KIESEL,VERONIQUE
Mercredi 23 février 2011
L’atmosphère est devenue dramatiquement surréaliste en Libye : lâché par les plus éminents de ses ambassadeurs en poste à l’étranger, conspué par son peuple qui a commencé à prendre le contrôle de plusieurs villes, le colonel Kadhafi s’est lancé mardi après-midi dans un discours fleuve dans lequel il a affirmé rester aux commandes et promis de « purger la Libye maison par maison » pour mater la révolte.
Alors que la coupure des communications isolait la Libye, des nouvelles très parcellaires provenaient de ce pays : à Benghazi, qui fut à l’avant-garde de la révolte, on tentait de faire face à l’afflux de blessés tombés lors d’affrontements lundi et de compter les morts, mais un certain calme semblait rétabli. Le chef de la diplomatie égyptienne a cependant annoncé que les pistes de l’aéroport de cette ville, la deuxième de Libye, avaient été bombardées, rendant impossible l’atterrissage des avions d’EgyptAir qui venaient pour rapatrier les milliers d’Egyptiens voulant fuir les violences.
Tripoli coupée du monde
« Je suis très inquiet, je n’ai pas réussi ce mardi à joindre les membres de ma famille qui vivent à Tripoli ni ceux qui résident à Benghazi, nous a confié un Libyen de Belgique, qui préfère rester anonyme pour protéger ses proches restés au pays. Tout est coupé : internet, lignes téléphoniques fixes et GSM ».
« Les compagnies Libyana et Al Madar par exemple, sont sous le contrôle de Mohamed, un des fils de Kadhafi », nous explique par mail un Libyen toujours sur place, qui détaille les campagnes d’intimidation lancées dans la journée par les quelques chaînes de télévision toujours fidèles au régime.
« Lors de notre dernière conversation, reprend notre Libyen de Belgique, mes proches de Tripoli m’expliquaient que, dans le quartier de Hay El Andaluz, un calme précaire régnait : des véhicules sans plaque circulaient, avec à bord des mercenaires africains et des miliciens pro-Kadhafi. Mais des tueries étaient en cours dans d’autres quartiers de Tripoli. Les membres de ma famille ont eu l’occasion de quitter la Libye, d’être évacués vers l’Europe mais ils n’ont pas voulu : ils veulent être là, dans leur pays, pour participer à ces événements, même si nous savons tous que cela sera sanglant. C’est notre révolution, enfin. Pendant trop longtemps, nous avons gémi, accusant l’Occident de soutenir le tyran. Maintenant, nous savons que nous devons agir nous-mêmes. C’est la révolution tunisienne qui nous a réveillés. Ben Ali puis Moubarak sont tombés, mais nous avons Kadhafi et ses fils qui semblent en plein déni de la réalité : ce sont vraiment des psychotiques, voilà pourquoi nous redoutons le pire ».
Parlant avec exaltation depuis son palais détruit en 1986 par les bombardements US, Kadhafi a en effet longuement déliré avant de promettre un autre Tienanmen et la peine de mort pour les insurgés : « Rendez vos armes, sinon il y aura des boucheries », affirmant qu’il se « battrait jusqu’à sa dernière goutte de sang ».
Lâché par ses ambassadeurs
Alors que des cas de désertion de militaires et de fraternisation avec la population ont été signalés, le tyran libyen aura-t-il les moyens de mater dans le sang cette révolte populaire ? Les pays qui ont de nombreux ressortissants résidant en Libye n’ont pas voulu courir le risque : ils ont commencé à organiser, par avion ou par bateau des évacuations massives. Egypte, France, Allemagne, Pays-Bas, notamment, ont envoyé des avions militaires, tandis que les Affaires étrangères belges tentaient d’organiser le départ des 23 Belges qui souhaitaient quitter le pays.
Les plus hauts représentants de la Libye à l’étranger n’avaient pas attendu le discours du « Guide » pour le lâcher avec fracas : les représentants libyens auprès de la Ligue arabe et de l’ONU ont décidé de rejoindre la révolution, tandis que les ambassadeurs aux Etats-Unis, en France, en Chine et dans de nombreux autres pays ont rompu tout lien avec le régime. Symboliquement, plusieurs de ces ambassades ont hissé l’ancien drapeau libyen datant de l’indépendance à la place du drapeau uni vert de Kadhafi.
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