ÉDITOL’écrasante majorité des 4 millions de réfugiés syriens arrivant en Europe ou entassés dans les camps du Liban, de Jordanie et de Turquie ne fuient pas l’Etat islamique mais Bachar al-Assad. Ils fuient la répression et les tortures en zone gouvernementale ou les bombardements systématiques en zone rebelle. Plus de 80 % des 240 000 personnes tuées lors de ce conflit l’ont été par les soudards du régime. C’est une réalité que l’on ne peut oublier alors que le Parlement français débat de l’intervention aérienne en Syrie contre l’EI. Ces jihadistes, à la différence du boucher de Damas, représentent certes une menace directe pour la France. Jusqu’ici, pourtant, Paris s’était refusé à effectuer dans ce pays des frappes semblables à celle menées depuis déjà un an en Irak aux côtés des Américains et des Britanniques, malgré l’évidente interpénétration de ces deux théâtres d’opération. Il s’agit donc d’une volte-face.
Intervenir dans l’espace aérien syrien, protégé par un système sophistiqué de défense installé par les Russes, implique en effet un accord implicite du régime et une coordination au moins indirecte. Les Américains jouent ce jeu depuis un an. La France le refusait au motif que cette coopération ne peut que renforcer ce dictateur qui a délibérément attisé le développement de l’Etat islamique pour en faire un repoussoir et qui n’a pas hésité à utiliser l’arme chimique contre son propre peuple. La priorité était le renversement de «cet homme qui ne devrait pas avoir sa place sur Terre», comme le martelait Laurent Fabius à l’été 2011. Cette stratégie a été un échec. Toute une partie de la droite, mais pas seulement, clame aujourd’hui qu’il faut choisir le moindre mal, comme lors de la Seconde Guerre mondiale en s’alliant avec Staline contre Hitler. Pour Washington comme pour Londres, la priorité est désormais la lutte contre l’EI, le départ du pouvoir d’Al-Assad pouvant être l’aboutissement d’un processus de transition négocié y compris avec la Russie, voire l’Iran.
Hollande a pris acte de la nouvelle donne. Lors de sa conférence de presse de rentrée, il rappelait que l’indispensable neutralisation d’Al-Assad aurait lieu «à un moment ou un autre» de la transition. L’implication dans les opérations aériennes en Syrie permettra à Paris d’avoir accès aux informations dont disposent les Américains. Les frappes aériennes tricolores, pourtant, ne changeront pas grand-chose. Elles seront limitées faute de moyens : en un an, l’aviation française a mené en Irak 200 frappes, contre 6 500 pour l’US Force. Le choix de Barack Obama d’une guerre aérienne dans le but «d’affaiblir puis détruire» l’EI montre ses limites. Les forces locales – combattants kurdes ou armée syrienne libre – ne suffisent pas. D’aucuns évoquent une nécessaire intervention au sol, récusée par l’Elysée car «irréaliste et inconséquente». Le vrai défi reste de définir une stratégie qui permette à la fois de combattre l’EI et le régime assassin que fuient par millions les Syriens.