Les raisons de la passivité
LOOS,BAUDOUIN
Vendredi 5 août 2011
ANALYSE
Deux poids deux mesures. D’un côté une intervention militaire internationale déterminée en Libye contre le régime qui réprime ; de l’autre, un attentisme international choquant en Syrie, où le régime réprime plus encore. A New York, même constat. Alors que le Conseil de sécurité des Nations unies avait adopté en mars avec une célérité sans précédent une résolution autorisant le recours à la force en Libye, le même organe n’a accouché ce 3 août que d’une déclaration, non contraignante, qui « condamne les violations généralisées des droits de l’homme et l’usage de la force contre les civils par les autorités syriennes ».
Il existe une série de raisons qui se liguent pour expliquer la passivité de la communauté internationale en Syrie.
Pourquoi risquer la chute du régime ?
Quelle chancellerie prendrait la responsabilité de miser sur un changement de régime dans les circonstances actuelles en Syrie ? La crainte d’une prise de contrôle par les islamistes radicaux locaux, naguère assez puissants que pour menacer le régime à la fin des années 70, suffit déjà à calmer toute ardeur belliciste aux Etats-Unis, en Europe et même en Israël. Mine de rien, ce dernier pays craint comme la peste la chute d’un dictateur qui lui est pourtant très hostile.
Le paradoxe n’est qu’apparent : Bachar el-Assad partage la grande prudence de feu son père : s’il pactise en effet avec les pires ennemis d’Israël (le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien et la république islamique d’Iran), il n’en a pas moins toujours garanti le calme et la stabilité sur les hauteurs du Golan, où Israël occupe des terres syriennes depuis 1967.
Une grosse différence avec la Libye : les très nationalistes Syriens de tous bords qui composent l’opposition n’ont jusqu’ici pas voulu appeler à l’aide militaire étrangère.
Pas d’appel de l’opposition
Il est vrai que l’opposition syrienne n’a pas de colonne vertébrale, contrairement au paradigme libyen où le Conseil national de transition (CNT) s’est rapidement imposé, au moins à Benghazi (même si le récent assassinat du chef militaire rebelle à Benghazi l’a affaibli).
Mais aucun notable de l’opposition syrienne, aucune coordination locale de résistance n’a appelé à l’intervention militaire étrangère.
Et, si c’était le cas, qui éprouverait l’envie de se mêler sur le terrain d’un conflit qui risque, à l’image des développements libyens, de sombrer dans la guerre civile tant il est vrai que le régime en place à Damas dispose du soutien de certaines couches de la population ?
Pas de mandat de l’ONU
Quand bien même une partie de la communauté internationale souhaiterait intervenir en Syrie (ce qui n’est donc pour le moment même pas le cas), il n’y a aucune chance que le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution en ce sens.
Moscou et Pékin s’étaient retenus de mettre leur veto dans le cas libyen de crainte d’être accusés d’avoir laissé faire, par ce geste, un massacre du côté de Benghazi par la soldatesque kadhafiste.
Mais ils sont très échaudés, surtout les Russes, d’avoir vu le mandat de l’ONU en Libye (protection de la population civile) être exploité par la coalition pour tenter d’abattre le régime du colonel Kadhafi. A Moscou et à Pékin, qui n’hésitent guère à réprimer dans le sang les séditions internes (Tchétchénie ou Tibet, par exemple), on ne plaisante pas avec la notion de non-ingérence.
Contexte régional
Certes, dans le cas des guerres menées par l’Otan contre la Serbie en 1999 puis par la coalition conduite par les Etats-Unis en Irak en 2003, aucune résolution de l’ONU n’est venue appuyer ces assauts, contestables au regard du droit international. Mais, encore une fois, qui souhaiterait se lancer, la fleur au fusil, en Syrie ? Le contexte régional suffirait à décourager les plus zélés. Les capacités de nuire du régime restent d’ailleurs sans doute importantes, au Liban (donc en Israël) grâce au puissant Hezbollah, et en Irak, qui tarde à trouver une réelle stabilité. Pour ne rien dire de la question kurde (Turquie).
Qui plus est, des pays arabes influents par leurs ressources naturelles et la fortune qui en découle se montrent hostiles à une intervention en Syrie. L’Arabie saoudite, surtout, bien qu’ayant peu de sympathie pour un régime qui s’acoquine depuis des décennies avec le « diable » chiite iranien, ne peut se résoudre à prôner l’ingérence : on ne sait jamais ce qui peut se passer au sein du royaume à l’avenir…
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