« Les Syriens ne veulent rien d’autre que la démocratie »


LOOS,BAUDOUIN

(LeSoir Page 15)

Vendredi 13 mai 2011

Un beau roman, un auteur courageux : Khalid Khalifa dit les choses, comme de plus en plus de Syriens…

ENTRETIEN

Le premier livre de Khalid Khalifa traduit en français vient de paraître chez Actes-Sud. La toile de fond des événements décrits dans l’Eloge de la haine est la révolte des Frères musulmans syriens de la fin des années 70 – début des années 80. L’auteur a répondu à nos questions.

Si l’on compare avec les troubles actuels, êtes-vous d’accord pour dire que les islamistes ne sont pas du tout les leaders de la contestation (à l’image, d’ailleurs, des révoltes tunisienne, égyptienne, etc.) ?

L’Eloge de la haine ne parle pas uniquement des Frères musulmans, mais touche au conflit des extrémismes en tous temps et dans n’importe quelle société qui voit s’épanouir ce genre de conflits. Ce qui s’était passé en Syrie n’était pas une révolution à proprement parler, mais l’action d’un parti qui se bat contre un autre parti pour accéder au pouvoir. Les Syriens n’étaient pas avec ce parti et en même temps ils ne défendaient pas les positions communautaristes. Aujourd’hui, ce qui se passe en Syrie est tout à fait différent, car il s’agit d’un soulèvement qui est en train de devenir une révolution où sont engagées les diverses composantes de la société et qui couvre 80 % de l’étendue des villes et des villages. Les Frères musulmans n’y sont pour rien, ce soulèvement est celui d’une jeunesse pluriculturelle qui s’accorde à prôner la démocratie comme objectif primordial. L’islamisation du soulèvement est une lecture orientaliste par excellence à laquelle ont adhéré de nombreux intellectuels arabes et syriens.

En tant que mouvement, les Frères musulmans ont rejoint tardivement la révolution égyptienne, leur participation n’a pas dépassé les 20 %. Pourtant, aujourd’hui, ils tentent de détourner la révolution à leur avantage. Il se pourrait qu’ils y réussissent à court terme, mais pas à long terme, même s’ils renouvellent leurs outils. La démocratie signifie la séparation de la religion et de l’État et c’est l’objectif le plus élevé auquel toutes les révolutions arabes aspirent pour parvenir au but et sortir les Arabes de l’obscurantisme des siècles passés. La communauté internationale se trompe encore une fois en soutenant un islam modéré au détriment de l’idée d’une société civile. Il y a aussi ceux qui pensent que la communauté internationale ne veut pas que les Arabes se développent vraiment.

Le régime de Bachar el-Assad a toujours brandi l’épouvantail de la guerre interne pour valoriser la stabilité qu’il incarne ; cet argument a-t-il encore du poids ?

J’estime qu’il n’y a rien d’autre que la démocratie et l’obtention de tous leurs droits qui pourront satisfaire les Syriens. L’époque actuelle est celle du développement des Arabes encore une fois, malgré les grandes difficultés que vivent les révolutions réussies telles qu’en Egypte et en Tunisie, à cause de la férocité des contre-révolutions et des régimes qui tentent de les démanteler. La démocratie ne signifie pas le chaos, surtout dans une société telle que la société syrienne qui est tout à fait apte au dialogue et à l’ouverture. L’un des grands avantages de la société syrienne c’est sa civilité, malgré les distorsions qu’elle a subies au cours des quarante dernières années.

Pensez-vous que ce régime a encore un avenir, compte tenu des pressions internationales plutôt limitées qu’il subit ?

Les Syriens constatent que la communauté internationale considère ce régime comme une nécessité. Les manifestants n’attendent rien des pressions de la part de la communauté internationale, très lente à bouger après cinquante jours de manifestations au cours desquels les Syriens ont donné plus de mille victimes, des milliers de blessés et pas moins de douze mille prisonniers, selon les statistiques des organismes des droits de l’homme. Aussi, ils sont conscients de mener leur combat, désarmés oui, mais animés par une foi inébranlable dans leur avenir. Nous espérons que le régime accédera à leurs revendications et que le sang s’arrêtera de couler. Nous craignons que le sang ne devienne une malédiction pour les Syriens et espérons qu’il va au contraire mener tout le monde au dialogue pour discuter de la Syrie nouvelle, différente, où personne ne pourra confisquer le pouvoir et la vérité.

Selon certains, le régime confessionnalise les troubles pour raffermir la solidarité entre Alaouites, la minorité de laquelle il provient ; avez-vous les mêmes informations ?

Je ne pense pas que les Alaouites ont envie d’entrer dans une guerre confessionnelle, pas plus que les autres communautés d’ailleurs. Le régime cherche à se maintenir à tout prix, mais le plus important est de savoir ce que veulent les Syriens. J’ajoute que les Alaouites ont payé très cher, il y a eu parmi eux des milliers de prisonniers politiques dans les années quatre-vingt. Les Syriens sont capables de poursuivre la vie commune sans problèmes. Il y a de nombreux partis qui désirent nous pousser vers la guerre civile, mais je suis convaincu qu’ils n’y réussiront pas. Je ne sais rien de ce que vous évoquez, et je ne crois pas que ce soit vrai.

Bachar a-t-il la volonté de réformer ou la capacité d’y arriver malgré les freins (corruption, poids de la vieille garde, etc.) ?

Les cartes se sont brouillées au cours des dernières semaines et personne ne peut prédire quoi que ce soit. Mais je pense que les réformes superficielles ou celles à long terme ne peuvent plus convaincre la société. Ce thème est devenu obsolète pour de nombreux Syriens et n’est plus à discuter depuis que le régime a opté pour la solution sécuritaire comme solution unique contre le soulèvement. Notre seul espoir est désormais le dialogue national, le pouvoir est contraint à l’engager et l’opposition doit l’accepter. Je crois que des concessions difficiles de la part du régime pourraient convaincre. La survie du régime ne signifie pas son succès, surtout cette fois-ci, mais signifie un isolement, des plaies qui ne cicatriseront jamais.

Khalid Khalifa sera aux Halles de Schaerbeek le jeudi 19 mai à 20 h 30 dans le cadre du cycle « Mondes arabes ».

Khalid Khalifa

Né en 1964 dans un petit village non loin d’Alep, en Syrie, Khalid Khalifa, d’abord docteur en droit avant de devenir l’auteur de trois romans, scénariste prolixe (cinéma et télévision) et fondateur d’une revue, vit aujourd’hui à Damas.

le livre

Un tabou brisé

Avec l’Eloge de la haine, Khalid Khalifa traite d’un sujet tabou dans la Syrie des Assad : la très sanglante confrontation – il y eut des dizaines de milliers de morts – entre le régime et les Frères musulmans il y a trente ans. Une fresque à la fois familiale et panoramique, intimiste et chorale, d’une Syrie méconnue vue à travers les yeux de la narratrice, une jeune femme qui épouse avec ferveur la thèse religieuse avant d’évoluer. (B. L.)

Éloge de la haine Khaled Khalifa Sindbad/Actes Sud, 420 pages, 24 euros.

Éloge de la haine

Khaled Khalifa

Sindbad/Actes Sud,

420 pages, 24 euros.

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