Que faire face à un Assad triomphant?


 

 

Depuis le début du mois de juillet, alors que le monde entier était captivé par la Coupe du monde de football, le régime syrien a commencé à annoncer aux familles des milliers de citoyens disparus dans ses prisons que leurs proches étaient décédés. Sans explications ni remise de corps. Juste la date du décès indiquée sur un certificat. Pour de nombreuses familles, dans l’angoisse depuis des années, c’est la fin la plus redoutée de leur long cauchemar.

Selon toute probabilité, Bachar el-Assad, le tyran local, se sent à présent suffisamment fort pour brandir la sordide réalité de sa victoire à la face de ceux qui, parmi les Syriens, avaient osé le défier. Dans son palais sur les hauteurs de Damas, le « raïs » respire. Ils sont loin les tourments de 2013 à 2015, quand les rebelles, au nord, au sud et autour de la capitale, les djihadistes à l’est et les Kurdes au nord-est avaient conquis l’essentiel du territoire syrien. Son armée, exsangue, semblait sur le point de subir une déroute retentissante qui eût planté devant l’avenir de la Syrie un gigantesque point d’interrogation.

Mais les alliés de Bachar el-Assad, à Moscou comme à Téhéran, ont empêché le développement de ce scénario qui menaçait leurs ambitions régionales. L’aviation militaire russe et les milices chiites recrutées du Liban jusqu’en Afghanistan sont alors intervenues en force. Et la guerre a peu à peu changé de visage. Les rebelles, divisés, privés d’armes anti-aériennes, se sont effondrés ou ont rejoint les milices extrémistes qui avaient trouvé en Syrie un terrain de prédilection.

Les djihadistes un moment victorieux ont cru pouvoir exporter leurs méthodes terroristes en Occident, s’attirant les foudres d’armées bien plus puissantes qu’eux. Leurs méthodes sanguinaires hideuses semblaient faire du régime syrien un moindre mal, alors pourtant que celui-ci restait responsable d’une immense majorité des malheurs et destructions, comme en attestent les millions de réfugiés que ses bombardements ont suscités.

Il ne reste donc plus guère de doutes quant à la victoire d’Assad. Même si des foyers de résistance et des parcelles de territoire gagnées à l’extrémisme subsisteront sans doute longtemps çà et là, le monde devra composer avec le maintien du tyran de Damas. Dans l’impunité la plus totale, malgré les 400.000 morts, malgré les armes chimiques, malgré la torture généralisée ?

Morale et politique, certes, ne font pas bon ménage ; elles s’ignorent ou s’opposent et en tout cas se détestent. Mais ce serait faire injure aux victimes de conflit que d’ignorer les principaux responsables de ce drame effroyable. Entre des sanctions à maintenir, des inculpations devant la justice internationale à mettre en œuvre et l’aide à la reconstruction à conditionner, il y a des pistes à explorer.

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Pourquoi un soldat israélien a-t-il assassiné Yaser Murtaja?


Pourquoi Yaser Murtaja est-il mort ce 6 avril à Gaza ? Une question qui restera sans doute sans réponse, à jamais.
Une histoire banale pour Gaza. Triste, terrible. Révoltante pour beaucoup.

Baudouin Loos, Le Soir du 7/4/18

Yaser Murtaja, 30 ans, travaillait depuis quelques années comme journaliste à Gaza. Avec des amis, il avait créé une petite agence indépendante, Ain Media, qui, entre autres, aide les confrères étrangers lorsqu’ils s’aventurent dans le petit territoire palestinien sous blocus.

Il y a un an, Yaser m’avait été d’une aide précieuse pour entrer à Gaza, il s’était porté garant auprès des autorités du Hamas pour m’obtenir un laissez-passer. Je ne le connaissais pas, mais il connaissait une de mes amies à Gaza. Sur place, il m’avait ouvert les portes des partis politiques locaux, il m’avait aussi conseillé certains sites à voir, certaines familles à visiter.

