
Dans le cadre de la Conférence des médias juifs se tenant à Jérusalem fin juin 2014 à l’initiative du gouvernement israélien, une journée d’information en Cisjordanie a été organisée afin de convaincre des journalistes juifs d’Europe et d’Amérique du bienfondé de la colonisation et du statu quo actuel. Une journée très éclairante sur la Hasbara (propagande) chère aux autorités israéliennes.
« Dites la vérité à propos d’Israël et soyez nos meilleurs ambassadeurs », ponctuent les différents intervenants lors des quatre jours pendant lesquels plus de 200 journalistes juifs de diaspora ont pu se rencontrer et recevoir le message que les autorités israéliennes ont voulu leur délivrer.
Et cette vérité se rapporte également à la situation en Cisjordanie, occupée et colonisée par Israël. Pour que les journalistes puissent à leur tour répandre cette vérité dans leurs pays respectifs, rien de mieux qu’une journée entière en Cisjordanie encadrée par des accompagnateurs triés sur le volet.
Elle commence de bonne heure dans le Gush Etzion à Neve Daniel où Shuli Moualem, députée du parti d’extrême droite HaBayit Hayehudi, accueille les journalistes pour expliquer très chaleureusement à quel point la vie est belle et agréable dans les colonies. Et les Palestiniens ? « Nous vivons en harmonie avec eux », répond-elle. « Nous prenons les mêmes routes, fréquentons les mêmes dispensaires médicaux et nous faisons nos courses dans les mêmes magasins et supermarchés ». Elle ne dira pas un mot sur toutes les mesures discriminatoires imposées aux Palestiniens ni sur le mode contestable d’appropriation de la terre par les colons israéliens.
Pour mieux saisir cette « vie harmonieuse », direction le supermarché Rami Lévy du Gush Etzion où « Palestiniens et Israéliens travaillent ensemble et font leurs courses également ensemble ». C’est vrai, dans ce supermarché identique à tous les supermarchés d’Israël et d’Europe, on aperçoit des Palestiniennes voilées poussant leur caddie dans les mêmes rayons que les colons à kippa crochetée, en sandales. La vie y est presque banale, si ce n’est qu’à quelques kilomètres de cet endroit « normal », trois adolescents israéliens étudiant dans une colonie des environs ont été enlevés et depuis lors retrouvés morts, tués par des Palestiniens. C’est d’ailleurs à l’endroit précis de l’enlèvement qu’un député du Likoud, Zeev Elkin, attend les journalistes pour évoquer ce drame et dire tout le mal que lui inspirent les Palestiniens.
Après un rapide déjeuner sur une très belle colline de la région, le président du Conseil régional du Gush Etzion, Davidi Perl, a quant à lui expliqué en quoi la solution « Deux peuples, deux Etats » est un danger pour Israël. « Cette terre nous a été donnée par Dieu », rappelle-t-il, « nous ne pouvons pas la donner aux Arabes ».
Cet homme mince et souriant d’une quarantaine d’années parle calmement, mais son propos est dur, trop dur. A tel point qu’il sape complètement les efforts de propagande mis en place par le gouvernement israélien à l’adresse de ces journalistes juifs : lorsqu’on l’interroge sur les droits qu’il compte accorder aux Palestiniens dans la perspective d’un Etat unique (Eretz Israël), ou sur ce qu’il pense des aspirations nationales des Palestiniens, les réponses données par Davidi Perl choquent même les moins critiques et les plus légitimistes. « Si les Palestiniens veulent un Etat, qu’ils aillent en Jordanie ou dans un des 22 Etats arabes », déclare Perl. Et d’ajouter : « Je ne pense pas qu’ils puissent jouir des mêmes droits que nous. L’idée de voir mes enfants jouer avec des Arabes ne m’enchantent guère. Nous sommes différents, c’est tout ». Une Juive australienne, plutôt mainstream, lui fait alors remarquer qu’on ne peut pas parler comme cela. Un Juif grec est carrément estomaqué par ce qu’il vient d’entendre. Quant au rédacteur en chef de l’hebdomadaire juif d’Amsterdam, il n’en croit pas ses oreilles. Les organisateurs l’ont compris, il faut clôturer cette rencontre qui tourne au vinaigre. Une des accompagnatrices justifie cette interruption soudaine par le retard pris sur l’horaire.
