En tournée aux Etats-Unis, l’économiste français Thomas Piketty fait chavirer les esprits des universitaires et politiques américains. On le dit à l’origine de la prise de conscience par Barack Obama du creusement des inégalités. En France, François Hollande a largement remisé sa réforme fiscale au placard.
Les auditoriums de ses conférences-retransmises en direct sur internet- sont pleins à craquer, l’homme est reçu à la maison blanche par les conseillers économiques du président Obama, il s’entretient avec le secrétaire d’Etat au trésor et joue à « guichets fermés » au FMI, la presse lui tire le portrait et disserte à n’en plus finir sur son dernier livre « Le capital au XXI ème siècle » et les thèses de ce frenchie sur la montée des inégalités.
Dans une chronique pour le New-York Times, l’économiste Paul Krugman manque de mots pour exprimer son admiration –« renforcée par (sa) jalousie professionnelle » avoue-t-il- à l’égard de ce génie français, au point de conclure par un cri de passion : « Quel livre ! ».
L’économiste français Thomas Piketty a été accueilli aux Etats-Unis –presque- comme une rock star ! Pas de fleur à sa descente d’avion, ni d’hymne national ou d’invitation dans le show de Jimmy Fallon mais depuis une semaine, il fait chavirer les « cerveaux » des américains, démocrates et même républicains.
Quelques mois avant sa publication, le livre avait généré des débats déjà enflammés sur les blogs des grandes universités américaines, incitant l’éditeur Harvard University Press à avancer la publication du livre.
Depuis, « Capital in the Twenty-First Century », le titre de l’ouvrage en anglais, s’est vendu à 46.000 exemplaires. Pas mal pour un pavé de 700 pages bourré de graphiques et de tableaux.
Un blogueur du New-York Times ne mâche pas ses mots : « Karl Marx est de retour d’entre les morts. Mais il a abandonné son style soviétique et la foi quasi-biblique que les marxistes avaient placé en lui». Une « grenade intellectuelle » contre les inégalités
L’hebdomadaire américain, marqué à gauche, « The Nation » évoque une « grenade intellectuelle » jetée dans le débat sur les difficultés économiques du monde. « Pour une bonne raison » poursuit l’auteur : « il remet en cause l’hypothèse fondamentale des politiques américaines et européennes qui veut que la croissance économique va réussir à détourner la colère populaire face au constat de la distribution toujours plus ingéale des revenus et des richesses. »
Le récit historique proposé par l’économiste français fait aussi son effet sur les esprits américains notamment le rôle central joué par les deux guerres mondiales et les immédiats après-guerres.
C’est, affirme Piketty, en raison de la destruction physique du capital durant la période extraordinaire des deux guerres mondiales, de la forte taxation de l’héritage et des impôts sur le revenu « confiscatoires », de la forte inflation qui aida les débiteurs au détriment des créditeurs et finalement de l’atmosphère politique plus favorable au travail au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Ce sont les guerres qui ont fait table rase du passé, et qui ont donné temporairement l’illusion d’une diminution structurelle des inégalités et d’un dépassement du capitalisme.
Même le Financial Times, dont le souci premier n’est de loin pas la réduction des inégalités dans le monde, parle d’un livre « extrêmement important (…) et d’une grande portée historique ».
Si l’article est louangeur, le chroniqueur ne manque pas d’objecter que Piketty fait des propositions politiquement « irréalistes ». En particulier, lorsqu’il appelle à un retour à des taux marginaux d’imposition beaucoup plus élevés sur les hauts revenus et un impôt sur la fortune mondial et progressif.Dans la revue Dissent, James Kenneth Galbraith ne succombe pas à la « Pikettymania », lui reprochant des erreurs historiques et d’interprétation et un manque de précision dans sa définition du Capital.La solution à la décadence de l’empire américain ?
Chroniquant le livre de Piketty dans Marianne, lors de sa sortie en France, c’est peut-être Emmanuel Todd qui donne la clé de cet engouement : « Nous trouvons, conforme à notre préjugé, la puissante montée des inégalités qui caractérise les Etats-Unis et qui a conduit en quelques décennies à une inversion du rapport entre le Nouveau Monde et l’ancien. Mais c’est l’explosion des très hauts salaires des supercadres qui explique le mieux l’inégalité américaine. Immigration et croissance de la population font qu’au total le capital domine moins le revenu aux Etats-Unis qu’en Europe. Aussi bizarre que cela puisse paraître à court terme, on finit par se dire que la mise au pas du capital serait plus facile aux Etats-Unis qu’en Europe. Hors des très grandes familles, le monde anglo-saxon n’aime pas trop la transmission généalogique ».
Piketty sera-t-il le phare de la révolution économique américaine ? Le terrifiant pronostic de la décadence de l’empire américain que fait l’économiste a, en tout cas, de quoi mobiliser les esprits : « L’idéal des pionniers s’est évanoui dans l’oubli et le « Nouveau Monde » est sur le point de devenir la Vieille Europe de l’économie globalisée du XXIe siècle ».
Hollande : « assez nul ! »
En France, le livre de Thomas Piketty a été largement salué par les milieux journalistiques et économiques, mais superbement ignoré par les élites politiques. « Je bénéficie aux Etats-Unis et un peu partout ailleurs qu’en France d’une lecture peut-être moins étroitement politique »expliquait-il récemment au Figaro.
Soutien de François Hollande en 2012, Piketty avait pourtant été l’inspirateur du candidat pour la grande réforme fiscale promise.
La « révolution fiscale » préconisée par Piketty reposait notamment sur la création d’un nouvel impôt fusionnant l’impôt sur le revenu et la CSG dont le prélèvement s’effectuerait à la source sur les revenus du travail et du capital en suivant un barème progressif. Une promesse de réforme oubliée par le président sitôt installé dans son Palais de L’Elysée. Depuis, l’économiste français préféré des américains a largement changé d’avis sur celui qui était son candidat favori lâchant entre deux conférences qu’il trouvait finalement François Hollande « assez nul ».
voir la vidéo en anglais ici Bill Moyers et Paul Krugman
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