Très fier, il m’avait montré les locaux de son agence dans le centre, il avait insisté pour que je visionne les vidéos de 2014, lors de la meurtrière offensive israélienne sur Gaza. Du travail de pro, sans conteste. Efficace et impressionnant.

Ce 6 avril, Yaser faisait son boulot. Il était avec les manifestants à la frontière israélienne. Avec son t-shirt imprimé en lettres capitales « PRESS », il photographiait les gens lorsque la balle de guerre d’un sniper l’a frappé à l’abdomen de plein fouet. Pourquoi l’a-t-on visé ? Pourquoi l’a-t-on tué ? Menaçait-il quelqu’un ? L’armée israélienne répondra-t-elle à ces questions ?

Il avait un jour publié sur le compte Facebook de son agence une belle photo aérienne du port de Gaza prise avec un petit drone, avec ces mots : « J’espère un jour pouvoir prendre cette photo d’un avion. Je m’appelle Yaser Murtaja et je n’ai jamais voyagé ». Une dernière phrase que pourrait prononcer l’immense majorité des jeunes Gazaouis.

La nouvelle de sa mort a bouleversé la ville de Gaza d’où il était originaire. Yaser était connu et apprécié. Il avait 30 ans, il était marié et avait un enfant.

 

Assad massacre et le monde observe


Cinq ans de «printemps» entre perplexité et amertume


Baudouin Loos
Mis en ligne il y a 4 heures

Mais où en sont ces pays des « printemps arabes », cinq ans plus tard ? En enfer, pour la plupart. L’éditorial de Baudouin Loos.

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Voilà un anniversaire qui laisse perplexe. Cinq ans. Cinq ans déjà que le geste fatal d’un jeune vendeur à la sauvette dans une grosse bourgade perdue de la Tunisie profonde allait, contre toute attente, marquer le lancement de ce qu’on a appelé « les printemps arabes ».

L’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid, motivée par un cumul de misère, d’humiliation et de désespoir, allait voir la Tunisie se soulever, jusqu’au départ sans gloire de son dictateur, Ben Ali, le 14 janvier 2011. Cet événement allait créer une stimulante émulation à travers le monde arabe, où la contestation gagna dès février-mars de la même année l’Egypte, le Yémen, le Bahreïn, le Maroc, la Libye, la Syrie. Une spirale d’événements inattendus, incroyables même à l’aune des dictatures arabes, qui laisse pourtant donc perplexe car, à l’heure du bilan, l’amertume l’emporte.

A qui la faute ? Les torts sont nombreux et partagés. Les pouvoirs en place, tous, ont tenté de survivre en faisant couler le sang. Quatre potentats ont néanmoins perdu leur poste. Le Tunisien Ben Ali, l’Egyptien Hosni Moubarak, le Yéménite Abdallah Saleh et le Libyen Mouammar Kadhafi.

Mais où en sont ces pays ? En enfer, pour la plupart. Seule la petite Tunisie sauve la mise. Elle s’est démocratisée grâce à l’énergie de sa société civile. Des progrès hélas fragiles, menacés par les inégalités sociales et un djihadisme hideux plus vivace que jamais.

Pour les autres, le pire est advenu. L’Egypte, après un règne islamiste résultat d’élections démocratiques, se retrouve sous le joug d’une dictature militaire pire que la précédente. Le Yémen et la Libye sont entrés dans une déliquescence nourrie de tribalisme et de régionalisme. Là aussi, le djihadisme y fait son lit.

Et la Syrie ! Elle se retrouve en lambeaux. Victime d’un tyran qui tuerait tous les Syriens au besoin. Victime d’une dérive des rébellions, parfois bien intentionnées, souvent radicalisées, quand elles ne sont pas tombées dans les chimères d’un djihadisme des plus cruels. Victime, aussi, des enjeux régionaux et des appétits rivaux de voisins sans scrupules.