Dans le bus, un représentant de Face of Israël distribue un carnet de cartes publié par le Conseil du Yesha (acronyme de Judée-Samarie), le principal lobby des colons de Cisjordanie. Il s’agit d’une histoire d’Israël en treize cartes qui en dit long sur la neutralité de cette « organisation non gouvernementale (ONG) gouvernementale » ! Un oxymore qu’il répète à plusieurs reprises et sans rire. L’activité de cette ONG d’un genre particulier consiste à « diffuser à travers le monde le narratif israélien » ! En guise de narratif israélien, il est exclusivement question du point de vue des colons.
Le groupe se dirige enfin en zones palestiniennes autonomes, à Rawabi, une ville nouvelle en construction située entre Ramallah et Birzeit. Dans le bus, les accompagnateurs insistent lourdement sur une précaution que les journalistes doivent absolument respecter scrupuleusement : ne pas photographier ni rapporter les propos (en le citant) de Bachar Al Masri, le milliardaire palestinien promoteur de ce projet inédit. « Il s’agit d’une demande palestinienne », précise une des accompagnatrices du ministère israélien des Affaires étrangères. Cela doit être « off the record ». Pourtant, lors de la rencontre avec Bachar Al Masri, la discussion est libre et plutôt décontractée. Pour ce Palestinien à la tête d’un groupe mondial spécialisé dans la construction et les travaux publics, ce projet immobilier n’a pas vocation à normaliser l’occupation israélienne. « Il s’agit de préparer l’avenir de la Palestine indépendante pour que ses citoyens puissent y vivre décemment », insiste Bachar Al Masri. « L’indépendance dans la misère, cela ne m’intéresse pas ». Et contre toute attente, à l’issue de la rencontre, il se laisse prendre en photo, et ce, sans la moindre difficulté ! Pourquoi toutes ces instructions sur l’interdiction de le photographier ? Personne ne le dira.
La journée se termine dans les collines de Samarie à Kokhav HaShakhar, une colonie surplombant la vallée du Jourdain. Le groupe est alors accueilli par Danny Dayan, l’ancien président du Conseil du Yesha et aujourd’hui responsable des relations internationales de ce lobby colon. L’homme est affable et sympathique. Son discours bien rodé ne verse jamais dans le racisme ni la haine des Palestiniens. C’est à nouveau l’occasion d’entendre que la solution « Deux peuples, deux Etats » est une « Fata Morgana » (un mirage). Si « Deux peuples, deux Etats » ne lui convient pas, quelle est donc sa solution ? « Je ne suis pas un responsable politique. Je ne peux pas vous le dire, mais je sais qu’il va falloir faire preuve d’imagination », répond Danny Dayan avec son accent argentin (il est né à Buenos Aires en 1955). Ce dont il est sûr en revanche, c’est qu’Israël ne doit pas céder un pouce de la Cisjordanie aux Palestiniens et qu’avec l’embrasement de l’Irak et de la Syrie, Israël doit conserver les « frontières naturelles » de la vallée du Jourdain.
Cette journée avait un but bien précis : légitimer le statu quo actuel et discréditer la solution des deux Etats que tous les intervenants rencontrés ont critiquée virulemment, à l’exception notoire du promoteur immobilier palestinien. Si les Palestiniens peuvent garantir leur développement économique et même construire une ville nouvelle alors que les colons poursuivent leur existence en Cisjordanie, pourquoi s’embarrasser avec la fin de l’occupation, le démantèlement des colonies et la création d’un Etat palestinien ? Occupation et développement des territoires palestiniens peuvent donc coexister sans problème. Telle est la vérité que les journalistes juifs doivent resservir à leurs lecteurs.
Cette journée d’information n’a convaincu que ceux qui le sont déjà, c’est-à-dire les fervents soutiens de la colonisation de la Cisjordanie. Les autres, et ils étaient hélas moins nombreux dans ce voyage, ont découvert une propagande servie sans la moindre nuance. A cet égard, on ne peut que suggérer de lire le compte rendu de cette journée en Cisjordanie qu’une journaliste israélienne d’Haaretz a rédigé : “Explaining the occupation to polite Jewish journalists”. Elle y décrit le village Potemkine dans lequel le gouvernement israélien a essayé de balader une cinquantaine de journalistes juifs.