Malgré l’implacable déséquilibre des forces en présence en défaveur des rebelles, il n’est pas sûr que l’armée loyale au régime de Bachar el-Assad pavoise, bien au contraire. En attestent, notamment, les commentaires d’un général de l’armée de l’air qui a récemment fait défection.
Selon Mohammed Fares, 61 ans, qui présente aussi la particularité d’avoir été le premier cosmonaute syrien il y a quelques décennies, seulement 30 % des 100 à 120 pilotes de chasseurs bombardiers sont utilisés lors des raids aériens contre les villes ou quartiers rebelles. Et les autres ? Le régime estime ne pas pouvoir placer sa confiance en eux et il craint des désertions.
Selon le spécialiste belge Thomas Pierret, de l’Université d’Edimbourg, ce témoignage n’a rien d’étonnant. « Regardons la situation, nous explique-t-il : on parle d’une armée qui, sur papier, compte 300.000 400.000 hommes d’active (600.000 avec les réservistes). Or, elle est incapable, face une insurrection mal équipée, de contrôler l’axe géographique principal de la Syrie, de Deraa, à la frontière jordanienne, jusqu’à la frontière turque au nord d’Alep. Ce n’est pas gigantesque : environ 450 km de long sur un grand maximum de 100 km de large en moyenne. En d’autres termes, un territoire grand comme l’Estonie avec une armée dont la taille est dix fois supérieure – sur papier – à celle de l’armée belge. Or l’armée syrienne n’y arrive pas du tout : elle tient les grandes villes mais a perdu le contrôle d’une bonne partie des régions environnantes dont les banlieues de Damas, pour l’instant. »
Ce constat s’explique, confirme Thomas Pierret, par la crainte des désertions. « Même si le nombre de désertions n’est pas gigantesque jusqu’à présent – il s’agit quand même de dizaines de milliers de soldats –, l’armée est neutralisée par sa sous-utilisation. Ce que le général Fares évoque concernant les pilotes s’applique à bon nombre d’unités, cantonnées dans leurs casernes de peur qu’elles désertent si elles sont déployées sur le terrain. Ça explique par exemple les performances pathétiques des forces loyalistes à Alep, incapables de reprendre durablement le quartier de Salah al-Din alors qu’elles ont juré de le reprendre depuis trois mois. »
Autre signe dans le même sens : les difficultés pour l’armée de mettre la main sur les réservistes rappelés. L’agence Reuters citait le 4 septembre dernier l’évaluation d’un officier forcément anonyme qui, de Homs, estimait que seule la moitié des réservistes rappelés obtempéraient. « De nombreuses unités ont subi de lourdes pertes, disait-il, il y a une pénurie d’hommes. Beaucoup de soldats ont été tués et nous subissons des désertions. »
La logique démographique se cache sous ces constats : les soldats de la base et les conscrits, qui doivent faire deux ans de service militaire, proviennent massivement de la communauté sunnite (plus de deux tiers de la population)… où se recrutent surtout les volontaires du côté rebelle, alors que les hauts gradés de l’armée sont souvent originaires de la communauté alaouite, la minorité religieuse (10 %) dont procède le régime. D’où un moral sans doute en berne.
« En dehors des unités d’élite qui combattent à Damas, le moral des troupes est sans doute très mauvais, estime encore Thomas Pierre. Les pertes sont vraisemblablement énormes et minimisées par le régime. Il va par ailleurs de soi que les soldats assiégés dans des bases (comme à Wadi al-Deif, à Taftanaz, le Régiment 46 près d’Alep) ne doivent pas être en grande forme. A propos du matériel, il faut distinguer entre Damas, où la Garde républicaine et la 4e division blindée utilisent des blindés russes de conception récente et bien entretenus, et le reste du pays, où l’on voit passer des antiquités en piteux état. »
Sans l’armée, le régime s’effondrerait en peu de temps. D’où la prudence dans le déploiement des unités peu sûres. Mais le régime garde peut-être aussi certaines armes, chimiques par exemple, au cas où il estimerait son existence menacée.
BAUDOUIN LOOS
LE SOIR Vendredi 9 novembre 2012
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