Impossible d’ignorer les responsabilités de la communauté internationale. Et d’abord de cet Occident qui aide les rebelles à se débarrasser d’un monstre en Libye puis s’en va, laissant les protagonistes dans leurs insolubles querelles. Qui se tâte en Syrie, de manière veule, craignant le pire, jusqu’à ce que le pire écrase ses scrupules et efface tout espoir sous les centaines de milliers de morts, les villes détruites et l’exil de millions d’hommes et de femmes étreints par une indicible amertume.

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BAUDOUIN LOOS


loos

Terriblement prémonitoire… Interview publiée dans Le Soir le 9 janvier dernier, après les attentats de Charlie-Hebdo et du supermarché cacher:

«Ce qui s’est passé à Paris n’est rien à côté de ce qui nous attend»

«Le pire est devant nous!» Celui qui nous parle des jeunes Bruxellois attirés par les sirènes djihadistes sait de quoi il parle. Depuis plus de quinze ans, il arpente les trottoirs des communes de la capitale, comme travailleur social. Les quartiers dits «difficiles», il connaît. Pour préserver ce travail, il nous demande de conserver l’anonymat. On l’appellera donc par exemple «Samir».

Pour cet homme de terrain, «beaucoup de responsables politiques ne sont pas en phase avec la réalité». Une réalité qu’il décrit d’une manière crue. «Je ne parle pas de la première ou de la seconde génération d’immigrés. Mais de ceux qui sont jeunes maintenant. Beaucoup dans les quartiers portent les cicatrices de l’échec scolaire et des discriminations. Ils ont une double fragilité, la première nourrissant la seconde: une fragilité socio-économique et une fragilité identitaire. Ce qui les laisse démunis face à certaines dynamiques comme celles qu’ils voient sur internet à propos du Proche et Moyen-Orient. En outre, sur Facebook, ce que racontent et montrent leurs amis partis faire le djihad est parfois loin des images horribles qu’on imagine, mais ce sont des villas, des voitures, des femmes.»

Le cri d’alarme de Samir se veut strident. «Tant qu’on ne fixera pas rapidement des objectifs de lutte efficace contre l’échec scolaire, la pauvreté, pour l’égalité des chances, le respect des différences et la formation, on fera face à des conséquences toujours plus effrayantes. Certains n’ont pas subi d’échecs scolaires, disposent de diplômes en bonne et due forme, mais ils ne trouvent pas d’emploi parce qu’ils s’appellent Mohamed ou Abdallah.»

Mais les frustrations prennent aussi racines ailleurs que dans leur pays natal. «Ils ne sont pas fous, comme on le dit ici ou là. Ils sont dans une logique de guerre, et ils ne répondent pas au cliché de ces jeunes qui mélangeraient tout: ils connaissent très bien les enjeux en Europe comme au Proche-Orient. Ils vous parlent des injustices faites aux Palestiniens, de l’invasion de l’Irak, des morts en Syrie, mais aussi de l’islamophobie qui règne en Europe, deux poids deux mesures selon que vous vous appeliez Dieudonné, interdit de spectacle, ou Zemmour, héros des plateaux télévisés.»

Samir est intarissable. Il veut encore nous citer un exemple: «Je discutais hier avec des jeunes, l’un d’entre eux, avec un diplôme de comptable, doit faire la plonge dans un restaurant de Jette pour se nourrir, il dit y être traité comme un animal. On parlait de Charlie-Hebdo et un autre m’a dit: « Ouais, tout le monde est indigné ici et quand des centaines d’enfants meurent à Gaza sous les bombes israéliennes, on n’entend pas de réactions ». Ces gars, avec un flingue, pourraient un jour péter les plombs!».

