Syrie : la guerre s’enlise et indiffère


MARTIN,PASCAL; AFP

Page 11

Vendredi 16 novembre 2012

Syrie L’opinion publique belge semble peu réceptive au drame. Pourquoi ?

La Syrie est-elle une guerre menacée d’oubli ? La question est posée alors que chaque jour amène son lot de violences, de morts et de réfugiés. Si aucun indicateur fiable ne permet de juger d’un éventuel désintérêt du public belge et occidental pour ce conflit, une certaine lassitude est de toute évidence en train de s’installer.

Et pourtant, les médias diffusent une information bien plus riche qu’il y a quelques mois, lorsque seuls l’Observatoire syrien des droits de l’homme et les réseaux sociaux attestaient de cette violence inouïe. Aux images captées par les portables s’ajoutent désormais les reportages des journaux et des télévisions présents en zone dangereuse.

Le manque d’empathie du public n’a pas échappé aux sections belges de certaines ONG. A la Croix-Rouge, Philippe Gruson note qu’une « catastrophe naturelle comme le tremblement de terre d’Haïti qui a tué 200.000 personnes en un claquement de doigt a suscité énormément de compassion, contrairement au conflit syrien qui n’en finit pas ». Chez Amnesty International, Philippe Hensmans évoque la règle du mort kilométrique : « A force de se répéter, les horreurs d’il y a quelques mois sont devenues normales ». Chez MSF, Hélène Lorinquer voit dans cette indifférence la conséquence du peu de place accordée par les médias à l’humanitaire, loin derrière la couverture militaire et politique. Une réalité sur laquelle MSF – qui compte quatre équipes sur le terrain – peut difficilement influer en ce moment, tant l’ONG doit s’astreindre à la discrétion pour travailler.

La longueur d’une guerre de 20 mois n’explique pas tout. Le public occidental se détourne du conflit syrien car il le comprend mal : « Les gens ont besoin de bons et de méchants, explique Philippe Hensmans. Or si la perception du début était qu’un peuple opprimé se bat contre un dictateur, le fait de voir apparaître des djihadistes dans l’opposition à Bachar el-Assad a pu brouiller les cartes. C’est oublier le massacre de Hama perpétré par son père Hafez en 1982, preuve que la guerre ne peut s’expliquer par les seuls faits immédiats ».

La dimension humanitaire du conflit ne serait pas suffisamment présente dans sa relation médiatique, on l’a dit. Ce n’est pas nécessairement vrai. En 2010, lors du tremblement de terre en Haïti, les victimes avaient rencontré une grande sollicitude chez nous. Mais quelques mois plus tard, lors d’un autre drame humanitaire, les ONG ont peiné à rassembler des dons pour les 21 millions de Pakistanais pris au piège de l’Indus. Parce que de confession musulmane ? « La question s’est posée, se souvient Philippe Gruson. Mais je crois qu’en réalité, Haïti est perçu par les gens comme un pays pauvre digne d’empathie, alors que le Pakistan est assimilé à la bombe atomique ou aux talibans ».

Enfin, la non-implication militaire des Etats occidentaux dans le conflit a des conséquences évidentes sur l’homme de la rue. Il est d’autant moins conscientisé que le travail des journalistes est moins prolixe en raison de l’absence de protection.

Face au conflit syrien, l’indifférence serait donc inévitable ? Les Suisses ont une alternative. Mardi, plus de 2,1 millions de francs de promesses de dons ont été rassemblés en 18 heures dans la Confédération. Ce « grand succès » est l’œuvre de la Chaîne du bonheur qui regroupe notamment Caritas, la Croix-Rouge, Terre des Hommes, Amnesty International et Solidar. Tony Burgener, le directeur de la Chaîne, explique qu’il a fallu beaucoup travailler l’opinion pour créer cette empathie. Un voyage de presse a été organisé pour rendre compte de l’afflux des réfugiés syriens. Ces images ont bousculé les Helvètes jusque-là peu sensibles au conflit. Mais les communes, les collectivités et les grandes entreprises suisses n’ont pas répondu à l’appel, alors qu’elles s’étaient montrées très généreuses lors du tremblement de terre en Haïti, et lors du tsunami en 2004. « Elles ont craint que leur geste ne passe pour politique, alors que nous sommes traditionnellement neutres et que cette neutralité nous permet a fortiori d’intervenir dans tel un cadre ».

En Belgique, un « Syriethon » n’est pas à l’ordre du jour. MSF s’apprête cependant à faire appel à ses donateurs, mais uniquement privés afin d’éviter toute interférence politique ou institutionnelle. « Quant à un appel général de fonds, il n’y en aura pas tant qu’il n’y aura pas davantage d’ONG à l’intérieur de la Syrie », dit Helène Lorinquer. Et comme ce drame se poursuit à huis clos…

LE CHIFFRE

39.000

Selon le dernier bilan présenté ce jeudi par l’Observatoire syrien des droits de l’Homme, les violences ont fait plus de 39.000 morts, en majorité des civils, depuis le début de la contestation contre le régime de Bachar al-Assad il y a 20 mois.

DIPLOMATIE

Paris veut accélérer le rythme

La France, première puissance occidentale à reconnaître la légitimité de la nouvelle Coalition de l’opposition syrienne, a tenté jeudi d’entraîner ses partenaires européens dans son sillage, mais certains d’entre eux se sont montrés, circonspects. Avant un Conseil des chefs de la diplomatie de l’Union européenne lundi à Bruxelles, les ministres français des

Affaires étrangères et de la Défense, Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian, ont eu des discussions sur la crise syrienne et sur l’Europe de la Défense avec leurs homologues allemands, polonais, espagnols et italiens. Les dix ministres sont tombés d’accord pour saluer la nouvelle Coalition de l’opposition syrienne annoncée dimanche à Doha, mais la France fait partie des pays souhaitant aller « un peu plus vite ou un peu plus loin » dans l’aide à l’opposition, a précisé Laurent Fabius. Les divergences restent fortes sur la question des livraisons d’armes aux opposants. (afp)

source

Laisser un commentaire

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Retour en haut ↑