Blocus allégé, mais les soucis restent


Proche-Orient : Davantage de marchandises entrent dans la bande de Gaza

LOOS,BAUDOUIN

Lundi 16 août 2010
Baudouin Loos, Le Soir

La décision du gouvernement israélien du 20 juin dernier assouplissant le blocus économique drastique imposé à la bande de Gaza depuis la prise de contrôle du petit territoire par le mouvement islamiste Hamas en juin 2007 a-t-elle rendu la vie quotidienne des Gazaouis plus supportable ? La question mérite une réponse nuancée (1).

La scène se passe le 17 juillet à Gaza. Ce jour-là, des milliers de personnes se pressent pour l’inauguration du premier « mall » (galerie commerçante) de la ville. Le bâtiment, sur deux étages, abrite des dizaines de magasins, une grande surface, un fast-food et deux… salles de prière, une pour les hommes, l’autre pour les femmes, le tout agrémenté d’air conditionné. Les marchandises, plutôt bon marché, abondent, elles proviennent à 90 % d’Israël, selon les directeurs du « mall ».

Le blocus ne serait-il plus qu’un mauvais souvenir ? Son assouplissement mentionné plus haut – et décidé par un Israël sous forte pression après le drame des neuf tués lors de l’assaut contre la flottille turque pour Gaza le 31 mai – commence en tout cas à porter ses premiers fruits. Au lieu d’une courte liste de moins de cent produits autorisés à entrer dans la bande de Gaza, les Israéliens laissent dorénavant passer un peu de tout, sauf les marchandises qui peuvent être utilisées pour fabriquer des armes ou des bâtiments fortifiés (les matériaux de construction restent donc bannis sauf exceptions).

C’est la fin de la politique israélienne élaborée de manière scientifique pour répondre à un triple critère : « Pas de développement, pas de prospérité et pas de crise humanitaire », cela dans le but de miner le Hamas en attisant le mécontentement populaire contre lui. De toute façon, le plan n’avait pas fonctionné.

L’épisode du « mall » atteste d’ailleurs de ce que le Hamas veille à soigner sa cote : beaucoup de Gazaouis soupçonnent le mouvement islamiste d’avoir appuyé le projet commercial, qui a du reste été inauguré en grande pompe en présence d’un cacique du Hamas, Abou Oussama al-Kurd, qui a le titre de ministre du Travail. Ledit Hamas a aussi favorisé l’ouverture, ces derniers mois, de parcs de loisirs, de piscines et d’un restaurant de luxe. Une sorte de pied de nez des islamistes à l’embargo, en somme.

Pas de reconstruction

Mais l’approvisionnement de la bande de Gaza reste encore loin des niveaux d’avant juin 2007 : selon l’ONG israélienne de défense des droits humains Gisha, le nombre de camions de marchandise qui entrent à Gaza est à 40 % de ce qu’il était avant le siège renforcé (il était à 25 % avant l’assouplissement de juin).

Les importations de contrebande en provenance du Sinaï égyptien ne sont donc pas encore taries : ces centaines de tunnels creusés à la frontière méridionale du territoire, à Rafah, continuent à fonctionner et toutes sortes de marchandises y transitent. Mais les prix de ces biens sont plus chers que les produits israéliens. Et le Hamas collecte une taxe sur ces importations.

Les difficultés de la vie quotidienne demeurent en tout état de cause pesantes. Sami Abdel-Shafi, consultant économique indépendant cité par The Independent le 26 juillet, l’explique : « Quelles que soient les marchandises qui apparaissent à Gaza, la vie des gens continuera à être court-circuitée aussi longtemps qu’ils ne pourront pas circuler librement et qu’ils ne pourront reconstruire une économie qui fabriquait des produits d’exportation et employait des centaines de milliers de personnes réduites à mendier l’aide internationale. »

Car Israël, qui avait pulvérisé des centaines d’usines et d’ateliers lors de son offensive entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009, ne permet toujours pas à la reconstruction de prendre son essor, outre que les exportations de marchandises manufacturées restent prohibées. Les matériaux indispensables comme le ciment restent interdits à l’importation, à la fois pour les projets économiques ou pour les 40.000 habitations à bâtir ou à rebâtir. Seules exceptions : des projets contrôlés par des organisations internationales.

« Il y a du ciment à Gaza, nous dit la députée européenne socialiste Véronique De Keyser qui y était encore à la fin de mai. Mais pour 90 % des Gazaouis qui vivent d’allocations de misère dans une extrême pauvreté, son prix est inabordable, comme tous les prix du marché noir. »

L’agriculture locale, naguère exportatrice de fraises et de fleurs coupées, subit également et à de rares exceptions près le contrecoup des événements : des champs ont été dévastés et Israël a fait le vide sur une ceinture large de 500 à 2.000 mètres à l’intérieur du territoire ; les soldats israéliens n’hésitent pas à tirer à balles réelles sur toute personne pénétrant dans cette zone dite de sécurité. Engrais et fertilisants, par ailleurs, demeurent interdits d’importation. Les pêcheurs, eux, ne travaillent quasiment plus car la marine de guerre israélienne les empêche de dépasser une limite de 3 milles des côtes.

Eau non potable

Les infrastructures pâtissent aussi de la situation politique : selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé, 90 % de l’eau n’est pas potable – avec des conséquences dramatiques sur la santé –, les stations d’épuration sont souvent défectueuses et manquent de pièces de rechange, tout comme les égouts, qui rejettent à la mer 60 millions de mètres cubes d’eaux usées non traitées par mois.

Dans un territoire où 40 % au moins des travailleurs sont au chômage et où 80 % des gens dépendent de l’aide extérieure, la population survit dans ce que le Premier ministre britannique, David Cameron, a qualifié le 27 juillet de « prison à ciel ouvert ». Car les Egyptiens ne permettent que le passage au compte-gouttes de catégories précises de voyageurs (malades, étudiants) et la frontière israélienne est close pour quasi tout le monde.

On le voit, l’assouplissement du blocus économique constitue un certain progrès pour les Gazaouis, mais il reste loin – très loin – de résoudre leurs problèmes.

(1) Les sources utilisées pour rédiger cet article sont les communiqués officiels, les reportages de la presse occidentale et arabe, les rapports et déclarations des Nations unies, les estimations des ONG palestiniennes, israéliennes et internationales.

Contexte

Le problème

La bande de Gaza, sous contrôle des islamistes du Hamas depuis 2007, est soumise à un embargo strict de la part d’Israël (et aussi de l’Egypte). Après les neuf tués de la flottille humanitaire turque du 31 mai, Israël a dû assouplir le blocus en raison de l’opprobre international.

L’enjeu

Le million et demi de Palestiniens de Gaza paie pour avoir « mal voté » en 2006, quand le Hamas remporta les élections. Ni l’Autorité palestinienne d’Abbas à Ramallah, ni Israël, ni l’Egypte ne veulent voir l’expérience islamiste réussir.

A suivre

L’assouplissement limité du blocus ne permettra pas à Gaza de se remettre : les matériaux pour la reconstruction restent le plus souvent prohibés, les exportations sont impossibles et les personnes ne peuvent entrer/sortir librement du territoire. (B.L.)

source

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