Pour autant, ils ne sont pas tous prêts à se saisir d’une Kalachnikov. «Non, bien sûr. Mais il faut agir. On dit que le gouvernement s’apprête à durcir la répression contre les djihadistes belges qui reviennent au pays: se concentrer sur la répression, c’est ignorer que le travail doit commencer en amont sur le terrain social, alors qu’il y a si peu de structures et de moyens humains disponibles pour résoudre ces problèmes dans nos communes. Il y a un manque d’intérêt des autorités envers cette jeunesse qui décroche, désœuvrée, qui vit dans sa chair les injustices locales et celles du Proche-Orient. Je vous le dis, bien que je sois pourtant d’un naturel optimiste: ce qui s’est passé hier à Paris n’est rien à côté de ce qui nous attend!»

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BAUDOUIN LOOS

UNE IMAGE D’ISRAEL PLUS FLETRIE ENCORE


Une famille palestinienne brûlée vive, un commentaire:

 

Baudouin Loos – Le Soir du 1er août 2015

Le tragique épisode de Douma ne peut surprendre personne. Depuis de longues années, le comportement des colons juifs extrémistes qui vivent au sein d’implantations ancrées profondément dans les territoires palestiniens occupés est devenu synonyme des pires exactions. Incursions dans les villages palestiniens, jets de pierres ou de cocktails Molotov, mosquées incendiées, abattage d’oliviers centenaires : ces gens-là se savent au-dessus des lois, leur impunité semble quasi totale et ils se plaisent à faire régner la terreur.

«Ces gens-là»? On parle ici d’une catégorie d’Israéliens jeunes qui n’ont, pour la plupart, jamais habité le territoire israélien. Ils naissent et grandissent sur les collines de «Judée et Samarie», l’appellation israélienne lorsqu’il s’agit d’évoquer la Cisjordanie occupée. Ce sont des durs, des «salafistes» juifs, comme dirait le journaliste franco-israélien Charles Enderlin.

Ils affirment coloniser « la Terre d’Israël que Dieu nous a donnée ». Quant aux «Arabes» présents depuis des siècles, ils n’ont qu’un choix, à leurs yeux: se soumettre à leur joug ou s’exiler. La violence quotidienne – des crimes, pour dire les choses – qu’ils utilisent contre la population locale indique leur préférence.

Ce mouvement juif extrémiste a gagné la partie. Il n’est certes pas majoritaire en Israël mais ces extrémistes religieux en ont infiltré l’Etat et l’armée. Le nombre de colons a plus que triplé depuis 24 ans que leur Etat prétend négocier la paix. Aucun gouvernement, de droite comme de gauche, n’a tenté de les affronter, au contraire.

Alors certes, hier, Binyamin Netanyahou a dit le mot «terrorisme» pour qualifier le drame de Douma. C’est bien le moins. L’image d’Israël n’a jamais été plus flétrie que ces dernières années et la famille palestinienne brûlée vive dans la nuit de jeudi à vendredi ajoute un peu d’opprobre supplémentaire.

Depuis longtemps, la communauté internationale unanime réclame la fin de l’occupation et la levée du siège de Gaza. Les condamnations verbales ont cependant fait la preuve de leur inanité. Il faudra bien plus. Mais qui mettra Israël au pied du mur?

Sousse, le plus difficile: dépasser le dégoût et l’abattement


Baudouin Loos
Mis en ligne vendredi 26 juin 2015, 21h48

L’attentat de Sousse, en Tunisie, a fait 37 morts ce vendredi. Dans la rue, la colère gronde.

Comment ne pas être envahi, submergé, par un puissant sentiment de dégoût mêlé d’abattement ? Ces tueries qui s’accumulent. Au nom, soi-disant, d’une religion, cet islam qui a bon dos…

Il n’y a plus de lieu sûr. Cela s’est passé hier à Sousse, à Koweït-City et près de Lyon, mais cela pourrait être demain – à nouveau – à Bruxelles, à Miami, à Bangkok ou ailleurs. A la veille des vacances pour la majorité des gens. Dégoût et abattement, oui.

Pour la Tunisie, c’est une catastrophe d’ampleur nationale. « Si tu ne viens plus, les terroristes ont gagné », nous disait au téléphone un ami qui habite Sousse où il est né. Il a raison. En même temps, ceux qui ont annulé, qui annulent et qui vont annuler leurs réservations ont de bonnes raisons aussi, hélas !

