Les régimes arabes toujours plus aux abois


LOOS,BAUDOUIN

Mardi 1er février 2011

Un effet domino ? Une traînée de poudre ? Depuis la chute du Tunisien Ben Ali le 14 janvier, la grande question que tout le monde se pose est de savoir si d’autres régimes arabes s’apprêtent à subir le même sort funeste. L’Egypte, en plein tumultes révolutionnaire, aura été le premier pays à suivre la voie. Et les autres ?

Maroc

Le royaume chérifien présente des similitudes avec l’Egypte et la Tunisie : corruption généralisée, passe-droits, misère sociale, diplômés chômeurs, façade démocratique qui ne trompe personne même si la presse est assez libre (sauf si elle dépasse des lignes rouges bien précises). Mais le roi Mohammed VI jouit d’une aura particulière, il est populaire et porte aussi une charge religieuse non négligeable : il est l’« amir el-mouminine » (commandeur des croyants). Moulay Hicham, le cousin « gauchiste » du roi, a pourtant estimé lundi que « presque tous les systèmes autoritaires seront affectés par la vague de protestation, et le Maroc ne sera probablement pas une exception ». Des médias espagnols et français avaient annoncé ce lundi que des troupes marocaines avaient été rapatriées du Sahara occidental vers Casablanca pour parer à toute insurrection. Le ministre marocain des Affaires étrangères a appelé son homologue espagnol pour lui signifier l’« indignation » du Maroc face à ces « fausses nouvelles ». Il y a eu quatre tentatives d’immolation par le feu depuis le 21 janvier au Maroc, en miroir du suicide de Mohammed Bouazizi, héros de la révolution tunisienne.

Algérie

Riche de ses ressources en hydrocarbures, l’Algérie ressemble pourtant en permanence à un volcan social. Le régime, d’obédience militaire, corrompu, injecte des subventions dans le tissu social (logements neufs, par exemple), mais jamais assez pour prévenir des émeutes ponctuelles qui éclatent régulièrement. Le parlement est réduit à un rôle passif tandis que la presse privée, diverse, joue un rôle de soupape. Elément spécifique : la « sale guerre » de 1992 à 1999 (200.000 morts) joue un effet repoussoir pour les Algériens. Mais des manifestations importantes ont eu lieu pendant les événements en Tunisie, dont cinq jours d’émeutes qui firent cinq morts. Depuis le 12 janvier, il y a eu neuf tentatives d’immolation par le feu en Algérie, dont deux décès.

Libye

Peu ou pas de liberté au pays du colonel Kadhafi qui a en revanche le double avantage – immense – d’être peu peuplé (4 millions d’habitants) et riche de ses hydrocarbures, lesquelles permettent des subventions pour apaiser les tensions éventuelles. Selon les rares informations en provenance de Tripoli, le régime avait vu la chute de Ben Ali, ami intime, d’un très mauvais œil. Si Kadhafi et Moubarak ne s’apprécient guère, le premier a toutes les raisons de ne pas se réjouir des ennuis du second. Le très fantasque colonel a pris le pouvoir en… 1969, c’est dire s’il connaît l’usure du pouvoir.

Soudan

Affaibli par la future indépendance du sud du pays et par son inculpation par le Tribunal pénal international, le président Omar el-Béchir dirige un régime autoritaire dominé par l’armée et en proie à d’immenses problèmes socio-économiques. Corruption et chômage érodent peu à peu le pouvoir, qui n’hésite pas à employer la manière forte. Le 17 janvier, le chef de l’opposition islamiste Hassan al-Tourabi a été arrêté. Son tort ? Avoir déclaré qu’une révolte semblable à celle que la Tunisie venait de connaître était « probable » au Soudan, et, avait-il ajouté, « si cela ne se produit pas, il y aura un bain de sang, car le pays entier est armé ». Début janvier, un homme s’est immolé par le feu.

Golfe

A l’exception notable du Koweït, qui dispose d’un parlement élu, les richissimes pétromonarchies – Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Qatar, Barhein, Oman –, n’ont aucun rapport avec la démocratie. C’est le roi ou le prince qui décide. Les sujets sont souvent minoritaires chez eux, moins nombreux que la population de travailleurs subalternes en général asiatiques. Si des risques de débordements populaires paraissent exclus en principe, cela n’empêche pas les régimes de s’inquiéter des ennuis de MM. Moubarak et Ben Ali, des amis de toujours.

Yémen

Avec son régime autoritaire, corrompu et très pauvre, le Yémen fait pâle figure. De délicats équilibres tribaux rendent cependant la lecture de la carte politique locale bien complexe. Le président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978, aurait voulu le transmettre à l’un de ses fils. Une contestation inhabituelle, surtout estudiantine, s’est développée ces dernières semaines, qui pourrait déstabiliser le régime si elle persiste et enfle. Au moins trois tentatives d’immolation par le feu et un décès ont eu lieu au Yémen en janvier.

Territoires

palestiniens

Le président Mahmoud Abbas vit mal les soubresauts égyptiens : à l’instar de Moubarak qui craint les Frères musulmans comme la peste, le président palestinien souffre de la concurrence du Hamas, qui ne manque pas de dénoncer ses accointances avec les Israéliens et avec les Américains. Un basculement de l’Egypte représenterait un événement lourd de menaces pour le pouvoir d’Abbas et son parti, le Fatah.

Liban

Dans l’univers politique très fragmenté du Liban, les soulèvements populaires ne sont pas de mise. Le souvenir de la guerre civile entre 1975 et 1991 et ses 120.000 morts reste dans tous les esprits. Par contre, chacun des camps lit et interprète les développements en Egypte selon son optique. Le Hezbollah chiite doit se réjouir de l’affaiblissement de l’axe pro-occidental, alors que les sunnites doivent s’en inquiéter, tout comme les chrétiens même s’ils sont divisés.

Syrie

Le président Bachar el-Assad estime que son pouvoir n’est pas menacé, il l’a dit au Wall Street Journal lundi : « Nous avons des circonstances plus difficiles que la plupart des pays arabes, mais malgré cela, la Syrie est stable. Parce qu’il faut être très proche des croyances de la population ». Mais le régime dictatorial local connaît aussi la corruption et les injustices sociales, sans parler de l’absence criante de libertés couplée à une répression de même ampleur.

Jordanie

Mine de rien, le beau royaume de Jordanie est aussi un Etat policier et corrompu, dont la représentation parlementaire donne une image fausse de la réalité (les citoyens d’origine palestinienne, majoritaires, sont sous-représentés). La royauté est respectée et appréciée pour la stabilité qu’elle prodigue au pays, même si, à l’instar de la situation égyptienne, la paix avec Israël (signée en 1992) reste des plus impopulaire. Trois grandes manifestations ont eu lieu récemment pour protester contre la cherté de la vie et réclamer la chute du gouvernement. Y participèrent des Bédouins, considérés comme le socle du régime. les Frères musulmans locaux ont affirmé ne pas vouloir la chute de la royauté, mais ont émis une pétition réclamant notamment la démission du gouvernement, l’amendement de la loi électorale, la formation d’un gouvernement de salut national et l’élection du Premier ministre.

Irak

L’Irak de l’après-Saddam réapprend seulement à vivre, alors que ses divisions ethnico-religieuses sont apparues au grand jour et de manière singulièrement sanglante entre 2005 et 2008. La corruption, là aussi, a pris des proportions ahurissantes. Le pouvoir central doit encore donner la preuve de son existence à une population épuisée qui a connu guerres, invasion et embargo depuis 1980.

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