout son possible pour agir correctement. Ce genre d’interprétation est ce qu’on appelle en Israël du « hasbara ». Dans son article, il établit également un parallèle avec le comportement des Pays-Bas à l’époque coloniale, notant qu’à l’époque de l’indépendance de l’Indonésie, les Pays-Bas ont probablement fait beaucoup plus de victimes civiles qu’Israël à Gaza grâce à la « stratégie de précision » de l’IDF. Une comparaison pour foncer droit dans le mur, bien sûr. Ce qui m’a frappé, c’est que ce faisant, il ne tarit pas d’éloges sur Van Reybrouck. Il y consacre un aparté dans son article que je cite ici.
“{Les critiques néerlandais de l’action israélienne feraient bien de se rappeler comment les Pays-Bas eux-mêmes ont agi pendant la guerre contre une armée de guérilla en Indonésie. Dans son livre phénoménal « REVOLUSI. Indonesia and the Creation of the Modern World » (De Bezige Bij 2022, pp 470, 471), David van Reybrouck indique qu’en 1947 et 1949, les “actions de la police” ont fait respectivement 19 000 et 59 000 morts. Il ajoute qu’il est tout à fait possible que la majorité des personnes tuées aient été des civils et que davantage de personnes soient mortes de crimes de guerre que d’opérations de combat régulières. L’estimation maximale du nombre de morts dans l’ensemble du conflit est de 200 000} ».
Cet argument doit être bien sûr complètement invalidé. Les méfaits coloniaux des Pays-Bas sont tout à fait répréhensibles. Mais il s’agit d’une comparaison déplacée. Il suffit de comparer la superficie de l’Indonésie à celle de Gaza. Comparez le nombre de bombes larguées sur Gaza, qui dépasse de loin la somme des tonnes d’explosifs larguées sur Dresde, Berlin, Pearl Harbour et Hiroshima. Et il y a tant d’autres comparaisons.
En fait, le seul point positif de cette mise en parallèle est que l’auteur reconnaît – involontairement mais logiquement – qu’Israël se trouve bel et bien dans le camp colonial. Un État colonial d’apartheid avec la mentalité raciste qui l’accompagne. Bien entendu, Sijes ne tient pas compte de ces éléments. Il se sent bien en Israël.
Mais pourquoi ce long éloge de Van Reybrouck dans ce document ? Et pourquoi Van Reybrouck lui-même n’y a-t-il jamais réagi ? Cet article a certainement dû être porté à son attention.
J’ai pensé alors à la popularité de REVOLUSI aux Pays-Bas et au fait qu’il est devenu populaire grâce aux Pays-Bas. Ces mêmes Pays-Bas qui ont contribué à créer l’image d’un pogrom juif à la suite du match de football du Maccabi et des émeutes qui s’en sont suivies.
Il se pourrait donc bien que l’auteur ait également décidé de garder un silence pudique dans cette affaire et de prendre quelques mois de repos. Après tout, il se passe bien d’autres choses dans ce monde que Gaza, n’est-ce pas ? Nous parlerons de Gaza plus tard. Quand ? Pour faire intervenir Shakespeare un instant : « Quand le tumulte sera terminé. Quand la bataille est perdue et gagnée ».
Il est intéressant de s’intéresser à la littérature. Étudier ce que les écrivains écrivent. Il est également intéressant d’étudier ce sur quoi ils n’écrivent PAS et de se demander pourquoi. REVOLUSI est un livre très apprécié et abondamment traduit. L’auteur israélien Yuval Harari recommande sa lecture dans la traduction anglaise : « Un exploit stupéfiant de recherche et de narration. L’histoire dans toute sa splendeur ». Oseriez-vous contredire un homme de son calibre ?