Les nombreux appels à la solidarité façon « Je vais en Tunisie » qui avaient fleuri sur les réseaux sociaux après l’attentat déjà sanglant du Musée du Bardo à Tunis le 18 mars dernier vont-ils résister à ce nouvel assaut fanatique ? On peut en douter.

Un tweet relevé par notre confrère français Pierre Haski, du site Rue89, en dit long.« Après 4 ans de sacrifices et d’énergie dépensée, le terrorisme va réussir à nous ramener au régime policier  », lâchait Farah Hached, présidente du Labo démocratique, une ONG tunisienne. Oui, car la Tunisie, quatre ans après sa révolution et toutes les autres de ce qu’on osa appeler « les printemps arabes », restait seule au firmament des réussites potentielles. Grâce à la vigueur d’une société civile tunisienne mature, décidée et combative.

Il n’existe pas de recette toute faite pour vaincre l’extrémisme religieux. Ni dans le monde musulman ni chez nous. Mais les autorités tunisiennes, par laxisme sinon parfois par complaisance, n’ont pas pris la mesure du danger après la révolution. Les signes n’ont cependant pas manqué. Attentats sanglants contre policiers et soldats perpétrés par des terroristes passés dans le maquis, nombre record de jeunes perdus dans les chimères djihadistes en Syrie : des marqueurs clairs qui auraient dû secouer les décideurs…

Les marges de manœuvre, certes, semblent étriquées. Transition démocratique et préservation des droits et libertés de chacun riment mal avec discriminations régionales et injustices sociales.

Plus globalement, convoquer l’amalgame et le manichéisme sont autant de postures funestes et erronées que les terroristes espèrent imposer par l’effroi. Toutes leurs cibles, à Tunis, Bruxelles et partout ailleurs, sont prévenues.

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Ali n’écrira pas car Ali n’existe pas!


Au Maroc, on a trouvé un moyen original pour empêcher un journaliste de (re)lancer son journal: le priver de papiers d’identité. C’est l’aventure vécue par Ali Lmrabet, poil-à-gratter du régime. Un régime qui ne raffole pas vraiment des voix libres… 

«Alors, que fait-on avec cet Ali?» On imagine bien les têtes pensantes – l’expression est certes un peu flatteuse – réunies dans un bureau du palais royal à Rabat. Tous se regardent d’un air tout à la fois las et embarrassé. Comment, en effet, faire taire ce journaliste, Ali Lmrabet, qui déclenche si facilement le royal courroux? Le problème prend une acuité particulière ces jours-ci: l’énergumène a retrouvé le 11 avril sa pleine liberté de manœuvre, c’est-à-dire que, vu du palais, le pire est à craindre. En 2005, en effet, la «justice» marocaine avait inventé pour lui une peine ne figurant pas dans l’arsenal pénal, une interdiction de profession pendant dix ans, et voilà que ces dix ans ont pris fin. Pire: la rumeur dit que ce cuistre s’apprête à relancer un journal!

Alors, quelqu’un a eu une idée. Et les têtes pensantes s’y sont ralliées. Faute de mieux, car il s’agit d’un pis-aller de piètre facture morale. Mais la morale, parfois… Bref: on va priver l’intéressé de tout papier, comme cela il sera bien en peine d’obtenir une autorisation pour lancer un journal. On pourrait appeler ça un sabotage administratif. C’est moins spectaculaire que des poursuites judiciaires qui pourraient encore susciter à l’étranger des articles au ton désobligeant et, au fond, c’est tout aussi efficace.

Voilà le plan: on s’est arrangé pour qu’il doive renouveler sa carte d’identité (et son passeport est bientôt périmé). Quelle sera la faille? Son domicile, pardi! Il prétend habiter chez son père à Tétouan? Eh bien! on va dire qu’il s’agit d’un mensonge et lui refuser le renouvellement de ses papiers. Et des papiers, il en a besoin depuis que des agresseurs non identifiés (mais tellement reconnaissables…) les lui ont volés d’une manière violente.