Permettez-moi d’en citer encore un pour en terminer. Autant mon respect est grand pour des livres comme « Wildevrouw » et « WIL » de Jeroen Olyslaegers, autant mon respect est petit pour les chroniques de cet homme et ses posts coquets sur FB. J’ai le sentiment désagréable qu’elles masquent des « Confessions d’un masque » à la Yukio Mishima… Tout comme Lize Spit à tort et à travers nous tartine avec son héros en pantoufles RvE, le fossoyeur théâtral 2.0 de la littérature engagée, Olyslaegers fait sa propre publicité et celle de la Nymphe quotidiennement sur FB et dans ses chroniques (également dans l’ex-journal de qualité De Morgen). Et pour son emploi artificiel de la deuxième personne. Il aime se faire traiter de satyre, semble se battre avec des démons, médite sur eux, aime jeter des fleurs à ses collègues artistes, qui reviennent bien sûr se poser, comme une couronne flower-power sur sa tête, s’extasie d’une fascination proche de la folie ésotérique sur l’art religieux, mais aussi sur le tarot et toutes sortes de bizarreries plus ou moins chamanique. Chaque jour, il découvre un nouveau détail sous un vieil éclat de peinture d’un tableau de maître ancien, sur lequel il médite d’abord, verse quelques verres d’alcool sur le distillat de cerveau qui dégouline, exécute une courte danse d’accouplement avec la Nymphe et toutes sortes d’autres petits rituels. Il en résulte des articles de contemplation concentrée assez épuisants, qui se terminent invariablement par l’exclamation « JAMES ! »
Cependant, contrairement à « la Nymphe » qui est récemment devenue un personnage très public grâce à son mari, James reste un personnage pâle et exsangue qui me fait parfois penser au narrateur décadent de « A Rebours » de J-K Huysmans. Peut-être James est-il le nom du masque de satyre que le vrai Olyslaegers doit garder sous contrôle alors que des portions de Gaza s’insinuent dans son monde par le biais de crevasses et de fissures. Je ne peux pas imaginer que Jeroen Olyslaegers n’ait pas d’idées, de caprices ou même de vomissements littéraires sur Gaza. La raison pour laquelle il reste silencieux réside probablement dans l’angoisse du writersblo©k déjà mentionnée plus haut. Et probablement aussi au fait que son fils adoptif fait son service militaire dans l’armée israélienne. Je n’ai pas eu besoin de faire du journalisme d’investigation de bas étage pour cela. La Nymphe elle-même l’a dit en larmes à la Radio Nationale Flamande dans le confessionnal de Friedl Lesage.
Par rapport à tout cela, ayons quand même un regard de compassion et d’empathie
Pour la plupart des artistes, en être un est une lutte de plusieurs décennies pour avoir la reconnaissance. C’est bien connu. Nombreux sont ceux qui n’ont pas pu en profiter de leur vivant. Un jour, quelqu’un s’est coupé une oreille pour ça. Les drogues et les armes à feu ont fait leur œuvre. La folie, le spleen et la dépression ont envahi de nombreux lits de mort prématurée. Les dieux de l’art ont exigé de nombreux sacrifices et fait de nombreux martyrs. Parmi ceux qui jouissent de la reconnaissance de leur vivant, il y en a peut-être un paquet qui sera rapidement oublié à titre posthume. C’est ce que je pense. Dans cette lutte pour la survie, il faut donc développer son courage et son savoir (sur)vivre. Être prêt à faire des compromis. Facebookfähig. Ne pas provoquer inutilement et assumer– dixit un directeur artistique récemment déchu – de « laisser libre cours à la pute qui est en vous ». Sinon, vous risquez de vous retrouver sur une liste d’attente interminable dans cette vallée de larmes, n’est-ce pas ? Tout le monde ne peut pas être Roger Waters. C’est dommage. Tout le monde n’a pas la volonté de Ramsey Nasr ou de Fatena Al Ghorra. Qui, bien sûr, sont parties prenantes. Mais les collègues ne peuvent-ils pas les soutenir eux aussi ? Pouvons-nous vraiment être en dehors ou au-dessus de ce conflit ? Ne sommes-nous donc pas aussi partie prenante ? Désespérant.
Chaque écrivain(e) néerlandophone doit avant tout penser à la Flandre et surtout aux Pays-Bas, avant que le rêve de traductions ne devienne réalité. C’est la réalité. C’est là que les livres doivent être vendus en premier lieu. Je sais que Tom Lanoye a été courageux en appelant au boycott de la participation d’Israël au concours Eurovision de la chanson. Il n’est pas allé beaucoup plus loin. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ?
Tout le monde sait qu’il n’est pas simple de vendre des livres et que tout boycott personnel ou toute expression de critique est une agression contre la constitution d’un trésor de guerre. Contre l’opportunité des traductions internationales. Par ailleurs, on voit bien comment se manifeste le lobby pro-israélien. C’est aussi simple que cela. Par amour du pognon l’auteur ferme sa gueule. Peut-être cela inclut-il des menaces subtiles et moins subtiles ? Ne soyons pas naïfs.
Ceux qui savent si bien manier les mots, dont l’arme puissante est la plume, ont détourné le regard pendant plus d’un an, attirant notre attention sur un rat dans une gare, un arbre particulier dans un jardin ou une œuvre d’art intemporelle et canonisée. Il faut le faire.
Comment l’artiste se débarrasse-t-il de son art ? C’est une affirmation que j’ai apprise il y a longtemps sur une scène. Elle sortait de la bouche de Freek De Jonge. Pas vraiment un artiste qui a mal tourné. Et encore une fois, ce n’est pas un artiste qui s’est bougé le cul pour Gaza au cours de l’année passée. Le programme de cabaret « Bloed aan de Paal » qui, à l’époque, appelait au boycott de la Coupe du monde dans une Argentine où la junte militaire se surpassait, n’est plus que l’ombre d’un lointain passé. Quoi qu’il en soit, Freek est vieux et dépassé. Il est également marié à la fille d’un survivant de l’Holocauste et fils de pasteur un jour, fils de pasteur toujours.
Comment l’artiste se débarrasse-t-il de son art ?
C’était l’auto-examen moralisateur trop entendu de Freek sur scène à propos de la position de l’artiste dépendant des subventions et des ventes de billets.
Le dramaturge flamand-tunisien Chokri Ben Chikah, que j’ai beaucoup apprécié, a commencé avant que le Hamas ne frappe le 7 octobre 2023, à travailler sur son nouveau projet théâtral « Les Perses ». Je ne sais pas si ce titre et cette inspiration étaient fixés dès le départ. Ce que l’on sait, c’est qu’il voulait faire une pièce sur Israël/Palestine. Au cours du processus de création, l’enfer s’est déchaîné et, bien sûr, tout a changé.
Ben Chikah se regarde dans un miroir dans la représentation de la pièce « Les Perses » d’Eschyle, qui était lui-même un vétéran de la guerre (du côté grec) au cours de laquelle les Grecs ont conquis et humilié les Perses. La notion d’empathie a été le leitmotiv de la création de ce spectacle. Le spectacle a été réalisé avec des acteurs/danseurs/musiciens/équipes palestiniens et israéliens. Bien entendu, le nouveau « développement » a été une aubaine pour le metteur en scène. Cela a tout rendu plus signifiant. Mais en cours de route, d’autres questions sont entrées en jeu : la possibilité de programmation (= rentabilité) de ce spectacle !
Dans un article intéressant du dramaturge Erwin Jans pour le Theaterkrant (dont j’ai tiré l’info ci-dessus), certaines informations sont fournies sur les chemins empruntés par le spectacle au cours du processus de création. Pour désamorcer les problèmes, le choix a été fait de situer « Les Perses » non pas dans le passé, mais dans le futur ! Ceux qui savent lire entre les lignes sentent également que Jans a écrit son article comme une apologie du metteur en scène et comme coup de pouce pour qu’il soit commercialisable. Chokri Ben Chikah, l’homme de théâtre qui a étudié l’histoire et obtenu un doctorat en arts, a fait de sa recherche de la vérité sa marque de fabrique. Dans ce spectacle, il s’interroge également sur lui-même. Compte tenu des longs bras du camp pro-israélien, je m’attends à ce que les représentations qui auront lieu à la fin du mois à Amsterdam et le 12 mars à Rotterdam fassent sensation. J’en serais d’ailleurs ravi. Peut-être que « Les Perses » vont aussi briser le syndrome de la page blanche ? L’art peut (aussi) avoir ce pouvoir.
*Traduction revue par l’auteur
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