Peu importe si un fonctionnaire de police qu’on avait oublié de mettre au parfum lui a délivré un certificat de résidence l’autre jour. Ce pauvre policier est allé pleurnicher chez Ali en disant qu’on le menaçait des plus graves ennuis s’il ne lui rendait pas le document, ce qu’Ali, bonne âme, accepta de faire (non sans en avoir fait quelques copies, histoire de pouvoir les exhiber à qui veut entendre son histoire). En quelque sorte, désormais, Ali Lmrabet n’existe plus. Pas de papiers, pas d’Ali Lmrabet et pas de journal créé par Ali Lmrabet! Le tour est joué, il suffisait d’y penser. Les têtes pensantes y ont donc pensé. On imagine sans peine leur soulagement un peu veule…

Mais, au fond, pourquoi ce collègue est-il tant craint? Ce journaliste met-il à lui tout seul le royaume en péril? Serait-il proche des djihadistes nihilistes prêts à faire tout sauter? Non, pas du tout. En fait, le bougre s’est taillé une fameuse (mais aussi fâcheuse) réputation depuis qu’il a quitté la diplomatie marocaine pour se lancer dans le journalisme. Voilà en effet un type qui estime que le journalisme consiste à ne pas se contenter de l’avis officiel, qui croit que tenter de voir ce qui se cache sous les cartes peut servir l’intérêt général. Quelle outrecuidance!

Cet Ali Lmrabet n’a jamais cessé d’enquiquiner son monde. Au sommet de l’Etat, surtout. Comme rédacteur en chef du Journal hebdomadaire (un organe iconoclaste que le régime a écrasé par des mesures judiciaires qui ont eu sa peau en 2010), comme propriétaire d’un autre hebdo, Demain (et sa version arabe), fermé en 2005, qui avait le toupet non seulement de voguer sur le mode ironique mais aussi de transgresser quelques tabous locaux tel que désigner les Sahraouis qui vivent à Tindouf, en Algérie, par le terme de «réfugiés» au lieu de l’appellation contrôlée et imposée d’en haut, les fameux «séquestrés du Polisario» (le mouvement indépendantiste sahraoui).

Le vrai-faux SDF n’a pas perdu la main: pendant qu’il purgeait sa peine, il a bossé pour des journaux espagnols. Et, surtout, il a depuis longtemps créé un journal en ligne, demainonline.com, hébergé à l’étranger, que le pouvoir exècre pour l’excellente raison que ce site refuse évidemment de respecter les intouchables «lignes rouges» (le roi, l’islam, l’armée, les «provinces du sud», à savoir la sacro-sainte «marocanité» du Sahara occidental).

Ali Lmrabet n’est pas seul dans son cas au Maroc. Dans ce pays où le décor démocratique ne trompe plus depuis des lunes les sujets de Sa Majesté, tout est fait pour que les journaleux les plus courageux finissent par choisir un autre métier ou… l’exil. Des journalistes sont d’ailleurs en prison ou attendent leur procès, des sites ont dû fermer, tous exemples qui illustrent l’inflexibilité absolue de ce souverain absolu. Le Maroc idéal des têtes pensantes susmentionnées? C’est «Circulez, y a rien à lire!».

BAUDOUIN LOOS

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EN ISRAEL : LE TEMPS DES PRESSIONS A SONNE


UNE DONNE CLAIRE

loos

Il faut se rendre à l’évidence au lendemain de la claire victoire de Binyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien sortant, aux élections législatives anticipées qu’il avait provoquées : ce triomphe a été obtenu après avoir mené une campagne destinée à attiser les peurs du public israélien et aussi, alors que les derniers sondages lui étaient plutôt défavorables, en proclamant lundi haut et fort que s’il était réélu à la tête du pays il n’y aurait jamais d’Etat palestinien.
Selon toute vraisemblance, « Bibi » Netanyahou sera donc encore le Premier ministre de l’Etat d’Israël dans les prochaines années. Il n’y a guère de doutes qu’il entend respecter sa promesse de dernière minute concernant les Palestiniens puisqu’elle correspond à son intime conviction depuis toujours. Peu lui chaut que cela contredise sa « conversion » de 2009 en faveur de la solution des deux Etats, Israël-Palestine, à laquelle peu d’observateurs avaient accordé un réel crédit. Que voulez-vous, clame-t-il, nous sommes entourés d’ennemis mortels, l’Iran, le Hezbollah, le Hamas, l’Etat islamique…
Netanyahou a jeté bas le masque, du moins pour les derniers naïfs qui voyaient en lui un homme capable de faire la paix. Qu’offre-t-il comme perspectives aux Palestiniens ? Au mieux, peut-être, se risquera-t-il à affiner un statut d’autonomie qu’ils auraient tôt fait d’assimiler – à raison – à des « bantoustans » de funeste mémoire sud-africaine.
Comme l’écrit sur le site 972mag.com le journaliste israélien indépendant Noam Sheizaf, « Netanyahou ne pourra pas blâmer l’Autorité palestinienne pour l’échec du processus de paix qui n’en finit pas alors qu’il proclame que, quoi que fassent les Palestiniens, ils n’obtiendront jamais leur indépendance ».
En outre, il faut ajouter que la colonisation des territoires palestiniens occupés, en développement permanent, va encore s’accélérer en même temps que le désespoir des Palestiniens…
Ces Palestiniens vont maintenant se tourner vers la communauté internationale et lui demander quelle suite elle compte donner aux événements. Le monde entier et le droit international donnent raison aux Palestiniens dans leur aspiration nationale. Désormais, le « niet » israélien est officiel. Le temps des pressions a sonné. Du moins est-ce la logique qui s’impose quand la donne politique prend les allures d’une équation sans inconnue.
Dans toutes les capitales où siègent les décideurs, de Washington à Moscou en passant par Londres, Paris, Bruxelles, Pékin ou Tokyo, tout le monde sait cela. Encore faudrait-il que les décideurs se décident à décider. Et que, donc, l’immunité totale d’Israël vis-à-vis du droit international soit levée.
Baudouin Loos
Le Soir du 18 mars 2015

Leila Shahid: «Je pars avec tristesse et colère»


 leila

Leila Shahid n’est plus l’ambassadeur de la Palestine à Bruxelles auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Grand Duché du Luxembourg. Son départ, à 65 ans, est irrévocable. Les efforts du président palestinien Mahmoud Abbas pour la retenir auront été vains. Diplomate hors pair, elle prend une retraite qui sera peut-être interrompue par l’une ou l’autre mission ponctuelle pour la Palestine. Pour Le Soir, la célèbre diplomate palestinienne a accepté d’expliquer les raisons de son départ et de revenir sur son bilan et ses frustrations, en ce compris son opinion, nuancée, sur les institutions européennes qu’elle a fréquentées pendant dix ans.
Les amis de la Palestine en Europe disent qu’ils la regrettent déjà. C’est que Leila Shahid a toujours fait montre de telles qualités diplomatiques offensives que ses ennemis la craignent autant que ses amis l’adulent. Ses combativité et pugnacité ont fait les beaux jours des plateaux télévisés français dont les débats sur le Proche-Orient ont perdu beaucoup de leur sel quand, en 2005, elle choisit Bruxelles et surtout l’Europe, pour représenter son pays en devenir.
Née en 1949 à Beyrouth dans une famille aux riches racines palestiniennes, dont par sa mère la prestigieuse famille Husseini, de Jérusalem, Leila Shahid n’a jamais vécu en Palestine mais «la cause» a marqué sa vie depuis toujours et pour toujours.

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